Acadie/Tome III/03
CHAPITRE TRENTE-ET-UNIÈME[1]
Soit que les procédés n’aient pas été conçus ni exécutés avec autant d’habileté, soit que l’on ait été plus méfiant, le succès de la conspiration aux autres endroits ne fut pas aussi marqué qu’à Grand-Pré[2]. Handfield se plaignait à Winslow que plusieurs familles s’étaient réfugiées dans les bois : il y avait même eu résistance, et quelques hommes avaient été tués[3].
À Beauséjour, où commandait Monckton, l’insuccès fut beaucoup plus accentué. La proclamation, qui convoquait les habitants à se réunir, resta sans effet sur le plus grand nombre, et l’officier ne put rassembler sur ses transports qu’environ douze cents personnes : c’était à peu près le tiers de la population[4]. Le major Frye, qu’il avait envoyé dans les établissements de Chipody, Petitcodiac, et ramcook, avec l’ordre de brûler toutes les habitations et d’emmener avec lui les femmes et les enfants, ne pût exécuter que la première partie de ses ordres[5]. À son approche, toute la population, qui connaissait le sort fait à ceux qui avaient obéi à la proclamation, s’était réfugiée dans les bois. Après avoir incendié cent quatre-vingts maisons, y compris l’église, à Chipody, il entra dans la rivière Petitcodiac qu’il remonta quelque distance, en brûlant également toutes les maisons qui bordaient ses deux rives. Arrivé près du principal village, il jeta l’ancre, et ordonna au capitaine Adams de rejoindre avec soixante hommes les détachements des lieutenants Endicott et Billings, qui remontaient la rivière par terre. « Deux cent cinquante-trois maisons, dit Haliburton, étaient en feu à ce moment, dans lesquelles fut consumée une quantité considérable de blé et de chanvre. Des bois avoisinants, les pauvres habitants contemplaient, avec horreur et découragement, la destruction de leurs bâtiments et de leur ménage ; et ils ne s’avisèrent pas d’opposer aucune résistance, jusqu’au moment où l’on tenta d’incendier aussi leur chapelle. Cela leur parût une insulte ajoutée à tous les dommages qu’ils avaient déjà soufferts : alors, tombant à l’improviste sur le détachement trop occupé à exécuter les ordres qu’il avait reçus pour prévenir une surprise, ils tuèrent et blessèrent vingt-neuf officiers et soldats et allèrent se cacher à nouveau dans la forêt[6].
L’abbé Le Guerne, qui se trouvait dans le voisinage de Beauséjour avant et après la déportation, a raconté au long ces événements dans une lettre adressée à Monsieur Prévost, ordonnateur à l’Isle Royale, et datée de Bélair, vers Cocagne, ce 10 mars 1756[7]. En voici des extraits :
« Dès que les affaires commencèrent à se brouiller dans ce pays, je jugeai qu’on n’avoit rien de mieux à faire que de se jetter entre les bras des françois ; dès lors, à la vérité, la plupart des habitans (qui) s’étoient rendus aux forts anglois y étoient détenus, et je n’avois pû m’opposer à cette démarche en effet en regardant l’anglois comme son maître on se croyait eu seureté sous la foy de la capitulation, on se croyait obligé à l’obéissance. Messieurs de Vergor et Le Loutre avaient dit en partant qu’il étoit de l’intérest de l’habitant d’être bien soumis, l’Anglois cachoit son dessein, paroissait même travailler à perfectionner les établissemens. L’ordre vint de se rendre au fort pour prendre, disoit-on, des arrangements concernant les terres, dans de telles circonstances je ne pouvois leur conseiller la désobéissance sans me charger de tous les malheurs qui sont arrivés. Si en effet j’eus conseillé alors de refuser l’obéissance, la majeure partie des habitans persuadée qu’elle retrouveroit l’ancienne tranquillité sous le règne de l’anglois, et attentive uniquement à une aveugle intérest pour leur terre, ne m’auroit jamais écouté, et la rébellion des autres auroit fourni à l’Anglois un prétexte spécieux et unique pour enlever tous ceux que les promesses, la violence et quelqu’autre voye auroit mis sous sa main.
« Je ne pouvois manquer alors d’être regardé comme l’auteur des malheurs de l’Acadie, l’habitant peu capable de démesler les vrais ressorts qui font agir l’anglois n’auroient pu penser autrement et partout il m’auroit rendu responsable de ses, désastres. Ajoutez à toutes ces raisons que restant le seul prestre dans ces quartiers, au point de vue où les choses se montroient la religion, la charité, l’intérest même de la France exigeoient de moy toutes les mesures possibles pour m’y maintenir, et que pour cet effet j’avois été obligé de promettre simplement à l’Anglois de ne point toucher aux affaires d’Etat, et que voyant d’ailleurs que l’Accadien, soit pour faire sa cour, soit par imprudence, informoit au fort de tout ce qui se passoit, je ne pouvois ouvrir la bouche contre l’anglois sans m’exposer à des grosses affaires qui auroient tourné autant au préjudice de l’habitant qu’à ma perte. Ces raisons sont presque suffisantes pour justiffier ma conduitte dans cette conjecture difficile et pour ne point juger rigoureusement les habitans qui se rendirent au fort anglois.
« Je reviens maintenant à ceux qui se trouvèrent en liberté envers lesquels j’ay agy autrement. Dès que je vis les autres arrêtés au Fort, je vis bien que les ménagemens vis à vis l’anglois étoient déplacés et que je ne pouvois mieux faire que de sauver pour la religion et pour la France le reste de mon troupeau. Le commandant anglois par ses promesses séduisantes, des offres captieuses et par des présens même que je n’osai refuser pour la première fois, avait crû me mettre dans ses interests ; se croyant donc assuré de moy, il me manda qu’il souhaitoit me voir incessamment, il me connoissoit mal.
« La première qualité d’un missionnaire, s’il est digne de son nom, c’est d’être honnête homme, et le premier devoir d’un honnête homme c’est une fidélité inviolable à la patrie[8].
« Je me gardai donc bien des embûches qu’il me tendoit et je lui répondis poliment et en substance que je ne me défiois point de son Excellence, mais que j’appréhendois qu’il ne reçut de son général des ordres peu favorables aux missionnaires, qu’il seroit obligé d’exécuter contre moy-même, et puisqu’on lui commandoit d’embarquer les habitans que le seul parti qui me restoit étoit de me retirer, que je resterai encore au pais sous son bon plaisir s’il recevoit un contre-ordre pour les habitans.
« A une autre lettre où il me pressoit encore de bannir toute défiance et de me rendre au fort, je lui répondis que je me souvenois que monsieur Maillard avoit été embarqué malgré une assurance positive d’un gouverneur anglois, et que j’estimois mieux me retirer que de m’exposer en aucune manière. »
Murray, à Pigiguit, s’acquitta de sa tâche avec un succès à peu près égal à celui qu’avait remporté Winslow à Grand-Pré. Les habitants ne s’y soumirent pas à la proclamation avec autant d’unanimité, dès la première heure ; mais tous finirent par se rendre aux ordres donnés sans opposer de résistance. Le soir même de la convocation, il en rendait compte à son chef dans les termes que voici :
« Cher Monsieur,
« J’ai enfin réussi, et j’ai appréhendé 183 hommes. Je pense que bien peu ont échappé, si ce n’est les malades. Et j’espère que vous avez été aussi chanceux. Je serais heureux que vous dépêchiez ici des transports aussi tôt que possible, car vous savez que notre fort n’est pas grand. Je vous serais également obligé si vous pouviez m’envoyer un officier et trente hommes de plus, car j’aurai à faire opérer des recherches le long de quelques rivières assez distantes d’ici, d’où tout le monde n’est pas encore venu… »
Le lendemain de leur arrestation, les détenus de Grand-Pré supplièrent Winslow de permettre à un certain nombre d’entre eux de visiter leurs familles, pour les avertir de ce qui venait de se passer et les consoler. Après consultation avec ses officiers, Winslow leur accorda cette demande. Mais reproduisons l’entrée de son journal à ce propos[10] :
« Je me rendis ensuite, (après lecture de la proclamation, le 5 septembre,) à mes quartiers. Les habitants français, par l’intermédiaire des plus anciens, exprimèrent leurs regrets d’avoir encouru le mécontentement de Sa Majesté et leurs craintes que la nouvelle de leur emprisonnement allait porter un coup terrible à leurs familles. De plus, se trouvant dans l’impossibilité d’apprendre à leurs parents la triste situation dans laquelle ils se trouvaient, ils me demandèrent de garder un certain nombre d’entre eux comme otages, et de permettre à la plupart de retourner chez eux. Ces derniers s’engageaient à ramener ceux des habitants qui étaient absents lorsque furent lancés les ordres de rassemblement, je leur répondis que je considérerais leur demande et leur communiquerais ma décision.
« J’ai réuni immédiatement mes officiers afin de leur soumettre la demande des prisonniers, et nous décidâmes de leur faire choisir vingt d’entre eux dont ils seraient responsables. Pour former ce nombre, ils devaient en nommer dix de la Grand-Prée, et dix autres de la rivière aux Canards et de la rivière aux Habitants, qu’ils devaient charger d’aller annoncer aux familles ce qui s’était passé et apprendre aux femmes et aux enfants qu’ils étaient en sûreté dans leurs demeures, pendant l’absence des chefs de famille. Ces délégués devaient en outre s’assurer du nombre des habitants absents et faire leur rapport le lendemain. »
Des patrouilles parcoururent les campagnes en tous sens pour se saisir de ceux qui n’avaient pas répondu à l’appel. À l’exception de quelques-uns qui furent tués en cherchant à s’enfuir, et de quelques autres qui purent s’échapper, tous ceux qui étaient restés en arrière se constituèrent prisonniers. En peu de jours, le nombre des détenus dépassa cinq cents[11].
Le journal de Winslow contient une requête qui lui fut adressée par les captifs, peu de jours après leur arrestation. Elle est éloquente dans sa simplicité, touchante par les sentiments qu’elle renferme. Si grand que fût l’attachement à leurs biens, l’amour de leur patrie ; si extraordinaires que fussent leurs maux et leurs chagrins, c’était encore de leurs intérêts religieux qu’ils se préoccupaient le plus. Dans cette accablante extrémité, lorsque la vision de leurs malheurs présents pouvait paraître absorber leurs pensées, la seule et la suprême grâce qu’ils demandèrent à leurs bourreaux, et qui leur fût refusée, avait trait aux choses de leur âme, à leur avenir religieux :
« À la vue des maux qui semblent nous menacer de tous côtés, nous sommes obligés de réclamer votre protection et de vous| prier d’intercéder auprès de Sa Majesté, afin qu’elle ait des égards pour ceux qui ont inviolablement gardé la fidélité et la soumission qu’ils lui avaient promises. Comme vous nous avez fait entendre que le roi vous a donné ordre de nous transporter hors de cette province, nous supplions que, s’il nous faut abandonner nos propriétés, il nous soit au moins permis d’aller dans des endroits où nous trouverons des compatriotes, nous engageant à nous déplacer à nos propres frais, et qu’il nous soit accordé un délai raisonnable pour cela. De plus, cette faveur nous permettrait de conserver notre religion à laquelle nous sommes profondément attachés, et pour laquelle nous sacrifions volontiers nos biens, etc[12]… »
Winslow comprit-il la sublimité des sentiments exprimés dans cette requête ? Son journal ne nous le dit pas. Il passe à l’ordre du jour sans ajouter un mot. Il était engagé dans une besogne qui ne lui permettait ni de regarder en arrière ni de laisser son cœur s’ouvrir à la commisération. Il avait l’ordre de s’emparer des hommes et des garçons au dessus de dix ans, de les placer à bord des navires et de les expédier aux endroits désignés. Il s’était acquitté avec succès de la première partie de sa tâche ; celle qu’il lui restait à accomplir, l’embarquement de sa cargaison humaine, allait donner lieu aux plus grands déchirements. Ainsi le voulait l’édit impitoyable de Lawrence : tout devait être sacrifié à sa parfaite exécution.
Comme on s’indignait ouvertement de le voir inexorable, Winslow profita de l’arrivée de cinq vaisseaux pour procéder sans tarder à l’embarquement. Dans la matinée du 10 septembre, il fit avertir les prisonniers par le père Landry, qui servait d’interprète, que deux cent cinquante d’entre eux, en commençant par les jeunes gens, seraient embarqués à l’instant ; qu’ils n’avaient qu’une heure pour se préparer, attendu que la marée était sur le point de baisser. « Landry fut extrêmement surpris, dit Winslow, mais je lui dis qu’il fallait que la chose fût faite, et que j’allais donner mes ordres. »
N’ayant pas devant les yeux le journal de Winslow, nous laisserons Casgrain raconter cet épisode de l’embarquement[13]:
« Les prisonniers furent amenés devant la garnison, et mis en lignes, six hommes de front. Alors les officiers firent sortir des rangs tous les hommes non mariés, au nombre de cent quarante et un, et, après les avoir mis par ordre, ils les firent envelopper par quatre-vingts soldats détachés de la garnison sous le commandement du capitaine Adams. Jusqu’à ce moment tous ces malheureux s’étaient soumis sans résistance ; mais quand on voulut leur ordonner de marcher vers le rivage pour y être embarqués, ils se récrièrent et refusèrent d’obéir. On eut beau les commander et les menacer, tous s’obstinèrent dans leur révolte avec des cris et une agitation extrême, disant avec raison que, par ce procédé barbare, on séparait le fils du père, le frère du frère. Ce fut là le commencement de cette dislocation des familles qui n’a pas d’excuse, et qui a marqué d’une tache ineffaçable le nom de ses auteurs. Quand on sait qu’une partie de ces jeunes gens n’étaient que des enfants de dix à douze ans, et par conséquent bien moins redoutables que des hommes mariés dans la force de l’âge et qui avaient de plus grands intérêts à sauvegarder, on ne peut comprendre ce raffinement de cruauté. Il faut laisser Winslow lui-même raconter cet incident ; « J’ordonnai aux prisonniers de marcher. Tous répondirent qu’ils ne partiraient pas sans leurs pères. Je leur dis que c’était une parole que je ne comprenais pas, car le commandement du roi était pour moi absolu et devait être obéi absolument, et que je n’aimais pas les mesures de rigueur, mais que le temps n’admettait pas de pourparlers ou de délais ; alors j’ordonnai à toutes les troupes de croiser la baïonnette et de s’avancer sur les Français. Je commandai moi-même aux quatre rangées de droite des prisonniers, composées de vingt-quatre hommes, de se séparer du reste ; je saisis l’un d’entre eux qui empêchait les autres d’avancer, et je lui ordonnai de marcher. Il obéit. » — Le reste des jeunes gens se résignèrent à suivre, mais non sans résistance, et avec des lamentations qui firent mal à Winslow lui-même. Une foule de femmes et d’enfants, parmi lesquels se trouvaient les mères, les sœurs, les fiancées de ces infortunés, étaient témoins de cette scène déchirante, et en augmentaient la confusion par leurs gémissements et leurs supplications. De l’église au lieu de l’embarquement la distance n’était pas moins d’un mille et demi. Elles s’attachaient à leur pas pendant tout ce trajet, en priant, pleurant, s’agenouillant, leur faisant des adieux, essayant de les saisir par leurs vêtements pour les embrasser une dernière fois.
« Une autre escouade, composée de cent hommes mariés, fut embarquée aussitôt après la première, au milieu des mêmes scènes. Des pères s’informaient de leurs femmes restées sur le rivage où étaient leurs fils, des frères où étaient leurs frères qui venaient d’être conduits dans les navires ; et ils suppliaient les officiers de les réunir. Pour toute réponse, les soldats pointaient leurs baïonnettes et les poussaient dans les chaloupes. »
Deux jours avant ce premier embarquement, Murray écrivait à Winslow :
« Cher Monsieur,
« J’ai reçu votre lettre, et je suis des plus charmés d’apprendre que tout va si bien à la Grand-Prée, et que les pauvres diables sont si résignés. Ici, ils montrent plus de patience que je n’aurais pu en attendre de personnes se trouvant dans de telles conditions ; et ce qui me surprend encore davantage, c’est de voir l’indifférence des femmes qui sont réellement ou qui semblent être assez insouciantes à tout ce qui se passe. Quand je pense à ceux d’Annapolis, je m’applaudis de les avoir sommés de venir au rendez-vous. Je crains qu’il n’y ait des pertes de vie avant que nous n’ayons pu les rassembler tous ; vous savez que nos soldats les haïssent, et que s’ils peuvent trouver un prétexte pour les tuer, ils le feront…
« Je suis extrêmement heureux d’apprendre que votre camp est en sûreté et peut servir, (comme dit le Français,) de bonne prison pour les habitants. J’ai hâte de voir ces pauvres misérables embarqués et notre tâche terminée : je me donnerai alors le plaisir d’aller vous voir et de boire à leur bon voyage[14]… »
Les vaisseaux qui devaient apporter les approvisionnements et transporter les captifs se firent longtemps attendre. Murray et Winslow devenaient impatients : les lettres pressantes que ce dernier adressait au commissaire Saul restaient sans réponse[15]. Enfin, un navire chargé d’approvisionnements parût devant Grand-Pré ; mais les vaisseaux sur lesquels on devait embarquer les Acadiens et les convoyeurs n’arrivèrent que longtemps après. Winslow écrivant à un ami d’Halifax, lui rendait ainsi compte de ses impressions :
« … Ces gens méritent, je le sais, encore plus qu’ils ne reçoivent ; cependant il m’est pénible de les entendre pleurer, se lamenter et grincer des dents. J’espère que nos affaires prendront une autre tournure avec l’arrivée des transports, car il me tarde d’en avoir fini avec la pire des besognes que j’aie jamais eue à faire[16] … »
« À M. Archibald Huishelwood, Secrétaire, etc. à Halifax. »
Enfin, après quatre longues semaines, sept vaisseaux firent leur apparition, dont trois furent envoyés à Murray qui ne put en réprimer sa joie :
« … Dieu merci ! Les transports sont enfin arrivés… Aussitôt que j’aurai expédié mes gueux (rascals,) je descendrai vous voir, et nous pourrons nous donner un peu de bon temps. »
« Au colonel John Winslow[17] … »
En justice pour Winslow, nous reproduisons de préférence les extraits de son journal qui nous le montrent sous l’aspect le plus favorable. Le hideux occupe une si large place dans ces événements que l’on recherche involontairement ce qui présente au moins l’apparence de sentiments humains. Il ne faut pas se montrer difficile : pareils sentiments sont si rares. Tels quels, ils rafraichissent l’âme, ils réjouissent la vue, comme fait une oasis au milieu des sables brûlants du désert. On soupire après eux ; on en a besoin, comme le plongeur a besoin de venir remplir ses poumons d’une bouffée d’air pur avant de redescendre dans les abîmes. Cependant, il convient aussi de bien faire voir quel ignoble personnage était cet Alexandre Murray, qui, depuis plusieurs années, avait charge de ce district, le plus populeux de l’Acadie. Ses lettres se terminent invariablement[18] par une chaleureuse expression de son désir de boire et de se divertir. Prebble, lui, s’il n’oublie jamais les jouissances qu’il espère se donner, « the good things of this world », — n’oublie pas non plus les choses spirituelles, quoique ce soit toujours pour se moquer des croyances des Acadiens[19]. Tandis que Murray n’a l’esprit tourné que du côté des satisfactions matérielles. Il a toujours soif, il est toujours prêt à entonner le nunc est bibendum ; la pensée de boire est pour lui comme une hantise.
Voilà l’homme selon son cœur, que Lawrence avait choisi pour gouverner et exaspérer cette population, pour préparer et exécuter les noirs projets qu’il méditait depuis longtemps. Que l’on se représente après cela l’oppression qu’il lit peser sur ces pauvres habitants, et l’on sera étonné que ceux-ci aient pu se soumettre à toutes les exigences de ce despote et rester paisibles quand même.
Winslow fit ses apprêts pour l’embarquement, et donna avis aux prisonniers de se tenir parés pour le 8 octobre : « Même après cet avis, dit-il, je ne pus leur faire entrer dans la tête que j’étais sérieux[20]. »
Nous renonçons à décrire les scènes d’embarquement. Voici comment Winslow en parle :
« 8 octobre. — Nous avons commencé à embarquer les habitants qui abandonnèrent leurs domiciles à regret et malgré eux, les femmes très affligées portaient leurs nouveaux-nés dans leurs bras, d’autres traînaient dans des charrettes leurs parents infirmes et leurs effets. Ce fut une scène où la confusion se mêlait au désespoir et à la désolation[21] »
Ces quatre bateaux, avec leur cargaison humaine, restèrent en rade jusqu’au 29 du même mois. Il restait cependant encore sur le rivage au delà de la moitié de la population qui n’avait pu trouver place à bord. Quelques habitants se tenaient cachés dans les bois. Pour les forcer à se rendre, Winslow publia l’ordre suivant, qui se passe de commentaires : « Si, d’ici à — jours, les absents ne sont pas livrés, leurs proches parents seront immédiatement exécutés par la force des armes[22]. »
« En somme, dit Haliburton, les Acadiens étaient tellement terrorisés que, de vingt-quatre jeunes gens qui s’étaient échappés d’un transport, vingt-deux revinrent d’eux-mêmes se constituer prisonniers, les autres ayant été tués par les sentinelles ; et un de leurs amis, soupçonné d’avoir favorisé leur évasion, fut ramené au rivage pour être témoin de la destruction de sa maison et de ses effets, lesquels furent brûlés en sa présence en punition de sa
mérité et de l’aide perfide qu’il avait donnée à ses compagnons[23]. »
Nous n’avons aucune preuve écrite que des actes de cruauté, autres que ceux qui furent rendus nécessaires par la nature même de l’opération, aient été commis par les soldats ; mais, lorsque l’on se souvient des instructions données par Lawrence, « to distress them as much as can be[24] », et que l’on tient compte de la haine que l’on portait à tout ce qui était français et catholique, et du fait que les soldats avaient à peu près toute liberté d’agir selon leurs inclinations, l’expérience de l’histoire est là pour nous démontrer qu’il a dû se passer des scènes beaucoup plus révoltantes que celles qui ont trouvé place dans le Journal de Winslow. Ce dut être pour mettre un terme à des excès de cette nature que ce dernier ordonna aux soldats et matelots, sous peine de châtiments sévères, de ne plus s’absenter sans permission de leurs quartiers, « car il importe de mettre un terme à des actes qui ajoutent à la détresse de cette population[25] ».
Haliburton a supposé que les premiers vaisseaux qui reçurent, le 10 septembre, leur chargement de jeunes gens et d’hommes mariés, firent voile tout de suite[26]. Mais, par manque d’approvisionnements, et peut-être aussi parce qu’il fut jugé plus prudent de les faire convoyer, ces bateaux ne partirent qu’à la fin d’octobre, avec le gros de la flotte. Parkman, avec raison, a relevé cette erreur, qui faisait que l’on pouvait donner comme intentionnelle la dislocation des familles[27]. Nous avons bien des motifs de croire que ces bateaux furent expédiés avec leurs chargements tels que composés le 10 septembre. Nous en donnerons plus loin des preuves tirées de notre famille même, et qui semblent
établir ce fait d’une manière péremptoire. Cependant, nous tenons à corriger l’erreur d’Haliburton sur ce point, et à laisser le lecteur dans son doute, si nos affirmations, basées sur notre tradition familiale, n’ont pas pour effet de le dissiper entièrement. L’odieux abonde assez dans tout ce drame pour que nous n’ayons rien à ajouter à la réalité des faits. Dans les Instructions à Winslow concernant la destination des Acadiens du district des Mines ; il est dit : « Pour la Caroline du Nord, un nombre suffisant (de vaisseaux) pour transporter à peu près 500 personnes. « Pour la Virginie, un nombre suffisant pour transporter à peu près 1,000 personnes.
« Pour le Maryland, un nombre suffisant pour transporter à peu près 500 personnes, ou un nombre proportionnel de vaisseaux si le nombre des expulsés devait excéder 2,000[28]. »
Or, le nombre total des déportés, pour Pigiguit et Grand-Pré, excéda 3, 000 et peut-être 3, 500. D’autres navires suivirent les premiers, et leur chargement s’effectua au fur et à mesure de leur arrivée, au milieu des mêmes scènes de désolation et de désespoir. Puis, le 29 octobre, la flotte appareilla[29].
« Toute cette vaste baie, dit Casgrain[30], où travaillait, comme un essaim d’abeilles, un peuple industrieux, était maintenant déserte. Dans les villages silencieux, où les portes et les fenêtres des maisons battaient au vent, on n’entendait plus que les pas des soldats et les mugissements des troupeaux qui erraient inquiets autour des étables pour chercher leurs maîtres[31].
« D’après les ordres qu’il (Winslow) avait reçus du gouverneur Lawrence, toutes les constructions devaient être détruites, afin que les habitants échappés aux poursuites, privés d’asile, fussent forcés de se rendre. Les derniers navires qui emportaient les exilés n’avaient pas encore franchi l’entrée du bassin des Mines, quand ces infortunés qui jetaient un regard d’adieu sur leur cher pays, aperçurent des nuages de fumée qui montaient du toit des maisons. En quelques instants, toute la côte, depuis Gaspareaux jusqu’à Grand-Pré, fut en flamme[32]. »
C’était bien l’adieu suprême, l’anéantissement des dernières espérances[33].
Les convoyeurs étaient : le Nightingale, capitaine Diggs ; le senau Halifax, capitaine Taggert ; la goëlette armée Warren, capitaine Adams[34], avec les bateaux transports suivants :
De | Capitaine | Tonnes | Hommes | Nombre ajouté | |
Pigiguit | Corvette Ranger | Piercey | 91 | 182 | 81 |
" Dolphin | Farnam | 87 | 174 | 56 | |
Goëlette Neptune | Davis | 90 | 180 | 27 | |
" Three Friends | Carlile | 69 | 138 | 18 | |
674,182—856 | |||||
Grand- Pré et Rivière- Canard |
Corvette Sunflower | Donnell | 81 | 180 | |
" Hannah | Adams | 70 | 140 | ||
Goélette Léopard | Church | 87 | 174 | ||
Corvette ———— | Milbury | 93 | 186 | ||
" Mully & Sarah | Haslum | 70 | 140 | ||
" Mary | Denny | 90½ | 181 | ||
" Prosperous | Bragdon | 75 | 150 | ||
" Endeavour | Stone | 83 | 166 | ||
" Industry | Goodwin | 86 | 172 | ||
" ———— | Puddington | 80 | 160 | 1,649—2,505 |
Ce tableau, ainsi que tant d’autres rapports, avait disparu des archives au temps où écrivait le Dr. Brown. Il lui fut fourni par Richard Bulkeley, qui avait été secrétaire du conseil au temps de Lawrence, et qui vivait encore à cette époque (1790)[36] ; Il (Bulkeley) ajoute au bas de ce tableau : « N. B. J’ai commis une sottise en perdant la liste principale de ceux qui se sont embarqués, mais le nombre de personnes qui ont pris place à bord des transports était de 2, 921. Combien se sont embarqués dans la suite, je ne le sais pas. Le reste des neutres demeura sur place jusqu’à l’arrivée d’autres transports. »
Nous sommes parvenu, par nos recherches, à rectifier la liste fournie par Bulkeley, quant aux vaisseaux partis de Pigiquit. L’augmentation est de 182 pour ce dernier endroit. Les chiffres ajoutés dans la colonne de droite du tableau ci-haut sont de nous. Il faudrait ajouter 416 à ceux de Grand-Pré pour atteindre le chiffre donné par Bulkeley. D’autre part, comme l’on sait, par le Journal de Winslow, que le nombre total des déportés de Pigiquit fut de 1,110, et qu’il en restait encore au delà de 600, à Grand-Pré, après ce départ, il faudrait admettre que le nombre total des déportés du Bassin des Mines fût de près de 4,000, au lieu de 2923, qui est l’évaluation invariablement donnée par les historiens.
D’un autre côté, le Journal de Winslow, à la date du 3 novembre, quatre jours après le départ de la flotte, porte le nombre des déportés de Grand-Pré à 1510, répartis en neuf bateaux. Or, l’état ci-haut mentionne dix bateaux au lieu de neuf. En outre, Winslow ajoute : « Bien que nous ayons chargé les navires à raison de plus de deux personnes par tonneau, et que les déportés soient sérieusement entassés, il me reste cependant sur les bras un total de six cents âmes. » Si ce chiffre de 1510 est exact, alors il n’y aurait pas eu tout à fait deux personnes par tonneau[37].
Il est difficile de concilier de telles divergences ; néanmoins, comme nous savons, par un mémoire de l’abbé de l’Isle-Dieu, que la population du Bassin des Mines était, en 1753, d’environ 3,500, il est, selon nous, plus vraisemblable d’admettre que le chiffre global des déportés de ces endroits doit osciller entre 3,600 et 4,000, et qu’il est probablement plus près de ce dernier terme que de l’autre[38]. Le reste représenterait ceux qui quittèrent le pays sous l’administration de Lawrence ainsi que ceux qui échappèrent à la déportation.
Murray, d’après le Journal de Winslow, aurait terminé sa tâche dès la fin d’octobre, « s’étant débarrassé de la population de son district qui s’élevait à 1110 personnes », lesquelles s’étaient embarquées sur quatre vaisseaux[39]. Ceci s’accorde mal avec le tableau dressé par Bulkeley, lequel porte le nombre contenu dans ces quatre vaisseaux à 674, — 856 avec nos corrections. Il restait donc encore 426 personnes pour atteindre le chiffre de 1110, Il ne serait pas étonnant qu’après le départ de ses quatre vaisseaux, Murray eût décidé de joindre ce qui lui restait de prisonniers à déporter à ceux de Grand-Pré[40]. Les deux endroits étaient rapprochés l’un de l’autre ; le départ d’un aussi grand nombre de personnes rendait inutile l’entretien de deux garnisons, et il devenait plus commode d’opérer d’un même endroit. Cette interprétation aurait du moins l’avantage d’expliquer d’une manière satisfaisante le fait que sa tâche se trouvait terminée, quand nous savons à n’en pas douter qu’il avait encore sur les bras au moins 244 prisonniers. Murray séchait de soif ; il brûlait du désir de rejoindre Winslow pour se distraire un peu.
Bien que les chiffres donnés par Bulkeley et Winslow diffèrent dans les détails, ils s’accordent cependant dans l’ensemble : les deux rapports fixent le total du premier départ respectivement à 2921 et 2923. Winslow déclare qu’il lui en restait à expédier au delà de 600 ; Bulkeley dit ne pas connaître le nombre de ceux qui furent embarqués ultérieurement. Il ne peut guère subsister de doute que sur un point : savoir, si les 600 dont Winslow parle comprenaient les 426 nécessaires pour compléter les 1110 prêtés à Murray. La tâche de Winslow ne s’acheva que le 20 décembre, alors que deux navires emmenaient tout ce qui restait de la population, soit 232 personnes[41]
Le chiffre des déportés d’Annapolis, qui est généralement évalué à 1654, nous paraît correspondre à ce que nous connaissons de la population totale et du nombre de ceux qui échappèrent à la proscription. À Cobequid (Truro,) la population avait pris l’alarme à temps et s’était réfugiée à l’Île St-Jean.
Nous avons vu qu’à Chipody, Petitcodiac, le major Frye n’avait pu qu’incendier les habitations et s’emparer de quelques femmes. La population qui tomba au pouvoir des autorités, dans le district de Beaubassin, se composait des habitants demeurant dans le voisinage immédiat de Beauséjour ; et Monckton en évalue vaguement le nombre à plus de 1,000 personnes. Or, il y en avait au moins 4,000 dans ce district.
Le nombre total des déportés, à cette époque, peut être évalué à 6,500 ou 7,000 tout au plus. Nous verrons plus loin que ce chiffre fût doublé, et que les déportations ne cessèrent qu’après la Paix de 1763.
Le nombre des bâtisses incendiées à Grand-Pré et à la rivière aux Canards, fût de 686, plus 11 moulins et 2 églises[42]. Les familles enlevées de ces deux paroisses sédaient 7,833 bêtes à cornes, 493 chevaux, 8690 moutons, et 4197 porcs[43].
Le chiffre total de têtes de bétail possédées par les Acadiens au temps de la Déportation a été évalué diversement par les historiens, ou plutôt bien peu ont pris la peine de s’en occuper. Raynal, qui ne peut servir de guide en cette matière, le porte à 200,000. Ce nombre est exagéré. Rameau, qui s’est livré à des études beaucoup plus approfondies que tout autre sur l’histoire intime des Acadiens, l’estime à 130,000 têtes, comprenant bêtes à cornes, chevaux, moutons, porcs. Quiconque se donnera la peine de suivre cet auteur dans les patientes recherches auxquelles il s’est livré pendant près de quarante ans, ne pourra s’empêcher de lui accorder, sur ces questions de statistiques, une autorité considérable. Laissant de côté les quelques milliers d’Acadiens qui demeuraient alors à l’Île St-Jean, il nous reste, tant dans la péninsule que dans le district de Beaubassin, une population d’environ 13,000 âmes. Si, pour évaluer le nombre de têtes de bétail, nous prenons pour base ce chiffre de population ; si, d’un autre côté, nous acceptons le chiffre donné par Winslow, tant pour la population de Grand-Pré, que pour le bétail qu’elle possédait, savoir :
Population | 2,300 | âmes |
Bêtes à cornes | 7,833 | |
Moutons | 8,690 | |
Porcs | 4,197 | |
Chevaux | 493 | |
Total. | 21,213 |
Nous en arrivons, pour la population acadienne résidant en territoire anglais au temps de la déportation, aux chiffres suivants :
Population | 13,000 | âmes |
Bêtes à cornes | 43,500 | |
Moutons | 48,500 | |
Porcs | 23,500 | |
Chevaux | 2,800 | |
Total. | 118,300 |
- ↑ Dans le MS. original, — fol. 623 —, il y a, au-dessus du sommaire de ce chapitre, la note suivante, écrite au crayon : « Kindly send me the headings to revise or get them revised by a good english scholar. » — Cette note est évidemment de la main du R. P. L. Drummond, S. J., qui a fait la traduction anglaise d’Acadie.
- ↑ Ce commencement de chapitre est ex abrupto. Dans l’édition anglaise (II, p. 109.) une phrase a été introduite pour faire la transition entre le chapitre précédent et celui-ci. Mais dans le MS. original, — fol. 623 — l’on entre en matière sans plus d’avertissement. Voici la liaison mise dans la traduction : « I now go back to Grand-Pré and other Acadian settlements to résume my narrative in connection with the proceedings to carry out the déportation. »
- ↑ Annapolis Royal, oct. 8, 1775.
« Sir,
… Your officer acquaints me that he mett at différant times above a dozen of the french of this river on the road going to Mines whome he did not stop saying he had no orders for that purpose, therefore I think it may be necessary that you make enquiery at your place after all straglers and to also keep a small party on the road to pick them up… »
John Handfied.… « Votre officier m’a appris qu’il a rencontré en différents temps plus d’une douzaine de français de cette rivière sur la route qui conduit aux Mines et qu’il ne les a pas arrêtés parce qu’il n’avait pas instruction d’en agir ainsi, je crois donc nécessaire que vous fassiez des recherches dans votre localité, afin de mettre la main sur tous les fugitifs qui pourraient s’y trouver, et vous devrez maintenir un détachement sur la route pour les arrêter… »
Le major Handfield au colonel Winslow.
Winslow’s Journal Col. of N. S. H. S. vol. III, p. 168. Arch. Can. Général. des fam. acad. etc. App. B. p. 87.
- ↑ Fort Cumberland, Octr. je 7, 1755.
« Sir,
« … After all that we have been able to do, we have not eleven hundred persons, (le texte de Richard exagère donc légèrement quand il porte le nombre à environ 1200,) so that I shall send you three transports from hence. Some nights ago eighty-six french men got away from Fort Lawrence, by making a hole under ground from the barrack through the south curtain above thirty feet. It is the worse as they are all people whose wives were not come in and of Chipoudy, Pitcoudiack and Memcramkook… »
« Après tous les efforts qui ont été faits nous n’avons pas onze cents personnes, de sorte que je vais vous envoyer trois transports d’ici. Il y a quelque temps, quatre-vingt six français se sont échappés pendant la nuit en s’ouvrant une issue sous le mur de la caserne, sur une longueur de trente pieds, dans la direction de la courtine du sud. Ce qui rend l’événement regrettable, c’est que ce sont des déserteurs dont les femmes ne sont pas encore arrêtées et qui venaient de Chipoudi, de Petcoudiak et de Memcramkook… »
Winslow’s Journal. Ibid. P. 177. Arch. Can. Ibid. P. 87.
- ↑ Cf. Rameau. Une colonie féodale etc., II. XIV, P. 169. Cf. Winslow’s Journal. Ibid. P. 99 : Monckton to Winslow : « Forte Cumberland. Septr. 4,
1755… Major Frye is returned from the rivers of Shipoudie, Memeramhook
(sic) et Pitcoudiak at the later of which places part of his detachment was
attacked. Lieut, March of ye 2nd Battalion killed, Ensu. Billings of jour Battalion
wounded and about 22 men kild and missing… »
Robt. Monckton.
Ibid. P. 100-1, Jedediah Preble to Winslow. Camp Cumberland, Septr. 5. 1755 : « It is with greif that I inform you that ou the 2nd inst. Major Frye being at Shipodia where he was ordered to burn the buildings and bring of the women and children the numbers of which was only twenty-three which he had sent on board and burnd 253 buildings and hand (sic) sent 50 men on shore to burn the mass house and some other buildings whieh was the last they had to do, when about 300 french and indians came suddenly on them kild Doctr. March, shot lieut. Billings throh the body and throh ye arm and kild or took 22 and wounded six more they retreated to ye dikes and majr. Frye landed with what men he could get on shore and made a sand but their number being superior to ours were forst to retreat… »
Ibid. P. 101. Thos. Speakman to Winslow, Camp Cumberland. Septr. 5, 1755, autre récit détaillé de cet incident.
- ↑ Hist. of N. S. I. IV. P. 181-2. — Après avoir relaté en détail cet incident peu avantageux pour les siens, dans sa lettre à Winslow, (supra cit.), Speakman, que cette dure expérience a rendu craintif, ajoute : « The people here are much concerned for fear your party should met with the same fate (being in the heart of a numerous devilish crew) which I pray God avert. » — Mais nos lecteurs savent de quel côté se trouvait la bande de diables. En toute cette affaire de la déportation, les anglais se sont comportés comme des démons ivres. Et il faut être hypocrite et menteur en vrai diable pour renverser les rôles et ne pas admirer la beauté du geste des pauvres Acadiens, traqués comme des bêtes dans les bois, qui assistent sans murmurer à la ruine de leurs demeures et de leurs biens, et qui ne se portent à des représailles parfaitement légitimes que lorsqu’ils voient leurs ennemis s’en prendre à leur petite chapelle et la réduire en cendres.
- ↑ Nous donnons ce document in-extenso dans nos appendices. Ce que nous en citons ici est textuel, tandis que dans le MS. original — fols. 625-26, Richard, comme d’ordinaire, ne donne que la substance.
- ↑ C’est nous qui soulignons cette belle sentence.
- ↑ Journal de Winslow. Coll. of N. S. H. S. III, 97.
- ↑ Au lieu de 2 ou 3 lignes d’analyse qu’il y a dans le MS. original — fol. 627 — nous donnons tout ce passage si typique. Winslow Journal. Ibid. P. 95-96.
- ↑ Richard doit vouloir parler ici uniquement de « ceux qui étaient restés en arrière » et qui finalement « se constituèrent prisonniers ». Car, pour les autres, le nombre dépassait de beaucoup cinq cents. Le premier coup de filet de Winslow à Grand-Pré, lui rapporta « 418 of their best men », ainsi qu’il dit dans son Journal (Ibid. p. 94.) et nous venons de voir que Murray se vantait, le 5 septembre, d’avoir déjà capturé « 183 hommes ».
- ↑ Winslow’s Journal. Ibid. P. 112. — « No 2. Is a Pétition to John Winslow,
Esqr. Lieut. Colo of His Majestys Troops commanding at Grand-Pré. »
Le etc. qu’il y a à la fin indique que la requête n’est pas reproduite en entier. Nous pouvons supposer que Winslow en a donné l’essentiel.
- ↑ 1° Richard aurait pu ouvrir ses guillemets un peu plus haut, car le chapitre cinquième du Pèlerinage au Pays d’Évangéline lui fournit de la matière
depuis quelques pages déjà. 2° Dans notre tome ii, ch. xxix p. 400, en note,
nous avons relevé l’observation d’un critique au sujet de l’aveu que fait ici
l’auteur d’Acadie, à savoir « qu’il n’a pas sous les yeux le Journal de Winslow ». Nous avons ajouté que l’objection n’a plus sa raison d’être, étant donné que nous possédons le texte imprimé de ce fameux Journal, et qu’au besoin nous allons consulter l’original conservé aux archives de la Massachusetts Historical Society. Aussi tout en laissant Richard emprunter à Casgrain le récit de l’embarquement, nous reproduisons ci-après le compte-rendu même de Winslow (Journal Ibid. P. 108-9-10. Arch. Can., loc. cit. P. 78-9.) :
« 10 septembre. — J’ai remarqué ce matin parmi les Français une agitation inaccoutumée qui me cause de l’inquiétude. J’ai réuni mes officiers auxquels j’ai fait part de ce que j’avais remarqué et après avoir examiné la situation, il fut décidé à l’unanimité de séparer les prisonniers. Afin de protéger le service de Sa Majesté et de mettre tout le monde à l’abri du danger, nous convînmes de faire monter cinquante prisonniers sur chacun des cinq vaisseaux arrivés de Boston et de commencer par les jeunes gens. Le capitaine Adams du Warren, vaisseau de guerre au service de Sa Majesté, fut chargé de prendre les transports sous son commandement et une fois les prisonniers rendus à bord, de donner aux capitaines des vaisseaux les ordres nécessaires pour la protection du service de Sa Majesté. Il fut décidé de confier la garde de chaque vaisseau à six sous-officiers ou soldats. Ensuite le capitaine Adams et les capitaines des vaisseaux reçurent ordre de tout préparer pour l’embarquement des captifs. Je fis venir le père Landry (François Landry, né en 1692, fils d’Antoine Landry et de Mario Thibodeau, épousa à la Grand-Prée le 27 mai 1711, Marie Joseph Doucet et eut une famille nombreuse. Ils furent déportés à la baie du Massachusetts en 1755, et revinrent à St-Jacques L’Achigan à l’automne de 1766, où le père mourut et fut enterré à L’Assomption le 21 avril 1767,) leur meilleur interprète et celui d’entre eux qui parlait le mieux l’anglais. Je lui dis que nous allions commencer l’embarquement d’une partie des habitants, que nous avions décidé d’en embarquer 250 le jour même et que nous commencerions par les jeunes gens. Je le chargeai d’avertir ses compagnons de cette décision qui l’a beaucoup surpris. Je lui dis qu’il fallait que la chose se fasse, que je donnerais ordre de mettre tous les prisonniers en lignes de six hommes de front, avec les jeunes gens à gauche, et que la marée ne me permettait pas de leur accorder plus d’une heure pour se préparer. Toute la garnison fut appelée sous les armes et placée derrière le presbytère entre l’église et les deux portes de l’enceinte palissadée. Selon mes ordres tous les habitants français furent rassemblés, les jeunes gens placés à gauche. Ensuite j’ordonnai au capitaine Adams, aidé d’un lieutenant et de 80 sous-officiers et soldats, de faire sortir des rangs, 141 jeunes gens et de les escorter jusqu’aux transports. J’ordonnai aux prisonniers de marcher. Tous répondirent qu’ils ne partiraient pas sans leurs pères. Je leur répondis que c’était une parole que je ne comprenais pas, car l’ordre du roi était pour moi absolu et devait être exécuté impérieusement ; que je n’aimais pas les mesures de rigueur et que le temps n’admettait pas de pourparlers ou de délais. J’ordonnai à toutes les troupes de mettre la baïonnette ru canon et de s’avancer sur les Français. Je commandai moi-même aux quatre rangées de droite des prisonniers, composées de vingt-quatre hommes, de se séparer du reste ; je saisis l’un d’entre eux qui empêchait les autres d’avancer et je lui ordonnai de marcher. Il obéit et les autres le suivirent, mais lentement. Ils s’avançaient en priant, en chantant et en se lamentant, et sur tout le parcours (un mille et demi) les femmes et les enfants à genoux priaient et faisaient entendre de grandes lamentations. (Dans le texte original de Winslow, aux archives de la Mass. Hist. Soc, les mots great lamentations ont été soulignés et vis-à-vis ont été mis à la marge ces deux mots : no wonder !)
J’ordonnai ensuite à ceux qui restaient, de choisir parmi eux cent-neuf hommes mariés qui devaient être embarqués après les jeunes gens. La glace était rompue et le nombre indiqué fut rassemblé sous la surveillance du capitaine Adams. J’ordonnai ensuite au capitaine Osgood aidé d’un subalterne et de 80 sous-officiers et soldats, de les escorter, mais lors de l’embarquement le capitaine Osgood constata qu’il n’y en avait que 89 au lieu de 109. De sorte que le nombre de prisonniers mis à bord ce jour-là était de 230. Ainsi se termina cette pénible tâche qui donna lieu à une scène navrante. Le capitaine Adams donna ordre aux transports de descendre la rivière Gaspareau et de jeter l’ancre à l’embouchure de cette rivière et de la rivière Piziquid. Je fis alors connaître à la population française qu’il était loisible aux familles et aux amis des prisonniers de fournir les vivres dont ceux-ci avaient besoin à bord des transports ou de me laisser le soin de les nourrir aux frais du roi. Comme ils décidèrent de fournir la subsistance aux prisonniers, je donnai ordre à tous les bateaux de profiter des marées de chaque jour pour venir chercher les vivres qu’apporteraient les femmes et les enfants pour les prisonniers à bord des navires, et d’envoyer un prisonnier sur chaque bateau pour les recevoir et les distribuer ensuite à chaque personne à laquelle ils étaient destinés ; et en outre, de transporter sur les bateaux en aussi grand nombre que possible, les amis qui désiraient visiter les prisonniers sur les navires. »
J. Winslow. - ↑ Journal de Winslow. Ibid. P. 107-8.
- ↑ Grand-Pré. Sept. 11, 1755. Winslow to Murray… « Long to see Mr. Saul and the fleet. Am tyered with complaints… » — Journal. P. 111.
- ↑ Journal. Ibid. P. 156-7.
- ↑ Journal. P.170-171
- ↑ Invariablement est exagéré.
- ↑ Ces moqueries et ces profanations ne sont-elles pas pires que tout ? Il vaut mieux ne pas parler des choses saintes que d’en parler pour en rire. Les préoccupations « spirituelles » de Prebble étaient peut-être plus infâmes que le grossier matérialisme de Murray. Au fond, tous ces bourreaux peuvent être mis dans le même sac, comme étant ejusdem farinœ.
- ↑ Journal. Ibid. P. 164. — A. C. etc. P. 86.
6 octobre. — Suivant l’entente que j’ai eue avec mes capitaines, il a été décidé que les familles ne devaient pas être séparées, et que les habitants d’un même village devaient être placés sur le même navire autant que les circonstances le permettaient. Je leur donnai ordre de se tenir prêts à embarquer avec leurs effets etc. Malgré les dispositions que je venais de prendre à leur égard, je n’ai pu les convaincre que j’étais sérieux.
- ↑ Journal. P. 166.
- ↑ « If within — days the absent ones were not delivered up, military exécution would be immediately visited upon the next of kin. » — C’est ce que porte
le MS. original d’Acadie — fol. 636, — mais nous n’avons pu retrouver ce texte
dans le Journal de Winslow, et nous ne croyons pas qu’il soit de Winslow. Il
nous semble plutôt qu’il y a ici confusion chez Richard, confusion qu’il n’aurait
pas commise s’il avait eu sous les yeux le texte de ce journal. Selon nous,
voici ce dont il s’agit, et le passage de Haliburton, que Richard cite après ce
prétendu texte de Winslow, y fait précisément allusion :
Le 7 octobre, Winslow note dans son Journal :
7 octobre. — Il a plu considérablement aujourd’hui et nous n’avons pas commencé à embarquer la population comme nous l’avions décidé. Pendant la soirée, 24 jeunes gens ont déserté des vaisseaux du capitaine Church et du capitaine Stone, (la goëlette Léopard et le sloop Endeavour) bien qu’il y eût 8 hommes de garde sur chaque navire, à part l’équipage. Personne ne peut expliquer comment cette désertion a eu lieu.
Et le 8 octobre, après avoir dit que « environ 80 familles ont été mises à bord des transports des capitaines Church et Milburry » (ce dernier était capitaine du sloop Elizabeth ; — on voit que cette entrée de Winslow diffère sensiblement du récit de Richard, d’après lequel 4 bateaux ont reçu leur cargaison le même jour,) — Winslow continue :
« Je fis faire l’enquête la plus rigoureuse afin de savoir comment ces jeunes gens s’étaient évadés hier, et après avoir pris connaissance des faits, je
- ↑ Hist. of N. S. I. IV. P. 178. Il y a dans le Journal de Winslow (P. 171,)
une entrée qui semble bien relater le fait des deux fugitifs tués par des sentinelles, mentionné par Haliburton : « October 12th. Two of three transports bound
up Piziquid Saild. Our partys being reconnoitering the countrey fell in with
one of the french deserters, who endeavored to make his escape on horseback.
They hold him and fired over him, but he persisted in riding off when one of our
men shot him dead of his horse, and also meeting with a party of the same
people fired upon them, but they made their escape into the woods. »
« 12 octobre. — Deux des trois transports qui doivent se tendre à Piziquid sont partis pour cet endroit. Nos détachements qui font la patrouille dans les campagnes ont rencontré un des déserteurs français qui s’est efforcé de s’échapper à cheval. Ils le hélèrent et tirèrent au-dessus de lui, mais voyant qu’il continuait de galoper, l’un de nos hommes le renversa mort d’un coup de fusil. Ils rencontrèrent aussi un certain nombre de déserteurs auxquels ils tirèrent des coups de fusil, mais ceux-ci se sauvèrent dans les bois. — (A. C, loc. cit. P. 88.)
À la page 173, nouveau détail : « October 13. This evening came in and privately got on board the transportes the remains of twenty-two of the 24 deserters and off whome I took notice. The other accoordg the best accts from the french suffered yesterday with his comrade. » — J. W.
« 13 octobre. — Le reste des déserteurs, soit 22, est revenu hier soir et a été embarqué secrètement. Celui qui manquait a été tué hier avec son camarade, selon le rapport de ceux qui se sont livrés. » — (A. C. P. 89.)
- ↑ « Lawrence to Monckton. 8 aug. 1755 : As there may be a dcal of difficulty in securing them, you will, to prevent this as mueh as possible, destroy all the villages on the North and North West Side of the Isthmus,… and use every other method to distress, as much as can be, those who may attempt to conceal themselves in the woods… » N. S. D. (Akins) P. 270. « Vous devez faire tous les efforts possibles pour réduire à la famine ceux qui seraient tentés de s’enfuir dans les bois. » A. C. P. 65.
- ↑ Richard a beau dire, le Journal même de Winslow renferme la preuve
que des actes de cruauté, que la déportation ne rendait pas du tout nécessaires,
ont été commis à cette occasion. Était-il nécessaire, par exemple, de pousser
ces gens sur le rivage à coup de crosses de fusils et de baïonnettes ? Était-il
nécessaire de brûler sous leurs yeux leurs maisons et leurs effets et de semer
la plus complète dévastation là où auparavant régnait l’aisance ? Était-il nécessaire
de démembrer les familles ? Et quand l’auteur d’Acadie en appelle à
l’expérience de l’histoire pour conclure que des cruautés ont dû se passer, il
prend des détours inutiles pour laisser supposer des choses dont la réalité
crève les yeux. L’ordre dont il parle, et qui fut porté par Winslow, venait précisément
de ce que les soldats et matelots avaient commis contre la population
des actes de barbarie injustifiables à tous les points. Voici l’extrait de son
Journal d’où est tirée la citation que fait Richard :
« Camp at Grand Prée. October 13th 1755.
« Whereas complaint has been made to me by the french Inhabitants that they are greatly injured as well by seamen as people who come after their cattle, etc. These are therefore to direct that no seaman without the master of the vessels being with him, or an order in writing from the master shewing their business be allowed to pass higher than the Dutchman’s house nor on the other side of the River Gaspercau, nor any Englishmen nor Dutchman stir from their quarters without orders, that an end may be put to distressing this distressed people, and I have given directions to all marching partys and patrols to pick up all such people as disobey these orders, and bring them to camp that they may receive military punishment, and the masters of vessels severally are to notify their respective crews of this order. » — John Winslow (Journal. P. 171).
Que l’on juge si de telles sanctions ne supposaient pas de véritables crimes de droit commun commis par la soldatesque. Richard se montre bien difficile quand il prétend que « nous manquons de preuves écrites » établissant qu’il y a eu « des actes de cruauté » autres que ceux qui étaient inévitables à raison de la nature de l’opération. Les preuves du contraire abondent.
- ↑ L’erreur commise par Haliburton est plus considérable : il fixe le départ au 10 septembre. Voici ce qu’il dit : « The préparations having been all completed, the 10th of september was fixed upon on the day of departure. » (I. P. 179.) Dans les Arch. Can. (Gén. des fam. acad. avec documents.) Page IX, l’on lit ceci : « Par suite d’une erreur commise par Haliburton qui a déclaré que ces cinq transports partirent le 10 septembre, jour même de l’embarquement, plusieurs historiens anglais et français de mérite qui ont puisé leurs renseignements dans son ouvrage, ont commis la même inexactitude. Parkman a été le premier à la signaler dans son Acadian Tragedy. De fait, ces transports sont restés au bassin des Mines jusqu’au 27 octobre, alors qu’ils partirent avec le reste de la flotte composée de neuf autres transports, sans compter les 10 de Chibouctou qui partirent le 13 pour leur rendez-vous au dit bassin. »
- ↑ « Haliburton, who knew Winslow’s Journal only by imperfect extracts, erroneously states that the men put on board the vessels were sent away immediately. They remained at Grand-Pré several weeks, and were then sent off at intervals with their families. » — (Montcalm and Wolfe. I. ch. VII. P, 288, note.)
- ↑ Winslow’s Journal. Ibid. P. 79. — N. S. B. Akins. P. 292. — Arch. Can. etc. P. 70.
- ↑ Nous prévenons nos lecteurs qu’aucun historien d’Acadie n’est arrivé à la vérité absolue concernant le nombre exact des déportés. Les statistiques apportées de part et d’autre ne nous permettent d’aboutir qu’à des conclusions conjecturales et approximatives. Le document le plus sûr en l’espèce, et même le seul que nous ayons, à proprement parler, est le Journal de Winslow. Mais quelle imprécision dans ses relevés ! L’on ne saura probablement jamais combien de personnes exactement furent embarquées pour l’exil, combien se sauvèrent à travers les bois, combien se réfugièrent à l’île St-Jean, etc. — Toutefois, étant données les précautions militaires prises pour englober toute la population acadienne dans la déportation, il nous semble que le plus grand nombre a dû être embarqué violemment. Lawrence, dans une lettre à Robinson du 30 nov. 1755 (N. S. D. P. 285) dit ceci : The securing and embarlcing such a prodigious number of French inhabitants… — Le sort de ceux qui échappèrent à l’embarquement pour se sauver dans les bois fut peut-être encore pire, si possible, que celui des déportés : beaucoup y moururent de misère. Ce qui est certain, c’est que les anglais ont laissé derrière eux la dévastation, qu’ils ont fait de leur mieux pour se saisir de tout le monde, que ceux qui leur ont échappé n’ont pas été moins malheureux que les exilés mêmes, et que la meilleure solution à donner à ce problème : combien y a-t-il eu de déportés ? est de s’en tenir au dernier recensement d’Acadie et de comparer ce chiffre de 17 ou 18,000 habitants français avec l’état de la province après huit ans de chasse à l’homme.
- ↑ Pèlerinage etc. P. 141 — Richard a encore eu ici une distraction ; car, ni dans le MS. original — fol. 638 — ni dans l’édit anglaise (II, 120) il n’y a aucun signe pour annoncer qu’il fait un nouvel emprunt à cet auteur.
- ↑ Haliburton a été le premier à peindre ces scènes de désolation, et il l’a
fait en traits profonds et émus. Ferland (II. XXXV, page 520,) a une très-belle
page sur le même sujet, et qui n’est que la traduction de celle de Haliburton.
(Cf. ce dernier. I. P. 180-1.) Pourquoi donc Ferland n’a-t-il pas eu la
simplicité de le dire ? Et Casgrain ici s’inspire du même, sans le dire non plus.
À preuve, cette phrase de Haliburton : « … For several successive evenings
the cattle assembled round the smouldering ruins, as if in anxious expectation
of the return of their master… » — Casgrain a laissé de côté le reste de la
phrase, qui est très beau, et que Ferland, lui, avait utilisé et d’où il avait tiré
un effet touchant : « … while all night long the faithful watch dogs of the
Neutrals howled over the scene of desolation, and mourned alike the hand that
had fed, and the house that had sheltered them, » — « pendant les longues nuits
les chiens de garde hurlaient sur ces scènes de désolation : leurs voix plaintives semblaient rappeler leurs anciens protecteurs et les toits sous lesquels ils
avaient coutume de s’abriter. »
Cela fait donc trois auteurs que nous prenons en flagrant délit de plagiat plus ou moins inconscient : Ferland, Casgrain, Richard. Le plagiat a fait un mal extrême à notre littérature canadienne. Que l’on se souvienne des luttes de Chapman avec Fréchette et avec Routhier à ce propos, et de tout ce que l’honnête et intègre Tardivel a écrit là-dessus.
- ↑ Le MS. original d’Acadie — fol. 638 — change légèrement le texte de Casgrain et porte « depuis le Cap Blomédon jusqu’à Gaspereau ».
- ↑ L’édition anglaise (II, 120) porte ici un renvoi au bas de la page qui
ne se trouve pas dans le MS. original. Nous le traduisons : « Rosalie Bourc
(Bourg,) mon arrière grand-mère, femme de Jean Le Prince et mère de Mgr
Jean-Charles (Le) Prince, évêque de St-Hyacinthe, P. Q., était alors âgée de
cinq ans. L’impression que lui fit l’incendie des habitations, alors que la flotte
sortait du Bassin, demeura toujours vivace dans son esprit. Elle mourut en
1846 à l’âge de quatre-vingt seize ans. Je possède son portrait à l’huile. »
Ce portrait, non pas à l’huile, mais au pastel, de mon arrière grand-mère est
maintenant chez M. Octave Bourbeau, de Victoriaville, P. Q. — Madame Bourbeau
— née Alphonsine Richard — a hérité de tout ce qu’a laissé son frère
Édouard, auteur d’Acadie.
D’autre part, Ferland (II. XXXV, 520), au bas de la page, met la note suivante : « Le père de feu Mgr (Le) Prince, évêque de Saint-Hyacinthe, encore enfant, se trouva séparé de ses parents, et jeté au sein d’une famille à Boston. Il ne retrouva ses parents qu’après plusieurs années de recherches. »
Même chose chez Casgrain, Pèlerinage (ch. IX. P. 202,) dans le texte.
- ↑ « To capt. Thomas Church. commander of the Schooner Leopard.
« Sir.
« … For your greater security you are to waite on Dudley Diggs Esqr. commander of his Majestys Ship Nightengill (sic) and desier the benefit of his convoye. Wish you a successful voyage. »
« Given at Grand-Pré etc., this 13th day of october 1755. John Winslow. » (Journal P. 172.)
« Grand-Pré Camp. Oct. 11, 1755.
« Sir,
You are directed to remove the Sloop Three Frinds of whome you are master and fall along side of His Majesty’s Snow Halifax, capt. Taggert commander… »
John Winslow.« To capt. James Carlile commander of the Sloop Three Frinds. » (Journal. P. 168-9.)
« Grand-Pré Camp. N. S. Oct. 20th 1755. Winslow to William Shirley… Capt. Adams of the Schooner Warren arrived here from Chegnecto the 10th inst… » — {Journal. P. 175.)
- ↑ Ce tableau est tiré des Doc. inéd. sur l’Acadie (C. F. I. P. 141,) et se trouvait parmi les Brown’s MS. Quelle valeur a-t-il ? — Nous donnons ci-après un tableau d’après le journal de Winslow, relatif au premier embarquement :
« October 23, 1755.
« Gentlemen,Since the foregoing Capt. Murray has come from Pizquid with upwards of 1000 people in four vessels — Taken up coll. Dunniels sloop, who I have supplied with 8½ tun of water cask some of which I bought and some my own and hope you wont forget to charge the government the same, as if bought in Boston in that sloops account, and crédit may account with the money he has. I am now able to give you an account of our embarkation having filled what transports I have and are as follows :
Vessels names Masters Numbers Where bound Hannah Adams 140 Pensylvania Swan Hazlum 168 " Sally and Molly Purrington 154 Virginia Total 364 Mary Dunning 182 Total 831 Prosperous Bradgton 152 Maryland Encheere Stone 166 " Industry Goodwin 177 Total 364 Leopard Church 178
Milbury 186 1498
1598 and have 500 left for want of transports Capt. Murray has shipt from Pizquid his whole and are upwards of 1000. W.’sh you every happiness etc.</>
J. Winslow.To Messrs Apthorp and Hancock. » — (Journal. P. 178.)
- ↑ Dans les Doc. in. sur l’Acadie (C. F. 140) il y a une note au bas de la page qui porte ce qui suit : « Mr. Bulkeley can furnish you with an exact list of all the transports who carried these people away and the number of neutrals as the returns was made to him. — (Note du manuscrit du Dr. Brown.)
- ↑ Le texte de Winslow que cite ici Richard se trouve dans une lettre à Lawrence, en date du 27 octobre : … altho I put in more than two to a tun and the people greatly crowded, yet remains upon my hands… upwards of six hundred soûls… » Journal. P. 179. Le 3 novembre, dans une lettre à Monckton, datée de Grand-Pré :… « after giveing my orders hEre proceeded to that place (pointe à Boudrot) and filled up all the transports and even more than two to a tun, which amounted to 1510 persons, after which I have left upon my hands 600 people… » (Ibid. P. 183.)
- ↑ La France aux Colonies (ch. V, note 10, p. 143,) signale un « mémoire fort curieux sur l’état des Acadiens en 1754, dressé par l’abbé de l’Isle-Dieu, et déposé aux archives ». — La note 11 de ce même chapitre (p. 144) est extrêmement importante, en ce que le savant auteur essaie d’y déterminer le nombre des déportés. Dans les appendices de Une colonie féodale… IVe série, XII. P. 385, Rameau donne un court extrait de ce mémoire.
- ↑ Richard, dans le MS. original — fol. 641, — met ceci : « ayant expédié 1110 personnes in four frightfully crowded transports. » — Ces derniers mots ne se trouvent pas tels quels dans le Journal de Winslow. Voici ce qu’on y lit à propos de Murray :
« October 23, 1755.
« Since the foregoing Capt. Murray has come from Pizquid with upwards of 1000 people in four vessels… » « … Capt. Murray has shipt from Pizquid his whole and are upwards of 1000… » (P. 178).
« To Messrs. Apthorp and Hancock. »
Grand Pré Camp, Nov. 3, 1755.… Major Murray has got rid of his whole amounting to upwards 1110. « To Col. Monckton. » (P. 183.)
- ↑ Cette interprétation est opposée au sens obvie des paroles de Winslow que nous venons de citer. D’autre part, dans une lettre de Winslow au gouv. Shirley, en date du 19 décembre 1755, il y a ceci qui semble donner raison à la conclusion de Richard : « … I also informed you (dans ma lettre du 20 octobre) that we filled up all the transports we had with the French Inhabitants, to the amount of 1510 persons, and left after on our hands with others coming from Pizquid 650… » (Journal. P. 190.)
- ↑ Notons pourtant que Winslow laissa à des subalternes le soin de terminer
sa macabre besogne. Nous voyons, en effet, par son Journal (P. 185-6,) que, le 29 novembre, il écrivait d’Halifax « To the officer commanding at Menis : Am confident you will make no delay in putting a finishing stroke to the removal of our Friends the French. Je suis sûr que vous ne tarderez pas à mettre la dernière main à la déportation de nos amis les Français. » (Nos lecteurs remarqueront comme Winslow est délicat et comme il a l’ironie fine : our Friends the French ! ! Maudite brute, va !) — Cet officier commandant aux Mines était Phins Osgood. Celui-ci écrivait à Winslow, des Mines, le 18 décembre :
« Sir, I have the pleasure to acquaint you I have shipt off the French Inhabitants which you left here, on Board the sloop Dove, Saml Forbes Master, 114 for Connecticut, and on board the Brigantine Swallow, Willm Hayes Master, 236 for Boston. And have two vessels here preparing to receive the remainder. Which I hope I shall get ready to sail to-morrow… » (Journal. P. 118.)
Le 20 décembre, autre lettre du même au même, datée de Grand-Pré : « This serves to inform you that the French which you left under my care are all removed. The last of them sailed this afternoon, in two Schooners, viz : The Race Horse, John Banks Master, with 120 persons, — Ranger Nathan, Monrow Master, with 112 persons. Banks for Boston. Monrow for Virginia… » (Journal. P. 192.)
Faisons une petite addition : 18 décembre 114 le 20 décembre : 120 236 112
350 232 582 - ↑ Nombre de constructions, etc., brûlées par le lieutenant colonel Winslow dans les districts des Mines, etc.
1755. Maisons Granges Dépen-
dance2 novembre. Gaspareau 49 39 19 5 "Aux rivières Canards, Habitants, Perro, etc. 76 81 33 6 "À Canard et Habitants 85 100 75 7 "" " 45 56 28
255 276 155
Moulins détruits de temps en temps aux endroits Granges 276 ci-dessus 11. Maisons 255 Déportés par le colonel Winslow 1,510 Moulins 11 " " Osgood 732 Église 1
2,242 Total. 698 (Journal. P. 185. A. C. P. 93.)
L’on remarque que Winslow met 1 église et Richard 2.
- ↑ Ces chiffres sont tirés du tableau statistique qui se trouve p. 114-122 du Journal de Winslow, et dressé le 15 septembre 1755. Voici le détail : « Bullocks : 1269 ; Cowes : 1557 ; Young cattle : 2181 ; Sheep : 8690 : Hogs : 4197 ; Horses : 493. »
constatai qu’un nommé François Hébert qui se trouvait à bord du navire et y embarquait ce jour-là ses effets, en avait été l’auteur ou l’instigateur. Je le fis venir à terre, et le conduisis devant sa propre maison, et là en sa présence je fis brûler sa maison et sa grange. Je donnai ensuite avis à tous les Français que si les fugitifs ne se rendaient pas dans l’intervalle de deux jours, tous les amis des déserteurs subiraient le même sort ; que de plus, je confisquerais tous leurs effets, et que si jamais ces déserteurs tombaient entre les mains des Anglais, il ne leur serait accordé aucun quartier, car tous les habitants français de ces districts s’étaient rendus responsables lorsque la permission fut accordée aux amis de transporter des provisions aux prisonniers à bord et de les visiter. »
Le 9 octobre, nouvelle entrée au sujet du même incident :
« 9 octobre. — J’ai fait descendre les hommes qui avaient été embarqués sur les trois premiers transports, afin de permettre à leurs familles de les rejoindre à l’arrivée des autres transports. Le père Landré (François Landry, époux de Marie-Joseph Doucet,) m’a fait des propositions au sujet du retour des déserteurs ; il croit qu’il serait possible de les faire revenir, mais à condition que je signe la promesse qu’ils ne seront pas punis. Je lui répondis que j’avais déjà donné ma parole d’honneur et que je ne fournirais pas d’autres garanties, quelqu’en puisse être le résultat. »
(Journal P. 1666-7. Arch. Can. (loc. cit. P, 87.)
Je crois que le texte que donne Richard sans plus de référence : « If within — days the absent ones wore not delivered, military exécution would be immediately visited upon the next of kin, » — est simplement la transposition de l’entrée que nous venons de citer sous la date du 8 octobre, et qui se lit comme suit dans l’original : « … gave notice to all the french that in case thèse men did not surrender themselves in two days, I should serve all their frinds in the same maner and not only so would confisticate their household goods and when ever those men should fall into the english hands they would not be admitted to quarter… »