Acadie/Tome III/26

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Texte établi par Henri d’Arles, J.-A. K.-Laflamme (Tome 3p. 489-496).

APPENDICE IX



MÉMOIRE SUR LES ACADIENS[1]


Les Français Acadiens connus aussi sous le nom de Français Neutres étaient établis sur la rivière d’Annapolis où ils formaient une peuplade d’environ 3,000 (sic) familles. Cédés aux Anglais par la Paix d’Utrecht, ils avaient conservé avec leurs églises et leurs prêtres le libre exercice de leur religion. Ils conservèrent aussi l’attachement le plus profond et le plus tenace pour la France et c’est de ce sentiment qu’ils sont aujourd’hui la victime. L’Angleterre les regarda comme des séditieux parce qu’ils ne voulurent jamais prêter le serment qu’on exigeait d’eux. La formule de ce serment attaquait leur religion et leur religion leur était garantie par le traité. Mais leurs juges étaient en même temps leur partie. Leur procès fut jugé sans être instruit et l’ordre fut donné de transporter les Acadiens dans les diverses colonies anglaises.

Quinze cents débarquèrent à la Virginie. Ils y furent regardés comme des prisonniers de guerre et on les envoya presque aussitôt en Europe dans les premiers transports qui firent voile. Arrivés en Angleterre et dispersés dans tous les ports de ce royaume, ils y périrent presque tous de misère et de chagrin. Trois cents abordèrent à Bristol où ils n’étaient point attendus, car on ne les attendait nulle part. Ils passèrent trois jours et trois nuits sur les quais de la ville exposés à toutes les injures de l’air. On les enferma à la fin dans quelques édifices ruinés où la petite vérole acheva de détruire tous ceux qui n’avaient pas succombé à la fatigue et au désespoir.

Douze cents autres de ces malheureux furent envoyés au Maryland. Ils y arrivèrent au mois de décembre et souffrirent durant trois semaines toutes les rigueurs du froid et de la faim. On les dispersa ensuite dans les campagnes, où les plus robustes servirent de journaliers et tous les vieillards et les infirmes vécurent d’aumône.

Un troisième détachement beaucoup plus considérable que les deux premiers, aborda à la Caroline. Les habitants de Charleston et des autres ports ne voulurent point recevoir les Acadiens. Ils leur donnèrent deux vieux vaisseaux, une petite quantité de mauvaises provisions et la permission d’aller où ils voudraient, embarqués dans ces vaisseaux qui faisaient eau de toutes parts, ils échouèrent bientôt sur les côtes de la Virginie, près d’Hampton, colonie Irlandaise. On les prit d’abord pour des ennemis qui venaient piller, ensuite pour des pirates, et enfin pour des hôtes dangereux dont il fallait se défaire. On les força d’acheter un vaisseau. Tout l’argent qu’ils purent rassembler entre eux se montait à 400 pièces de huit, et ce fut le prix qu’on leur demanda. Ce vaisseau valait encore moins que ceux qu’ils venaient de quitter et ils eurent toutes les difficultés du monde à se faire échouer une seconde fois à la côte du Maryland. Il serait injuste d’oublier de dire qu’un des magistrats de la Virginie, ayant appris la perfidie qu’on avait exercée contre ces malheureux, fit punir les habitants du village d’Hampton et qu’il envoya une chaloupe après les Acadiens pour les faire revenir et les instruire de l’état de leur vaisseau. Les débris de leur naufrage furent alors la seule ressource qu’ils eurent à espérer et ils passèrent deux mois sur une rive déserte à raccommoder leur vaisseau. Ils réussirent à la fin, après avoir remis en mer pour la troisième fois, ils eurent le bonheur d’aborder dans la Baie de Fundy. Le nom que nous donnons à cette Baie est celui de Baie Française où ils débarquèrent près de la rivière St-Jean, réduits à 900 de plus de 2, 000 qu’ils étaient à leur départ d’Acadie. Ce sont eux qui ayant dans la suite armé un corsaire se rendirent redoutables à tous les vaisseaux anglais qui naviguaient dans ces parages.

Le quatrième transport d’Acadiens que l’on avait destiné pour la Pennsylvanie eut moins à souffrir que ceux dont on vient de parler, une tempête ayant englouti leur bâtiment mit fin tout d’un coup aux misères qui les attendaient.

Parmi ceux qui ont été transportés en Angleterre, un grand nombre a succombé à la misère et aux maladies qu’elle entraîne. Ceux qui y ont échappé sont détenus dans les divers ports d’Angleterre et principalement à Liverpool. Ceux-ci ayant fait parvenir à M. le Duc de Nivernois une requête dans laquelle, après lui avoir rendu compte des persécutions que leur attachement pour la France ne cessait de leur attirer, ils réclamaient sa protection comme Français et comme malheureux, Son Excellence jugea à propos de leur dépêcher secrètement M. de la Rochette avec les instructions suivantes :

1o D’assurer les Acadiens que le roi était instruit de leur zèle inviolable pour sa personne ainsi que des malheurs auxquels ce zèle les avait réduits, et qu’à la Paix S. Mte les récompenserait comme de bons et fidèles sujets, en quelques parties de ses États qu’ils vinssent à s’établir.

2o De les assurer qu’ils pouvaient compter sur l’entière protection de Son Excellence mais que le moment n’étant pas encore venu de la rendre publique, la circonspection et le secret étaient indispensables.

3o De prendre tous les éclaircissements nécessaires tant à l’égard des Acadiens de Liverpool que de ceux qui pouvaient être dispersés dans les autres villes d’Angleterre.

M. de la Rochette partit le 26 Décembre 1762 et arriva à Liverpool le 31. Il se transporta au quartier des Acadiens, et après s’être fait connaître à ceux qui avaient envoyé la requête à M. le Duc de Nivernois en leur produisant cette même requête, il leur fit part de sa mission et des ordres qu’il avait reçus de Son Excellence. Quelques précautions qu’il eût prises pour les engager à modérer leur joie il ne put empêcher que les cris de « Vive le Roi », ne se fissent entendre dans leur quartier, au point même que quelques Anglais en furent scandalisés. Les larmes succédèrent à ces premières acclamations, et les hommes et les enfants disaient tous en pleurant d’allégresse : « Dieu bénisse notre bon Roi ! » Plusieurs semblaient entièrement hors d’eux-mêmes : ils battaient des mains, les levaient au ciel, se frappaient contre les murailles et ne cessaient de sangloter. Il serait impossible enfin, de décrire tous les transports auxquels ces honnêtes gens s’abandonnèrent. Ils passèrent la nuit à bénir le roi et son ambassadeur et à se féliciter du bonheur dont ils allaient jouir.

Lorsqu’ils furent revenus de ce premier excès de joie, M. de la Rochette obtint d’eux les éclaircissements suivants sur la situation actuelle.

Depuis sept ans on les a détenus dans la ville de Liverpool où ils ont été transportés de la Virginie. Quelques mois après leur arrivée on leur assigna un certain nombre de maisons dans un quartier séparé, en leur donnant la ville pour prison. On assigna pareillement une paie de six sols par jour à tous ceux qui avaient plus de sept ans et de trois sols aux enfants au-dessous de cet âge.

Ils arrivèrent à Liverpool au nombre de 336 et ils sont réduits aujourd’hui à 224. Pendant les sept années de leur détention on les a peu inquiétés, mais depuis que la paix est décidée on ne cesse de travailler à les séduire. Langton, commissaire anglais des prisonniers français, les fit paraître devant lui dans les premiers jours de décembre, et leur représenta que la France les ayant abandonnés depuis si longtemps, le roi d’Angleterre voulait bien les regarder comme ses sujets, et qu’il les renverrait en Acadie où on leur rendrait leurs terres et leurs troupeaux. Ils répondirent tous unanimement qu’ils étaient Français et que c’était au roi de France de décider de leur sort.

Le commissaire les traita de rebelles. Il les menaça de les faire renfermer et de réduire leur paie, mais comme rien ne les intimidait, il eut recours à un moyen qui, par l’attachement qu’ont les Acadiens pour leur religion, semblait infaillible.

Il séduisit un certain prêtre Écossais, directeur des Acadiens, en lui promettant la place de curé principal des villages catholiques d’Acadie.

Cet homme leur prêcha des sermons scandaleux, et 54, parmi lesquels sont presque tous les vieillards, (tous ceux-là ont écrit depuis à M. le Duc de Nivernois pour le supplier de les réclamer comme sujets du roi) se déterminèrent, d’après ces sermons, à repasser dans leur pays. On doit dire cependant, qu’ils n’ont voulu signer aucuns des écrits que le commissaire leur a fait présenter. Le reste, au nombre de 170 personnes, faisant 38 familles, était presqu’ébranlé et aurait suivi cet exemple sans le nommé Normand Du Plessis, pilote français né au Havre et rançon à Liverpool pour M. de la Touche, de la Martinique.

Du Plessis engagea les Acadiens à présenter une requête à M. le Duc de Nivernois avant de se laisser aller aux insinuations du commissaire et du prêtre. Ils s’y déterminèrent, mais comme le Commissaire ouvre toutes les lettres qu’ils écrivent ou qu’ils reçoivent, ils firent entre eux une contribution de quatre guinées pour envoyer un exprès à Londres. Cet exprès fut un Irlandais catholique marié à une Acadienne, sa femme a été privée de sa paie de 6 sols depuis son mariage, et qui demande pour sa récompense qu’on veuille bien lui permettre de suivre les Acadiens partout où il plaira au roi de les établir.

Les dits Acadiens détenus à Liverpool, ayant fait savoir à M. le Duc de Nivernois qu’il se trouvait encore près de 600 de leurs frères à Southampton, Pernyn et Bristol, Son Excellence donna ordre à M. de la Rochette de se rendre secrètement dans ces trois villes et d’y faire usage des instructions qu’il avait reçues pour Liverpool au mois de Décembre 1762.

M. de la Rochette arriva à Southampton le 18 janvier 1763. Comme il n’avait aucune marque à laquelle les Acadiens dussent le reconnaître et que d’ailleurs les artifices répétés des Anglais engageaient ce peuple à la plus grande défiance, il ne put les convaincre ni de la réalité de sa mission ni de celle de ses instructions. Il les quitta cependant satisfait de leur zèle pour le roi et persuadé que l’excès de ce même zèle était l’unique motif de leur défiance. Plus voisins de Londres, que leurs frères et placés dans une ville qui devient en été le rendez-vous d’une partie de la noblesse anglaise, les Acadiens de Southampton avaient essuyé des attaques plus fréquentes et plus dangereuses. Le Général Mordaunt, et même en dernier lieu le Duc d’York, n’avaient pas cru au dessous d’eux de les solliciter de renoncer à la France. D’ailleurs, dans le moment où M. de la Rochette leur fut envoyé, ils attendaient une réponse de la part des Commissaires anglais accoutumés à les tromper, et c’était pour eux une raison de défiance très légitime. Ils prirent le parti de dépêcher deux des leurs à M. le Duc de Nivernois pour s’assurer de la vérité, et il ne leur reste aujourd’hui aucun doute. Ces Acadiens se trouvent réduits à 219 de 340 qu’ils étaient à leur débarquement en Angleterre.

De Southampton, M. de la Rochette partit pour Penryn, où il se rendit le 25 janvier. Il y trouva 159 Acadiens dans la situation la plus déplorable. Depuis la fin de novembre le gouvernement a arrêté leur paie. Ceux qui n’ont appris aucun métier vivent d’emprunts ; les veuves et les orphelins demandent l’aumône, et ils doivent entre eux plus de 250 guinées dans le bourg. Cette paie est comme à Liverpool de 6 sols par jour pour chaque personne au dessus de sept ans et de 3 sols au dessous de cet âge. Les Acadiens de Penryn ne demeurent point dans un quartier séparé. Ils sont distribués dans diverses maisons bourgeoises, et d’ailleurs plusieurs de leurs jeunes gens en apprentissage chez des ouvriers anglais y ont contracté des inclinations peu françaises ; ainsi, il y a lieu de craindre que le secret exigé par M. de la Rochette n’ait pas été observé avec autant d’exactitude que dans les autres villes. Il faut dire aussi que plusieurs d’entre eux ajoutant peu de foi aux assurances qui leur étaient données, leur bonne volonté n’a pas été unanime.

M. de la Rochette arriva à Bristol le 31 janvier. Il y trouva les Acadiens au nombre de 184 personnes qui s’abandonnèrent entièrement à la protection du roi. Ils n’eurent aucune peine à prendre confiance en M. de la Rochette, parce qu’ils avaient vu les deux députés qui de Southampton s’étaient rendus auprès de M. le Duc de Nivernois.

Il y a une défiance générale qui prévaut plus ou moins chez tous les Acadiens et dont voici les principaux motifs.

1o Leurs frères qui furent transportés en France au commencement de la guerre, y restèrent plusieurs mois sans recevoir aucun secours. Ils craignent d’éprouver le même sort en arrivant dans le royaume.

2o Leurs prêtres actuels, qui sont Anglais ou Écossais, et que l’on a flattés de l’espérance de devenir leurs curés en Acadie, ne cessent de les exhorter à renoncer à la France qu’ils leur représentent comme un pays abandonné de Dieu.

3o Ils se flattent toujours de retourner en Acadie et d’y jouir du libre exercice de leur religion sous la protection du roi. Ceux mêmes qui sont en France, à Boulogne, St-Malo et Rochefort persistent dans cette opinion et l’ont même écrit aux Acadiens en Angleterre.

5o Ils craignent que le roi n’abandonne leurs frères dispersés dans les Colonies anglaises du continent septentrional de l’Amérique. Ceux-là forment le plus grand nombre, et ils sont plus de 10,000 qui meurent de faim.

De temps en temps il s’en sauve quelques-uns en Europe et deux familles de ces malheureux sont arrivées il y a quelques semaines de Boston à Bristol. Les Anglais, cependant, en transportent tous les jours et lorsque le Chlier de Ternay s’empara de Terre-Neuve ils en firent passer à la Nouvelle-Angleterre (où il y en a déjà un grand nombre), 700 qui se trouvaient encore à Chibouctou, Halifax ou aux environs.

Dans la supposition que le roi ne pourrait délivrer tous ces Acadiens dispersés, ni en les réclamant comme des sujets ni en les rachetant comme des captifs, il est certain que l’on peut toujours en faire revenir la plus grande partie, en faisant assurer secrètement à tous ceux qui s’échapperont, le traitement accordé aux Acadiens aujourd’hui en Europe.

À l’égard du traitement à leur accorder, voici une idée que je crois bonne, parce qu’elle me paraît concilier les intérêts de l’État avec ceux des Acadiens et ceux de l’équité. Avant de la proposer je vais en développer brièvement les motifs.

Il faut savoir que les Acadiens étaient tous laboureurs et pêcheurs, tous adonnés à un travail et à une industrie pénibles. Leurs terres exigeaient une culture assidue. Ils étaient occupés continuellement à élever ou réparer des digues pour empêcher la mer de les submerger, et dans les intervalles de relâche ils fabriquaient des toiles ou des draps ou allaient à la pêche. D’ailleurs, les Acadiens, dans un climat très rude, quoiqu’au 44° degré de latitude jouissaient d’un air très pur et connaissaient très peu de maladies. Leur expatriation en Europe en a fait périr plus de 600 de la petite variole seulement, dont ils n’avaient aucune idée dans leur pays. Si on les établissait dans nos îles méridionales, il est indubitable que l’on n’en conserverait pas la moitié. Ce ne sont pas d’ailleurs des colons pauvres qu’il faut à ces îles, les plantations de sucre, de café, d’indigo et de coton, demandent des gens aisés, et il n’y a pas un Acadien qui ne soit à la mendicité. La colonie de Cayenne est peut être le seul endroit où l’on pourrait les placer avec un certain avantage, mais la ressource des Acadiens placés dans cette colonie, serait uniquement dans les plantations de cacaotiers, celles de sucre, d’indigo &c. &c. leur étant interdites par leur pauvreté, et il faudrait bien des années avant que le commerce profitât avec eux ou par eux.

Ainsi le climat et la nature de la cultivation et de l’industrie dans nos colonies méridionales ne convenant pas aux Acadiens, et ces peuples ayant même à cet égard un préjugé de répugnance, il semble nécessaire de tourner ses idées d’un autre côté, et c’est ce qui m’a inspiré celles dont je vais rendre compte.

1o On parle depuis longtemps en France de l’utilité qu’il y aurait à opérer le défrichement des landes de Guyenne et de Gascogne, et personne ne doute que ce ne fut un grand avantage pour l’État ; or, les Acadiens pourraient servir à former un établissement si salutaire ; et, en les plaçant dans ses déserts, on tirerait un bon parti d’eux et de leur industrie. Le climat de la Guyenne est à la vérité fort différent de celui de l’Acadie, mais il est sain, et l’on peut croire que les nouveaux colons pourraient s’y habituer sans danger. Au reste, il faut avoir l’attention de placer les Acadiens dans des parties qui avoisinent la mer et d’y former quelque havre, parce qu’alors ils auront bientôt établi un cabotage qui leur produira une nouvelle ressource. Il est vrai que la côte de Guienne est aride, sablonneuse et sujette aux tempêtes, mais l’industrie et le labeur des Acadiens pourraient tout réparer et vaincre les plus grands obstacles.

2o La Province de Bretagne a éprouvé une dépopulation sensible par la quantité de soldats et de matelots qu’elle a fournis à l’État pendant cette guerre. Cette Province a des avantages dont le défaut de population l’empêche de profiter. Le sol y est bon, la côte abonde en poisson ; la pêche du hareng pourrait y devenir une branche de commerce considérable et utile à l’état, cependant il y a dans cette Province une quantité immense de terrain inculte. La pêche n’y fait point une branche de commerce et fournit à peine à la consommation du pays. L’établissement des Acadiens dans cette Province lui serait sans doute très utile, et les Acadiens y trouveraient peut-être plus d’avantage que dans toute autre Province. Les États pourraient concourir avec le gouvernement au prompt établissement de ces nouveaux colons, et la Société d’Agriculture qui y est établie pourrait leur fournir les moyens d’étendre leur industrie.

3o Il y aurait un établissement particulier à proposer pour les Acadiens prisonniers en Angleterre. Cet établissement, quoique moins susceptible d’extension que les deux autres, aurait cependant certains avantages. L’île de Bouin, sur la côte du Bas Poitou, n’est peuplée ni à proportion de sa grandeur, ni en raison de ses ressources. Si on y plaçait les Acadiens actuellement détenus en Angleterre, les parties incultes de cet île se défricheraient et la pêche qui se fait aux environs, acquèrerait une grande activité. On sait que cette pèche est celle de la sardine, objet d’autant plus important pour nous que c’est un des articles essentiels du commerce des Anglais qui exportent une quantité prodigieuse de ce poisson séché sur les côtes de Cornouailles.

De toutes les îles sur les côtes de France, le climat de celle de Bouin, est celui qui ressemble le plus à l’Acadie et qui par cette raison peut le mieux convenir aux Acadiens. D’ailleurs, ces malheureux prisonniers qui ont appris que l’île de Bouin appartenait au Duc de Nivernois, désirent avec passion de passer de préférence dans cette île dont il est seigneur, parce qu’ils le regardent comme le libérateur de leur captivité en Angleterre et qu’ils ne connaissent que lui. D’ailleurs, l’île de Bouin jouissant de temps immémorial de privilèges renouvelés successivement par tous nos rois, et en vertu desquels privilèges les dits insulaires ne sont soumis à aucune imposition ni corvée à la charge de se défendre eux-mêmes et d’entretenir les digues et canaux d’où dépend l’existence de l’île, les Acadiens s’y trouveraient plus heureux et y seraient par conséquent plus utiles. Il suffirait pour vivifier l’île de Bouin et la pêche qu’elle peut exploiter, d’y placer les Acadiens qui sortiront d’Angleterre. Peut-être même la totalité ne pourrait-elle pas être placée et le Duc de Nivernois prendra sur cela incessamment un éclaircissement positif, alors le surplus refluera en Bretagne où ils seraient fort bien pour eux et pour l’État.

Le Duc de Nivernois ne cachera pas ici qu’il serait fort flatté si Sa Mté avait la bonté de décider le sort du petit nombre des Acadiens qui sont en Angleterre en faveur de l’île de Bouin, attendu que ces malheureux sont d’une grande industrie et ont l’attachement le plus grand pour le roi et la France.

À l’égard de ceux qui sont déjà en France ou qui reviendront des Colonies anglaises, l’avis particulier du Duc de Nivernois serait aussi qu’on les mit plutôt en Bretagne qu’en Guyenne, à cause du climat et de la proximité de leurs frères qui seraient dans l’île de Bouin, laquelle n’est qu’à 8 lieues de Nantes.

Au surplus, quelque part qu’on place les restes de ce malheureux et respectable peuple, il sera nécessaire par politique ainsi que par équité, d’encourager leur zèle et leur industrie. Le Duc de Nivernois propose, pour parvenir à cet objet nécessaire, d’imiter la pratique constamment suivie des Anglais lorsqu’ils établissent des Colonies. Ils divisent le terrain en autant de portions qu’il y a de centaines de familles et subdivisent chaque portion en cent lots. Chaque famille a des vivres pour la première année et de la semence pour la seconde, des instruments de labourage et des instruments et matériaux propres à bâtir. On lui donne de plus une vache ou une jument ou deux truies et cinq brebis à son choix, et l’on distribue un taureau et un étalon pour chaque centaine de familles. Enfin, la colonie est exempte de toutes impositions pendant 50 ans. Ces établissements sont coûteux sans doute, mais c’est une avance faite par le gouvernement dont les sujets retirent tous les ans un intérêt qui ne cesse d’augmenter et qui rentre au gouvernement sous différentes formes par l’accroissement de la population et de la consommation.


État des Acadiens.


En Angleterre
À Liverpool 
224 866
À Southampton 
219
À Penryn 
159
À Bristol 
184
Pris à bord des corsaires environ 
80
France — à Rochefort, Boulogfne, St-Malo &c. &c 
2,000
Dans la Nouvelle-Angleterre, le Maryland, la Pensylvanie, la Caroline &c. &c 
10,000

xxxxxxxxxxxTotal 
12,866


Nota. — On ne garantit pas l’exactitude des deux dernières évaluations que l’on ne tient que des Acadiens d’Angleterre.



  1. Ce document est donné ici en orthographe moderne, d’après une copie tirée de l’original par Édouard Richard pour son propre usage. L’original est au folio 340 du volume 449 du Fonds Angleterre, au ministère des Affaires Étrangères, à Paris.