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Adam Bede/Livre 3/24

La bibliothèque libre.
Traduction par A.-F. d’Albert-Durade.
É. Dentu — H. Georg (tome IIp. 21-31).

CHAPITRE XXIV

les santés portées

Quand le dîner fut terminé et que l’on eut apporté les premiers vases tirés au grand tonneau de bière du jour de naissance, on fit placer le gros M. Poyser à l’un des côtés de la table, et l’on mit deux chaises vers le haut bout. Il avait été enfin décidé que c’était M. Poyser qui prendrait la parole lorsque arriverait le jeune chevalier, et depuis cinq minutes il était très-absorbé, les yeux fixés sur le tableau foncé qui lui faisait face, et les mains très-occupées à manier les pièces d’argent et autres objets qui se trouvaient dans ses poches.

Quand le jeune chevalier entra, avec M. Irwine à ses côtés, chacun se leva, et ce moment d’hommage fut très-agréable à Arthur. Il aimait à sentir sa propre importance ; de plus il tenait beaucoup à la bienveillance de tout ce monde, et il pensait avec satisfaction qu’ils avaient pour lui une estime particulière et cordiale. Le plaisir qu’il en éprouvait se peignit sur ses traits quand il dit :

« Mon grand’père et moi espérons que tous nos amis réunis ici ont eu un dîner agréable et ont trouvé bonne l’ale faite à ma naissance. M. Irwine et moi venons la goûter avec vous, et je suis bien sûr que la présence du Recteur nous la fera trouver meilleure. »

Tous les yeux se tournèrent alors vers M. Poyser, qui les mains toujours occupées dans ses poches, commença de l’air délibéré d’une pendule qui sonne lentement. « Capitaine, mes voisins m’ont chargé de parler pour eux aujourd’hui, car lorsque les gens pensent tous à peu près la même chose, un seul parleur en vaut une bande. Et quoi que nous ayons peut-être une manière de voir très-différente sur plusieurs sujets, — l’un cultive son terrain comme ceci, l’autre comme cela, et je ne prendrai pas sur moi de parler contre la direction d’aucune ferme, excepté la mienne, — ce que je dirai, c’est que nous sommes tous du même sentiment à l’égard de notre jeune chevalier. Nous vous avons tous connu quand vous étiez petit garçon, et nous n’avons jamais rien vu en vous qui ne fût bon et honorable. Vous parlez franchement et vous agissez franchement, et nous sommes joyeux de voir en vous notre propriétaire futur, car nous croyons que vous avez de bonnes intentions pour tous, et que vous ne rendrez amer le pain de personne, si vous pouvez faire autrement. Voilà ce que je pense et ce que nous pensons tous ; et quand un homme a dit ce qu’il avait à dire, il fait bien de s’arrêter, car l’ale n’est pas meilleure pour attendre. Et je ne dirai point encore comment nous avons trouvé cette ale, car nous n’aurions point voulu la goûter avant d’en avoir bu à votre santé ; mais le dîner était bon, et s’il y a quelqu’un qui n’en ait pas joui, c’est la faute de son estomac. Et pour la présence du Recteur, il est bien connu qu’il est le bienvenu dans toute la paroisse, où que cela puisse être ; et j’espère et nous espérons tous, qu’il verra notre vieillesse, qu’il verra nos enfants devenus hommes et femmes, et Votre Honneur père de famille. Je n’ai plus rien à dire à l’égard du temps présent ; nous boirons donc à la santé de notre jeune chevalier, trois fois trois hourra ! »

Là-dessus vives acclamations, battement, tintement, retentissement, puis nouvelle acclamation avec force da capo, plus agréables que la musique du plus beau style aux oreilles qui reçoivent ce tribut pour la première fois. Arthur avait senti un léger remords de conscience pendant le discours de M. Poyser, mais trop faible pour diminuer le plaisir d’entendre ses louanges. Ne méritait-il pas, à tout prendre, ce que l’on avait dit de lui ? S’il y avait dans sa conduite quelque chose que Poyser n’aurait pas aimé, s’il l’eût su ; la conduite d’aucun homme ne pouvait supporter un examen trop sévère, et Poyser ne l’apprendrait probablement pas ; puis, après tout, qu’avait-il fait ? Il était peut-être allé un peu trop loin dans ce badinage agréable ; mais un autre homme à sa place se serait conduit beaucoup plus mal, et il n’en résulterait rien ; il n’en devait rien résulter de fâcheux, car, la première fois qu’il serait seul avec Hetty, il lui expliquerait qu’elle ne devait penser sérieusement ni à lui ni à ce qui s’était passé. Vous voyez que c’était une nécessité pour Arthur d’être satisfait de lui-même ; il cherchait à se débarrasser de pensées pénibles par ces bonnes intentions pour l’avenir, qui se forment si rapidement, qu’il eut le temps de se sentir mal à l’aise et de se remettre avant que le discours lent de M. Poyser fût terminé ; et quand vint pour lui le moment de répondre, il avait le cœur tout à fait léger.

« Je vous remercie, mes bons amis et voisins, de votre bonne opinion et de vos sentiments bienveillants à mon égard, que M. Poyser vient d’exprimer en votre nom et au sien ; le plus vif désir de mon cœur sera toujours de les mériter. Suivant le cours des choses, nous pouvons nous attendre, si je vis, à ce que je devienne le propriétaire de ce domaine, et c’est en vue de cette éventualité que mon grand-père a désiré que je célébrasse ce jour et que je me rendisse auprès de vous maintenant ; et j’envisage d’avance cette position, non-seulement comme une position de pouvoir et de plaisirs pour moi-même, mais comme un moyen d’en faire jouir mes voisins. Il convient à peine à un homme aussi jeune que moi d’essayer de parler agriculture avec vous, qui êtes pour la plupart beaucoup plus âgés et hommes d’expérience ; cependant, je me suis occupé avec assez d’intérêt de ces sujets pour les étudier aussi souvent que l’occasion m’en a été offerte ; et lorsque le cours des événements placera le domaine sous ma direction, mon premier désir sera de fournir à mes tenanciers tous les encouragements qu’un propriétaire peut leur offrir, pour bonifier leurs terres et tâcher d’introduire un meilleur système d’aménagement. Mon espoir sera d’être considéré par tous ceux de mes tenanciers qui le mériteront comme leur meilleur ami, et rien ne saurait me rendre plus heureux que de pouvoir respecter chaque habitant du domaine, et d’en être respecté en retour. Ce n’est pas le moment pour moi d’entrer dans aucun détail. Je répondrai à vos espérances à mon égard en vous disant qu’elles sont d’accord avec les miennes ; que je désire faire ce que vous attendez de moi, et je suis tout à fait de l’opinion de M. Poyser, que, lorsqu’un homme a dit son sentiment, il fait mieux de s’arrêter. Mais le plaisir que je ressens de ce que vous avez bu à ma santé ne serait pas complet, si nous ne buvions pas à celle de mon grand-père, qui a remplacé pour moi mon père et ma mère. Je ne pourrai rien dire de plus, jusqu’à ce que nous ayons porté sa santé, le jour où il a voulu que je parusse au milieu de vous comme le représentant futur de son nom et de sa famille. »

Peut-être n’y eut-il là personne, excepté M. Irwine, qui comprît parfaitement et approuvât la manière gracieuse dont Arthur proposait la santé de son grand-père. Les fermiers pensaient que le jeune chevalier connaissait bien suffisamment leur haine contre le vieux, et madame Poyser dit « qu’il aurait mieux valu ne pas remuer ce chaudron de bouillon aigre. » L’esprit bucolique ne saisit pas très-facilement les raffinements du bon goût. Mais cette santé ne pouvait pas être supprimée, et, quand elle eut été bue, Arthur dit :

« Je vous remercie pour mon grand-père et pour moi ; et maintenant il est encore une chose que je désire vous dire, pour que vous partagiez le plaisir qu’elle me fait, comme j’espère et crois que vous le ferez. Je pense qu’il ne peut y avoir ici personne qui n’ait de la considération, et quelques-uns d’entre vous, j’en suis sûr, une très-haute estime pour mon ami Adam Bede. Il est si connu de chacun dans le voisinage, qu’il n’y a pas un homme à la parole duquel on puisse se fier plus qu’à la sienne : quoi que ce soit qu’il entreprenne, il le fait bien, et il est aussi soigneux des intérêts de ceux qui l’emploient que des siens propres. Je suis fier de dire que j’aimais beaucoup Adam lorsque j’étais petit garçon, et que je n’ai jamais perdu mon ancienne affection pour lui : cela prouve que je sais connaître un brave garçon quand je le rencontre. J’ai longtemps désiré qu’il eût la direction des bois du domaine, qui sont d’une grande valeur. Je l’ai désiré parce que j’ai une haute opinion de son caractère, et parce qu’il possède les connaissances et l’habileté qui le rendent propre à cette place. Je suis heureux de vous dire que c’est aussi le désir de mon grand-père, et qu’il est maintenant décidé qu’Adam dirigera les bois, changement qui, j’en suis persuadé, sera très à l’avantage de la propriété ; et j’espère que vous vous joindrez bientôt à moi pour boire à sa santé et lui souhaiter pour cette vie toute la prospérité qu’il mérite. Mais il y a encore ici présent un de mes amis, plus âgé qu’Adam Bede, et je n’ai pas besoin de vous dire que c’est M. Irwine. Je suis sûr que vous serez d’accord avec moi pour ne boire à la santé de personne avant la sienne. Je sais que vous avez tous des raisons pour l’aimer, mais personne n’en a plus de sujets que moi. Allons, remplissez vos verres, et buvons à la santé de notre excellent Recteur, qu’il vive ! »

Ce toast fut bu avec tout l’enthousiasme qui manquait au précédent, et certainement ce fut le moment le plus pittoresque de la scène que celui où M. Irwine se leva pour parler, et où tous les visages se tournèrent de son côté. L’élégance supérieure de ses traits était bien plus frappante que celle d’Arthur, comparées aux gens qui les entouraient. Le visage d’Arthur était un type beaucoup plus commun dans la Grande-Bretagne, et son costume resplendissant et à la dernière mode était plus conforme au goût des jeunes fermières que la poudre de M. Irwine et l’habit noir bien brossé, mais très-porté, qui paraissait être son costume de préférence pour les grandes occasions ; car il possédait le merveilleux secret de ne jamais avoir l’air de porter un habit neuf.

« Ce n’est pas à beaucoup près la première fois que j’ai l’occasion de remercier mes paroissiens de leurs témoignages de sympathie ; mais la bienveillance de bon voisinage est une des choses qui deviennent plus précieuses en vieillissant. Et vraiment notre aimable réunion en ce jour est une preuve que, lorsqu’une bonne chose devient majeure, avec la probabilité de devoir durer, on fait bien de s’en réjouir ; nos relations de pasteur à paroissiens sont déjà majeures depuis deux ans, car il y a vingt-trois ans que je suis arrivé au milieu de vous ; je vois ici quelques jeunes hommes grands et de bonne mine, et quelques florissantes jeunes femmes, qui étaient bien loin de me regarder d’un air aussi agréable lorsque je les ai baptisés qu’ils ne le font maintenant. Mais je suis sûr de ne point vous étonner en disant que, parmi tous ces jeunes gens, celui auquel je m’intéresse le plus vivement est mon ami M. Arthur Donnithorne, auquel vous venez d’exprimer toute votre estime. J’ai eu le plaisir d’être son précepteur pendant plusieurs années, et j’ai eu par conséquent des occasions de le connaître intimement, qui ne peuvent s’être présentées à personne d’autre ici ; et c’est avec un certain sentiment de fierté aussi bien que de plaisir que je partage toutes vos espérances à son égard, ainsi que la certitude qu’il possède les qualités qui feront de lui un excellent seigneur propriétaire lorsque le temps viendra pour lui de prendre parmi vous cette position importante. Nous avons la même manière de penser sur la plupart des sujets qui peuvent mettre en commun les idées d’un homme qui approche de la cinquantaine avec celles d’un jeune homme de vingt et un ans ; et il vient d’exprimer un sentiment que je partage vivement, et je ne voudrais pas laisser échapper l’occasion de le dire. Ce sentiment est celui de son estime et de sa considération pour Adam Bede. On parle et on pense naturellement davantage des personnes placées dans une haute position et l’on accorde plus d’éloges à leurs vertus qu’à celles dont la vie se passe à un travail humble et de tous les jours ; mais tout homme sensé sait combien cet humble travail journalier est nécessaire, et quelle importance il y a à ce qu’il soit bien fait, et je suis d’accord avec mon ami M. Arthur Donnithorne pour penser que lorsqu’un homme, devant s’occuper ainsi, montre un caractère qui en ferait un modèle dans toute autre position, son mérite doit être reconnu. C’est un de ceux que l’on doit estimer et que ses amis doivent prendre plaisir à honorer. Je connais Adam Bede, je sais très-bien ce qu’il est comme ouvrier, et je sais ce qu’il a été comme fils et frère, et je dis la simple vérité en affirmant que je le respecte autant qu’aucun autre homme vivant. Je ne vous parle pas d’un étranger ; quelques-uns de vous êtes ses intimes amis, et je crois qu’il n’est personne ici qui ne le connaisse assez pour boire cordialement aussi à sa santé. »

Comme M. Irwine s’arrêtait, Arthur se leva d’un bond, et, remplissant son verre, s’écria : « Verre plein ! pour Adam Bede, et puisse-t-il vivre pour avoir des fils aussi fidèles et habiles que lui ! »

Personne, pas même Bartle Massey, ne fut aussi enchanté de ce toast que M. Poyser ; et quelque rude labeur qu’eût été son premier discours, il se serait levé pour en faire un autre, s’il n’avait pas compris l’extrême inconvenance d’un tel procédé. Dans ce cas, il donna cours à ses sentiments en buvant son ale avec une promptitude inusitée et en reposant son verre avec un beau mouvement du bras et un choc bruyant sur la table. Si Jonathan Burge et un petit nombre d’autres se sentirent moins satisfaits à cette occasion, ils firent de leur mieux pour paraître contents, et cette santé fut bue avec l’apparence d’un bon vouloir unanime.

Adam était plus pâle qu’à l’ordinaire quand il se leva pour remercier ses amis. Il était très-ému de ce témoignage public, ce qui était bien naturel, car il était en présence de tous ceux qui formaient son petit monde et tous s’unissaient pour lui rendre honneur. Mais il ne sentait aucune timidité à parler, n’étant point troublé par quelque petite vanité ou le manque de mots ; il ne paraissait ni gauche ni embarrassé, mais se tenait debout dans son attitude habituelle ferme et droite, la tête rejetée un peu en arrière et les mains parfaitement tranquilles, avec cette dignité mâle qui est particulière à ces ouvriers intelligents, honnêtes et solides, qui n’ont jamais besoin de chercher à savoir pourquoi ils sont dans ce monde.

« Je suis tout à fait pris par surprise, dit-il, je ne m’attendais à rien de ce genre, car cela dépasse de beaucoup mes espérances. Mais je n’en ai que plus de raison d’avoir de la reconnaissance pour vous, Capitaine, et pour vous, monsieur Irwine, et pour tous les amis qui viennent de boire ici à ma santé et de faire de bons souhaits pour moi. Il me serait ridicule de dire que je ne mérite pas du tout la bonne opinion que vous avez de moi ; ce serait une triste manière de vous remercier que de dire que vous me connaissez depuis tant d’années et que cependant vous n’avez pas su découvrir ce qu’il y a de passable en moi. Vous pensez que si j’entreprends quelque travail, je le fais bien, que ma paye soit forte ou faible, et cela est vrai. Mais il me semble que c’est le simple devoir d’un homme, et qu’il n’y a pas là de quoi être fier. Il est tout à fait clair pour moi que je n’ai jamais fait plus que mon devoir ; car, quoi que nous fassions, nous ne faisons qu’employer les idées et les forces qui nous ont été données. Aussi cette bienveillance de votre part, j’en suis sûr, n’est point une dette que vous me payez, mais un libre don, et, comme tel, je le reçois et je vous en remercie. Et quant au nouvel emploi que j’ai accepté, je dirai que je l’ai fait sur le désir du capitaine Donnithorne, et que je m’efforcerai de remplir son attente. Je ne souhaitais rien de mieux que de travailler sous lui et de savoir que tout en gagnant mon pain je pourrais soigner ses intérêts. Car je crois qu’il est un de ces hommes nobles qui désirent se bien conduire et laisser le monde un peu meilleur qu’ils ne l’ont trouvé, comme je pense que tout homme peut le faire, qu’il soit de haute ou de simple classe, qu’il fournisse l’argent pour mettre en train un ouvrage important ou qu’il travaille de ses propres mains. Ce n’est point pour moi le moment de parler davantage de mes sentiments à son égard ; j’espère les prouver par mes actions pendant le reste de ma vie. »

Il y eut diversité d’opinions au sujet du discours d’Adam ; quelques-unes des femmes se dirent à voix basse qu’il ne se montrait pas assez reconnaissant, et paraissait parler avec autant d’orgueil que possible ; mais, la plupart des hommes trouvèrent qu’Adam avait parlé avec le plus de droiture possible et que c’était le garçon le plus distingué qu’on pût désirer. Tandis qu’on se communiquait de semblables observations, mêlées de désirs de savoir ce que comptait faire le vieux chevalier au sujet d’un receveur, et s’il prendrait un intendant, les deux messieurs s’étaient levés et faisaient le tour des tables où se trouvaient les femmes et les enfants. Il n’y avait point là, naturellement, de bière forte, mais du vin et un dessert, — du pétillant vin de groseilles pour les enfants et du bon Xérès pour les mères. Madame Poyser était à la tête de la table, et Totty, assise sur ses genoux, enfonçait profondément son petit nez dans un verre pour y chercher des noisettes flottantes.

« Comment vous portez-vous, madame Poyser ? dit Arthur. N’avez-vous pas eu du plaisir à entendre votre mari faire un aussi long discours aujourd’hui ?

— Oh ! monsieur, les hommes ont pour la plupart la langue si roide, — qu’on est forcé de deviner une partie de ce qu’ils veulent dire, comme avec les créatures muettes.

— Comment ! pensez-vous que vous auriez pu mieux vous en tirer ? dit M. Irwine en riant.

— Mais, monsieur, quand j’ai quelque chose à dire, je puis presque toujours trouver les mots nécessaires, Dieu merci. Non que je trouve quelque chose à blâmer dans ce qu’a dit mon mari, car, si c’est un homme peu discoureur, il est prêt à soutenir ce qu’il a dit.

— Je suis sûr que je n’ai jamais vu une plus jolie réunion que celle-ci, dit Arthur en regardant autour de lui toutes ces joues fraîches d’enfants. Ma tante et les demoiselles Irwine vont monter dans un instant. Elles ont eu peur du bruit des santés ; elles perdraient beaucoup de ne pas vous voir à table. »

Il continua sa promenade en parlant aux mères et en caressant les enfants, tandis que M. Irwine se contenta de rester à la même place en faisant à distance des signes de reconnaissance, afin de ne détourner personne de l’attention portée au jeune chevalier, le héros de la journée. Arthur ne se hasarda point à s’arrêter près d’Hetty, mais la salua simplement en passant de l’autre côté de la table. La folle enfant sentit son cœur se gonfler de chagrin ; car quelle femme a jamais pu trouver agréable une négligence apparente, lors même qu’elle savait que c’était une preuve d’amour ? Hetty pensa que ce jour commençait à devenir le plus triste qu’elle eût passé depuis longtemps ; un moment de froide clarté et de réalité traversa son rêve ; Arthur, qui lui avait paru si rapproché d’elle il n’y avait que quelques heures, en était séparé maintenant comme le héros d’une grande procession est séparé de quelque petite personne perdue dans la foule.