Acadie/Tome II/16

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Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome 2p. 331-375).

CHAPITRE VINGT-SEPTIÈME



28 juin. Lawrence annonce aux Lords du commerce la prise de Beauséjour. — Il leur dit avoir donné à Monckton l’ordre d’en chasser les Acadiens. — 15 juillet. Lawrence fait approuver par Boscawen le projet de la déportation. — Celle-ci était depuis longtemps chose décidée. — À preuve, le rapport de Morris. — Lawrence cherche des prétextes. — Sa lettre du 18 juillet aux Lords du Commerce. — Le 25 juillet, cent délégués acadiens se présentent devant le gouverneur. — Refus de prêter le serment. — Les délégués sont emprisonnés. — Enlèvement des prêtres. — Lettre de Daudin.


La déportation était maintenant chose facile à accomplir, matériellement parlant. Il restait cependant à surmonter un obstacle beaucoup plus sérieux que ceux qui s’étaient présentés jusqu’ici ; car un acte aussi barbare ne pouvait vraisemblablement s’accomplir sans le consentement des autorités métropolitaines. Lawrence pouvait-il espérer l’obtenir ! Il n’y avait pas à y penser ! Jamais l’Angleterre ne donnerait son assentiment à une pareille infamie[1]. Si la situation devenait intolérable, si les Acadiens se rendaient coupables de tentatives de rébellion, l’on préférerait plutôt, làbas, les faire anéantir par la voie des armes que de se prêter à un projet comme celui que Lawrence avait formé. Et pourtant, il fallait préparer l’esprit des Lords du Commerce à quelque chose dans ce sens. Voilà pourquoi, l’année précédente, Lawrence, leur peignant sous de sombres couleurs la conduite des Acadiens, avait vaguement insinué dans sa lettre « qu’il vaudrait mieux que ceux-ci fussent éloignés[2] ».

Le 28 juin 1755, moins de deux semaines après l’évacuation de Beauséjour, et quelques jours seulement avant la prise en considération de la requête citée dans notre chapitre précédent, Lawrence, annonçant cet événement aux Lords du Commerce, ajoutait : « Les Acadiens émigrés (deserted) rendent leurs armes. Je lui ai donné (à Monckton) l’ordre de les chasser du pays à tout événement ; mais, s’il a besoin de leur aide pour mettre les troupes à l’abri, il peut d’abord leur demander de rendre tous les services qui sont en leur pouvoir[3]. »

Cette lettre semble impliquer que Monckton avait ordre de commander aux Acadiens, habitant le territoire que la France venait d’évacuer, de quitter le pays, et, en cas de refus de leur part, de les y contraindre par les armes. Ce n’était pas là pourtant ce que Lawrence avait résolu de faire, loin de là. Mais il ne lui convenait pas d’exposer à nu son projet aux Lords du Commerce. Il fallait laisser ces derniers sous une vague impression, dans l’incertain et l’indéfini à cet égard, pour mieux les préparer aux mesures extrêmes qu’il avait arrêtées. Avant d’en venir à ceux des habitants qui étaient restés paisiblement sur leurs terres dans la péninsule, il était préférable de ne faire mention que de ceux qui s’étaient depuis longtemps réfugiés à Beauséjour, et pour lesquels les Lords du Commerce entretiendraient moins de sollicitude. Toutes les audaces peuvent réussir, pourvu que l’on procède avec une savante gradation. Celle-ci était la seconde. Les Acadiens furent-ils chassés, comme il disait l’avoir commandé à Monckton ? Pas du tout ! Il s’en serait bien gardé. Nous verrons ultérieurement que l’espèce d’imprécision qu’il voulait laisser dans l’esprit des Lords, quant à son vrai projet, eut plein succès ; que son projet, même atténué, et présenté sous une forme adoucie, jeta parmi eux l’alarme et fût sévèrement blâmé. Mais alors il était trop tard, le crime était consommé.

Ici encore, Lawrence nous fait voir que même ces Acadiens réfugiés (deserted) obéissaient aux ordres d’avoir à livrer leurs armes. Ils étaient, selon toute apparence, fort paisibles et soumis, et Lawrence n’entretenait aucune crainte à leur égard, puisqu’il se proposait, avant de les expulser, de les employer d’abord à réparer les fortifications de Beauséjour.

Un autre point, qui montre que le gouverneur cherchait à préjuger les Lords du Commerce contre les Acadiens, est qu’il ne mentionne aucunement dans sa lettre le fait que les trois cents Acadiens pris les armes à la main, lors de la reddition de Beauséjour, avaient été pardonnes par Monckton[4], vu qu’ils n’avaient agi ainsi que sous menace de mort de la part des officiers français. C’était dans le même but que, l’année précédente, écrivant aux mêmes personnages, il leur avait dit que ceux qui avaient passé la frontière l’avaient fait de leur plein gré, lorsqu’il savait bien que c’était tout le contraire[5]. Et, si ces trois cents Acadiens, sujets français, n’avaient pris les armes que sous peine de mort, de quoi donc étaient-ils coupables, quand nous savons en outre que plusieurs de ceux qui se trouvaient dans le même cas désertèrent le camp français, et que, en fin de compte, ceux qui restèrent refusèrent absolument de combattre ? Que si Monckton pardonna à ces trois cents, pourquoi auraient-ils été punis ! Et les douze cents autres, qui refusèrent obstinément de se rendre au fort et de prendre les armes, quel mal avaient-ils donc commis ! N’a-t-on pas là plutôt des preuves certaines de leurs dispositions pacifiques, et, à plus forte raison, des dispositions pacifiques de ceux de leurs frères qui habitaient la péninsule ?

Ne pouvant s’adresser ouvertement aux Lords du Commerce pour leur faire sanctionner son projet de déportation, Lawrence chercha ailleurs son point d’appui. Il lui fallait trouver quelqu’un, en dehors de son conseil, pour prendre sa part de la lourde responsabilité qu’il allait assumer ; il lui fallait se ménager une défense, le cas échéant, se mettre en mesure de pouvoir plaider urgence et se justifier ainsi. Probablement parce que l’on craignait ses témérités, on lui avait — c’est lui-même qui le dit — donné l’ordre de consulter le commandant de la flotte, en toute conjoncture imprévue regardant la sécurité de la province[6]. Lawrence eut l’art de tourner cet ordre à son avantage et de s’en prévaloir pour faire seconder ses desseins par le vice-amiral Boscawen, surnommé avec raison « cœur-de-chêne », et qui était alors à Halifax. C’était bien là l’homme qui lui convenait ; il connaissait ses dispositions et l’avait habilement préparé à l’acceptation de son projet.

Voici donc ce que nous lisons dans Akins :


« Conseil tenu en la maison du gouverneur, à Halifax, le lundi 14 juillet 1755.

« Le lieutenant-gouverneur notifia le conseil qu’il avait reçu des instructions de Sa Majesté à l’effet de consulter le commandant de la flotte sur toute mesure urgente à prendre concernant la sécurité de la province[7], et qu’en conséquence il avait l’intention d’envoyer la lettre ci-dessous au vice-amiral Boscawen et au contre-amiral Mostyn.


« Monsieur,

« Le Conseil de Sa Majesté devant s’assembler
en ma résidence demain à onze heures de la

matinée, afin de délibérer sur les mesures à prendre
pour assurer la sécurité de la province contre toute
tentative hostile de la part du Canada ou de Louisbourg,
en cas de rupture, ou pour la protéger
contre les représailles violentes que les Français
pourraient exercer, par ressentiment d’avoir été
entravés dernièrement dans leurs empiétements,
« Je me permets, conformément aux instructions
que j’ai reçues de Sa Majesté et au désir pressant
de son conseil en cette province, de solliciter
l’honneur de votre présence à nos délibérations. »

(Signé) Chas. Lawrence.


Halifax, le 14 juillet 1755.

A M. le Vice-Amiral Boscawen.

« Le Conseil remercia Son Excellence (de cette communication), et exprima très haut son désir que les Amiraux soient consultés. »

Chas. Lawrence.

Jno. Duport. Secr. con.[8] »

Le lendemain, Boscawen, accompagné de son assistant Mostyn, répondant à l’invitation du gouverneur, était présent à la nouvelle séance du conseil.

« Le lt.-gouverneur soumit aux amiraux les procédures adoptées par le conseil à l’égard des habitants français, et leur demanda leur opinion et leur avis là-dessus[9].

« Les deux dits amiraux approuvèrent les dites procédures, et furent d’opinion que c’était maintenant le temps le plus favorable pour obliger les dits habitants à prêter le serment d’allégeance ou à quitter le pays[10]. »

Le tour était joué. Ceci se passait le 15 juillet 1755.


Le lecteur est prié de se souvenir que nous nous trouvons ici en présence d’un homme consommé en roueries, d’un apprenti-peintre en bâtiments[11], qui, à force de ruses, a pu s’élever en peu d’années à une très haute position. La supériorité de son intelligence ne pourrait seule expliquer facilement ses succès[12]. Il serait d’une grande naïveté de croire que les événements que nous venons de raconter aient surgi à l’improviste, et que Lawrence y faisait face au jour la journée. Ses lettres aux Lords du Commerce, l’enlèvement des armes, son indignation simulée, ses griefs imaginaires, ses consultations avec Boscawen, n’étaient que la mise en scène du drame qu’il préparait, qu’autant de moyens tendant vers un même but. Heureusement que, pour nous éclairer sur ses intentions, nous possédons aujourd’hui un document disparu il y a longtemps des Archives, et retrouvé et comme ressuscité par le Dr. Andrew Brown[13]. Ce document suggère avec force la présomption que, bien avant le siège de Beauséjour, Lawrence avait résolu de déporter les Acadiens ; que, par conséquent, ses griefs, le serment, etc., n’avaient rien eu à faire avec une pareille résolution. Ce document, il est vrai, ne porte pas de date, mais il est facile de voir, en le lisant, qu’il est antérieur aux événements que nous venons de relater. M. Grosart, l’acquéreur de ce Manuscrit, avait mis en tête ce qui suit[14] : « Cette pièce précieuse avait été rédigée par le juge Morris de bonne heure, « early », en 1755. « Morris, alors arpenteur de la province, avait été chargé par Lawrence de préparer un rapport sur les moyens les plus efficaces d’opérer la déportation des Acadiens. Ce rapport est très long et très circonstancié.

« Il faut le lire attentivement, dit Casgrain, pour avoir une juste idée de l’œuvre et de l’homme, pour être en mesure de les apprécier, je veux dire de les mépriser l’un et l’autre autant qu’ils le méritent.

« Morris commence son travail par une étude géographique des plus minutieuses. Il décrit chaque paroisse, et, dans chaque paroisse, chaque village et même chaque groupe de maisons qu’il compte une à une. Il marque leurs positions, soit au bord de la mer, soit près des rivières, soit dans l’intérieur des terres. Il signale toutes les voies de communication, tant par eau que par terre, que peuvent suivre les Acadiens pour s’évader, et les moyens de les arrêter. Il n’omet ni une patrouille pour garder une route, ni un vaisseau pour fermer une passe. Tout cela avec une sagacité féline qui rappelle absolument le chat guettant la souris. Mais où le bon juge se surpasse lui-même, c’est dans la variété des pièges et des mensonges qu’il invente pour surprendre et saisir les pauvres Acadiens. Il faudrait, par exemple, tâcher de répandre d’avance parmi eux le bruit qu’on veut les transporter, non pas en exil, mais au Canada. Une fois sous cette fausse impression, ils se rendront plus volontiers. Si on pouvait les persuader de se livrer d’eux-mêmes ! Mais cela n’est guère praticable. Il y a bien les dimanches pendant lesquels ils se réunissent tous à l’église, où l’on pourrait peut-être les cerner et les arrêter. Il y a aussi la nuit, qui a si bien servi pour les désarmer. Si on le surprenait dans leurs lits ! Mais ils sont tellement éparpillés qu’on y réussirait difficilement. Enfin le juge a touché du doigt le vrai moyen, celui qui a été adopté en dernier ressort : c’est d’envoyer aux Mines un fort détachement qui les fasse prisonniers, après les avoir convoqués en assemblée[15]. »

Pour faire connaître plus fidèlement ce document, nous en donnerons quelques extraits[16] :

« Quant au nombre d’hommes nécessaires pour déporter les habitants, et aux endroits où ces hommes devront être placés, cela dépendra beaucoup de l’attitude des Français ; une chose qui faciliterait grandement leur disposition à partir serait de tâcher de répandre parmi eux la persuasion qu’ils seront transportés au Canada, et de laisser à la rumeur le temps de circuler, car il est naturel de penser qu’ils auront de la répugnance à quitter leurs possessions et à s’offrir d’eux-mêmes volontiers pour être menés sans savoir où. Je crois que si l’on réussissait à les persuader en ce sens, l’entreprise deviendrait aisée à exécuter. Si l’on pouvait arriver à les convaincre de se rendre d’eux-mêmes[17] volontairement ou qu’il fut possible de les appréhender par ruse, les autres feront peut-être aussi leur soumission ; mais s’ils se montrent obstinés, et qu’ils s’enfuient dans les bois, et prennent les armes, il faudra recourir à toute la force militaire de la colonie pour les réduire, et cela prendrait beaucoup de temps. Il est difficile de dire exactement comment ceci (projet de déportation) pourrait être effectué.

« Si de forts détachements[18] étaient placés dans les villages des Mines, de Pizaquid et de Canard, l’on pourrait, un jour convenu, en convoquer tous les habitants et les faire appréhender sur-le-champ ; ou encore, tel dimanche fixé, l’on pourrait cerner leurs églises et s’emparer de tous ceux qui y seraient présents ; ou bien l’on pourrait profiter de la nuit pour investir leurs villages et les saisir au lit ; mais comme ils sont dispersés ça et là, ce dernier moyen serait d’une exécution difficile ; il faudrait un bon nombre de baleinières si l’on en venait à la conclusion de s’emparer de tous ceux qui résident dans le voisinage du Bassin ; ces bateaux feraient mieux de se rendre aux Mines, qui est près du centre de ce groupe de villages d’où les Acadiens pourront être chassés.

« En somme, il est difficile de conjecturer la manière dont la déportation pourra s’accomplir : au fur et à mesure que la situation se développera, les moyens les plus efficaces à adopter pour y faire face se présenteront en même temps. Ce serait une très bonne chose, si d’une façon générale, les habitants consentaient à se rendre d’eux-mêmes[19] »

« Ne serait-il pas possible de se procurer les services d’une personne de confiance, qui eût déjà demeuré avec les Acadiens, et qu’on enverrait chez eux à l’effet de sonder leurs dispositions et leurs intentions ? Et c’est d’après ses renseignements que l’on jugerait des mesures à prendre en conséquence. »

Quelle fourberie ! Comme le désir de promouvoir son avancement en se rendant agréable à un odieux despote, peut faire commettre de basses servilités à un homme peut-être disposé à la droiture ! Pour ses complaisances, Morris devint juge.

« Il est à noter, dit encore Casgrain[20], qu’au milieu de toutes les infernales combinaisons du juge Morris, il n’est pas fait la moindre allusion au serment sans réserve dont on faisait tant de bruit en ce moment-là même[21]. Peu importait évidemment que les Acadiens prêtassent ou non ce serment : ils étaient voués quand même à la déportation, « À tout événement, ils seront déracinés. They are at all adventures to he rooted out. » Ce sont les propres paroles du juge Morris.

« (Nous avions donc raison de dire que)[22] le serment n’était qu’une raison apparente destinée à servir de prétexte pour colorer la déportation. »

Nous pourrions en dire autant de tous les autres procédés de Lawrence.

Nous laisserons Brown lui-même flétrir la hideuse pièce que nous venons de produire et son auteur[23].

« Il semble que, pour la question qu’il s’agissait de traiter, le conseil se soit adressé à M. Morris à cause de sa connaissance du pays et de ses habitants. Celui-ci a donc, en conséquence, écrit ce rapport, lequel fait peu d’honneur à son cœur, car il est rempli de stratagèmes injustifiables, de cruels avis et de conseils barbares… J’ai trouvé cette pièce parmi les délibérations du conseil relatives à la déportation des Acadiens. J’ai corrigé d’après elle une copie moins exacte que je tenais du fils de M. Morris, et la présente transcription en est la reproduction[24].

Le travail de Morris commençait comme suit : « Quelques réflexions sur la situation des habitants appelés communément neutres, et quelques moyens proposés en vue de prévenir leur évasion hors de la colonie, au cas où, mis au courant du projet de les déporter, ils tenteraient de passer aux établissements français avoisinants[25]. »

Qu’on lise attentivement ce titre, et l’on verra qu’il implique que le dessein de déporter les Acadiens était déjà formé, lorsque Morris reçut l’ordre de préparer ce travail. Sa tâche consistait uniquement à fournir des renseignements sur le moyen de l’exécuter, et d’empêcher les Acadiens d’aller se joindre aux Français. Par conséquent, lorsque Lawrence écrivait plus tard aux Lords du Commerce qu’il avait donné à Monckton l’ordre de chasser du pays les Acadiens de Beauséjour, il les trompait, puisqu’il s’ingéniait précisément en ce moment à trouver des moyens pour empêcher les habitants de partir, afin de mieux les éparpiller, l’heure venue[26]. Morris en effet, dans le passage suivant, insinue distinctement qu’ils doivent être déportés dans les colonies anglaises : « Cela faciliterait beaucoup leur disposition à s’en aller si l’on pouvait les convaincre qu’ils seront transportés au Canada ; car il est naturel de penser qu’ils éprouveront de la répugnance à quitter leurs propriétés et à s’offrir d’eux-mêmes à partir, sans savoir où ils seront envoyés. »

Morris se croyait à peu près certain que, si l’on parvenait à persuader aux Acadiens qu’on les déporterait au Canada, ils se soumettraient à leur sort. Il avait, selon nous, raison. Mais cela ne montre-t-il pas que cette population n’était pas et ne pouvait devenir rebelle, à moins de circonstances extraordinaires dépendant de ses gouvernants ? Car, remarquons-le bien, — et ceci est une nouvelle preuve que le travail de Morris fut préparé avant le siège de Beauséjour, — les Acadiens avaient alors leurs armes, puisque, en énumérant ses savantes combinaisons, il dit : « …mais s’ils résistent et qu’ils prennent les armes, il faudra employer toute la force militaire de la colonie pour les réduire. » Il n’aurait sûrement pas parlé ainsi si les armes eussent été dès lors livrées.

Ainsi, nous pensons avoir démontré : premièrement, que ce document était antérieur au siège de Beauséjour et aux procédés de Lawrence ; deuxièmement, que Lawrence avait dès lors décidé la déportation. Mais, pour juger correctement de la détermination de Lawrence d’après cette pièce, il faut remonter, non à sa production ou à sa rédaction, mais à l’ordre de la préparer ; un document de cette longueur et de cette importance, comprenant une foule de détails minutieux, un recensement complet de la population, ne se fait ni en un jour ni en une semaine. En outre, l’idée qu’avait eue Lawrence, en chargeant Morris d’un pareil travail, n’avait pas dû sortir soudainement de son cerveau, comme un polichinelle de sa boîte : elle y était ou devait y être depuis longtemps ; il l’avait couvée lentement ; il avait mûri au dedans de lui-même les moyens de la réaliser. Par un enchaînement de faits que nous croyons indiscutables, l’on en arrive à la conclusion que, longtemps avant le siège de Beauséjour, Lawrence avait résolu de jeter les Acadiens sur les plages de la Nouvelle-Angleterre ; l’on en arrive également à cette autre conclusion, corollaire de la précédente, qu’il faisait enlever aux Acadiens leurs armes, dans le double but de se créer des prétextes et d’exécuter plus sûrement son projet ; qu’il prenait offense d’une requête respectueuse parce qu’il avait intérêt à le faire ; qu’il refusait aux députés de se consulter avec leurs compatriotes par crainte que sa proposition d’un serment sans réserve ne fut acceptée ; qu’il opposait une fin de non-recevoir à leur consentement tardif à prêter ce serment pour la même raison ; qu’il les faisait prisonniers, parce qu’il voulait laisser croire à la population que leurs députés avaient refusé péremptoirement, et jusqu’à la fin, de se rendre à ses volontés, sachant bien que leur propre acceptation du serment serait d’un grand poids sur la décision de la masse ; qu’il ne prit l’avis de Boscawen, cœur-de-chêne, que parce qu’il l’avait préparé à ses vues, et qu’il tenait très fort à mettre ses actes sous le couvert d’une autre responsabilité, persuadé qu’il était qu’il n’obtiendrait jamais l’assentiment des Lords du Commerce, et qu’à moins de se protéger ainsi, il courait grand risque d’être blâmé et disgracié ; enfin que sa lettre du 28 juin à ces Lords était une tromperie pour masquer ses desseins.

« J’aime à croire, dit Casgrain, que les historiens qui ont cherché à justifier la déportation des Acadiens n’avaient pas en mains toutes les pièces du procès que nous possédons aujourd’hui ; mais je dois dire à mon grand regret, que celui qui en a fait le récit le plus retentissant, en avait sous les yeux la copie complète, pendant qu’il écrivait[27]. »

Casgrain fait ici allusion au manuscrit de Brown et à Parkman. En effet, ce dernier ne pouvait ignorer Brown. Il serait étonnant que celui qui a consacré près de cinquante années de sa vie à l’histoire de ce pays, qui a pris la peine de faire copier, aux Archives de Paris, soixante huit volumes de Manuscrits, eût ignoré celui de Brown, lequel fut déposé au British Museum en 1852. D’ailleurs, nous sommes en mesure de prouver d’une manière irréfutable que Parkman le connaissait et l’avait lu[28]. Et cependant, il n’a jamais reproduit ses opinions, ni les documents que son manuscrit contient, ni même jamais mentionné son nom. Pensait-il que les opinions de Brown, ministre de l’Évangile, professeur d’une Université en renom, citoyen d’Halifax, contemporain des acteurs et des témoins de ce drame, portant un jugement entre des étrangers absents et des compatriotes dans l’intimité desquels il vivait, et d’après leurs renseignements, ne valaient pas celles de Pichon, espion et traître ? Au moins, les documents que son manuscrit contient pouvaient parler pour eux-mêmes, et Parkman aurait pu les citer, et nommer leur auteur sans rougir, et sans avoir à masquer son identité, comme il se crut obligé de le faire pour Pichon.

D’où Brown avait-il tiré ce manuscrit ? Il nous le dit : des Archives mêmes[29]. Il a disparu depuis, comme tant d’autres.

L’on avait intérêt, nous le comprenons, à cacher et tâcher d’effacer des vilenies aussi compromettantes. La Société Historique d’Halifax a publié, dans ses « Collections », mais en partie seulement, le manuscrit de Brown, retranchant du rapport de Morris tout ce qu’il a d’odieux pour n’en donner que les passages descriptifs. Serions-nous justifiables de supposer qu’il s’est trouvé quelqu’un d’intéressé à sauver un ancêtre du mépris public[30] ?

C’est vers la mi-juillet, croyons-nous, que doit se placer l’arrestation des prêtres de l’Acadie et l’enlèvement des Archives des Acadiens. Les Archives d’Halifax ne nous fournissent aucun renseignement sur ces faits importants. Le lecteur doit maintenant en connaître assez sur les omissions coutumières à Akins pour n’avoir pas à s’en étonner. L’abbé Le Guerne, qui a demeuré plusieurs années sur les côtes du golfe, avec les Acadiens échappés à la déportation, nous dit que l’arrestation de ces prêtres eut lieu vers la mi-juillet, et il cite, parmi ceux qui furent ainsi appréhendés, les abbés Daudin, Chauvreulx et Lemaire[31]. C’étaient les seuls qu’il y eut alors dans la péninsule, à l’exception de l’abbé Desenclaves, qui réussit à s’évader en s’enfuyant dans les bois. Nous le retrouvons plus tard au Cap Sable, avec les débris de quelques familles qui avaient pu se soustraire à l’exil général. La série des vexations exercées par Lawrence n’eût pas été complète sans l’emprisonnement des missionnaires. Il savait que tout ce qui touchait à la foi religieuse des Acadiens était pour eux un point très sensible. Peut-être aussi avait-il espéré achever de les exaspérer par là, et les porter à des résistances qui eussent figuré avec éclat et donné du relief au chapitre de ses accusations contre eux ? Cette satisfaction ne lui fut pas donnée. Mais quelle pouvait être son intention en faisant enlever leurs Archives ! Avait-il si longtemps d’avance prévu le cas de requêtes au Roi, présentées par eux, et de dénonciations de sa conduite ? Il avait alors deviné juste, car, deux ans plus tard, les Acadiens déportés à Philadelphie expliquent, dans une requête au Roi, l’impossibilité où ils étaient de prouver leurs allégations, attendu que leurs Archives leur avaient été ravies. Et si un détail, en apparence aussi insignifiant, n’a pas été échappé à l’esprit fertile et vigilant de ce gouverneur, l’on doit comprendre pourquoi les Archives d’Acadie sont si incomplètes, pourquoi il a si bien effacé les traces de son crime, pourquoi l’on se trouve en présence d’un « chapitre perdu[32]. »

Lawrence, dans sa lettre du 28 juin aux Lords du Commerce, n’avait parlé d’expulsion qu’au sujet des Acadiens réfugiés à Beauséjour. Il ne pouvait convenablement rien faire contre ceux qui étaient toujours restés dans la province, sans donner aux Lords une idée quelconque de ses projets, si vague qu’elle peut être. Il le fallait afin de parer aux difficultés qu’il aurait à rencontrer pour se justifier. Sa faute serait considérée comme d’autant plus grande, et sa justification serait d’autant plus difficile, qu’il aurait laissé ses chefs dans une obscurité plus complète concernant ses desseins. Il y avait sans doute grave inconvénient, même danger, à les mettre au courant, car ils pouvaient répondre par une défense d’agir ; mais il s’écoulerait bien trois mois avant que leur réponse pût lui parvenir, et la déportation serait alors chose faite. Il ne pourrait transgresser des ordres formels de non-exécution ; mais, le fait accompli, il se flattait bien de le faire accepter, sans qu’il en résultât de détriment pour lui-même. Si, contre son attente, la question devenait grosse de périls, alors, il se retrancherait derrière l’approbation de son Conseil et celle de Boscawen ; il invoquerait la nécessité, l’urgence. La guerre entre la France et l’Angleterre existait déjà de fait ; elle allait être officielle d’un moment à l’autre : or, l’on pêche plus aisément en eau trouble[33]. Les soucis d’une campagne militaire, appelant l’attention sur bien des côtés à la fois, ne permettraient pas de la fixer sur un point particulier, isolé, perdu le long d’une plage peu fréquentée ; ou bien l’acharnement de la lutte disposerait à l’indulgence ; le bruit des armes étoufferait les plaintes des victimes. Tant que la guerre durerait, il ne pourrait facilement être question d’une enquête sur sa conduite ; comme dit le proverbe, on ne change pas de monture en passant un gué. La lutte serait longue, mouvementée. Et après, après… tout serait oublié ou près de l’être ; il ne resterait plus de ces événements qu’un souvenir confus. Si la victoire finale couronnait les efforts de l’Angleterre, tout serait enseveli dans les réjouissances du triomphe. Lawrence jouait gros jeu, et il ne l’ignorait pas ; mais il n’ignorait pas non plus que les circonstances étaient en sa faveur. La fortune n’appartient-elle pas aux audacieux ? Audaces fortuna junat[34].

Il n’y avait pas à reculer. Le mieux était encore de faire connaître une partie de ses projets aux Lords du Commerce, ce qu’il fit dans sa lettre du 18 juillet[35].

Après leur avoir représenté que les Acadiens n’avaient jamais encore prêté un serment d’allégeance sans réserve, unqualified, il leur apprend qu’il a profité de la présence à Halifax de délégués des divers districts du Bassin des Mines, qui étaient venus soumettre au Conseil un mémoire tout-à-fait insolent, pour tâcher de régler avec eux cette question : « Ces délégués furent donc en conséquence sommés de comparaître devant le Conseil, et, après que leur mémoire eût été disséqué article par article, on leur proposa de prendre le serment. Ils cherchèrent de leur mieux à éliminer ce sujet, et finalement exprimèrent le désir de s’en retourner chez eux pour consulter leurs commettants, afin d’en venir à une décision unanime pour ou contre ; sur ce, on les informa qu’en cette matière chacun avait à répondre pour lui-même, et, comme nous ne voulions pas user de contrainte à leur égard ni les surprendre, on leur donna vingt-quatre heures pour se prononcer, ajoutant que s’ils persistaient alors dans leur refus, ils pouvaient s’attendre à être chassés du pays, et que si, plus tard, ils regrettaient d’avoir répondu par un refus, ils ne leur serait plus permis de prendre le serment. Le matin suivant, ils se présentèrent à nouveau et refusèrent de prendre le serment à moins que l’ancienne réserve exemptant de porter les armes n’y fût adjointe. Alors, on leur signifia que, puisqu’ils ne voulaient pas accepter de devenir sujets britanniques, il était impossible de les considérer plus longtemps comme tels, qu’ils seraient envoyés en France à la première occasion ; en attendant, ordre fut donné de les garder prisonniers à l’Ile Georges, où ils furent immédiatement conduits. Ils ont depuis ardemment désiré d’être admis à prêter le serment, mais en vain, et aucune réponse ne leur sera faite avant que l’on ait vu dans quelles dispositions sont les autres habitants à cet égard. J’ai demandé que d’autres députés soient élus et envoyés ici au plus tôt, étant bien déterminé à amener les habitants à se soumettre ou à débarrasser la province de tels perfides sujets. Vos Seigneuries pourront examiner au long nos délibérations en cette affaire, aussitôt que nous pourrons rédiger les minutes du conseil[36]… »

Il n’y a pas, dans cette lettre, un seul mot concernant l’objet de cette requête soi-disant insolente, pas un mot au sujet de l’enlèvement des armes, de la confiscation des bateaux, de l’ordre de livrer les armes et de leur livraison immédiate, de l’arrestation des prêtres, des Archives ravies, — tous points qui importaient cependant pour permettre aux Lords de juger de la situation.

On le voit encore ici : tout l’effort de Lawrence porte dans le même sens : masquer ses actes et ses intentions. Ce qui le prouve, ce n’est pas un fait isolé, perdu au milieu d’une foule de détails divers, sans attaches avec le passé, sans lien avec l’avenir, mais une succession de faits ininterrompus, qui ne s’expliquent que par là, et qui tous tendent au même but. Il était évidemment du devoir de ce gouverneur d’informer les Lords du Commerce de tous ces faits graves ; il était également de son devoir de les consigner dans les Archives. Mais chez lui le devoir a plié devant des fins iniques. Dans l’espèce, Lawrence savait fort bien qu’à moins d’avoir des faits palpables de rébellion à citer, il lui serait difficile, sinon impossible, de convaincre les Lords qu’il y eût danger de la part des Acadiens. Les Lords avaient, pour se guider, une expérience longue de quarante-cinq années ; ils savaient, par des lettres de Mascarène, que, dans des circonstances exceptionnellement délicates, les Acadiens n’avaient pas une seule fois pris les armes ; que, sous Cornwallis et Hopson, il n’en avait pas été autrement.

Souvent, il est vrai, l’on s’était plaint de leur défaut d’attachement à leurs nouveaux maîtres, de leur partialité envers les Français, de leur opiniâtreté sur la question du serment. Mais rien de plus grave n’avait été avancé à leur sujet. L’on tenait à les garder dans le pays ; l’on savait qu’ils composaient une population morale et laborieuse. Qu’auraient pensé les Lords des projets de Lawrence, même présentés sous des formes adoucies, s’il leur eût appris qu’il avait enlevé aux Acadiens une partie de leurs armes par supercherie ; que le reste, ainsi que leurs bateaux, lui avait été livré sur un simple ordre ; qu’il avait fait appréhender leurs prêtres et ravir leurs Archives ? Que, malgré ces cruels traitements, il n’avait aucun acte de rébellion ou de résistance à leur reprocher ? Que tout ce qu’il pouvait relever contre eux se bornait à une requête, qu’il disait être insolente, mais sans la produire à l’appui, sans l’expliquer, sans mentionner que les députés lui en avaient adressé une autre, pour interpréter la première et protester de leurs bonnes intentions ? — Les Lords n’auraient-ils pas répondu de la sorte à Lawrence : par vos procédés injurieux et arbitraires, vous avez exposé la province à un soulèvement ; vous avez semé le mécontentement et la méfiance chez une population que nous cherchions à nous assimiler, ou du moins à attacher à nos intérêts. Vous avez détruit ou compromis l’œuvre que nous poursuivions avec sollicitude depuis longtemps. Et, puisque les Acadiens ont subi vos humiliations et vos cruels traitements sans rompre la paix, sans violer leur serment de fidélité, n’était-ce pas là un signe sensible de leurs bonnes dispositions ? Et, puisqu’ils n’ont ni bateaux pour s’éloigner. ni armes pour attaquer ou se défendre ; puisque ceux de leurs frères qui habitaient chez les Français, ont, pour la plupart, refusé de prendre les armes contre nous, et que ceux qui s’armèrent n’agirent ainsi que sous menace de mort ; puisque les Français ont été repoussés et chassés de leurs positions sur toute la côte, et qu’il est maintenant impossible aux Acadiens d’entretenir des relations avec eux, qu’avez-vous à craindre ?

Et pourquoi, dans sa lettre, Lawrence disait-il avoir déclaré aux députés acadiens qu’il les enverrait en France, lorsque, bien longtemps avant, ainsi que nous l’avons vu, il avait décidé de déporter, non-seulement les quelques députés qu’il avait emprisonnés, mais toute la population ; et de les déporter, non pas au Canada ni en France, mais en des endroits qu’il fallait bien se garder de leur faire connaître. Et, même pour ce qui était de ces députés, il voilait perfidement sa pensée à leur égard en disant vaguement : « … ils ont depuis manifesté le désir de prêter le serment, mais n’y ont pas été admis, et aucune réponse ne leur sera donnée avant que nous ne nous soyons rendu compte des dispositions de tout le reste des habitants. »

Un peu plus loin cependant, en terminant sa lettre, comme s’il se fût ravisé, comme s’il avait eu la lointaine vision de la disgrâce qu’il pourrait encourir, s’il ne se mettait un peu plus à l’abri de l’imputation d’avoir à dessein caché ses projets, il ajoute : « Je suis déterminé à amener les habitants à l’obéissance ou à purger la province de sujets aussi perfides. »

La semaine suivante, le 25 juillet, cent nouveaux délégués de toutes les parties de la province se trouvaient réunis à Halifax, en conformité avec les ordres de Lawrence. Ceux-ci auraient-ils le même sort que les quinze qu’il avait fait emprisonner et qui étaient encore détenus dans l’Ile St-Georges ? Ils ne pouvaient guère en douter, puisqu’ils venaient avec une réponse définitive de ne pas prêter le serment qu’il exigeait. Il y avait, de leur part, sinon de l’héroïsme, du moins de l’abnégation, à accepter un mandat qui les exposait au sort de ceux qui languissaient en prison. Mais il n’y avait pas à hésiter, il fallait obéir strictement aux ordres ; et d’autre part, il fallait quelqu’un pour affronter la colère et les vengeances du tyran. Mais pourquoi ce nombre si considérable, lorsque celui des députés ordinaires était limité à vingt quatre ! Nous le verrons plus tard ; et c’était là encore une des machinations de Lawrence, laquelle montre jusqu’à quel point il avait arrangé longtemps d’avance tous les détails de son crime et jusqu’où il poussait l’inhumanité.

Voici d’abord la réponse des habitants d’Annapolis[37].


« Conseil tenu en la maison du gouverneur, à Halifax, le vendredi 25 juillet, 1755. Présents : le lieutenant-gouverneur, Benj. Green, Jno. Collier, Willm. Cotterell, Jno. Rous, Jon’n Belcher, conseillers. MM. le Vice-amiral Boscawen et le contre-amiral Mostyn, aussi présents. Le lieutenant-gouverneur soumit au Conseil le Mémoire suivant qu’il avait reçu de la part des habitants de Rivière Annapolis.

« À son Excellence l’Honorable Charles Lawrence, lieutenant-gouverneur et commandant-en-chef de la Province de sa Majesté Britannique, la Nouvelle-Écosse, colonel d’un régiment d’infanterie, etc., etc.


« Monsieur,

« Ayant reçu les ordres de votre Excellence en date du 12 juillet 1755, nous nous sommes assemblés le dimanche, 13e jour du présent mois, afin d’en donner lecture aux habitants, notre désir étant de toujours observer une fidèle obéissance.

« Nous avons unanimement consenti à délivrer nos armes à feu à M. Handfield, notre très digne commandant, encore que nous n’ayons jamais eu la pensée d’employer ces armes contre le gouvernement de Sa Majesté. Nous n’avons donc rien à nous reprocher, soit sur ce point, soit à l’égard de la fidélité que nous devons au gouvernement de Sa Majesté. Car nous pouvons assurer votre Excellence que plusieurs d’entre nous ont même risqué leur vie pour donner au gouvernement des renseignements concernant l’ennemi ; nous avons aussi, quand cela fut nécessaire, travaillé de tout cœur aux réparations du fort d’Annapolis et à d’autres travaux considérés comme urgents par le gouvernement ; et nous sommes prêts à donner toujours les mêmes témoignages de notre fidélité. Nous avons également choisi trente de nos concitoyens à l’effet d’aller nous représenter à Halifax ; nous leur recommanderons de ne rien faire ou de ne rien dire de contraire au Conseil de Sa Majesté ; mais nous les obligerons strictement à ne contracter aucun nouveau serment. Nous sommes résolus à nous en tenir à celui que nous avons prêté, et auquel nous avons été fidèles en autant que les circonstances l’ont demandé ; car les ennemis de Sa Majesté nous ont pressés de prendre les armes contre le gouvernement, ce que nous nous sommes bien gardés de faire. »

« Signé par deux cents-sept des susdits habitants. »

« Le lieutenant-gouverneur informa également le Conseil que, en conséquence de l’ordre du conseil, en date du 4 courant, les susdits habitants avaient envoyé des députés porteurs de leur réponse au sujet de leur prestation du serment d’allégeance à Sa Majesté, et que ces députés attendaient au dehors.

« Les dits députés furent alors sommés de comparaître ; et à la question : qu’avez-vous à dire ? ils déclarèrent qu’ils comparaissaient en leur nom personnel et au nom de tous les autres habitants de Rivière Annapolis, qu’ils ne pouvaient prêter aucun autre serment que celui qu’ils avaient prêté déjà, lequel comportait une réserve en vertu de laquelle ils ne seraient jamais obligés de porter les armes, — et que si c’était l’intention du Roi de les forcer à quitter leurs terres, ils espéraient qu’on leur laisserait le temps nécessaire pour effectuer leur départ.

« Le Conseil leur posa alors plusieurs questions concernant l’allégeance dont ils protestaient si hautement dans leur Mémoire, et les informations qu’ils disaient avoir fournies au gouvernement ; on les pria de citer un seul cas de renseignement, duquel le gouvernement eût tiré quelque profit ; mais ils furent incapables d’en citer un seul. On leur prouva au contraire avec évidence qu’ils avaient toujours omis de fournir aucune information opportune, quand ils pouvaient le faire, et épargner par là la vie de plusieurs des sujets de Sa Majesté ; qu’ils avaient toujours secrètement aidé les Indiens, et que plusieurs d’entre eux avaient même été vus portant ouvertement les armes contre Sa Majesté. Il leur fut signifié qu’ils devaient maintenant se résoudre à prendre le serment sans réserve ou à quitter leurs terres, — les choses en étant rendues à un point d’acuité en Amérique qu’on ne pouvait plus souffrir de délai là-dessus ; que les Français nous avaient obligés à prendre les armes pour nous défendre contre leurs empiétements, et que nous ignorions quels autres coups ils préparaient ; ce pourquoi, au cas où les habitants ne voudraient pas devenir sujets purement et simplement (to all intents and purposes,) il ne leur serait pas permis de demeurer dans la province. Sur ce, ils (les députés) répondirent qu’ils étaient déterminés une fois pour toutes à quitter plutôt leurs terres qu’à prêter aucun autre serment que celui qu’ils avaient prêté déjà. Le Conseil leur dit alors qu’ils feraient bien de peser très-sérieusement les conséquences de leur refus ; que s’ils refusaient une fois de prêter le serment, ils ne seraient plus jamais admis à le faire, et qu’ils perdraient infailliblement leurs propriétés ; que le conseil ne voulait pas les presser de prendre une détermination hâtive dans une affaire aussi grosse de conséquences pour eux, et qu’on leur donnait jusqu’à lundi prochain à dix heures de l’avant-midi, pour considérer à nouveau la question et prendre une résolution à cet égard ; qu’on attendrait leur réponse définitive à ce moment-là.

« Et le conseil fut ajourné à cette date. »

Chas. Lawrence.


« Jno Duport,

Secr. du Conseil[38] »

Voici maintenant la réponse des habitants de Pisiquid, et des habitants des Mines et de Rivière-aux-Canards[39].


« Séance du Conseil tenue chez le gouverneur, à Halifax, le lundi, 28 juillet 1755.

Présents :


Le lieutenant-gouverneur.


Benj. Green
Jno. Collier
Willm. Cotterell
Jno. Rous
Jno. Belcher
Conseillers.


« L’honorable vice-amiral Boscawen et le contre-amiral Mostyn étaient aussi présents.

Le lieutenant-gouverneur fait part au Conseil de l’arrivée des délégués de Pisiquid, des Menis (Mines) et de la rivière aux Canards, qui ont présenté les mémoires ci-après[40].


« À l’honorable Charles Lawrence, Président du Conseil du Roy, Commandant en chef de la Nouvelle-Écosse, Lieutenant-Gouverneur d’Annapolis Royal, Lieutenant Colonel d’un Régiment d’Infanterie.


« Monsieur, — Les Habitans de nos départements ayant été informé par Monsieur Murray, Commandant le Fort Édward à Pisiquit que nous les Habitans de nos Départements ayant à faire paroître quelques homme devant Monsieur le Gouverneur à Halifax pour répondre à la demande à nous faite en vertus d’un serment que l’on nous assure que son honneur exige de nous, les Habitans de nos Départements, en général prenne la liberté de Représenté qu’après avoir pretté Serment de fidélité a Sa Majesté Britannique avec toutes les Circonstances et les [sic pour la] Reserve sur vente[41] à nous accordés au nom du Roy par Monsieur Richard Phillips, Commandant en chef dans la ditte Province à laquelle nous avons observé notre fidélité d’autant plus qu’il nous a été possible depuis un nombre d’années en jouissant paisiblement de nos droits suivant la Teneur de notre serment en toute sa Teneur, et réserve, et nous ayant toujours appuie sur notre Serment de fidélité tant pour sa Teneur que pour l’observation, et nous sommes resous tous de bon consentement et de voy de ne prendre aucun autre Serment. Nous avons prêtés le Serment de fidélité de bonne foy, nous sommes très contemps et satisfais, nous espérons. Monsieur, que vous auré la bonté d’écouté nos Justes Raisons, et en conséquence supplie tous d’une voy unanime son honneur d’avoir la bonté de délivré nos Gens qui sont tenu a Halifax depuis quelque Temps, en ne pouvant même scavoir leur situation qui nous paroit déplorable, nous avons toute confiance. Monsieur que son honneur aura [la] bontés pour nous de nous accordé les grâces que nous avons l’honneur de vous demander très humblement, et nous prieront pour la conservation de son honneur.

Pisiquit, 22 juillet 1755.
(Signé par 103 des susdits habitants de Pisiquid). »


« De la part des Habitans des Mines, et la Rivière aux Canards et des lieux qui en dépendent.


« À Son Excellence Charles Lawrence, Ecuyer, gouverneur generalle et Commandant en chef la Province de la Nouvelle-Écosse ou l’Acadie, et colonel d’un Régiment au Service de Sa Majesté dans la ditte Province.

« D’autant qu’il s’est répandue un Bruit parmis nous les Habitans françois de cette Province, que son Excellence le gouverneur exige de nous un serment d’obéissance conforme en quelque façon à celuy des Sujets Naturels de Sa Majesté le Roy Georges Second, et qu’en conséquence nous avons une certitude Moralle que plusieurs de nos Habitans sont retenue et gênée à Halifax pour ce sujet.

« Si les Intentions de son Excellence sont celle qu’icy dessus envers nous, nous prenons la liberté de représenté à Son Excellence tous en généralle et au nom de tous les Habitans, que nous et nos Perres ayant pris pour eux et pour nous un serment de fidélité qui nous a été approuvé plusieurs fois au nom du Roy, et sous les privilèges duquel nous avons demeuré fidelle et soumis et protégé par Sa Majesté le Roy Britannique suivant les Lettres et Proclamation de son Excellence Monseigneur le Gouverneur Shirley, en datte du 16 septembre 1746, et du 21 octobre 1747, nous ne commettrons jamais l’inconstance de prendre un Serment qui change tant soit peut les Conditions et les privilèges dans lesquels nos Souvereins et nos Perres nous ont placé par le passé.

« Et comme nous pençons bien que le Roy, notre Maître, n’aimes et ne protège que des sujets constents, fidèlle et franc, et que ce n’est qu’en vertu de sa bonté et de la fidélité que nous avons gardé envers Sa Majesté qu’elle nous a accordé et continue l’entière possession de nos biens, et l’exercice libre et public de la Religion Romaine.

« Ainsi nous voulons continué dans tous ce qui sera dans notre pouvoir à être fidèlle et soumis ainsi qu’il nous a été accordé par Son Excellence Monseigneur Richard Phillips.

« La Charité pour nos Habitans détenus et l’innocence que nous croyons en eux nous oblige à supplier très humblement Son Excellence à se laisser touché de leurs misères et leurs doimer la liberté que nous demandons pour eux avec toute la soumission possible et le Respect le plus profond.

(Signé par 203 habitans des Mines et de la Rivière-aux-Canards. ) »

« Les dits délégués sont ensuite introduits. Ils refusèrent péremptoirement de prêter le serment d’allégeance à Sa Majesté.

« Les délégués d’Annapolis se présentèrent aussi et refusèrent de prêter le serment.

« Sur ce refus, ils furent tous jetés en prison.

« Comme il avait été décidé antécédemment d’expulser les habitants français de la province s’ils refusaient de prêter le seraient, il n’y avait plus par conséquent qu’à prendre les mesures nécessaires pour opérer leur expulsion et à décider à quels endroits les déporter.

« Après mûre délibération, il fut convenu à l’unanimité que pour prévenir le retour des habitants français dans la province et les empêcher de molester les colons qui pourraient s’être établis sur leurs terres, il était urgent de les disperser dans les diverses colonies sur le continent et de noliser immédiatement un nombre de vaisseaux pour les y transportés.

Chas, Lawrence. »

j. n. duport,

Secrétaire du Conseil[42].


Le ton de ces requêtes apparaît comme singulièrement respectueux : ce caractère ressort d’autant plus que l’on réfléchit mieux aux circonstances dans lesquelles elles ont été présentées, quand les causes de mécontentement étaient si graves et si nombreuses. Il se dégage de tous ces documents un accent de sincérité, lequel, pour le lecteur sans préjugés, a autrement de valeur que les accusations de Lawrence, si vagues, et au fond si peu sérieuses. Non ! ces gens qui obéissaient si unanimement à tous les ordres iniques qu’il plaisait à ce gouverneur de leur imposer, ne pouvaient être dangereux, avec ou sans armes. Prétendre le contraire serait faire mentir tout ce qui peut raisonnablement guider l’historien dans la recherche de la vérité ; et, puisque Lawrence faisait dépendre leur séjour dans le pays de la prestation du serment, il ne reste pas d’autre ressource à ceux — rari nantes[43] — qui approuvent la déportation, que de la justifier sur ce simple refus du serment. Mais, pour ceux qui, comme nous, sont convaincus que les Acadiens ne posèrent aucune cause valable de nature à motiver leur exil, et que ce refus du serment ne pouvait être la vraie raison que Lawrence invoquait contre eux, ils seront forcés d’admettre que celui-ci avait alors en vue un but intéressé, et que, pour l’atteindre, il a tout fait pour ne pas obtenir le serment. Pour obtenir ce serment, il fallait, et Lawrence le savait bien, recourir à des procédés humains et bienveillants ; au lieu de cela, cet homme prit la voie de l’oppression. Nous ne pouvons déterminer au juste la date à laquelle les prêtres furent appréhendés : l’abbé Le Guerne place ce fait à la mi-juillet[44], et cette réunion des délégués avait lieu le 25. Si l’arrestation de ces missions était alors exécutée, il n’en fallait pas davantage pour faire échouer la question du serment. Quoiqu’il en soit, il reste assez d’autres faits graves pour nous permettre de conclure que Lawrence ne voulait pas de ce serment, qu’il agissait avec l’intention de ne pas l’obtenir, et que, l’eût-il obtenu, la déportation eût été accomplie tout de même sous d’autres prétextes.

Parkman, avec la candeur qui le distingue, nous dit que les Acadiens refusèrent le serment « avec la pleine connaissance des conséquences qui pourraient en résulter, in full view of its conséquences[45] ». Or, ne venons-nous pas de voir que Lawrence leur déclarait : « Vous devez maintenant vous résoudre à prêter le serment ou l quitter vos terres ? » — Quitter leurs terres, — était-ce bien là la même chose que la déportation, telle qu’elle était décidée, et telle qu’elle a été exécutée ? Pas plus que la lune n’est un fromage ! De cette déclaration de Lawrence, les Acadiens ne pouvaient raisonnablement conclure que ceci, savoir : — qu’ils auraient, en cas de refus de leur part, à abandonner leurs terres pour aller là où il leur plairait. Si telle eût été l’issue de cette affaire, l’histoire fût restée muette sur leur sort. Il y aurait eu, à leur égard, cruauté, injustice, manque de bonne foi, violation d’un traité et d’engagements solennels ; mais on assimilerait ce fait à bien d’autres qui font tache dans les annales humaines, et qu’on oublie à raison des temps où ils eurent lieu, ou de la fréquence avec laquelle ils se sont produits. Si douloureux qu’eût été l’ordre d’avoir à quitter leurs biens et leur patrie, ils eussent obéi à cet ordre ; ils eussent accepté l’alternative. Il ne pouvait y avoir de doute sur ce point ; et Morris, pour un, n’en avait pas, puisqu’il était d’opinion que les Acadiens se résigneraient même à la déportation, pourvu qu’on leur fît croire qu’ils seraient envoyés tous ensemble au Canada. Au moment même où Lawrence leur déclarait hypocritement qu’ils devaient s’apprêter à prendre le serment ou à quitter leurs terres, le texte de sa résolution portait : « Vu qu’il a déjà été décidé de chasser les habitants français hors de la province, au cas où ils refuseraient de prêter le serment, la seule chose qui restait à considérer portait sur les mesures à prendre pour les expédier et sur l’endroit où on les expédierait[46]. » Et, à la même séance du Conseil, il était décidé que les Acadiens seraient dispersés ça et là dans les colonies anglaises ; c’est-à-dire que l’on accomplissait les dernières formalités au sujet d’une décision arrêtée depuis longtemps.

Ne fût-ce que pour briser la sèche monotonie des documents officiels, toujours rédigés avec soin par les intéressés, dans le but de se préparer une défense, nous laisserons raconter ces derniers événements par l’abbé Daudin, qui devait alors se trouver prisonnier à Halifax[47] :

« Depuis le mois d’octobre 1754, le gouvernement anglais a fait entrevoir aux habitants de l’Acadie en la Nouvelle-Écosse une conduite bien différente de celle qu’on avait tenue envers eux jusqu’alors, ce qui donne occasion aux dits habitants de soupçonner quelque chose de sinistre, et en effet ils ne se sont point trompés ; on ne répondait plus à leur requête, on ne leur rendait plus de justice ; pour un oui ou pour un non, la prison servait de réponse, on ne parlait aux habitants que pour leur annoncer leur désastre futur et prochain ; on leur disait qu’on les ferait esclaves, qu’on les disperserait comme les Irlandais ; bref, tout leur annonçait la destruction de leur nation ; on ne parlait que de brûler les maisons et de ravager les campagnes. Cependant les habitants ne se sont point découragés, et ont cultivé mieux que jamais leurs terres ; les plus abondantes moissons qu’on ait jamais vues dans le pays le prouvent assez ; ils ont eu seulement recours à la prière, qui est la seule arme qu’ils aient employée contre les Anglais…

« …[Après la prise du fort de Beauséjour], ils (les Anglais) affectèrent de commander les habitants, les dimanches et les fêtes, pour aller au fort aiguiser tous leurs instruments de guerre, en disant que c’était pour les détruire, après qu’ils auraient coupé par morceaux leurs frères réfugiés chez les Français.

« Cet appareil commençait à répandre l’alarme dans des habitants qui ne voyaient aucun secours pour seconder l’envie qu’ils avaient de se défendre. Le courage et le zèle ne manquaient point, mais ils ne voyaient aucune apparence de secours. (Ceux des Mines) apprirent, la veille de Saint-Jean-Baptiste, que le fort de Beauséjour était pris, et dès lors ils commencèrent à pleurer leur sort, prévoyant bien l’extrémité à laquelle on les réduirait dans la suite.

« Quelques jours après la nouvelle de la prise de Beauséjur, le gouvernement envoya un ordre au commandant du fort de Pigiquit de former plusieurs détachements pour aller pendant la nuit enlever les armes offensives et défensives aux habitants du lieu des Mines et de la Rivière-aux-Canards, ce qui a été exécuté, et le lendemain on leur signifia un ordre de s’assembler pour députer et envoyer soixante et dix de leurs chefs à Halifax, pour répondre aux questions qu’on leur devait faire. Ils se conformèrent à l’ordre et partirent le surlendemain pour se rendre auprès du gouverneur. Après leur départ arriva un ordre à Annapolis Royale qui fut signifié le dimanche six juillet à la porte de l’église, à la sortie de la messe paroissiale, lequel ordre enjoignait à tous les habitants de porter leurs armes au fort, et qu’ils eussent à s’assembler pour nommer trente députés qui iraient incessamment joindre à Halifax ceux des autres paroisses ; dès le lendemain les armes ont été portées, et les députés ont parti le mercredi d’ensuite. Après leur déïjart, on a demandé leurs canots, qu’on a fait brûler.

« Lorsque les députés de toutes parts furent rendus au nombre d’environ cent, on les fît comparaître devant le conseil du roy où on leur signifia qu’on ne voulait d’eux ni propositions ni explications. Ceux d’Annapolis voulurent montrer leurs privilèges accordés par la reine Anne et ratifiés par le roy régnant, mais inutilement, le gouverneur leur répondait qu’il ne voulait d’eux qu’un oui ou un non. Il leur fit la question suivante qui est des plus simples : voulez-vous ou ne voulez-vous pas prêter serment au roy de la Grande-Bretagne de prendre les armes contre le roy de France son ennemi ? La réponse ne fut pas moins laconique que la question : Puisque, dirent-ils, on ne nous demande qu’un oui ou un non, nous répondons tous unanimement non, ajoutant seulement que ce qu’on exigeait d’eux allait à les dépouiller de leur religion et de tout.

« À l’instant le gouverneur donna ordre de les transporter sur une petite île, environ à la portée d’un boulet de canon d’Halifax, où on les conduisit comme des criminels, et où ils ont demeuré jusqu’à la fin du mois d’octobre[48], nourris d’un peu de mauvais pain et abreuvés de très mauvaise eau, privés de la liberté de recevoir aucun secours de personne, comme de parler à qui que ce fût.

« Le gouverneur s’imaginait que cette dureté amollirait le courage de ces généreux confesseurs, mais il ignorait la grâce qui faisait leur force ; il les trouvait toujours aussi fermes que jamais. Il prit la résolution de se transporter en la dite île avec un nombreux cortège, suivi de tous les instruments de supplice pour essayer d’amollir leur courage à la vue de ce spectacle ; il se les fit représenter au milieu de cet appareil de tyran, et leur demanda s’ils persistaient dans leurs réponses. L’un d’entre eux répondit que oui et plus que jamais, qu’ils avaient Dieu pour eux et que cela leur suffisait. Le gouverneur tira son épée et lui dit : Insolent, tu mérites que je te passe mon épée au travers du corps. L’habitant lui présenta sa poitrine en s’approchant de lui, et lui dit : Frappez, monsieur, si vous l’osez ; je serai le premier martyr de la bande : vous pouvez bien tuer mon corps, mais vous ne tuerez pas mon âme. Le gouverneur dans une espèce de furie demanda aux autres s’ils étaient du même sentiment que cet insolent qui venait de répondre ; tous par acclamation s’écrièrent : oui, monsieur, oui, monsieur ! etc… Le gouverneur se retira tout dépité de son mauvais succès qui le couvrait d’autant plus de honte et de confusion qu’il avait avancé qu’il viendrait à bout de réduire ces mutins. Il prit sans doute dans la suite l’avis de messieurs les amiraux, et en conséquence on envoya ces habitants chez eux ; quelques-uns disaient que le premier amiral avait condamné le gouverneur, parce qu’on ne devait pas traiter ainsi les députés d’une nation.

« … C’en était point assez pour les Anglais de harceler les habitants, ils pensèrent qu’en enlevant les prêtres, ils disperseraient plus aisément le troupeau ; en conséquence le conseil donna ordre, le premier d’août, d’enlever les trois missionnaires qui étaient dans la province ; c’est pourquoi on envoya trois détachements de chacun cinquante hommes. Celui des Mines fut enlevé le quatre ; celui de la Rivière-aux-Canards se cacha pendant quelques jours pour aller dans les églises consommer les saintes hosties, et se rendît lui-même au fort de Pigiquit, le dix, pendant que son détachement le cherchait encore. Celui d’Annapolis fut pris le six, en disant la messe, qu’on lui laissa achever. Heureusement qu’en entendant tomber les crosses de fusils tout à l’en tour de l’église, il se défia de l’aventure, et consomma les saintes hosties ; à peine eut-il achevé la messe que l’officier commandant lui signifia de la part du roy de le suivre. On visita la sacristie et le presbytère, d’où on enleva tous les papiers, registres, lettres et mémoires, etc. Le missionnaire fut conduit dans une habitation distante d’un quart de lieue, où il fut consigné jusqu’au lendemain matin que devait venir un autre détachement pour l’accompagner. Il ne lui fut permis, ainsi qu’aux deux autres, que de prendre des chemises, mouchoirs, serviettes et vêtements absolument nécessaires, que des habitants furent chercher, parce que les presbytères furent interdits sur-le-champ aux prêtres. On rassembla les trois missionnaires dans une prison commune au fort de Pigiquit et de là on les conduisit à Halifax avec cent cinquante hommes de troupes. On ne peut exprimer quelle fut la consternation du peuple lorsqu’il se vît sans prêtres et sans autels. Les missionnaires donnèrent ordre de dépouiller les autels ; de tendre le drap mortuaire sur la chaire et de mettre dessus le crucifix ; voulant par là faire entendre à leur peuple qu’il n’avait plus que Jésus-Christ pour missionnaire. Tous fondaient en larmes et réclamaient la protection du missionnaire d’Annapolis, en le suppliant de le mettre sous la protection de leur bon roy, le roy de France, protestant que Sa Majesté très chrétienne n’avait pas dans son royaume des cœurs plus sincères que les leurs, ce que le missionnaire leur promit autant qu’il serait en son pouvoir, ignorant lui-même sa destinée. Aussitôt que les prêtres furent enlevés, les Anglais arborèrent pavillon sur les églises, et en firent des casernes pour servir de passage à leurs troupes.

« Les missionnaires arrivèrent donc à Halifax dans ce bel accompagnement, tambour battant. On les conduisit sur la place d’armes où ils furent exposés pendant trois quarts d’heure aux railleries, mépris et insultes. »

Les documents officiels, tronqués comme ils le sont, ne nous font voir qu’une faible partie de l’oppression exercée par Lawrence ; il n’en serait guère autrement même s’ils étaient complets : un despote n’enregistre pas ses méfaits, surtout lorsqu’il est sous le contrôle d’une autorité supérieure et qu’il joue une partie à l’insu de cette autorité. Il semble, d’après ce que nous connaissons, que Lawrence se complaisait dans son rôle de tyran, qu’il prenait plaisir à faire trembler sous son regard de pauvres gens qui ne pouvaient lui opposer que le silence. Il n’y avait qu’un parvenu pour pousser aussi loin l’abus de son pouvoir sur un simple refus de se prêter à un acte qui répugne à la nature ; et, si l’on en croit Daudin, il avait eu le soin de rendre ce serment plus répugnant encore en intimant aux Acadiens qu’ils auraient à combattre contre les Français. Évidemment, il tenait à échouer.

Cette lettre de Daudin vient confirmer le rapport de Morris sur l’ancienneté des intentions de Lawrence. Bien avant la prise de Beauséjour, soit qu’il eût avoué, soit qu’il eût laissé deviner ses projets à son entourage, — l’on disait aux Acadiens qu’on les disperserait, qu’on brûlerait leurs maisons[49]. Dans ces petites communautés régies par un despote, chacun s’étudie à connaître les goûts, les passions, les caprices du maître. S’il est bon, humain, l’on s’efforce de l’imiter pour gagner son estime et ses faveurs. S’il est cruel, impérieux, on l’imite également, et souvent d’autant mieux. Depuis le sergent jusqu’au colonel, chacun cherche à faire valoir sa part d’autorité, avec d’autant plus d’arrogance et de sévérité que cette part est plus faible. Même de nos jours, partout où le pouvoir est exercé par des militaires, la vie est rendue intolérable. Que ne devait-il pas en être alors ! Nous avons vu, par des extraits d’une requête présentée par des habitants d’Halifax, quelle oppression Lawrence faisait peser sur eux.

Les Acadiens auraient-ils pu y échapper davantage !



.

  1. Ceci est de la haute fantaisie historique. Quelle candeur une pareille affirmation suppose chez l’auteur d’Acadie.’Il est malheureux pour sa thèse que les documents officiels lui infligent un démenti. Nous en avons déjà cité quelques-uns dans les notes de nos chapitres précédents. Nous en citerons encore. Et, par exemple, quand les Lords répondaient à Lawrence : Ext. from letter Lords of Trade to Gov. Lawrence, dated Whitehall, March 25, 1756. (Akins, N. S. D. P. 298).

    « … We have laid that part of your letter which relates to the Removal of the Freaich inhabitants, and the steps you took in the exécution of this measure, before HiS Majesty’s Secretary of State ; and as you represent it to have been indispensably necessary for the security and protection of the province in the présent critical situation of our affairs, we doubt not but that your conduct herein will meet with His Majesty’s approbation, » — cela indiquait-il que « jamais l’Angleterre ne donnerait son assentiment à une pareille infamie, » — ainsi que Richard l’écrit ici ? (Cf. C. A. (1894) March, 25, Whitehall, 1756. B. T. N. S. vol. 36. P. 273.) — Vraiment, à choisir entre l’attitude paradoxale de l’auteur d’Acadie pour exonérer la Grande Bretagne de toute complicité dans le crime de la déportation des Acadiens, et le point de vue de la plupart des auteurs anglais qui donnent cette déportation comme une mesure de self-préservation, de la part de l’Angleterre, tout en en déplorant la triste nécessité, nous adopterions plutôt ce dernier parti. Voici, en particulier, comment s’exprime M. William Bennett Munro, dans Canada and British North America : « That it was (the expatriation of the Acadians) a military necessity was the unanimous opinion of those who represented British interests in the new world at that time, and it is not unnatural that the British authorities at home should have trusted the judgment of those most familiar with the facts… The expatriation was an extrême measure, justifiable only on the ground that, with States as with men, self-preservation is the first law of nature. »

    (Dans History of North America, vol. XI, ch. VII. The Confict time. P. 188. George Barrie & Sons, Philadelphia).

    Certes, cette opinion-ci est très-discutable ; nous la croyons même absolument erronée, et sans fondement dans les faits réels. Mais elle a du moins le mérite de la vraisemblance ; elle est conforme à la logique britannique. Et l’on a vu que l’auteur se garde bien d’insinuer que la déportation est l’œuvre de Lawrence seulement, et qu’au contraire il affirme que les autorités métropolitaines ont bel et bien approuvé ce projet, s’en rapportant là-dessus au jugement du gouverneur de l’Acadie et de ses satellites. Tandis que l’opinion de Richard, qui s’efforce de sauver coûte que coûte l’honneur de la Métropole en cette affaire, est bâtie en l’air ; même à première vue, son invraisemblance est choquante ; et il reste assez de pièces aux archives pour en faire éclater l’inanité.

  2. « … and tho’I would be very far from attempting such a step without your Lordship’s approbation, yet I cannot help being of opinion that it would very much better, if they refuse the oaths, that they were away. » (Akins. N. S. D. P. 213. Can. Arch. (1894) Aug. Ist 1754. Halifax. Lawrence to Lords of Trade. H. 256. B. T. N. S. vol. 15.)

  3. Cf. Can. Arch. (1894.) 1755, June 28, Halifax « Lawrence to Lords of Trade : "… Beauséjour — surrended after four days borabardment… The deserting French are giving up their arms ; they are to be driven out of the country, but if their services are needed, they are first to be used. » (H. 300 B. T. N. S. vol. 15.)

    Cf. Akins. N. S. D. P. 408, cette lettre in-extenso.

    Au même endroit des Archives, et sous la même date, on lit : « An extract (de cette lettre sans doute) was sent to Secretary of State. » (Am. & W. I. vol. 597, p. 39.) — C’est cet extrait qu'Akins a donné, mais en l’abrégeant encore. Cf. Nova Sco. Doc. P. 243. Extr. from lett. of Gov. Lawrence to Sir Thomas’Robinson, Secr. of State. Halifax, June 28, 1755 « …When the Fort surrendered there remained 150 Regulars and about 300 inhabitants… The deserted French inhabitants are delivering up their arms. I have given him (Col. Monckton) orders to drive them out of the country. »

  4. Il est vrai que Lawrence ne mentionne pas Dans sa lettre que ces Acadiens avaient été pardonnés ; mais les Lords connaissaient ce détail, attendu que ce terme de pardon était contenu dans le 4e art. de la capitulation de Beauséjour, et que le Secrétaire d’État Robinson en parla à Lawrence dans sa dépêche du 13 août 1755, laquelle nous verrons dans notre chapitre XXX.
  5. Extr. of a letter of Gov. Lawrence to Lords of Trade. Halifax, Ist Aug. 1754. « … great numbers of them are at présent gone to Beauséjour to work for the French… » — Akins, N. S. D. P. 213.
  6. Il y a aux archives un document en date du 16 avril 1755, et émané du Secrétaire d’État Sir Thomas Robinson. C’est une circulaire aux gouverneurs par laquelle il leur est ordonné de coopérer avec Boscawen, commandant de la flotte, et de lui envoyer tous les renseignements qu’ils pourront se procurer. Est-ce à cette circulaire que Lawrence référait ici ? Cf. Can. Arch. (1894) 1755. April 16. Whitehall. Secr. of State {Robinson) to Governors. (Circular.) (Am. & W. I. vol. 605.)
  7. Dans le MS. original — fol. 528, — la citation s’arrête ici. Nous croyons mieux, pour la parfaite intelligence du récit, de reproduire ce document in-extenso.
  8. Akins. Nova Sco. Doc. P. 256-7.
  9. Il s’agit ici du conseil tenu le 4 juillet, et dont les délibérations ont été reproduites dans notre précédent chapitre.
  10. Akins, P. 258.
  11. Nous avons déjà dit ce qu’il faut penser de cette affirmation qui semble ne reposer sur rien.
  12. Dans le MS. original — fol. 529 — le ne de cette phrase est barré, et un trait au crayon renvoie à la marge où se lit cette note qui est de l’écriture du traducteur : « Ce ne détruit l’à-propos de cette phrase : car toute la suite montre l’habileté de Lawrence. »

    Nous ne sommes pas du tout de cet avis ; ce ne est ici essentiel à la compréhension du contexte. La pensée de Richard est que Lawrence doit ses sinistres succès à sa rouerie et au jeu des circonstances au moins autant qu’à son intelligence.

  13. Mr. Morris Remarks concerning the Removal of the French InhAbitants. Summer 1755. British Museum. Dr A. Brown’s MS. Papers relating to Nova Scotia, 1748-1757. Add. MSS. 19.072. (Petit 4to fol. 30 à f. 38) Can. Fr. Doc. in. sur l’Acadie. Pièce XXXII. Tome I. P. 130 à 142.
  14. Richard — fol. 529 — dit : « M. Grosart a écrit au bas de ce document. » L’éditeur de cette pièce dans le Canada-Français met au contraire : « M. Grosart a écrit en tête du MSS… » P. 130.
  15. Pèlerinage au pays d’Evangéline. P. 94 et seq.
  16. À partir de la page 136 des Doc. inédits sur l’Acadie. À cet endroit du document, le Dr Brown a écrit en marge : « Number of Troops necessary to effect the measr. »
  17. « … if they can possibly be persuaded to surrender themselves willingly… »
  18. En marge de ce paragraphe, le Dr. Brown a écrit : This mode adopted.
  19. Que ce paragraphe, surtout la dernière phrase, est difficile à traduire ! De crainte de n’avoir peut-être pas bien saisi toutes les nuances de la pensée, nous donnons le texte original : « In short it is difficult to conjecture how it may be accomplished, but the circumstances as they arise will afford the best information of the most effectual methods of dealing with them. Happy would it be if they in gênerai corne in of their own accord ? »
  20. Loc. cit. P. 96. — Bien, ni dans le MS original ni dans l’édition anglaise, n’indique que ce passage est un emprunt.
  21. Richard a changé cette fin de phrase eu ceci : « à propos duquel on allait faire tant de bruit quelques semaines après. » fol. 533.
  22. Les mots entre parenthèses sont de Richard. Et dans Casgrain, la phrase se termine ainsi : « colorer la déportation qu’on était décidé à prononcer. »
  23. Casgrain : « Je laisse maintenant le docteur Brown flétrir lui-même la hideuse pièce que je viens d’analyser, et juger le juge Morris. »
  24. Ceci est un N.-B. que le docteur Brown a mis à la fin du document dont il vient d’être fait des extraits. {Can. Fr. P. 137.) Brown y dit un mot qui semble indiquer qu’il trouvait justes les idées émises par Morris, et qu’il le blâmait seulement d’avoir proposé des moyens peu recommandables de les mettre à exécution : « His ideas are sound, but was he mild or humane ? » Ni Casgrain ni Richard n’ont semblé faire attention à cette petite phrase qui pourtant en dit beaucoup.
  25. Au commencement du manuscrit de Morris, il y a cette note de la main du Dr. Brown : « This paper was digesty {sic) in july 1755 — at the period when the measure was first proposed, — probably before it was sanctioned in council by the approbation of Boseawen and Mostyn. » — (Can.-Fr. P. 130.)
  26. À cet endroit du MS. original — fol. 534 — il y a cette note marginale au crayon : « voir l’anglais. » L’édition anglaise (II. 39) introduit comme suit le passage de Morris qui va être cité : « Indeed Morris, in the following passage, distinctly hints that they are to be transported to English colonies. » Nous avons donc traduit cette phrase. Dans le MS. il y a simplement : « … car, comme le dit Morris… »
  27. Pèlerinage… p. 97.
  28. « The preceeding chapter — lit-on en note à la fin du ch. IX du tome I de A Half-Century of conflict, p. 211 — is based largely on two collections of documents relating to Acadia — the Nova Scotia Archives, or Selections from the Public Documents of Nova Scotia. printed in 1869 by the government of that Province, and the mass of papers collected by Rev. H.-R. Casgrain and printed in the documentary department of Le Canada-Français, a review published under the direction of Laval University at Québec… »
  29. « … I found this paper among the Council files relating to the Acadians removal. » Mais une copie moins exacte lui en avait déjà été remise par le propre fils de Morris. Cf. la note 24 du présent chapitre.
  30. « La première partie de ces Remaries, laquelle est purement descriptive, a été publiée dans un des Rapports de la Soc. Hist. de la Nouvelle Écosse, d’après les manuscrits du docteur Brown (Coll. of N. S. H. S. vol. II, p. 158) ; mais cette société a agi, relativement à cette pièce, absolument comme le compilateur des Archives de la Nouvelle-Écosse, c’est-à-dire qu’elle l’a tronquée et qu’elle a laissé dans l’ombre tout ce qu’il y a de compromettant… » (Casgrain, Pèlerinage… P. 95, en note.)

    C’est en effet dans le vol. II des coll. of the N. S. H. S. qu’a été publiée la partie anodine du rapport de Morris. Cela a paru en 1881. — Quant à la disparition de ce document, dont Richard se plaint, entendons-nous bien, et n’en mettons pas sur le compte du gouvernement anglais plus qu’il n’y en a. Le Dr. Brown était venu à Halifax en 1787 ; il y résida jusqu’en 1795, qu’il retourna en Écosse. Or, à l’époque de son séjour en Nouvelle-Écosse, le rapport de Morris existait, puisque Brown le trouva parmi les délibérations du Conseil se rapportant à la déportation des Acadiens, ainsi que lui-même l’affirme. Le propre fils de Morris en avait d’ailleurs gardé copie. Brown emporta ce document, avec bien d’autres, et toutes les notes qu’il avait déjà amassées et rédigées en vue de faire une Histoire de la Nouvelle-Écosse, et tout cela fut trouvé par hasard dans une boutique d’épicier et acheté par A.-B. Grosart, de qui le British Museum en fit l’acquisition, le 13 nov. 1852. Par quelle aventure tous les matériaux préparés par le Dr. Brown échouèrent-ils dans une boutique d’épicier ? Mystère ! Mais il ne semble pas que la main du gouvernement soit au fond de cette affaire. Il eût été plus simple pour lui de tout détruire.

  31. « Messieurs Daudin, Chauvreulx et Lemaire ont été arrêtés vers la my juillet, conduits à Chibouctou et mis dans des vaisseaux séparément : c’est tout ce qu’on en sçait. »

    Copie d’une lettre écrite par l’abbé le Guerne, missionnaire des Sauvages à l’Acadie, à M. Prévost, ordonnateur à l’Isle Royale et dont la pareille a été aussi adressée à M. le chevalier de Drucour, gouverneur. Cette lettre est datée de A Belair vers Cocagne ce 10 mars 1756. Cf. Arch. Canadiennes, 1905. Appendices. P. 409 & seq. Il existe une autre lettre de l’abbé le Guerne, trouvée dans les Archives de la cure N. B. de Québec et publiée par M. l’abbé C. 0. Gagnon (Québec. A. Côté & Cie, 1889.) D’après l’éditeur, « M. le Guerae dut écrire cette lettre en 1757, et « sans qu’on le sache d’une manière précise, elle était probablement destinée à l’abbé de l’Isle Dieu. » — Il y a là un détail concernant les prêtres dont il vient d’être parlé : « Pendant les six premières semaines après la prise du fort (Beauséjour,) l’anglois se fit apporter toutes armes soit dans l’Acadie françoise soit dans l’Acadie angloise ; il manda entretemps à Chibouctou des députés de cette dernière partie… » et une note à la marge du manuscrit porte — « il manda aussi Mrs. D’Audin, Chauvreux et Lemaire mais je ne le seus que longtemps après. » — P. 35. À l’app. A. 3e P. des A. C. 1905 P. VII, l’arrestation de ces prêtres est placée aux 4, 6 et 10 août.

    M. l’abbé C. O. Gagnon a fait précéder la publication de cette lettre d’une très intéressante notice biographique sur le Guerne : « François le Guerne naquit en 1725 à Kergrist-Moëlou, près de Rostrenen, en basse Bretagne, diocèse de Quimper & Cornouailles. Reçut l’onction sacerdotale à Québec, des mains de Mgr de Pontbriand, le 18 septembre 1751. En 1753, est nommé missionnaire à l’Acadie, où le premier acte qu’il signe dans les registres de Peteoudiac est du 7 juin, quitta l’Acadie au mois d’août 1757. Fut nommé curé de Saint-François, Isle d’Orléans, où il arriva le 19 avril 1758. Enseigna la Rhétorique au Séminaire de Québec pendant l’année 1767-68, ainsi que durant la moitié de l’année 1768-69. Le nom de M. le Guerne réapparaît dans les registres de Saint- François le 27 mars 1769, pour ne plus disparaître jusqu’à sa mort, si ce n’est en 1787, mais pour peu de temps. Il rendit son âme à Dieu le 6 décembre 1789 et fut inhumé le 8 du même mois dans le sanctuaire de l’église de St-François. La cure de Québec, par une clause de son testament, hérita de sa bibliothèque. »

    Nous possédons deux ouvrages ayant appartenu à l’abbé Le Guerne : chacun porte, à l’intérieur de la couverture, l’imprimé suivant : À la cure de Québec. Bibliothèque de Mr. Le Guerne. L’un est un Breviarum Romanum, Pars Æstiva, Antverpiœ ax typo. Plantiniana Balthasaris Moreti. M. D. C. XCIV. C’est un spécimen magnifique, comme tout ce qui est sorti de cet atelier célèbre, devenu, comme l’on sait, « Le Musée Plantin », lequel nous avons longuement visité en 1905. Ce Bréviaire est orné de deux gravures sur bois d’une absolue perfection. Sur les pages blanches de la fin, il y a plusieurs oraisons latines de l’écriture de Le Guerne. L’autre de ces ouvrages est : Fables choisies, mises en vers par Monsieur de la Fontaine, avec la Vie d’Ésope, nouvelle édition, augmentée de petites nottes (sic) pour en faciliter l’intelligence. À Paris. Par la compagnie des Libraires. M. DCC. XXXVII. La page titre, que nous venons de reproduire, porte l’autographe Le Guerne avec, au dessous du nom : 1755.

  32. Cette requête se trouve dans les appendices de l’édition anglaise (II. App. III, P. 271.) Nous la donnerons à la fin de notre tome III. — Il y est dit en effet : « It is not our power sufficiently to trace back the conditions upon which our ancestors just settled in Nova Scotia… because our papers which contained our contracts, records, etc, were by violence taken from us some time before the unhappy catastrophe which has been the occasion of the calamities we are now under…  » — Cette requête a été publiée d’abord par Haliburton (I. IV. 183 et seq.)
  33. C’est la Guerre de Sept ans. (1756-1763).
  34. Virgile. — Æneid X, 284.
  35. Akins. N. S. D. P. 259-60. — Can. Arch. (1894) 1755 July 18. Halifax. Lawrence to Lords of Trade. II. 307 B. T. N. S. vol. 15.
  36. C’est tout ce qu’il y a de cette lettre dans Akins. Une série de points de suspension indique qu’elle n’est pas intégralement reproduite. Et par exemple, un détail qui n’y est pas, et que donne l’analyse de ce document dans les Can. Arch. loc. cit., c’est que Lawrence fait part aux Lords des résultats de sa conférence avec Boscawen et Mostyn au sujet des mesures à prendre pour la défense de la Province. (Cette « conférence » s’était tenue dans la séance du conseil, le 15 juillet.)
  37. Il y a, aux archives, trois réponses : l’une, de la part des habitants d’Annapolis, l’autre, de la part des habitants de Pisiquid ; la troisième, de la part des habitants de Rivière-aux-Canards et lieux adjacents. Le MS. original, — fol. 547-8-9, — n’en donne que deux ; ou plutôt, la deuxième et la troisième sont fondues en une seule, et d’ailleurs écourtées, tout ainsi que la première. — Nous donnons ici ces documents intégralement.
  38. Akins. Nova Sco. Doc. P. 260-1-2.
  39. Tandis que, pour la réponse des habitants d’Annapolis, nous avons dû traduire d’après le texte de Akins, — nous avons, pour ces deux dernières, une copie des originaux, dans Archives Canadiennes (1905) vol. II. Appendice B. P. 63-64. — Akins les donne aussi, mais en anglais, p. 263, 4, 5, 6, 7.
  40. L’éditeur a mis entre parenthèses :

    [Les deux mémoires qui suivent sont tirés d’une copie qui se trouve aux Archives du Dominion. Celle-ci a été faite au Colonial Record, sur une copie des originaux. Ceux-ci semblent avoir été détruits et c’est pour cette raison que les noms des signataires font défaut.]

  41. 41. Note de l’éditeur :

    Sic pour suivante. Le texte de cette réserve est au bas de la page 81 (note b.) (Nous l’avons donnée dans notre tome 1er. Il n’est pas inutile de la reproduire ici :)

    {b) Nous, Charles de la Goudalie, Prêtre, Curé Missionnaire de la Paroisse des Mines, Grand-Prée et la Rivière aux Canards, et Noël Alexandre Noiville [de Noinville], Prêtre, bachelier de la Sacrée Faculté de Théologie de Sorbonne, Missionnaire apostolique et curé de l’Assomption et de la Sainte-Famille de Piziquid, certifions à qui il appartiendra, que Son Excellence le Seigneur Richard Philipps, écuyer, capitaine en chef et Gouverneur-Général de la Province de Sa Majesté, la Nouvelle-Écosse, en Acadie, a promis aux habitants des Mines et autres rivières qui en dépendent., qu’il les exempte du fait des armes et de la guerre contre les François et les Sauvages, et que les dits habitants se sont engagés uniquement et ont promis de jamais prendre les armes dans le fait de la guerre contre le Royaume d’Angleterre et Son Gouvernement. Le présent certificat fait et donné et signé par Nous cy-nommés, le 25 avril 1730, pour être mis entre les mains des habitans et leur valoir et servir partout où besoin sera ou que de raison en est.

    (Signé) : De la Goudalie, curé, Noël Noiville (de Noinville), Prêtre et Missionnaire. Debourg Bellehumeur, collationné le 25 avril.

  42. L’éditeur a fait suivre ces deux documents de la note ci-dessous : « Ces minutes d’une séance du Conseil tenue à. Halifax le 28 juillet 1755, à laquelle fut définitivement décidée la déportation des Acadiens, sont indiquées comme suit au verso : » Nouvelle-Écosse. Minutes du Conseil de Sa Majesté à « Halifax, du 28 juillet au 7 octobre 1755 ; reçues avec la lettre du lieutenant-gouverneur Lawrence, du 18 octobre 1755 ; lues le 20 novembre 1755. »

    Comme la déportation a eu lieu aux mois d’octobre et novembre, il semble que le Conseil du commerce et des colonies, qui représentait le gouvernement de la métropole, en fut informé trop tard pour l’empêcher.

    Ce : « il semble que le conseil du commerce et des colonies… en fut informé trop tard pour l’empêcher » pourrait passer pour de la candeur, si celui qui a écrit cela n’en croyait pas un mot.

    Cf. Can. Arch. (1894) 1755. July. 28. Halifax. Minutes of Executive Council of the 3rd, 4th, 14th, 15th, 25th and 28th July, containing the conférences with the deputies of the French inhabitants, the representations of the inhabitants (in French) ; the remarks of the council and their resolution respecting the disposal of the French inhabitants. (Am. & W. I. vol. 597. p. 66.)

    (A copy of thèse was sent to Secretary of State on 25th november.)

  43. Apparent rari nantes in gurgite vasto. Æneid. I. 118
  44. Voir la note plus haut à ce sujet. Quand on aura lu le document provenant de l’abbé Daudin, lequel nous donnons ci-après, il ne sera plus permis de douter que l’arrestation de ces prêtres n’ait eu lieu, non en juillet, mais les 4, 6, et 10 août.
  45. « It was to put an end to this anomalus state of things (la neutralité,) that the oath without reserve had been demanded of them. their rejection of it, reiterated in full view of its conséquences, is to be ascribed partly to a fixed belief that the English would not exécute their threats, partly to ties of race and kin, but mainly to superstition. » — Montcalm and Wolfe. I, ch. VIII. Removal of the Acadians. P. 275.
  46. Cité précédemment. Cf. Akins. P. 266-7. — En note, après avoir cité les délibérations du conseil du 28 juillet, Akins renvoie à la lettre de Lawrence au Secr. d’État Echinson, en date du 1er août 1754, à la lettre des Lords du Commerce à Lawrence, en date du 29 oct. 1754, etc.
  47. Ce document a été reproduit pour la première fois pas Casgrain, {Pèlerinage etc., ch. IV, p. 102 et seq.) qui le fait précéder de ceci : « Je laisse maintenant l’abbé Daudin, curé d’Annapolis, raconter lui-même les événements qui précédèrent la déportation. Ce récit, extrêmement curieux, est extrait d’un manuscrit tout à fait inconnu, provenant de la bibliothèque de M. de Malesherbes, et appartenant aujourd’hui à M. le marquis de Bassano, qui a bien voulu le mettre à ma disposition. Je le reproduis presque en entier, à cause de son originalité, quoiqu’il renferme quelques répétitions de ce qui précède. »

    Le MS. original — fol. 553 — ne contient aucune indication au sujet de la provenance de cette pièce, et y fait des coupures ou y apporte quelques variantes. Nous suivons intégralement le texte tel que donné dans Casgrain.

  48. À cet endroit de la citation, le MS. original — fol. 555 — porte la note suivante : « La déportation était alors à peu près terminée, et ces prisonniers furent déportés ensemble, séparément de leurs familles et à d’autres endroits ».
  49. Dans l’édition anglaise (II. 55.) le chapitre XXVII se termine ici. Il semble donc que ce soit après que la traduction de son ouvrage eût été achevée que Richard ajouta, dans le MS. original — fol. 557, des considérations dont on ne saisit pas le lien direct avec ce qui précède.

    Dans l’édition anglaise, ce chapitre 27 finit un peu court ; tel que nous le donnons d’après le MS., il a l’air d’avoir une queue rapportée.