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Acadie/Tome I/19

La bibliothèque libre.
Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome Ip. 396-397).

APPENDICE IV


(Cf. Chapitre Troisième)


ARCHIVES DU CANADA — ÎLE ROYALE.
M. de Costebelle, Gouverneur.


Série F. Vol. 133-A. p. 554.

Copie

de la lettre escrite par Monsieur de Costebelle Gouverneur à l’Isle Royalle, au Père Justinien, en datte du premier Novembre 1716.


Mon Révérend Père


Le Révérend Père Dominique est arrivé en parfaite santé au Port Toulouze où pour lors je me suis rencontré, il m’a remis la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire par laquelle j’ay esté informé de tous les mouvemens que vous avez pû pratiquer ensemble pour déterminer les habitans du Port Royal et des Mines à se transporter à l’Isle Royalle pour faire l’essay des terres de la petite rivière de Saint Pierre ; je ne doute pas que s’ils agissent de bonne foy dans cette découverte, ils ne soient très satisfaits de leurs travaux, les dernières terres cultivées par un nommé Jean Pitre et autres ayant donné de grandes espérances il ne s’agit plus que d’y vouloir travailler et ne pas se faire un fantosme d’un défrichement d’un pays médiocrement boisé.

Vous pouvez, mon Révérend Père les assurer de ma part qu’ils y seront bien reçus, et que le Roy leur donnera tout le secours qu’ils pourront raisonnablement espérer qui est celuy d’une année de vivres, dès que les habitans qui se présenteront auront fait leur soumission de s’établir solidement et de vivre et mourir sous la domination du Roy de France, leur Prince légitime, je ne vous repeteray point tout ce qui doit les engager à prendre ce party, je laisse à vos soins apostoliques ce luy de leur inspirer les sentimens de religion, vous leur preschés si pieusement cette morale qu’il faudrait qu’ils eussent le cœur fort endurcy pour ne pas en tirer un fruit salutaire.

Je m’en remets à la continuation de votre sainte doctrine sur cet article sans pouvoir vous marquer positivement pour le temporel les moyens que le Roy pourra donner à ces peuples pour se transporter à l’Isle Royalle, vous connoissés comme moy que la saison ne permet pas aujourd’huy d’y envoyer aucun vaisseau du Roy et quand même cette difficulté n’y apporteroit aucune objection il pourroit s’en former du costé des Anglois qui interromproient nos plus justes mesures, à moins qu’il n’y aye quelque nouveau règlement entre les Couronnes pour une libre évacuation.

Pour prendre le milieu dans une affaire aussy douteuse j’ay pensé qu’il conviendroit mieux de faire passer à l’Isle Royalle les peuples bien intentionnés sur des batteaux du pays qui naviguent tous les printemps des Mines à Canceau au Port Toulouze, une semblable retraite éclateroit moins, et insensiblement les dits habitans du Port Royal et des Mines seroient transportés à l’isle Royalle aux frais du Roy par un marché secret que nous ferions icy avec les maîtres des batteaux qui les embarqueroient, proposés leur cet expédient je vous prie, mon Révérend Père, et faites leur concevoir qu’il est le plus seur et le plus praticable.

Je passe cette année en France sur la frégatte « l’attalante », je representeray à la Cour combien les dits habitans françois de l’Accadie méritent d’estre secourus, j’espère qu’elle fera une favorable attention à mes justes sollicitations, engagés les entre cy et ce temps, autant qu’il vous sera possible à se transporter sur ses terres, c’est l’ouvrage que je vous recommande.


J’ay l’honneur d’estre, mon très Révérend Père
Vostre très humble et très obéissant serviteur
Signé : De Costebelle.