Acadie/Tome II/23

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Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome 2p. 456-460).

APPENDICE V


(Cf. Chapitre Vingt-Septième)


Can. Arch. (1894) 1755. July 28. Halifax. « Opinion of Chief of Justice Belcher on the Removal of the Acadians. Opposes the admission of the Acadians to take the oath of allegiance. Gives details of their conduct from the date of the Treaty of Utrecht onwards, etc. » (Am. & W. I. vol. 597, p. 101.)


Ibid. April. 14th 1756. Whitehall. Lorda of Trade to Secr. of State (Henry Fox.) « The opinion of the Chief-Justice Belcher on the Removal of the Acadians is enclosed. » (B. T. N. S. vol. 36. P. 284.)


Arch. Can. (1905). App. C. P. 120-1-2.)


Annexé à une lettre du 14 avril 1756 — Les lords du commerce à Fox


28 juillet 1755.


La question actuellement soumise au gouverneur et au conseil, savoir : si les habitants français doivent être déportés de la province de la Nouvelle-Écosse ou s’ils doivent continuer d’y résider, est une question de la plus haute importance pour la couronne et intéresse grandement la colonisation de cette province. En outre, considérant que l’occasion actuelle qui permet d’en arriver à une conclusion ne se présentera peut-être plus, je crois qu’il est de mon devoir de faire connaître les raisons qui me persuadent que nous ne devons pas permettre aux habitants français de prêter le serment ni les tolérer dans la province.

1. — Depuis le traité d’Utrecht jusqu’à cette date, ils se sont conduits comme des rebelles envers Sa Majesté dont ils sont devenus les sujets par la cession de la province. En outre, en vertu du traité, ils devinrent des habitants de la dite province.

2. — Pour ces raisons, les tolérer dans cette province serait contraire à la lettre et à l’esprit des instructions de Sa Majesté au gouverneur Cornwallis, et à mon humble avis, encourrait le déplaisir de la couronne et du Parlement, et de plus.

3. — Cela rendrait stériles les résultats qu’on attendait de l’expédition de Beau Séjour ;

4. — Et entraverait d’une manière déplorable le progrès de la colonisation et empêcherait la réalisation des projets que la Grande-Bretagne avait en vue lorsqu’elle a fait des dépenses considérables dans cette province.

5. — Lorsque ces habitants auront de nouveau recours à la perfidie et à la trahison, procédés dont ils se serviront certainement, et avec plus de haine que par le passé, la province après le départ de la flotte et des troupes, se trouvera dans l’impossibilité de les chasser de leurs possessions.

1. — Quant à leur conduite depuis le traité d’Utrecht en 1713 — Bien qu’il y fut stipulé qu’ils seraient laissés en possessions de leurs terres à condition qu’ils prêtassent le serment dans l’intervalle d’une année à partir de la date du traité, non seulement ils ont refusé de prêter serment, mais se sont livrés encore à des actes d’hostilité contre la garnison anglaise. De concert avec les sauvages ils massacrèrent, dès l’année du traité, un détachement anglais de quatre-vingts hommes et pendant les trois années qui suivirent le traité, ils se rendirent coupables de plusieurs autres actes d’hostilité.

En 1725, lorsque le général Philips envoya des troupes pour les forcer à prêter le serment, ils refusèrent pendant quelque temps mais finirent par consentir à le prêter à condition qu’ils seraient exemptés de prendre les armes contre le roi de France. À cette condition, quelques-uns prêtèrent le serment d’allégeance, mais un grand nombre refusèrent, et depuis cette date, ils ont cru devoir se donner le titre de neutres, bien qu’ils soient des sujets de Sa Majesté.

À leur instigation, l’établissement fondé pour l’exploitation des mines de charbon de Chignectou par une compagnie de gentilshommes anglais, au coût de 3,000 £, a été détruit par les sauvages qui poussés par ces habitants, chassèrent les mineurs, incendièrent leurs maisons et les magasins, et volèrent ce que ces mineurs possédaient et des marchandises qu’ils partagèrent ensuite avec les dits habitants.

En 1724 ils soulevèrent les sauvages et les aidèrent à détruire une pêcherie anglaise et à massacrer cent pêcheurs anglais. Quelques Anglais [sic pour sauvages] et quelques Français furent arrêtés sous l’accusation d’être les auteurs de ce massacre et furent par la suite pendus à Boston.

En 1744, trois cents sauvages conduits par Le Loutre, et supportés par ces Français neutres, parcoururent les districts qu’habitent ces derniers et campèrent à un mille de la garnison sans que les habitants en aient averti le gouvernement.

La même année, et de la même manière, ils accueillirent et encouragèrent M. Duvivier qui aurait pris la garnison par surprise, si un habitant ne l’avait averti et mis sur ses gardes.

Pendant tout l’été de 1746, ils entretinrent dans leurs districts 1700 Canadiens qui attendaient l’arrivée de la flotte du duc Danville, et lorsqu’une partie des troupes se rendit jusqu’au fort, ils l’aidèrent, lui fournirent des fascines et reçurent des armes des Français pour prendre part à l’attaque.

L’hiver suivant, les habitants français firent connaître aux troupes françaises qu’une troupe anglaise de 500 hommes avait établi ses quartiers aux Mines ; ils incitèrent l’ennemi à attaquer les Anglais et réussirent à faire pénétrer des officiers français dans les quartiers anglais avant l’attaque. Ils prirent part à l’attaque avec les Français et massacrèrent 70 sujets de Sa Majesté ; les deux tiers de ce nombre étaient malades et furent assassinés par les habitants français. Ces renseignements ont été fournis par des soldats qui s’évadèrent. Par la suite, et avant la capitulation, ils avaient des armes et furent chargés de la garde des prisonniers anglais qu’ils traitèrent avec plus de sévérité que les sujets du roi français l’auraient fait.

Par la suite, ils reçurent et supportèrent très souvent des détachements français durant la guerre.

Depuis le premier établissement des Anglais à Halifax, les habitants français ont toujours incité les sauvages à commettre des hostilités contre eux. Ils ont maintenu, supporté ceux-ci et leur ont indiqué les endroits où ils pouvaient avantageusement harasser ceux-là, car toujours, avant que les sauvages ne commissent leurs attentats, les habitants français ont été vus rôdant autour de l’établissement.

Depuis notre premier établissement, ils ont refusé obstinément de prêter le serment d’allégeance et ont induit plusieurs de nos colons étrangers à passer chez les Français. Ils ont toujours fourni des provisions aux troupes françaises qui se sont introduites dans cette province et les ont tenues au courant de tous les mouvements des Anglais, obligeant ces derniers à se tenir dans les bourgs fortifiés et les empêchant de cultiver et d’améliorer les terres situées à une certaine distance. Cette situation a causé de grandes dépenses à la nation britannique et pour la même raison, au-delà de la moitié des habitants venus ici pour s’y établir ont quitté la province pour aller dans d’autres colonies où il leur sera possible de gagner leur pain sans risquer leur vie.

L’énumération des faits précédents qui se sont succédé depuis quarante ans, doit nous convaincre que les habitants français au lieu de manifester l’intention de devenir de bons sujets, ont démasqué de plus en plus leur haine invétérée contre les Anglais et leur affection pour les Français. D’ailleurs ils viennent de donner un exemple de leur insolence au capitaine Murray auquel ils ont caché leurs meilleures armes et livré des mousquets hors d’usage et refusé absolument de prêter le serment.

Dans de semblables circonstances, je crois qu’il est contraire à l’honneur du gouvernement, à la sécurité et à la prospérité de cette province de permettre à aucun de ces habitants de prêter le serment.

2. — Ce serait contraire à l’esprit et à la lettre des instructions de Sa Majesté.

C’est sur la représentation du gouverneur au sujet des hostilités commises par les habitants français que cette instruction a été transmise.

L’exposé de cette instruction démontre l’intention d’exiger une plus entière soumission des Français et de fortifier l’autorité du gouvernement ; et vu que ceux-ci ont déclaré d’une manière implicite en refusant de prêter le serment, leur détermination de ne pas devenir des sujets de Sa Majesté, il s’en suit que leur expulsion de cette province serait littéralement conforme à l’instruction concernant la formule de serment qui devait leur être proposée par le gouverneur en Conseil et qu’ils ont refusée. En outre, il serait impossible de croire à leur fidélité après leur refus absolu de se soumettre à la couronne. De plus, il est prévu que dans leur cas, les personnes qui refusent de se soumettre aux sommations de prêter le serment, sont déclarées non-conformistes et par la suite ne peuvent plus être admises à prêter le serment, parce qu’après avoir une fois refusé leur allégeance, toute profession ultérieure de fidélité ne peut être prise en considération.

Cette instruction fut transmise à une époque où le gouvernement n’était pas assez puissant pour affirmer ses droits contre les habitants français qui encouraient la confiscation de leurs biens, et je crois que si la couronne était au courant de la situation actuelle, cette instruction, si elle est encore en vigueur, serait révoquée.

Le gouverneur Cornwallis, en vertu de cette instruction, somma les habitants français de jurer allégeance, et comme ils refusèrent, l’instruction se trouva de fait invalidée ; et par suite, il n’est pas au pouvoir du gouvernement actuel de proposer aux habitants de prêter le serment, parceque ceux-ci ne s’étant pas conformés aux stipulations du traité d’Utrecht, ont encouru la confiscation de leurs propriétés au profit de la couronne. Voici ma manière de voir : Sa Majesté a exigé de transmettre la réponse des habitants français au secrétaire d’État pour être soumise au plaisir de Sa Majesté, et la réponse suivante de tous les habitants français devrait être par conséquent transmise, savoir : « Qu’ils ne prêteront pas le serment sans l’exemption de porter les armes contre le roi de France, qu’autrement ils demandent six mois pour se transporter au Canada avec leurs effets, et qu’en outre, ils expriment ouvertement le désir de servir le roi de France, afin d’avoir des prêtres. » Et l’on doit présumer que par suite, au lieu de considérer l’instruction, des ordres, et probablement des troupes, seraient immédiatement envoyés pour chasser de la province ces insolents et dangereux habitants.

Quant à leur permettre maintenant de prêter le serment, voici quel en serait le résultat :

3. — Nous perdrions nécessairement le fruit de l’expédition de Beau Séjour.

Les avantages à retirer de cette expédition, consistent dans l’affaiblissement de la puissance des sauvages et la répression de l’insolence des habitants français. Mais si après la réduction des forts français, alors que nos troupes sont dans le voisinage et que la flotte britannique est dans notre port, ils se permettent en présence même des amiraux de Sa Majesté et en mépris du gouverneur et du Conseil, de refuser de prêter le serment d’allégeance à Sa Majesté, nous allions les accueillir et avoir foi en eux comme sujets dans de telles circonstances, cela équivaudra à la perte des avantages acquis par cette victoire.

Si tel est leur attitude au moment où nous avons les troupes et la flotte avec nous, que n’oseront-ils pas et jusqu’où iront leur insolence et leurs agressions quand cette protection nous manquera !

4. — Cela entraverait le progrès de la colonisation, et l’arrêterait peut-être entièrement.

On compute comme suit la proportion des habitants français aux habitants anglais :


À Annapolis, 200 familles composées de 5 membres chacune 1000
Aux Mines, 300 famille"composées de"membres" 1500
À Piziquid, 300 famille"composées de"membres" 1500
À Chibouctou, 800 famille"composées de"membres" 4000

8000
600 familles anglaises composées de 5 membres chacune 3000
Surplus d’habitants français 5000


Sans compter les Français résidant à Lunenburg et les habitants de Lunenburg eux-mêmes qui sont plus sympathiques aux Français qu’aux Anglais.

Une telle supériorité du côté de ceux qui ont juré de ne pas devenir sujets du roi est propre à inquiéter les colons actuels et à décourager ceux qui auraient l’intention de venir s’établir dans cette province, car il est bien connu que s’ils prêtent le serment, ils ne se croiront pas engagés après en avoir obtenu la dispense.

5. — D’autre part, considérant qu’il ne sera plus possible de les déporter de cette province après le départ de l’armement dont nous disposons présentement ; et que leur déportation deviendra inévitablement nécessaire, car il est incontestable qu’ils se livreront de nouveau avec plus d’artifice et de rancune qu’auparavant, à la perfidie et à la trahison ;

Considérant aussi que la présence dans cette province, de ces habitants français attachés à la France, est de nature à favoriser tous les projets du roi de France et les tentatives de celui-ci pour s’emparer de la dite province : —

À ces causes je crois que ces raisons et la nécessité impérieuse — qui est la loi du moment — de protéger les intérêts de Sa Majesté dans la province, m’obligent de conseiller humblement la déportation de tous les habitants français.

(Signé)     JONATHAN BELCHER.[1]

Halifax, 28 juillet 1755.

  1. Le document ci-dessus fut lu devant le gouverneur en son Conseil, à Halifax, le 28 juillet 1755, jour où fut prise par le Conseil, la décision finale d’expulser et de déporter les Acadiens. Jonathan Belcher était alors juge en chef de la Nouvelle-Écosse.