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Abrégé de l’origine de tous les cultes/V

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CHAPITRE V.

Explication de l’Héracléide ou du Poème sacré, sur les douze mois et sur le Soleil honoré sous le nom d’Hercule.




Dès l’instant que les hommes eurent donné une âme au Monde, et à chacune de ses parties la vie et l’intelligence ; dès qu’ils eurent placé des anges, des génies, des dieux dans chaque élément, dans chaque astre, et surtout dans l’astre bienfaisant qui vivifie toute la Nature, qui engendre les saisons, et qui dispense à la Terre cette chaleur active qui fait éclore tous les biens de son sein, et écarte les maux que le principe des ténèbres verse dans la matière, il n’y eut qu’un pas à faire pour mettre en action dans les poèmes sacrés toutes les intelligences répandues dans l’Univers ; pour leur donner un caractère et des mœurs analogues à leur nature, et pour en faire autant de personnages qui jouèrent chacun son rôle dans les fictions poétiques et dans les chants religieux, comme ils en jouaient un sur la brillante scène du Monde. De là sont nés les poèmes sur le Soleil, désigné sous le nom d’Hercule, de Bacchus, d’Osiris, de Thésée, de Jason, etc., tels que l’Héracléide, les Dionysiaques, la Théséide, les Argonautiques, poèmes dont les uns ont parvenus en totalité, les autres seulement en partie jusqu’à nous.

Il n’est pas un des héros de ces divers poèmes qu’on ne puisse rapporter au soleil, ni un de ces chants qui ne fasse partie des chants sur la nature, sur les cycles, sur les saisons et sur l’astre qui les engendre. Tel est le poème sur les douze mois, connu sous le nom de chants sur les douze travaux d’Hercule ou du Soleil solsticial.

Hercule, quoi qu’on en ait dit, n’est pas un petit prince grec fameux par des aventures romanesques, revêtues du merveilleux de la poésie, et chantées d’âge en âge par les hommes qui ont suivi les siècles héroïques. Il est l’astre puissant qui anime et qui féconde l’Univers ; celui dont la divinité a été partout honorée par des temples et des autels, et consacrée dans les chants religieux de tous les peuples. Depuis Méroé en Éthiopie, et Thèbes dans la haute Égypte, jusqu’aux îles britanniques et aux glaces de la Scythie ; depuis l’ancienne Trapobane et Palibothra dans l’Inde, jusqu’à Cadix et aux bords de l’Océan atlantique ; depuis les forêts de Germanie, jusqu’aux sables brûlants de la Libye, partout où l’on éprouva les bienfaits du Soleil, là on trouve le culte d’Hercule établi ; partout on chante les exploits glorieux de ce dieu invincible, qui ne s’est montré à l’homme que pour le délivrer de ses maux, et pour purger la Terre de monstres, et surtout de tyrans, qu’on peut mettre au nombre des plus grands fléaux qu’ait à redouter notre faiblesse. Bien des siècles avant l’époque où l’on fait vivre le fils d’Alcmène ou le prétendu héros de Tirynthe, l’Égypte et la Phénicie, qui certainement n’empruntèrent pas leurs dieux de la Grèce, avaient élevé des temples au Soleil sous le nom d’Hercule, et en avaient porté le culte dans l’île de Thase et à Cadix, où l’on avait aussi consacré un temple à l’année et aux mois qui la divisent en douze parties, c’est-à-dire, aux douze travaux ou aux douze victoires qui conduisirent Hercule à l’immortalité.

C’est sous le nom d’Hercule Astrochyton ou du dieu revêtu du manteau d’étoiles, que le poète Nonnus désigne le dieu Soleil, adoré par les Tyriens. Les épithètes de roi du Feu, de chef du Monde et des Astres, de nourricier des hommes, de Dieu, dont le disque lumineux roule éternellement autour de la Terre, et qui, faisant circuler à sa suite l’Année, fille du Temps et mère des douze Mois, ramène successivement les saisons qui se reproduisent, sont autant de traits qui nous feraient reconnaître le Soleil, quand bien même le poète n’aurait pas donné à son Hercule le nom d’ Hélios ou de Soleil. « Il est, dit-il, le même dieu que divers peuples adorent sous une foule de noms différents : Bélus sur les rives de l’Euphrate, Ammon en Libye, Apis à Memphis, Saturne en Arabie, Jupiter en Assyrie, Séraphis en Égypte, Hélios chez les Babyloniens, Apollon à Delphes, Esculape dans toute la Grèce, etc. » Martianus Capella, dans son superbe hymne au Soleil, le poète Ausone et Macrobe confirment cette multiplicité de noms donnés chez différents peuples à ce même astre.

Les Égyptiens, suivant Plutarque, pensaient qu’Hercule avait son siége dans le Soleil, et qu’il voyageait avec lui autour du Monde.

L’auteur des hymnes attribués à Orphée désigne de la manière la plus précise, les rapports ou plutôt l’identité d’Hercule avec le Soleil. En effet, il appelle Hercule « le dieu générateur du Temps, dont les formes varient ; le père de toutes choses, et qui les détruit toutes. Il est le dieu qui ramène tour-à-tour l’Aurore et la Nuit noire, et qui de l’orient au couchant, parcourt la carrière des douze travaux ; valeureux Titan, Dieu fort, invincible et tout-puissant qui chasse les maladies, et qui délivre l’homme des maux qui l’affligent. » À ces traits peut-on méconnaître, sous le nom d’Hercule, le Soleil, cet astre bienfaisant qui vivifie la Nature, et qui engendre l’Année, composée de douze mois et figurée par la carrière des douze travaux ? Aussi les Phéniciens ont-ils conservé la tradition qu’Hercule était le dieu Soleil, et que ses douze travaux désignaient les voyages de cet astre à travers les douze signes. Porphyre, né en Phénicie, nous assure que l’on donna le nom d’Hercule au Soleil, et que la fable des douze travaux exprime la marche de cet astre à travers les douze signes du zodiaque. Le scholiaste d’Hésiode nous dit également que « le zodiaque, dans lequel le Soleil achève sa course annuelle, est la véritable carrière que parcourt Hercule dans la fable des douze travaux, et que par son mariage avec Hébé, déesse de la jeunesse, qu’il épouse après avoir achevé sa carrière, on doit entendre l’année qui se renouvelle à la fin de chaque révolution. »

Il est évident que si Hercule est le Soleil, comme nous l’avons fait voir par les autorités que nous avons citées plus haut, la fable des douze travaux est une fable solaire, qui ne peut avoir rapport qu’aux douze mois et aux douze signes, dont le Soleil en parcourt un chaque mois. Cette conséquence va devenir une démonstration, par la comparaison que nous allons faire de chacun des travaux avec chacun des mois, ou avec les signes et les constellations qui marquent aux cieux la division du temps, durant chacun des mois de la révolution annuelle.

Parmi les différentes époques auxquelles l’année a commencé autrefois, celle du solstice d’été a été une des plus remarquables. C’était au retour du Soleil à ce point, que les Grecs fixaient la célébration de leurs fêtes olympiques, dont on attribuait l’établissement à Hercule : c’était l’origine de l’ère la plus ancienne des Grecs. Nous fixerons donc là le départ du Soleil, Hercule , dans sa route annuelle. Le signe du Lion, domicile de cet astre, et qui lui fournit ses attributs, ayant autrefois occupé ce point, son premier travail sera sa victoire sur le Lion : c’est effectivement celui que l’on met à la tête de tous les autres.

Mais avant de comparer mois par mois la série des douze travaux avec celle des astres, qui déterminent et marquent la route annuelle du Soleil, il est bon d’observer que les anciens, pour régler leurs calendriers sacrés et ruraux, employaient non-seulement signes du zodiaque, mais plus souvent encore des étoiles remarquables, placées hors du zodiaque, et les diverses constellations qui par leur lever ou leur coucher annonçaient le lieu du Soleil dans chaque signe. On trouvera la preuve de ce que nous disons dans les Fastes d’Ovide, dans Columelle, et surtout dans les calendriers anciens que nous avons fait imprimer à la suite de notre grand ouvrage. C’est d’après ce fait connu que nous allons dresser le tableau des sujets des douze chants, comparés avec les constellations qui présidaient aux douze mois, de manière à convaincre notre lecteur, que le poème des douze travaux n’est qu’un calendrier sacré, embelli de tout le merveilleux dont l’allégorie et la poésie, dans ces siècles éloignés, firent usage pour donner l’âme et la vie à leurs fictions.


CALENDRIER POÈME
PREMIER MOIS.

Passage du Soleil sous le Lion céleste, appelé lion de Némée, fixé par le coucher du matin de l’ ingeniculus ou de la constellation de l’Hercule céleste.
TITRE DU PREMIER CHANT OU DU PREMIER TRAVAIL.

Victoire d’Hercule remportée sur le lion de Némée.
DEUXIÈME MOIS.

Passage du Soleil au signe de la Vierge, marqué par le coucher total de l’hydre céleste, appelé hydre de Lerne, et dont la tête renaît le matin avec le cancer.
DEUXIÈME TRAVAIL.

Hercule défait l’hydre de Lerne, dont la tête renaissait, tandis qu’une écrevisse ou cancer le gêne dans son travail.
TROISIÈME MOIS.

Passage du Soleil au signe de la balance, à l’entrée de l’automne, fixé par le lever du centaure céleste, celui qui donna l’hospitalité à Hercule. Cette constellation est représentée aux cieux avec une outre pleine de vin, et un thyrse orné de pampres et de raisins, image des productions de la saison. Alors se lève,
TROISIÈME TRAVAIL.

Hospitalité donnée à Hercule par un centaure, et combat des centaures pour un tonneau de vin ; victoire d’Hercule sur eux, défaite d’un affreux sanglier qui ravageait les forêts d’Erymanthe.
CALENDRIER POÈME
le soir, l’Ourse céleste, appelée par d’autres le porc et l’animal ou sanglier d’ Érymanthe.
QUATRIÈME MOIS.

Passage du Soleil au signe du scorpion, fixé par le coucher de Cassiopée, constellation dans laquelle on peignit autrefois une biche.
QUATRIÈME TRAVAIL.

Triomphe d’Hercule sur une biche aux cornes d’or et aux pieds d’airain, qu’Hercule prit sur les bords de la mer, où elle se reposait.
CINQUIÈME MOIS.

Passage du Soleil au signe du sagittaire consacré à la déesse Diane, qui avait son temple à Stymphale, dans lequel on voyait les oiseaux stymphalides. Ce passage est fixé par le lever des trois oiseaux, le vautour, le cygne, et l’aigle percé de la flèche d’Hercule.
CINQUIÈME TRAVAIL.

Hercule, près de Stymphale, donne la chasse à des oiseaux connus sous le nom d’oiseaux du lac Stymphale, et représentés au nombre de trois dans les médailles de Perinthe.
SIXIÈME MOIS.

Passage du Soleil au signe du bouc ou du capricorne, fils de Neptune, suivant les uns ; petit-fils du Soleil, suivant les autres. Ce passage est marqué par le coucher du fleuve du verseau, qui coule sous la case du capricorne, et dont la source est entre les mains d’Aristée, fils du fleuve Pénée.
SIXIÈME TRAVAIL.

Hercule nettoie les étables d’Augias, fils du Soleil, ou, suivant d’autres, fils de Neptune. Il y fait couler le fleuve Pénée.
SEPTIÈME MOIS.

Passage du Soleil au signe du verseau, et au lieu du Ciel où se trouvait tous les ans la pleine Lune, qui servait d’époque à la célébration des jeux Olympiques. Ce passage était marqué par le vautour, placé dans le Ciel à côté de la constellation qu’on nomme Prométhée, en même temps que le taureau céleste, appelé taureau de Pasiphaé et de Marathon, culminait au méridien, au coucher du cheval Arion ou de Pégase.
SEPTIÈME TRAVAIL.

Hercule arrive en Élide. Il était monté sur le cheval Arion ; il amène avec lui le taureau de Crète, qu’avait aimé Pasiphaé, et qui ravagea ensuite les plaines de Marathon. Il fait célébrer les jeux Olympiques qu’il institue, et où il combat le premier ; il tue le vautour de Prométhée.
HUITIÈME MOIS.

Passage du Soleil aux poissons, fixé par le lever du matin du cheval céleste, qui porte sa tête sur Aristée ou sur le verseau, fils de Cyrène.
HUITIÈME TRAVAIL.

Conquête que fait Hercule des chevaux de Diomède, fils de Cyrène.
NEUVIÈME MOIS.

Passage du Soleil au signe du bélier consacré à Mars, et qu’on nomme encore le bélier à toison d’or. Ce passage est marqué par le lever du navire Argo ; par le coucher d’Andromède ou de la femme céleste, et de sa ceinture, par celui de la baleine ; par le lever de Méduse, et par le coucher de la reine Cassiopée.
NEUVIÈME TRAVAIL.

Hercule s’embarque sur le vaisseau Argo, pour aller à la conquête du bélier à toison d’or ; il combat des femmes guerrières, filles de Mars, à qui il ravit une superbe ceinture ; il délivre une jeune fille exposée à une baleine ou à un monstre marin, tel que celui auquel fut exposée Andromède, fille de Cassiopée.
DIXIÈME MOIS.

Le Soleil quitte le bélier de Phryxus, et entre sous le taureau. Ce passage est marqué par le coucher d’Orion, qui fut amoureux des Atlantides ou des Pléiades ;
DIXIÈME TRAVAIL.

Hercule, après le voyage qu’il fit avec les Argonautes pour conquérir le bélier, revient en Hespérie à la conquête des bœufs de Géryon ; il tue aussi un prince
CALENDRIER POÈME
par celui du bouvier conducteur des bœufs d’Icare ; par celui du fleuve Éridan ; par le lever des Atlantides, et par celui de la chèvre, femme de Faune. cruel, qui poursuivait les Atlantides, et il arrive en Italie chez Faune, au lever des Pléiades.
ONZIÈME MOIS.

Passage du Soleil aux gémeaux, indiqué par le coucher du chien Procyon ; par le lever cosmique du grand chien, à la suite duquel s’allonge l’hydre, et par le lever du soir du cygne céleste.
ONZIÈME TRAVAIL.

Hercule triomphe d’un chien affreux, dont la queue était un serpent, et dont la tête était hérissée de serpents ; il défait aussi Cycnus ou le prince Cygne, au moment où la canicule vient brûler la Terre de ses feux.
DOUZIÈME MOIS.

Le Soleil entre au signe du cancer, auquel répondait le dernier mois ; au coucher du fleuve du verseau et du centaure ; au lever du berger et de ses moutons ; au moment où la constellation de l’Hercule ingeniculus descend vers les régions occidentales, appelées Hespérie, suivi du dragon du pôle, gardien des pommes du jardin des Hespérides ; dragon qu’il foule aux pieds dans la sphère, et qui tombe près de lui vers le couchant.
DOUZIÈME TRAVAIL.

Hercule voyage en Hespérie, pour y cueillir des pommes d’or que gardait le dragon qui, dans nos sphères, est près du pôle, et suivant d’autres, pour enlever des brebis à toison d’or. Il se dispose à faire un sacrifice, et se revêt d’une robe teinte du sang d’un centaure qu’il avait tué au passage d’un fleuve. Cette robe le brûle de feux ; il meurt, et finit ainsi sa carrière mortelle pour reprendre sa jeunesse aux cieux et y jouir de l’immortalité.


Voilà le tableau comparatif des chants du poème des douze travaux, et des aspects célestes durant les douze mois de la révolution annuelle qu’achève le Soleil, sous le nom de l’infatigable Hercule. C’est au lecteur à juger des rapports, et à voir jusqu’à quel point le poème et le calendrier s’accordent. Il nous suffit de dire que nous n’avons point interverti la série des douze travaux ; qu’elle est ici telle que la rapporte Diodore de Sicile. Quant aux tableaux célestes, chacun peut les vérifier avec une sphère, en faisant passer le colure des solstices par le Lion et le Verseau, et celui des équinoxes par le Taureau et le Scorpion, position qu’avait la sphère à l’époque où le Lion ouvrait l’année solsticiale, environ deux mille quatre cents ans avant notre ère.

Quand même les Anciens ne nous auraient pas dit qu’Hercule était le Soleil ; quand même l’universalité de son culte ne nous avertirait pas qu’un petit prince grec n’a jamais dû faire une aussi étonnante fortune dans le Monde religieux, et qu’une aussi haute destinée n’appartient point à un mortel, mais au dieu dont tout l’Univers éprouve les bienfaits, il suffirait de bien saisir l’ensemble de tous les rapports de ce double tableau, pour conclure avec la plus grande vraisemblance, que le héros du poème est le dieu qui mesure le temps, qui conduit l’année, qui règle les saisons et les mois, et qui distribue la lumière, la chaleur et la vie à toute la nature. C’est une histoire monstrueuse qui ne s’accorde avec aucune chronologie, et qui offre partout des contradictions quand on y cherche les aventures d’un homme ou d’un prince, c’est un poème vaste et ingénieux, quand on y voit le dieu qui féconde l’Univers. Tout y est mouvement, tout y est vie. Le Soleil du solstice y est représenté avec tous les attributs de la force qu’il a acquise à cette époque, et que contient en lui le dépositaire de la force universelle du Monde ; il est revêtu de la peau du lion et armé de la massue. Il s’élance fièrement dans la carrière qu’il est obligé de parcourir par l’ordre éternel de la nature. Ce n’est pas le signe du Lion qu’il parcourt, c’est un lion affreux qui ravage les campagnes, qu’il va combattre ; il l’attaque, il se mesure avec lui, il l’étouffe dans ses bras, et se pare des dépouilles de l’animal vaincu ; puis il s’achemine à une seconde victoire. L’hydre céleste est le second monstre qui présente un obstacle à la course du héros. La poésie la représente comme un serpent à cent têtes, qui sans cesse renaissent de leurs blessures. Hercule les brûle de ses feux puissants. Les ravages que fait cet animal redoutable, l’effroi des habitants des campagnes voisines des marais qu’habite le monstre ; les horribles sifflements des cent têtes ; d’un autre côté, l’air d’abord assuré du vainqueur du lion de Némée, ensuite son embarras lorsqu’il voit renaître les têtes qu’il a coupées, tout y est peint à peu près comme Virgile nous a décrit la victoire de ce même héros sur le monstre Cacus. Tous les animaux célestes mis en scène dans ce poème y paraissent avec un caractère qui sort des bornes ordinaires de la Nature : les chevaux de Diomède dévorent les hommes ; les femmes s’élèvent au dessus de la timidité de leur sexe, et sont des héroïnes redoutables dans les combats ; les pommes y sont d’or ; la biche a des pieds d’airain ; le chien Cerbère est hérissé de serpents : tout, jusqu’à l’écrevisse, y est formidable ; car tout est grand dans la nature, comme dans les symboles sacrés qui en expriment les forces diverses.

On sent quel développement un poète a pu donner à toutes ces idées physiques et astronomiques, auxquelles durent s’en joindre d’autres, empruntées, soit de l’agriculture, soit de la géographie, soit de la politique et de la morale ; car tous ces buts particuliers entraient dans le système général des premiers poètes philosophes qui chantèrent les dieux, et qui introduisirent les hommes dans le sanctuaire de la Nature, qui semblait leur avoir révélé ses mystères. Que de morceaux épisodiques perdus pour nous, et qui devaient se lier au sujet principal de chaque chant du poème, dans lequel le génie allégorique et poétique avait la liberté de tout oser et de tout feindre ! Car rien n’est impossible à la puissance des dieux : c’est à eux seuls qu’il appartient d’étonner les hommes par l’appareil magique de leur pouvoir. Quelle carrière pour le génie, que celle que lui ouvre la Nature elle-même, qui lui met sous les yeux ses plus brillants tableaux, pour être imités dans ses chants ! C’était bien là véritablement l’âge d’or de la Poésie, fille du Ciel et des dieux. Depuis ces temps antiques, elle est bien restée au-dessous de cette hauteur sublime qu’un essor hardi lui avait fait atteindre lorsqu’elle était soutenue de toutes les forces que le génie puise dans la contemplation de l’Univers ou du grand Dieu, dont les poètes furent les premiers oracles et les premiers prêtres. Quel vaste champ à nos conjectures sur l’antiquité du Monde et sur sa civilisation, quand on réfléchit que la position des cieux donnée par ces poèmes, où les constellations jouent un si grand rôle, ne nous permet pas d’en rapprocher de notre ère les auteurs, de plus de deux mille cinq cents ans ! Est-ce bien sur les débris du Monde, sorti à peine des eaux d’un déluge, que les arts du génie planaient aussi haut ?

Il est encore une conséquence que nous devons tirer de ce tableau comparatif, qui nous a prouvé qu’Hercule n’était point un mortel élevé au rang des dieux par son courage et ses bienfaits envers les hommes, ni les événements de sa prétendue vie des faits historiques, mais bien des faits astronomiques. Cette conséquence est que le témoignage de plusieurs siècles et de plusieurs peuples en faveur de l’existence, comme hommes, des héros des différentes religions, dont la mémoire est consacrée par un culte, par des poèmes ou des légendes, n’est pas toujours un sûr garant de leur réalité historique. L’exemple d’Hercule met cette conséquence dans toute son évidence. Les Grecs croyaient assez généralement à l’existence d’Hercule, comme à celle d’un prince qui était né, qui avait vécu, et qui était mort chez eux après avoir parcouru l’Univers.

On lui donnait plusieurs femmes, des enfants, et on le faisait chef d’une famille d’Héraclides, ou de princes qui se disaient descendre d’Hercule, comme les Incas du Pérou se disaient descendants du Soleil. Partout l’on montrait des preuves de l’existence d’Hercule, jusque dans les traces de ses pas, qui décelaient sa taille colossale. On avait conservé son signalement, comme les chrétiens ont la sainte face de leur Dieu Soleil, Christ. Il était maigre, nerveux, basané ; il avait le nez aquilin, les cheveux crépus ; il était d’une santé robuste.

On montrait en Italie, en Grèce et dans divers lieux de la Terre, les villes qu’il avait fondées, les canaux qu’il avait creusés, les rochers qu’il avait séparés, les colonnes qu’il avait posées, les pierres que Jupiter avait fait tomber du ciel pour remplacer les traits qui lui manquaient dans son combat contre les Liguriens. Des temples, des statues, des autels, des fêtes, des jeux solennels, des hymnes, des traditions sacrées, répandus en différents pays, rappelaient à tous les Grecs les hauts faits du héros de Tirynthe, du fameux fils de Jupiter et d’Alcmène, ainsi que les bienfaits dont il avait comblé l’Univers en général, et en particulier les Grecs ; et néanmoins nous venons de voir que le grand Hercule, le héros des douze travaux, celui-là même à qui les Grecs attribuaient tant d’actions merveilleuses, et qu’ils honoraient sous les formes d’un héros vêtu de la peau du lion, et armé de la massue, est le grand dieu de tous les peuples ; ce Soleil fort et fécond qui engendre les saisons, et qui mesure le temps dans le cercle annuel du zodiaque, partagé en douze divisions que marquent et auxquelles se lient les divers animaux figurés dans les constellations, les seuls monstres que le héros du poème ait combattus.

Quelle matière à réflexions pour ceux qui tirent un grand argument de la croyance d’un ou de plusieurs peuples, et de plusieurs siècles, pour établir la vérité d’un fait historique, surtout en matière de religion, où le premier devoir est de croire sans examen ! La philosophie d’un seul homme, en ce cas, vaut mieux que l’opinion de plusieurs milliers d’hommes et de plusieurs siècles de crédulité. Ces réflexions trouveront leur application dans la fable solaire, faite sur le chef des douze apôtres ou sur le héros de la légende des Chrétiens, et dix-huit siècles d’imposture et d’ignorance ne détruiront par les rapports frappants qu’a cette fable avec les autres romans sacrés faits sur le Soleil, que Platon appelle le fils unique de Dieu. Le bienfaiteur universel du Monde, en quittant la peau du Lion solsticial pour prendre celle de l’Agneau équinoxial du printemps, n’échappera pas à nos recherches sous ce nouveau déguisement, et le lion de la tribu de Juda sera encore le Soleil, qui a son domicile au signe du Lion céleste, et son exaltation dans celui de l’Agneau ou du Bélier printanier. Mais ne devançons pas l’instant où les Chrétiens seront forcés de reconnaître leur dieu dans l’astre qui régénère la Nature tous les ans, au moment de la célébration de leur Pâque. Passons aux fictions sacrées faites sur la Lune.