Acoubar/Argument

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Acoubar (1603)
Raphaël du Petit Val, libraire & Imprimeur du Roy (p. 6-13).

ARGVMENT.


ACoubar Roy de Guylan auoit deux ans entiers reſpiré la venuë de Fortunie, & ſoupiré ſon abſence, quand pour éclarcir ſa doute, il conſulta la ſcience des Magiciens de ſon pays, qui ayans apris des hurlemens de leurs demons forcez, ce qu’il n’auoyent peu ſçauoir du raport d’aucunes perſonnes libres, luy firent entendre, qu’Acoumat qui eſtoit celuy qu’il auoit enuoyé vers le Roy d’Aſtracan, pour l’aſſeurer du deſir de ſon alliance, & de la foy qu’il auoit donnée a l’Infante ſa fille, au lieu de l’amener fidelement, l’auoit rauie de force, & conduit en vne terre eſtrãgere où Mars & Venus (autant contraires qu’il ſont aux autres pour le iourd’huy, comme iadis honteux en ſoy-meſme par la ſurpriſe de Vulcã) eſtoyent benins & fauorables : lequel oracle plus douteux que certain, apres auoir eſté reſolu entendre les Iſles de Canada, fit prẽdre à ce Prince vne route plus agitee de flots, que cõduite de zephirs, & moins aſſiſtee d’heur, qu’enflee d’eſperance. Car abordé qu’il fuſt apres vn naufrage treſgrãd au milieu de ſon voyage, & apres la perte d’vne bataille naualle, ou pluſtoſt d’vne ſurpriſe que firent les Sauuages de ce pays, conduits a leur Roy Caſtio, & aſſiſtez d’vn ieune Seigneur Frãçois nõmé Piſtion, qui auoit depuis peu occupé la place des amours de Fortunie vacante de long tẽs, cuidant auoir gagné vn Royaume nouueau, il perdit le ſien, eſperãt donner la liberté à vne qui ne la vouloit plus receuoir de ſa main, il ſe miſt en ſeruage, & pẽſant oſter la vie à ſõ ennemy, il ſe dõna la mort par ſa creance. Car apres tous les eſſais qu’il auoit tentez pour aborder de force, voyant que le feu de ſon courage, ne produiſoit qu’vne fumee de vanité, & que les Sauuages qui tenoyent le port eſtoyent plus aſſeurez de leur deffence, que luy puiſãt pour les aſſaillir : Il obtint de ſes Magiciẽs, de l’ẽchãtemẽt deſquels il le ſeruoit, à defaut de ſecours plus certain, & combien qu’il euſt ia cognu leur mẽſonge, & eſprouué la tromperie de leurs démons, vn nuage groſſier qui voilãt le ſoleil, de ſon obſcurité, & empeſchãt les yeux de l’ẽnemy de pouuoir deſcouurir la ſurpriſe, luy permiſt de faire deſcendre les gẽdarmes en ſeureté, & de les conduire ſans ſoupçõ, iuſqu’aux barricades de Caſtio, qui ſe voyãt aſſailli, & ne ſçachãt de quel coſté l’ambuſcade eſtoit faite, au lieu de ſe ioindre aux ſiens ſe ietta dãs les troupes d’Acoubar, qui ayãs remarqué entre tãt de ruſtiques ſauuages, quelque eſpece de maieſté plus grande en ceſtuy-ci, ſe ietterent ſur luy pouſſez d’vne cõmune ambition de ſon deſaſtre, qui faiſoit tomber quād & ſoy la ruyne de tout ſon peuple, dõt les vns ſe ſauuerent pour trainer plus lõg temps leur ſeruage, les autres ſe ralierẽt à Piſtion, reſolus de perdre la vie en ce iour meſme qu’ils deuoyent perdre la liberté. Acoubar ià victorieux de la mort de leur Roy, ſe promiſt de triompher bien toſt de la deſroute de ceux qui voulans reioindre nouuelles forces, n’auoyent ni le tẽps ni l’addreſſe, veu que leur chef Frāçois eſtoit mieux ſuiuy qu’étendu de ces eſtrangers, & plus contemplé en ſes beaux faits d’armes par ces nouueaux aprentis, que ſecondé en ſa valeur, qui rẽporta à Fortunie ià certaine de la mort de Caſtio, mais douteuſe de la ſienne, les marques de ſa promeſſe, qu’elle aima mieux grauer dãs ſon cœur que de les voir ſanglantes ſur ſon chef. Le remede fuſt prompt, ne voulant contempler vn corps bleſſé, & luy nier ſon aide elle qui pouuoit guarir d’vne ſeule œillade les ames plus offẽcees. Il tient dõc maintenã & ſon heur & la vie de ſa dame, puis que ſes deſirs furent n’agueres fauoriſez de ſa grace, & ſon corps preſẽtemẽt garẽti de la mort : mais Acoubar qui eſtoit parti de ſi loin pour eſteindre ſes flãmes, arriuant peu après, à elle au lieu de trouuer vn ruiſſeau de pitié, qui le rafreſchiſſe, il ſe plonge dãs vne fournaiſe defeintes, quil le cõſume receuãt vn cautere ſãs le ſẽtir, lors qu’il ſucce les baiſers de celle qui le trahit meſchãmẽt en ſõ cœur, folaſtrãt mignardemẽt pres de ſa bouche. Ces premieres delices (cõmẽcemẽt d’vn poiſon plus dãgereux) durent peu ceſte fois, à cauſe des nouuelles que Ergaſte l’vn de ſens gens, luy apporta que ſon armee ſe débãdoit ſi ſa preſence ne venoit arreſter leur fuite qui recouroit aux vaiſſaux pour le bruit qui eſtoit de ſa mort. La partie fuſt facile à remettre de la part de Fortunie, plus facheuſe de celle d’Acoubar, toutefois agreable, puis que le ſalut de tant de mõde, le r’apeloit de la ioüiſſance de ſi peu de plaiſirs. Les ſoldats qui auparauant trembloyent de peur furẽt tellement r’aſſeurez voyãs leur Roy en vie qu’ils n’aſpirẽt plus qu’a le ſuyure quelque part qu’il s’achemine. Ceſte cõmune allegreſſe en cauſa vne plus grande, car chacun fuſt d’auis de s’exercer en quelque honneſte exercice & de luiter doreſnauãt pour l’hõneur, eux qui auoyẽt n’aguere ſi bien cõbatu pour la victoire. Le Roy trouua bon d’obeir à leur enuie, & voulãt recognoiſtre la fidelité de ſes gens, & honorer la veuë de ſa Fortunie, commãda qu’on appreſtaſt vne carriere pour au lẽdemain courre la bague. Tout fuſt preſt à l’inſtãt, veu qu’à grand peine la centieſme partie de ceux qui deſiroyent ceſte iournee peurent mettre la main à l’ouurage, qu’ils eſtimoyent ( chacun pour ſon regard ( ne pouuoit eſtre aſſez beau & cõmode, s’ils ny employẽt leur induſtrie, autãt prompte que belle. Le Heraut qui publia la iouſte, la fiſt premierement ſçauoir à Fortunie qui ne demandoit que celle de Piſtion : toutefois elle vouloit aſsiſler à l’vne & l’autre, & pour auoir entre tant de genſd’armes dõt la prefence auſsi biẽ que l’arriuee luy eſtoit tréfacheuſe, vn obiet ſur lequel elle peuſt dreſſer la faueur de ſes yeux, elle reueſtit Piſtiõ d’vn accouſtremẽt de Sauuage, ſo° la couuerture duquel il entre dãs la carriere, & ſçent auſsi bien mettre dãs leur bague, cõme il auoit fait dãs celle de ſa Maiſtreſſe : le prix luy eſtãt deu auſsi toſt que l’hõneur, il va receuoir le ioyau des mains de ſa Dame, & ſe retire ſans parler dãs vne foreſt tres obſcure ſuyuant le commandement de Fortunie, qui feignãt de Page:Du Hamel - Acoubar, 1611.djvu/13