Adèle de Sénange/Avant-propos

La bibliothèque libre.


AVANT-PROPOS.


Séparateur


Cet ouvrage n’a point pour objet de peindre des caractères qui sortent des routes communes : mon ambition ne s’est pas élevée jusqu’à prétendre étonner par des situations nouvelles ; j’ai voulu seulement montrer, dans la vie, ce qu’on n’y regarde pas, et décrire ces mouvemens ordinaires du cœur qui composent l’histoire de chaque jour. Si je réussis à faire arrêter un instant mes lecteurs sur eux-mêmes, et si, après avoir lu cet ouvrage, ils se disent : Il n’y a rien là de nouveau ; ils ne sauraient me flatter davantage.

J’ai pensé que l’on pouvait se rapprocher assez de la nature, et inspirer encore de l’intérêt, en se bornant à tracer ces détails fugitifs qui occupent l’espace entre les événemens de la vie. Des jours, des années, dont le souvenir est effacé, ont été remplis d’émotions, de sentimens, de petits intérêts, de nuances fines et délicates. Chaque moment a son occupation, et chaque occupation a son ressort moral. Il est même bon de rapprocher sans cesse la vertu de ces circonstances obscures et inaperçues, parce que c’est la suite de ces sentimens journaliers qui forme essentiellement le fond de la vie. Ce sont ces ressorts que j’ai tâché de démêler.

Cet essai a été commencé dans un temps qui semblait imposer à une femme, à une mère, le besoin de s’éloigner de tout ce qui était réel, de ne guère réfléchir, et même d’écarter la prévoyance ; et il a été achevé dans les intervalles d’une longue maladie : mais, tel qu’il est, je le présente à l’indulgence de mes amis.


. . . . A faint shadow of uncertaHilignt,
Stich as a lamp whose life doth fade away,
Doth leod to her. who walks in fear and sad affright,

Seule dans une terre étrangère avec un enfant qui a atteint, l’âge où il n’est plus permis de retarder l’éducation, j’ai éprouvé une sorte de douceur à penser que ses premières études seraient le fruit de mon travail.

Mon cher enfant ! si je succombe à la maladie qui me poursuit, qu’au moins mes amis excitent votre application, en vous rappelant qu’elle eût fait mon bonheur ! et ils peuvent vous l’attester, eux qui savent avec quelle tendresse je vous ai aimé ; eux qui si souvent ont détourné mes douleurs en me parlant de vous. Avec quelle ingénieuse bonté ils me faisaient raconter les petites joies de votre enfance, vos petits bons-mots, les premiers mouvemens de votre bon cœur ! Combien je leur répétais la même histoire, et avec quelle patience ils se prêtaient à m’écouter ! Souvent à la fin d’un de mes contes, je m’apercevais que je l’avais dit bien des fois : alors, ils se moquaient doucement de moi, de ma crédule confiance, de ma tendre affection, et me parlaient encore de vous !… Je les remercie… Je leur ai dû le plus grand plaisir qu’une mère puisse avoir.

A. de F…

Londres, 1793.