Administration industrielle et générale

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Administration industrielle et générale
H. Dunod et E. Pinat (p. 2-170).

PREMIÈRE PARTIE

Nécessité et possibilité d’un enseignement administratif


Chapitre Ier. — Définition de l’administration.

Chapitre II.Importance relative des diverses capacités qui constituent la valeur du personnel des entreprises.

Chapitre III.Nécessité et possibilité d’un enseignement administratif.



CHAPITRE PREMIER

Définition de l’administration.


Toutes les opérations auxquelles donnent lieu les entreprises peuvent se répartir entre les six groupes suivants :

1o Opérations techniques (production, fabrication, transformation) ;

2o Opérations commerciales (achats, ventes, échanges) ;

3o Opérations financières (recherche et gérance des capitaux) ;

4o Opérations de sécurité (protection des biens et des personnes) ;

5o Opérations de comptabilité (inventaire, bilan, prix de revient, statistique, etc.) ;

6o Opérations administratives (prévoyance, organisation, commandement, coordination et contrôle).

Que l’entreprise soit simple ou complexe, petite ou grande, ces six groupes d’opérations ou fonctions essentielles s’y trouvent toujours.

Les cinq premiers groupes sont bien connus ; quelques mots suffiront pour délimiter leurs domaines respectifs. Le groupement administratif appelle plus d’explications.

1o Fonction technique

Le nombre, la variété et l’importance des opérations techniques, le fait que les produits de toute nature (matériels, intellectuels, moraux) sortent généralement des mains du technicien ; l’enseignement à peu près exclusivement technique de nos écoles professionnelles ; les débouchés offerts aux techniciens… ; tout concourt à donner à la fonction technique, et, par suite, à la capacité technique un relief qui laisse dans l’ombre d’autres capacités tout aussi nécessaires et parfois plus utiles à la marche et à la prospérité des entreprises.

Cependant la fonction technique n’est pas toujours la plus importante de toutes. Même dans les entreprises industrielles, il est des circonstances où l’une quelconque des autres fonctions peut avoir sur la marche de l’entreprise une influence beaucoup plus grande que la fonction technique.

Il ne faut pas perdre de vue que les six fonctions essentielles sont dans une étroite dépendance les unes des autres. La fonction technique, par exemple, ne peut subsister sans matières premières et sans débouchés pour ses produits, sans capitaux, sans sécurité et sans prévoyance.

2o Fonction commerciale

La prospérité d’une entreprise industrielle dépend souvent de la fonction commerciale autant que de la fonction technique ; si le produit ne s’écoule pas, c’est la ruine.

Savoir acheter et vendre est aussi important que de savoir bien fabriquer.

Avec de la finesse et de la décision, l’habileté commerciale comporte une profonde connaissance du marché et de la force des rivaux, une longue prévoyance et, de plus en plus, dans les grandes entreprises, la pratique des ententes.

Enfin, lorsque certains produits passent d’un service à un autre d’une même entreprise, la fonction commerciale veille à ce que les prix fixés par l’autorité supérieure — dits prix d’ordre — ne soient pas la source de dangereuses illusions.

3o Fonction financière

Rien ne se fait sans son intervention. Il faut des capitaux pour le personnel, pour les immeubles, pour l’outillage, pour les matières premières, pour le dividende, pour les améliorations, pour les réserves, etc. Il faut une habile gestion financière pour se procurer des capitaux, pour tirer le meilleur parti possible des disponibilités, pour éviter les engagements téméraires.

Beaucoup d’entreprises qui auraient pu être prospères meurent de la maladie du manque d’argent

Aucune réforme, aucune amélioration n’est possible sans disponibilités ou sans crédit.

Une condition essentielle du succès est d’avoir constamment sous les yeux la situation financière de l’entreprise.

4o Fonction de Sécurité

Elle a pour mission de protéger les biens et les personnes contre le vol, l’incendie, l’inondation ; d’écarter les grèves, les attentats, et, en général, tous les obstacles d’ordre social qui peuvent compromettre la marche et même la vie de l’entreprise.

C’est l’œil du maître, c’est le chien de garde dans l’entreprise rudimentaire, c’est la police, c’est l’armée dans l’État. C’est, d’une manière générale, toute mesure qui donne, à l’entreprise, la sécurité, au personnel, la tranquillité d’esprit dont il a besoin.

5o Fonction de comptabilité

C’est l’organe de vision des entreprises. Elle doit permettre de savoir à tout instant où l’on en est et où l’on va. Elle doit donner sur la situation économique de l’entreprise des renseignements exacts, clairs, précis.

Une bonne comptabilité, simple et claire, qui donne une idée exacte des conditions de l’entreprise, est un puissant moyen de direction.

Pour cette fonction, comme pour les autres, une certaine initiation est nécessaire. L’indifférence dans laquelle on la tient dans les grandes écoles industrielles prouve qu’on ne se rend pas compte des services qu’elle rend.

6o Fonction administrative

Aucune des cinq fonctions précédentes n’est chargée de dresser le programme général d’action de l’entreprise, de constituer le corps social, de coordonner les efforts, d’harmoniser les actes. Ces opérations ne font point partie des attributions de la fonction technique, non plus que de celle des fonctions commerciale, financière, de sécurité ou de comptabilité. Elles constituent une autre fonction que l’on désigne habituellement sous le nom d’administration et dont les attributions et les limites sont assez mal définies.

La prévoyance, l’organisation, la coordination et le contrôle font, sans conteste, partie de l’administration comme on l’entend couramment.

Faut-il y faire entrer aussi le commandement ? Ce n’est pas obligatoire ; on pourrait étudier le commandement à part. Je me suis cependant décidé à l’incorporer dans l’administration par les raisons suivantes :

1o Le recrutement, la formation du personnel et la constitution du corps social, qui sont des charges de l’administration, intéressent au plus degré le commandement ;

2o La plupart des principes de commandement sont des principes d’administration. Administration et commandement sont mêlés très étroitement. Au seul point de vue des facilités de l’étude, il y avait intérêt à grouper ces deux sortes d’opérations ;

3o Le groupement avait, en outre, l’avantage de constituer une fonction très importante, digne d’attirer et de retenir l’attention du public au moins autant que la fonction technique.

J’ai donc adopté la définition suivante :

Administrer, c’est prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler ;

Prévoir, c’est-à-dire scruter l’avenir et dresser le programme d’action ;

Organiser, c’est-à-dire constituer le double organisme, matériel et social, de l’entreprise ;

Commander, c’est-à-dire faire fonctionner le personnel ;

Coordonner, c’est-à-dire relier, unir, harmoniser tous les actes et tous les efforts ;

Contrôler, c’est-à-dire veiller à ce que tout se passe conformément aux règles établies et aux ordres donnés.


Ainsi comprise, l’administration n’est ni un privilège exclusif, ni une charge personnelle du chef ou des dirigeants de l’entreprise ; c’est une fonction qui se répartit, comme les autres fonctions essentielles, entre la tête et les membres du corps social.

La fonction administrative se distingue nettement des cinq autres fonctions essentielles.

Il importe de ne pas la confondre avec le gouvernement.

Gouverner, c’est conduire l’entreprise vers son but en cherchant à tirer le meilleur parti possible de toutes les ressources dont elle dispose ; c’est assurer la marche des six fonctions essentielles.

L’administration n’est que l’une des six fonctions dont le gouvernement doit assurer la marche. Mais elle tient dans le rôle des grands chefs une si grande place qu’il peut parfois sembler que ce rôle est exclusivement administratif.


CHAPITRE II

Importance relative des diverses capacités qui constituent la valeur du personnel des entreprises.


À chaque groupe d’opérations, ou fonction essentielle, correspond une capacité spéciale. On distingue la capacité technique, la capacité commerciale, la capacité financière, la capacité administrative, etc…

Chacune de ces capacités repose sur un ensemble de qualités et de connaissances que l’on peut résumer ainsi :

1o Qualités physiques : santé, vigueur, adresse ;

2o Qualités intellectuelles : aptitudes à comprendre et à apprendre, jugement, vigueur et souplesse intellectuelles ;

3o Qualités morales : énergie, fermeté, courage des responsabilités, initiative, dévouement, tact, dignité ;

4o Culture générale : notions diverses qui ne sont pas exclusivement du domaine de la fonction exercée ;

5o Connaissances spéciales : elles concernent exclusivement la fonction, soit technique, soit commerciale, soit financière, soit administrative, etc… ; 6o Expérience : connaissance résultant de la pratique des affaires. C’est le souvenir des leçons qu’on a soi-même tirées des faits.


Tel est l’ensemble des qualités et connaissances qui constituent l’une quelconque des capacités essentielles ; il comprend des qualités physiques, intellectuelles et morales, de la culture générale, de l’expérience et certaines connaissances spéciales concernant la fonction à remplir.

L’importance de chacun des éléments qui composent la capacité est en rapport avec la nature et l’importance de la fonction.

Dans l’entreprise rudimentaire, où toutes les fonctions sont remplies par une seule personne, l’étendue des capacités nécessaires est évidemment réduite.

Dans la grande entreprise, où s’effectuent des opérations importantes et variées, le personnel doit posséder de nombreuses capacités à un haut degré ; mais comme les fonctions sont réparties entre un grand nombre d’agents, chacun des agents n’est généralement tenu qu’à une part réduite des capacités de l’ensemble.

Quoique cette matière se prête mal aux notations numériques, j’ai essayé de chiffrer l’importance relative de chaque capacité dans la valeur des agents et des chefs d’entreprise.

Dans un premier tableau (no 1) j’ai comparé les capacités nécessaires aux divers agents de la fonction technique d’une grande entreprise industrielle.

Dans un deuxième tableau (no 2) j’ai comparé les capacités nécessaires aux divers chefs d’entreprises industrielles de toutes grandeurs.

Puis, après avoir constaté que les conclusions tirées du premier tableau sont applicables aux agents de toutes les fonctions de l’entreprise industrielle, et que celles tirées du deuxième tableau sont applicables aux chefs de toutes les sortes d’entreprises, je suis arrivé aux conclusions générales suivantes :

Dans toutes les sortes d’entreprises, la capacité essentielle des agents inférieurs est la capacité professionnelle caractéristique de l’entreprise, et la capacité essentielle des grands chefs est la capacité administrative.


TABLEAU No 1

IMPORTANCE RELATIVE DES CAPACITÉS NÉCESSAIRES AU PERSONNEL DE LA FONCTION TECHNIQUE D’UNE GRANDE ENTREPRISE INDUSTRIELLE


Ce personnel constitue la série hiérarchique suivante : ouvriers, contre-maîtres, chefs d’ateliers, chefs de division, chefs de service, directeur.

Si l’entreprise comprend plusieurs grands établissements distincts, la série hiérarchique se continue par un directeur général.

Et si l’entreprise est une industrie d’Etat, la hiérarchie technique se poursuit jusqu’au chef de l’Etat en passant par un ministre.

Le tableau no 1 indique la part relative de chacune des capacités essentielles dans la valeur totale d’un agent quelconque.

Cette valeur totale est, dans tous les cas, représentée par le nombre 100, pour un agent parfait, qu’il s’agisse d’un ouvrier, d’un chef de service ou d’un chef d’Etat.

Il est bon de noter qu’il ne s’agit pas ici de comparer la valeur d’un ouvrier avec celle d’un contre-maître ou avec celle d’un directeur ou d’un chef d’Etat. Il n’y a pas de mesure commune entre ces diverses valeurs. Les unités a, b, c, d,.., m, n, o, p, … ne sont ni de même nature, ni de même importance ; les éléments dont elles se composent se transforment en passant d’un niveau hiérarchique à un autre, de telle sorte qu’il finit par n’y avoir plus rien de commun entre la capacité — technique, administrative ou tout autre — d’un agent inférieur et la capacité de même nom d’un grand chef.

Je n’ai cherché à exprimer dans les tableaux no 1 à no 5, que l’importance relative des diverses capacités qui constituent la valeur totale d’un agent.

Les coefficients attribués aux diverses capacités qui constituent la valeur totale d’un agent quelconque, quelle que soit la catégorie à laquelle il appartient, expriment mon opinion personnelle ; ils sont donc discutables et je suis bien certain qu’ils seront discutés. Je crois cependant que, quelles que soient les divergences d’appréciation qui pourront se produire, les conclusions que j’ai tirées du tableau no 1 subsisteront entières.

Voici ces conclusions :

1o La capacité principale de l’ouvrier est la capacité technique.

2o À mesure qu’on s’élève dans la hiérarchie, l’importance relative de la capacité administrative augmente, tandis que celle de la capacité technique diminue. L’équivalence entre ces deux capacités s’établit vers le 3e ou le 4e degré.

3o La capacité principale du directeur est la capacité administrative. Plus le niveau hiérarchique est élevé, plus cette capacité domine.

4o Les capacités commerciale, financière, de sécurité et de comptabilité ont leur maximum d’importance relative chez les agents du 5e ou 6e degré hiérarchique.

À mesure qu’on s’élève, l’importance relative de ces capacités, dans la valeur de chaque catégorie d’agents, diminue et tend à se niveler.

5o À partir du 4e ou 5e degré hiérarchique le coefficient administratif grandit seul aux dépens des autres qui diminuent en se rapprochant du dixième de la valeur totale. (TABLEAU N° 1 : Importance relative des diverses capacités nécessaires au personnel des entreprises industrielles )

GRANDE ENTREPRISE : PERSONNEL DE LA FONCTION TECHNIQUE

catégories d’agents

CAPACITÉS Administrative Technique Commerciale Financière de Sécurité de Comptabilité

VALEUR totale

Grand Etablissement : Ouvrier. 5 85 » » 5 5 100 (a)

Contre-maître. 15 60 5 » 10 10 100 (h)

Chef d’atelier. 25 45 5 » 10 15 100 (c)

Chef de division. 30 30 5 5 10 20 100 (d)

Chef du service technique. 35 30 10 5 10 10 100 (c)

Directeur 40 15 15 10 10 10 100 (f)

Plusieurs Etablissements réunis :

Directeur général. 50 10 10 10 10 10 100

Industrie d’Etat :

Ministre. 50 10 10 10 10 10 100 (h)

Chef d’Etat. 60 8 8 8 8 8 100 (i) (TABLEAU N° 2 : Importance relative des diverses capacités nécessaires au personnel des entreprises industrielles)

ENTREPRISES INDUSTRIELLES DE TOUTES GRANDEURS : CHEFS D’ENTREPRISES Les conclusions précédentes sont tirées uniquement de l’examen des capacités du personnel de la fonction technique, personnel qui va de l’ouvrier au chef de l’entreprise.

Aucun des membres de ce personnel n’est exclusivement consacré à la fonction technique ; tous prêtent un concours plus ou moins large aux autres fonctions et nous venons de voir que les grands chefs sont plus administrateurs que techniciens.

L’examen des capacités du personnel des autres fonctions d’une grande entreprise industrielle — commerciale, financière, de sécurité ou de comptabilité — donne lieu à des observations semblables et à des conclusions identiques, les mots de capacité technique devant simplement être remplacés par ceux de capacité caractéristique de la fonction.

De quelque fonction qu’il s’agisse, la capacité principale des agents inférieurs est la capacité caractéristique de la fonction (technique dans la fonction industrielle, commerciale dans la fonction commerciale, financière dans la fonction financière, etc.), et la capacité principale des agents supérieurs est la capacité administrative.


TABLEAU N° 2.


IMPORTANCE RELATIVE DES CAPACITÉS NÉCESSAIRES AUX CHEFS DES ENTREPRISES INDUSTRIELLES DE TOUTES GRANDEURS.

Ce tableau a été composé de la même manière que le précédent.

La valeur totale du bon chef est représentée par 100_

Les coefficients attribués aux diverses capacités des chefs de toute catégorie sont l’expression de mon appréciation personnelle.

On peut tirer de ce tableau les conclusions suivantes :

1° La capacité principale du chef de la petite entreprise industrielle est la capacité technique. Importance relative des diverses capacités nécessaires au personnel des entreprises industrielles.

Capacités nécessaires au personnel de la fonction technique dune grande entreprise.

(Tableau N°3) 2o A mesure qu’on s’élève dans la hiérarchie des entreprises, l’importance relative de la capacité administrative augmente tandis que celle de la capacité technique diminue.

L’équivalence entre ces deux capacités s’établit dans les entreprises moyennes.

3o La capacité principale des chefs des grandes entreprises est la capacité administrative. Plus l’entreprise est importante, plus la capacité administrative domine.

4o Les capacités commerciale et financière jouent un rôle beaucoup plus important chez les chefs de petite et de moyenne entreprise que chez les agents inférieurs et moyens de la fonction technique.

5o A mesure qu’on s’élève dans la hiérarchie des entreprises, le coefficient administratif grandit seul au détriment de la plupart des autres qui tendent à se niveler en se rapprochant du dixième de la valeur totale.

Sauf la différence qui résulte de ce que tous les chefs d’entreprise, même les plus petits, ont besoin des capacités commerciale et financière, tandis que les agents inférieurs de la fonction technique peuvent s’en passer, les conclusions tirées du tableau no 2 ressemblent singulièrement à celles tirées du tableau no 1.

Le fait le plus saillant mis en évidence par ces deux tableaux est le suivant :

La capacité technique est la capacité principale des agents inférieurs de la grande entreprise et des chefs de la petite entreprise industrielle ; la capacité administrative est la capacité principale des grands chefs. La capacité technique domine en bas de l’échelle industrielle et la capacité administrative en haut.

Ce fait a une telle importance au double point de vue de l’organisation et du gouvernement des affaires que je n’ai pas craint de multiplier les moyens de le faire connaître.

De là, les tableaux chiffrés no 1 et no 2 ; de là aussi les schémas coloriés no 3 et 4 qui ne sont que la reproduction, sous une autre forme, des tableaux no 1 et no 2. De là encore le schéma colorié (tableau no 5) : Importance relative des diverses capacités nécessaires aux différentes catégories d’agents d’une grande entreprise métallurgique.

Tous ces tableaux ont pour but d’appeler l’attention publique sur l’importance de la fonction administrative dans les entreprises industrielles. La fonction technique est depuis longtemps placée au niveau qui lui appartient et qu’il faut lui laisser. Mais elle ne suffit pas à assurer la bonne marche des affaires : il lui faut le concours des autres fonctions essentielles et particulièrement celui de la fonction administrative.

Entreprises diverses


Une étude des capacités nécessaires aux agents et aux chefs des entreprises de toute nature conduit aux mêmes conclusions que l’étude précédente faite sur les capacités nécessaires aux agents et aux chefs des entreprises industrielles.

Ces conclusions se résument comme suit :

Dans toutes les sortes d’entreprises, la capacité principale des agents inférieurs est la capacité professionnelle caractéristique de l’entreprise, et la capacité principale des grands chefs est la capacité administrative.

Le besoin de notions administratives est général.


(Tableau n° 5)

CHAPITRE III

Nécessité et possibilité d’un enseignement administratif.


Nous venons de voir que l’œuvre gouvernementale comporte l’exercice et l’accomplissement des six fonctions essentielles ; si l’une de ces fonctions n’est pas remplie, l’entreprise peut en mourir et elle en est, dans tous les cas, affaiblie. Il faut donc que le personnel d’une entreprise quelconque soit capable de remplir les six fonctions essentielles.

Nous avons vu encore que la capacité la plus nécessaire aux agents supérieurs des grandes entreprises est la capacité administrative.

Nous sommes donc certains qu’une éducation exclusivement technique ne répond pas aux besoins généraux des entreprises, même des entreprises industrielles.

Or, tandis qu’on fait — et avec raison — les plus grands efforts pour répandre et perfectionner les connaissances techniques, on ne fait rien ou presque rien dans nos écoles industrielles, pour préparer les futurs chefs à leurs fonctions commerciales, financières, administratives et autres.

L’administration ne figure même pas dans les programmes d’enseignement des écoles supérieures de génie civil.

Pourquoi ?

Est-ce qu’on méconnaît l’importance de la capacité administrative ?

Non. Qu’il s’agisse de choisir un contre-maître parmi des ouvriers, un chef d’atelier parmi des contre-maîtres, un directeur parmi des ingénieurs… ce n’est jamais, ou presque jamais, la capacité technique qui détermine le choix. On s’assure, bien entendu, que la dose de capacité technique nécessaire est présente ; mais, cela fait, parmi des candidats de valeur technique à peu près équivalente, on donne la préférence à celui qui paraît supérieur par les qualités de tenue, d’autorité, d’ordre, d’organisation et autres qui sont les éléments mêmes de la capacité administrative.

Serait-ce parce que la capacité administrative ne peut s’acquérir que dans la pratique des affaires ? Je crois bien que c’est la raison qu’on se donne. On verra qu’elle est sans valeur et que, en réalité, la capacité administrative peut et doit s’acquérir comme la capacité technique, à l’école d’abord, à l’atelier ensuite. La vraie raison de l’absence d'enseignement administratif dans nos écoles professionnelles, c’est l’absence de doctrine. Sans doctrine, il n’y a pas d’enseignement possible. Or, il n’y a pas de doctrine administrative consacrée, sortie de la discussion publique.

Les doctrines personnelles ne manquent pas. En l’absence de doctrine consacrée chacun peut se croire en possession des meilleures méthodes, et l’on peut voir partout, dans l’industrie, dans l’armée, dans la famille, dans l’État, les pratiques les plus contradictoires placées sous l’égide d’un même principe.

Tandis qu’au point de vue technique un chef ne saurait aller contre certaines règles établies sans s’exposer à perdre tout prestige, au point de vue administratif il peut se permettre impunément les pratiques les plus fâcheuses. Les procédés employés ne sont pas jugés en eux-mêmes, mais par leurs résultats qui sont souvent fort lointains et qu’il est généralement difficile de relier à leurs causes. Tout autre serait la situation s’il existait une doctrine consacrée, c’est-à-dire un ensemble de principes, de règles, de méthodes, de procédés éprouvés et contrôlés par l’expérience publique.

Ce ne sont pas les principes qui manquent ; s’il suffisait de les proclamer pour les faire régner, nous jouirions partout de la meilleure administration possible. Qui n’a entendu cent fois proclamer la nécessité des grands principes d’autorité, de discipline, de subordination des intérêts particuliers à l'intérêt général, d’unité de direction, de coordination des efforts, de prévoyance, etc ., etc . ?

Il faut croire que la proclamation ne suffit pas. C’est que la lumière des principes, comme celle des phares, ne guide que ceux qui connaissent le chemin du port. Un principe, sans les moyens de le réaliser, n’a pas d’efficacité.

Ces moyens ne manquent pas non plus ; ils sont innombrables. Mais bons et mauvais s’étalent alternativement et simultanément dans la famille, dans l’atelier et dans l’Etat, avec une persistance qui ne s’explique que par l’absence de doctrine. Le public n’est pas en mesure de juger les actes administratifs.

Il importe donc d’établir le plus tôt possible une doctrine administrative.

Ce ne serait ni bien long ni bien difficile si quelques grands chefs se décidaient à exposer leurs idées personnelles sur les principes qu’ils considèrent comme les plus propres à faciliter la marche des affaires et sur les moyens les plus favorables à la réalisation des principes. La lumière sortirait bientôt de la comparaison et de la discussion. Mais la plupart des grands chefs n’ont ni le temps ni le goût d’écrire et ils disparaissent le plus souvent sans laisser ni doctrine ni disciples. Il ne faut donc pas trop compter sur cette ressource. Il n’est heureusement pas nécessaire de gouverner une grande entreprise ni de présenter une étude magistrale pour apporter un concours utile à la constitution d’une doctrine. La moindre observation bien faite a sa valeur, et, comme le nombre des observateurs possibles est illimité, on peut espérer que, le courant une fois établi, il ne s’arrêtera plus ; il s’agit de déterminer ce courant, d’ouvrir la discussion publique ; c’est ce que j’essaye de faire en publiant ces études.

J’espère qu’une doctrine en sortira. Cela fait, il faudra résoudre le problème de l’enseignement.

Tout le monde a plus ou moins besoin de notions administratives.

Dans la famille, dans les affaires de l’Etat, le besoin de capacité administrative est en rapport avec l’importance de l’entreprise, et, pour les individus, ce besoin est d’autant plus grand qu’ils occupent une position plus élevée.

L’enseignement de l’administration doit donc être général : rudimentaire dans les écoles primaires, un peu plus étendu dans les écoles secondaires, très développé dans les écoles supérieures.

Cet enseignement ne ferait pas plus de tous ses élèves de bons administrateurs que l’enseignement technique ne fait de tous les siens d’excellents techniciens. On ne lui demanderait que des services analogues à ceux que rend l’enseignement technique. Et pourquoi ne les rendrait-il pas ? Il s’agit surtout de mettre la jeunesse en état de comprendre et d’utiliser les leçons de l’expérience. Actuellement, le débutant n’a ni doctrine administrative ni méthode, et beaucoup restent à cet égard débutants toute leur vie.

Il faut donc s’efforcer de répandre des notions administratives dans tous les rangs de la population. L' école a évidemment un rôle considérable à jouer dans cet enseignement. Dans les écoles supérieures, les professeurs sauront bien composer leurs cours le jour où l’administration fera partie de leur enseignement.

Il est plus difficile d’imaginer ce que doit être l’enseignement administratif primaire. J’ai fait à ce sujet un essai que j’exposerai sans prétention, convaincu qu’un bon instituteur saura mieux que moi extraire de la doctrine et mettre à la portée de ses élèves ce qu’il convient de leur enseigner.


DEUXIÈME PARTIE

Principes et éléments d’administration


Chapitre Ier. — Principes généraux d’administration.

Chapitre II. — Eléments d’administration.


CHAPITRE PREMIER

Principes généraux d’administration.


La fonction administrative n’a pour organe et pour instrument que le corps social. Tandis que les autres fonctions mettent en jeu la matière et les machines, la fonction administrative n’agit que sur le personnel.

La santé et le bon fonctionnement du corps social dépendent d’un certain nombre de conditions que l’on qualifie à peu près indifféremment de principes, de lois ou de règles. J’emploierai de préférence le mot principes en le dégageant de toute idée de rigidité. Il n’y a rien de rigide ni d’absolu en matière administrative ; tout y est question de mesure. On n’a presque jamais à appliquer deux fois le même principe dans des conditions identiques : il faut tenir compte des circonstances diverses et changeantes, des hommes également divers et changeants et de beaucoup d’autres éléments variables.

Aussi les principes sont-ils souples et susceptibles de s’adapter à tous les besoins. Il s’agit de savoir s’en servir. C’est un art difficile qui exige de l’intelligence, de l’expérience, de la décision et de la mesure. Faite de tact et d’expérience, la mesure est l’une des principales qualités de l’administrateur. Le nombre des principes d’administration n’est pas limité. Toute règle, tout moyen administratif qui fortifie le corps social ou en facilite le fonctionnement, prend place parmi les principes, aussi longtemps du moins que l’expérience le confirme dans cette haute dignité. Un changement dans l’état des choses peut déterminer le changement des règles auquel cet état avait donné naissance. Je vais passer en revue quelques-uns des principes d’administration que j’ai eu le plus souvent à appliquer :

1° La division du travail ;

2° L’autorité ;

3° La discipline ;

4° L’unité de commandement ;

5° L’unité de direction ;

6° La subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général ;

7° La rémunération ;

8° La centralisation ;

9° La hiérarchie ;

10° L’ordre ;

11° L’équité ;

12° La stabilité du personnel ;

13° L’initiative ;

14° L’union du personnel.


1°. DIVISION DU TRAVAIL


La division du travail est d’ordre naturel : elle s’observe dans le monde animal où, plus l’être est parfait, plus il possède d’organes chargés de fonctions différentes ; elle s’observe dans les sociétés humaines où, plus le corps social est important, plus le rapport entre la fonction et l’organe est étroit. À mesure que la société grandit, de nouveaux organes surgissent destinés à remplacer l’organe unique primitivement chargé de toutes les fonctions.

La division du travail a pour but d’arriver à produire plus et mieux avec le même effort.

L’ouvrier qui fait toujours la même pièce, le chef qui traite constamment des mêmes affaires, acquièrent une habileté, une assurance, une précision qui accroissent leur rendement. Chaque changement d’occupation entraîne un effort d’adaptation qui diminue la production.

La division du travail permet de réduire le nombre d’objets sur lesquels l’attention et l’effort doivent se porter. On a reconnu que c’est le meilleur moyen d’utiliser les individus et les collectivités.

Elle ne s’applique pas seulement aux besognes techniques, mais à tous les travaux, sans exception, qui mettent en jeu un plus ou moins grand nombre de personnes et qui requièrent plusieurs sortes de capacités. Elle a pour conséquences la spécialisation des fonctions et la séparation des pouvoirs. Bien que ses avantages soient universellement reconnus et que l’on n’imagine pas la possibilité du progrès sans le travail spécialisé des savants et des artistes, la division du travail a ses limites que l’expérience, accompagnée de l’esprit de mesure, apprend à ne pas franchir.

2° AUTORITÉ — RESPONSABILITÉ

L’autorité, c’est le droit de commander et le pouvoir de se faire obéir.

On distingue, dans un chef, l’autorité statuaire qui tient à la fonction, et l’autorité personnelle faite d’intelligence, de savoir, d’expérience, de valeur morale, de don de commandement, de services rendus, etc. Pour faire un bon chef, l’autorité personnelle est le complément indispensable de l’autorité statutaire. On ne conçoit pas l’autorité sans responsabilité , c’est-à-dire sans une sanction — récompense ou pénalité — qui accompagne l’exercice du pouvoir. La responsabilité est un corollaire de l’autorité, sa conséquence naturelle, sa contrepartie nécessaire. Partout où une autorité s’exerce, une responsabilité prend naissance.

Le besoin de^sanction q ui a sa source dans le sentiment dejjusüçç^est confirmé et accru par cette considération que, dans l’intérêt général, il faut encourager les actions utiles et décourager les autres.

La sanction des actes de l’autorité fait partie des conditions essentielles d’une bonne administration.) Elle est généralement difficile à réaliser, surtout dans les grandes entreprises : il faut établir d’abord le degré de responsabilité, puis le taux de la sanction. Or, s’il est relativement aisé d’établir la responsabilté des actes d’un ouvrier et une gamme de sanctions correspondantes, c’est déjà ardu pour un contre-maître, et, à mesure qu’on s’élève dans la hiérarchie des entreprises, que les opérations sont plus complexes, que le nombre des agents participants est plus grand, que le résultat final est plus lointain, il est de plus en plus difficile de dégager la part de l’acte d’autorité initial dans l’efïet produit, d’établir le degré de responsabilité du chef. La mesure de cette responsabilité, son équivalence matérielle, échappent à tout calcul.

Alors la sanction est une question d’espèce, d’usage, de convention où le juge doit tenir compte de l’acte lui-même, des circonstances qui l’entourent et des répercussions qu’elle peut avoir. Le jugement exige une haute valeur morale, de l’impartialité et de la fermeté. Si toutes ces conditions ne sont pas remplies, il est à craindre que le sentiment de la responsabilé disparaisse de l’entreprise. La responsabilité vaillamment encourue et supportée est une source de considération ; c’est une sorte de courage très apprécié partout. On en a une prouve palpable dans le traite ment cte certains chefs d’industrie, très supérieur à celui de certains fonctionnaires de l’Etat de grade équivalent, mais sans responsabilités.

Cependant la responsabilité est généralement aussi redoutée que l’autorité est recherchée. La peur des responsabilités paralyse beaucoup d’initiatives et annihile beaucoup de qualités.

Un bon chef doit avoir et répandre autour de lui le courage des responsabilités.

La meilleure garantie contre les abus d’autorité et les faiblesses d’un grand chef est la valeur personnelle et surtout la haute valeur morale de ce chef. On sait que ni l’élection, ni la propriété ne confèrent cette valeur.

3° Discipline

La discipline, c’est essentiellement l’obéissance, l’assiduité, l’activité, la tenue, % les signes extérieurs de respect réalisés conformément aux conventions établies entre l’entreprise et ses agents. ;

Que ces conventions aient été librement débattues ou qu’elles soient subies sans discussion préalable ; qu’elles soient écrites ou tacites ; qu’elles résultent de la volonté des parties ou des lois et des usages, ce sont ces conventions qui fixent les modalités de la discipline.

Résultant de conventions différentes et variables, la discipline se présente naturellement elle-même sous les aspects les plus différents : les obligations d’obéissance, d’assiduité d’activité, de tenue diffèrent, en effet, d’une entreprise à une autre, d’une catégorie d’agents à une autre dans la même entreprise, d’une région à une autre, d’un temps à un autre temps.

Cependant l’esprit public est profondément convaincu que la discipline est absolument nécessaire à la bonne marche des affaires, qu’aucune entreprise ne saurait prospérer sans discipline.

Ce sentiment est exprimé avec une grande vigueur dans les Manuels militaires où on lit : « La discipline fait la principale force des armées. » J’approuverais sans réserve cet aphorisme s’il était suivi de cet autre : « La discipline est ce que la font les chefs. » Le premier inspire le respect de la discipline, ce qui est bien ; mais il tend à faire perdre de vue la responsabilité des chefs, ce qui est fâcheux. Or, d’état de discipline d’un corps social quelconque dépend essentiellement de la valeur des chefs.

Lorsqu’un défaut de discipline se manifeste ou lorsque l’entente entre chefs et subordonnés laisse à désirer, il ne faut point se borner à en rejeter négligemment la responsabilité sur le mauvais état de la troupe ; la plupart du temps le mal résulte de l’incapacité des chefs. C’est, du moins, ce que j’ai constaté dans diverses régions delà France. J’ai toujours vu les ouvriers français obéissants et même dévoués quand ils étaient bien commandés.

— Dans l’ordre des influences sur la discipline, il faut placer, à côté du commandement, les conventions II importe qu’elles soient claires et donnent, autant que possible, satisfaction aux deux parties. C’est difficile. On en a une preuve publique dans les grandes grèves de mineurs, de cheminots ou de fonctionnaires qui, dans ces dernières années, ont compromis la vie nationale, chez nous et ailleurs, et qui avaient pour*cause des conventions contestées ou dos statuts insuffisants.

Depuis un demi-siècle un changement considérable s’est opéré dans le mode d’établissement des conventions qui lient l’entreprise et sos agents. Aux conventions d’autrefois, fixées par le patron seul, se substituent de plus en plus des conventions débattues entroie patron ou un groupe de patrons et les collectivités ouvrières. La responsabilité de chaque patron se trouve ainsi réduite ; elle est encore atténuée par l’ingérence de plus en plus fréquente cle l’Etat dans les questions ouvrières. Cependant l’établissement des conventions qui lient l’entreprise à ses agents et d’où découlent les modalités de la discipline, doit rester Tune des principales préoccupations des chefs d’entreprises. L’intérêt de l’entreprise ne permet pas de négliger, contre les actes d’indiscipline, certaines sanctions susceptibles d’en empêcher ou d’en raréfier le retour. L’expérience et le tact du chef sont mis à l’épreuve dans le choix et le degré des sanctions usitées : remontrances, avertissements, amendes, mises à pied, rétrogradation, révocation. Il faut tenir compte des individus et du milieu.

En résumé, la discipline est le respect des conventions qui ont pour objets l’obéissance, Y assiduité, Y activité et les marques extérieures de respect.

Elle s’impose aux plus grands chefs comme aux agents les plus modestes.

Les moyens les plus efficaces pour l’établir et la maintenir sont :

1° De bons chefs à tous les degrés ; 2° Des conventions aussi claires et aussi équitables que possible ;

3° Des sanctions pénales judicieusement appliquées. ° Unité de commandement

Pour une action quelconque , un agent ne doit recevoir des ordres que d’un seul chef.

Telle est la règle de « l’unité de commandement », règle d’une nécessité générale et continuelle, dont l’influence sur la marche des afïaires est au moins égale, à mon avis, à celle de n’importe quel principe ; si elle est violée, l’autorité est atteinte, la discipline compromise, l’ordre troublé, la stabilité menacée... Cette règle me paraissant fondamentale je l’ai mise au rang des principes. Dès que deux chefs exercent leur autorité sur le même homme ou sur le même service, un malaise se ressent ; sisi la cause persiste, le trouble augmente, la maladie apparaît comme dans un organisme animal gêné par un corps étranger, et l’on observe les conséquences suivantes : Ou bien la dualité cesse par la disparition ou l’annihilation do l’un des chefs, et la santé sociale renaît ; Ou l’organisme continue à dépérir.

Dans aucun cas, il n’y a adaptation de l’organisme social à la dualité de commandement.

Or, la dualité de commandement est extrêmement fréquente ; elle exerce ses ravages dans toutes les entreprises, grandes ou petites, dans la famille et dans l’Etat. Le mal est d’autant plus redoutable qu’il s’insinue dans l’organisme social sous les prétextes les plus plausibles :

a) Dans l’espoir d’être mieux compris ou de gagner du temps, ou pour arrêter immédiatement une manœuvre fâcheuse, le chef C 2 donne directement des ordres à un agent C sans passer par le chef C 1 .

Si cet errement se répète, c’est la dualité de commandcdement et ses conséquences : hésitation chez l’inférieur, trouble, froissement, mécontentement chez le chef tenu à l’écart, désarroi dans le travail.

On verra plus loin qu’il est possible de s’écarter de la voie hiérarchique, lorsque c’est nécessaire, en évitant les inconvénients de la dualité de commandement. b) Le désir d’écarter la dilïiculté immédiate du partage des attributions entre deux associés, deux amis, deux membres de la même famille, fait parfois que la dualité de commandement règne au sommet de l’entreprise dès son début. Possédant les mêmes pouvoirs, ayant la même autorité sur les mêmes hommes, les deux associés arrivent fatalement à la dualité et à ses conséquences.

Malgré de dures leçons, les expériences de ce genre restent nombreuses. Les nouveaux associés comptent que leur affection mutuelle, leur intérêt commun, leur savoir-faire les préserveront de tout conflit, même de tout dissentiment sérieux. Sauf exception rare, l’illusion est de courte durée : une gêne survient d’abord, puis une certaine irritation et même, avec le temps, si la dualité existe, la haine. Les hommes ne supportent pas la dualité de commandement.

Un judicieux partage des attributions aurait diminué le danger sans le faire disparaître entièrement, car, entre deux chefs sur le pied d’égalité, il reste toujours quelque question indivise. Mais c’est courir après l’échec que d’organiser une affaire avec deux chefs suiMelnême pied, sans partage d’attributions et séparation de pouvoir.

c) Une imparfaite délimitation des services conduit aussi à la dualité de commandement : deux chefs, donnant des ordres sur un domaine que chacun croit lui appartenir, font de la dualité.

d) De continuels rapports entre les divers services, l’enchevêtrement naturel des fonctions, des attributions souvent imprécises, créent un danger constant de dualité. Si un chef avisé n’y met bon ordre, des empiètements s’établissent qui viennent troubler la marche des affaires et la compromettre. Dans toutes les associations humaines, dans l’industrie, dans le commerce, dans l’armée, dans la famille, dans l’État, la dualité de commandement est une source perpétuelle de conflits, parfois très graves, qui sollicitent particulièrement l’attention des chefs à tous les niveaux. 5° Unité de direction

Ce principe a pour expression : Un seul chef et un seul programme pour lin ensemble d’opérations visant le même but .

C’est la condition nécessaire de l’unité d’action, de la coordination des forces, de la convergence des efforts. Un corps à deux têtes est, dans le monde social, comme dans le monde animal, un monstre. Il a de la peine à vivre. 11 ne faut pas confondre Unité de direction (un seul chef, un seul programme) avec Unité de commandement (un agent ne doit recevoir des ordres que d’un seul chef). On pourvoit à l’unité de direction par une bonne constitution du corps social ; l’unité de commandement dépend du fonctionnement du personnel.

L’unité de commandement ne peut exister sans l’unité de direction, mais elle n’en découle pas. 6° Subordination de l’intérêt particulier a l’intérêt général

Ce principe rappelle que, dans une entreprise, l’intérêt d’un agent, ou d’un groupe d’agents, ne doit pas prévaloir contre l’intérêt de l’entreprise ; que l’intérêt de la famille doit passer avant celui de l’un de ses membres ; que l’intérêt do l’État doit primer celui d’un citoyen ou d’un groupe de citoyens.

Il semble qu’une telle prescription ne devrait pas avoir besoin d’être rappelée. Mais l’ignorance, l’ambition, l’égoïsme, la paresse, les faiblesses et toutes les passions humaines tendent à faire perdre do vue l’intérêt général au profit de l’intérêt particulier. C’est une lutte continuelle à soutenir. Deux intérêts d’ordre différent mais également respectables sont en présence ; il faut chercher à les concilier. C’est l’une des grandes difficultés du gouvernement. Les moyens de réalisation sont :

1° La fermeté et le bon exemple des chefs ; 2° Dos conventions aussi équitables que possible ; 3° Une surveillance attentive. 7° Rémunération du personnel

La rémunération du personnel est le prix du service rendu. Elle doit être équitable et, autant que possible, donner satisfaction à la fois au personnel et à l’entreprise, à l’employeur et à l’employé.

Le taux de la rémunération dépend, d’abord, de circonstances indépendantes de la volonté du patron et de la valeur des agents, telles que la cherté de la vie, l’abondance ou la rareté du personnel, l’état général des affaires, la situation économique de l’entreprise ; il dépend, ensuite, de la valeur des agents et il dépend, enfin, du mode de rétribution adopté.

L’appréciation des facteurs qui dépendent de la volonté du patron et de la valeur des agents exige une assez grande connaissance des affaires, du jugement et de l’impartialité ; nous nous occuperons plus loin, à propos du recrutement, de l’appréciation de la valeur des agents. Pour agir sur la rémunération, il ne nous reste ici que le mode de rétribu -’ tion.

Le mode de rétribution du personnel peut avoir une influence considérable sur la marche des affaires ; le choix de ce mode est donc un problème important. C’est aussi un problème ardu qui reçoit, pratiquement, des solutions très différentes dont aucune n’a paru, jusqu’à présent, absolument satisfaisante.

Ce qu’on recherche généralement dans le mode de rétribution c’est :

1° Qu’il assure une rémunération équitable ; 2° Qu’il encourage le zèle en récompensant l’effort utile ; 3° Qu’il ne puisse conduire à des excès de rémunération dépassant la limite raisonnable.

Je vais examiner’succinctement les modes de rétribution usités pour les ouvriers, pour les chefs moyens et pour les grands chefs. Ouvriers

Les divers modes de rétribution usités pour les ouvriers sont :

1° Le paiement à la journée ;

2° Le paiement à la tâche ;

3° Le paiement aux pièces.

Ces trois modes de rétribution peuvent se combiner entre eux et donner lieu à d’importantes variantes par l’introduction des primes, de la participation aux bénéfices , de subsides en nature , de satisfactions honorifiques, etc. 1° Paiement à la journée.

Dans ce système, l’ouvrier vend au patron, moyennant un prix fixé d’avance, une journée de travail à des conditions déterminées.

Ce système a l’inconvénient de pousser à la négligence et d’exiger une surveillance attentive. Il s’impose cependant lorsque la mensuration du travail effectué n’est pas possible. Il est, en somme, très usité. 2° Paiement h la tâche.

Ici le salaire dépend de l’exécution d’une tâche déterminée fixée à l’avance. Il peut être indépendant de la durée de cette tâcho. Lorsque le salaire n’est dû qu’à la condition que la tâche sera accomplie pendant la durée ordinaire du travail, ce mode se confond avec le paiement à la journée. Le paiement à la tâche journalière n’exige pas une surveillance aussi attentive que le paiement à la journée. Il a pour inconvénient d’abaisser le rendement des bons ouvriers au niveau de celui des ouvriers médiocres. Les bons ne sont pas contents parce qu’ils sentent qu’ils pourraient gagner davantage ; les médiocres trouvent que la besogne qui leur est imposée est trop lourde.

3° Paiement aux pièces.

Le salaire est en rapport avec le travail effectué et n’est pas limité.

Ce système est fréquemment employé dans les ateliers où l’on a à fabriquer un grand nombre de pièces semblables.On le retrouve dans les industries où le produit peut se mesurer au poids, au mètre courant, au mètre cube ! II est généralement employé toutes les fois que c’est possible. On lui reproche de pousser à la quantité au détriment de la qualité et de créer des conflits lorsqu’il s’agit de reviser les prix pour tenir compte des progrès réalisés dans la fabrication.

Le paiement aux pièces devient travail à l’entreprise quand il s’applique à un ensemble important de travaux. Pour réduire l’aléa des entrepreneurs,, on ajoute parfois au prix de la pièce un prix appliqué à chaque journée faite. 11 résulte généralement du paiement à la pièce une majoration de salaire qui stimule le zèle pendant un certain temps. Puis un régime’finit par s’établir qui, peu à peu, ramène co mode de paiement à celui de la tâche journalière, pour un prix fixé d’avance.

On trouve les trois modes de paiement ci-dessus dans toutes les grandes entreprises ; tantôt le paiement à la journée domine, tantôt c’est l’un des deux autres. Dans un atelier on voit le même ouvrier travailler tantôt aux pièces, tantôt à la journée.

Chacun de ces trois modes a ses avantages et ses inconvénients et leur efficacité dépend des circonstances et de l’habileté des chefs. Ni le mode, ni même le taux de salaire ne dispensent le chef de compétence et de tact. Le zèle des ouvriers et la paix de l’atelier dépendent beaucoup de lui. Primes

Pour intéresser l’ouvrier à la bonne marche de l’entreprise, on ajoute parfois au tarif de la journée, de la tâche ou des pièces, un supplément sous forme de prime : prime d’assiduité, prime d’activité, prime de marche régulière des appareils, de production, de propreté, etc.

L’importance relative de ces primes, leur nature et les conditions mises à leur obtention sont extrêmement variées. On y trouve : le petit supplément journalier, la somme mensuelle, la gratification annuelle, des actions ou des parts d’action distribuées aux plus méritants. On y trouve même des participations aux bénéfices ; telles sont, par exemple, certaines allocations réparties annuellement entre les ouvriers de quelques grandes entreprises.

Plusieurs houillères françaises ont établi, depuis quelques années, en faveur de leur personnel ouvrier, une prime proportionnelle au bénéfice distribué ou à un superbénéfice. On ne demande aucun engagement aux ouvriers, mais l’acquisition de la prime est subordonnée à certaines conditions, par exemple, qu’il n’y aura pas eu de grève dans l’année, ou que les absences n’auront pas dépassé un nombre de jours déterminé.

Cette forme de prime a introduit une participation aux bénéfices dans la rénumération des mineurs sans qu’il y ait eu débat entre les ouvriers et le patron. Les ouvriers n’ont pas refusé un don, à peu près gratuit patron. Le contrat n’est pas bilatéral. Grâce à une période heureuse poui

salaire annuel des ouvriers s’est trouvé notablement accru par le jeu de la prime. Qu’arrivera-t-il dans les périodes difficiles ?

lie leur offrait le

les entreprises, le Cette formule intéressante est encore trop nouvelle pour être jugée. Elle n’est évidemment pas une solution générale du problème.

11 y a dans l’industrie houillère une autre forme do prime qui dépend du prix de vente de la houille. Longtemps en vigueur dans le pays de Galles, où elle a été abandonnée lors de l’adoption de la loi sur le salaire minimum, l’échelle mobile des salaires, reposant sur une base fixe et sur une prime en rapport avec le prix de vente de la région, est aujourd’hui la formule qui règle le salaire des mineurs du Nord et du Pas-de-Calais ; elle a aussi été adoptée dans la Loire.

Ce système établit une certaine corrélation entre la prospérité de la houillère et le salaire du mineur. On lui reproche de pousser l’ouvrier à la limitation de la production pour élever le prix de vente.

Nous voyons que, pour régler la question salaires, on a recours à une grande diversité de moyens ; cependant le problème est loin d’être résolu à la satisfaction générale ; toutes les solutions sont précaires.

PARTICIPATION AUX BÉNÉFICES

Ouvriers . — L’idée de faire participer les ouvriers aux bénéfices est très séduisante. 11 semble que c’est de là que doit sortir l’accord du capital et du travail. Mais la formule pratique de cet accord n’est pas encore trouvée. La participation des ouvriers aux bénéfices a rencontré jusqu’à présent, dans la grande entreprise, des difficultés d’application insurmontables.

Notons d’abord qu’elle ne peut exister dans les entreprises qui n’ont pas un but pécuniaire (services de l’État, sociétés religieuses, philanthropiques, scientifiques. .) -J qu’elle n’est pas possible non plus dans les entreprises économiques en déficit. Voilà donc la participation aux bénéfices exclue d’un grand nombre d’entreprises.

Restent les entreprises économiques prospères. Parmi celles-là, le désir de concilier, d’harmoniser l’intérêt de l’ouvrier et celui du patron n’est nulle part plus grand que dans les industries minières et métallurgiques françaises. Or, je ne connais pas, dans ces industries, d’application nette de la participation des ouvriers aux bénéfices. On peut en conclure immédiatement que la chose est extrêmement difficile, sinon impossible. Elle est en effet très difficile.

Qu’une affaire soit ou non en bénéfice, l’ouvrier a besoin d’un salaire immédiat qu’il faut assurer. Un système qui ferait dépendre entièrement la rémunération de l’ouvrier d’un bénéfice éventuel futur est inapplicable. Mais peut-être une part du salaire pourrait-elle provenir des bénéfices généraux de l’entreprise ? Voyons

Au regard de tous les facteurs qui interviennent, la part de l’activité ou «île l’habileté plus ou moins grande d’un ouvrier sur le résultat final d’une grande entreprise est impossible à établir ; elle est d’ailleurs tout à fait insignifiante. La part qui pourrait lui revenir d’un dividende distribué serait tout au plus de quelques centimes sur un salaire de 5 francs, par exemple, c’est-à-dire que le moindre effort supplémentaire — un coup do pioche, un coup de lime — profitant directement à son salaire, serait plus avantageux pour lui. L’ouvrier n’a donc aucun intérêt à être rémunéré par une participation aux bénéfices proportionnelle à l’action qu’il exerce sur ces bénéfices.

Il est à remarquer que, dans la plupart des grandes affaires, l’augmentation du salaire, qui s’est réalisée depuis une vingtaine d’années, représente une somme totale supérieure au montant des répartitions faites au capital. En fait, la participation nette, réelle, des ouvriers aux bénéfices des grandes entreprises n’est pas encore entrée dans la pratique des affaires.

Chef .s moyens. — La participation aux bénéfices des contre-maîtres, chefs d’ateliers et ingénieurs, n’est guère plus avancée que pour les ouvriers ; cependant l’influence de ces agents sur le résultat de l’entreprise est autrement considérable et, s’ils ne sont pas régulièrement intéressés aux bénéfices, ce ne peut être que parce que la formule de leur participation est difficile à établir. Sans doute, les chefs n’ont pas besoin d’un stimulant pécuniaire pour remplir tout leur devoir ; mais ils ne sont pas indifférents aux satisfactions matérielles et il faut bien admettre que l’espérance d’un bénéfice supplémentaire peut exciter leur zèle. Aussi doit-on intéresser les agents moyens aux bénéfices quand c’est possible.

C’est relativement facile dans des affaires à leur début et dans des affaires en souffrance où un effort exceptionnel peut donner des résultats importants. La participation peut alors s’appliquer à rensemble des bénéfices de l’entreprise ou seulement à la marche du service de l’agent intéressé. Quand l’entreprise est ancienne et convenablement conduite, le zèle d’un chef moyen n’est guère visible dans les résultats généraux et il est fort difficile d’établir pour lui une participation utile.

En fait, la participation aux bénéfices des chefs moyens, en France, est très rare dans les grandes entreprises. Les primes à la production ou à certains résultats d’un atelier — qu’il ne faut pas confondre avec la participation aux bénéfices — sont beaucoup plus fréquentes. Grands chefs. — 11 faut s’élever jusqu’à la direction pour trouver une catégorie d’agents fréquemment intéressés aux bénéfices des grandes entreprises françaises.

Par ses connaissances, par ses idées, par son action, le chef de l’entreprise a une influence considérable sur les résultats généraux et il est tout naturel qu’on cherche à l’intéresser à ces résultats. Il est parfois possible d’établir entre son action personnelle et les résultats une relation étroite ; cependant, il existe généralement d’autres influences, tout à fait indépendantes de la valeur du chef, qui peuvent faire varier les résultats généraux dans des proportions beaucoup plus grandes que l’action personnelle du chef. Si le traitement du chef dépendait exclusivement des bénéfices, il pourrait parfois être réduit à zéro.

11 est d’ailleurs des affaires en création ou en liquidation, ou simplement en crise passagère, dont la direction n’exige pas moins de talent que celles des affaires prospères, où la participation aux bénéfices ne peut pas être la base du traitement du chef.

Enfin, les grands serviteurs de l’État ne peuvent pas être payés par une participation aux bénéfices. La participation aux bénéfices n’est donc, pas plus pour les grands chefs que pour les ouvriers, une règle générale de rémunération .

En résumé, la participation aux bénéfices est un moyen de rémunération qui peut donner dans certains cas d’excellents résultats ; ce n’est pas une solution générale. Il ne semble pas que l’on puisse compter, au moins pour le moment, sur ce mode de rétribution pour apaiser les conflits du capital et du travail. Il est heureusement d’autres, moyens qui ont suffi jusqu’à présent à assurer à la société une paix relative ; ces moyens n’ont pas perdu leur efficacité. 11 appartient aux chefs de les étudier, de les appliquer et de les faire réussir. Subsides EN NATURE — INSTITUTIONS DE BIEN-ÊTRE SaTIFACTIONS HONORIFIQUES

Que le salaire se compose seulement de numéraire ou qu’il comprenne divers compléments en chauffage, éclairage, logement, vivres, peu importe, pourvu que l’agent soit satisfait.

D’un autre côté, il n’est pas douteux que l’entreprise sera d’autant mieux servie que ses agents seront plus vigoureux, plus instruits, plus consciencieux et plus stables. Le patron doit donner ses soins, ne fût-ce que dans l’intérêt de l’affaire, à la santé, à la force, à l’instruction, à la moralité et à la stabilité de son personnel.

Ces éléments de bonne marche ne s’acquièrent pas uniquement dans l’atelier ; ils se forment et se perfectionnent aussi, et surtout, au dehors : dans la famille, à l’école, dans la vie civile et religieuse. / Le patron est donc aussi conduit à s’occuper de ses agents en dehors de l’usine et ici se pose de nouveau la question de mesure.

Les avis sont très partagés à ce sujet. Certaines expériences malheureuses ont déterminé quelques patrons à limiter leur intervention à la porte de l’usine et au règlement du salaire. La plupart cependant estiment que l’action patronale peut s’exercer utilement en dehors à la condition d’être discrète et prudente, de se faire désirer plutôt que de s’imposer, d’être en rapport avec la culture, les goûts des intéressés et de respecter absolument leur liberté. Elle doit être une collaboration bienveillante et non une tutelle tyrannique. C’est là une condition indispensable du succès. L’œuvre de bien-être du patron peut être très variée. Dans l’usine, elle exerce sur les questions d’hygiène et de confort : air, lumière, propreté, réfectoire. Hors de l’usine, elle s’applique au logement, à l’alimentation, à l’instruction et à l’éducation. Les œuvres de prévoyance rentrent dans cette categorie de moyens.

Les satisfactions honorifiques n’apparaissent que dans les très grandes entreprises. On peut dire qu elles sont presque exclusivement du domaine de l’État.

Tous les modes de rétribution qui peuvent améliorer la valeur et le sort du personnel, stimuler le zèle des agents de tous degrés, doivent être l’objet d’une continuelle attention de la part des chefs.

8° Centralisation

Comme la « division du travail », la centralisation est un fait d’ordre naturel ; celui-ci consiste en ce que dans tout organisme, animal ou social, les sensations convergent vers le cerveau ou la direction, et que du cerveau ou de la direction partent les ordres qui mettent en mouvement toutes les parties de l’organisme.

La centralisation n’est pas un système d’administration bon ou mauvais en soi, pouvant être adopté ou abandonné au gré des dirigeants ou des circonstances ; elle existe toujours plus ou moins. La question de centralisation ou de décentralisation est une simple question de mesure. Il s’agit de trouver la limite favorable à l’entreprise. Dans les petites affaires, où les ordres du chef vont directement aux agents inférieurs, la centralisation est absolue ; dans les grandes affaires, où le chef est séparé des agents inférieurs par une longue hiérarchie, les ordres, comme les impressions de retour, passent par une série d’intermédiaires obligés. Chaque agent met, volontairement ou involontairement, un peu de lui-même dans la transmission et l’exécution des ordres comme dans la transmission des impressions reçues ; il n’agit pas comme un simple rouage mécanique. Du caractère du chef, çle sa valeur, de la valeur des subordonnés et aussi des conditions de l’entreprise, dépend la part d’initiative qu’il convient de laisser aux intermédiaires. Le degré de centralisation doit varier selon les cas. Le but à poursuivre est la meilleure utilisation possible des facultés de tout le personnel.

Si la valeur du chef, ses forces, son intelligence, son expérience, la rapidité de ses conceptions... lui permettent d’étendre beaucoup son action, il pourra pousser fort loin la centralisation et réduire ses seconds au rôle de simples agents d’exécution. Si, au contraire, tout en conservant le privilège de donner des directions générales, il préfère recourir davantage à l’expérience, à l’avis, aux conseils de ses collaborateurs, il peut faire une large décentralisation. La valeur absolue et relative du chef et des agents étant en perpétuelle transformation, on comprend que la mesure de centralisation ou de décentralisation puisse être elle-même constamment variable. C’est un problème qu’il faut résoudre suivant les circonstances au mieux des intérêts en jeu. Il ne se pose pas seulement pour le commandement supérieur, mais pour les chefs à tous les niveaux. Il n’en est pas un qui ne puisse étendre ou restreindre dans une certaine mesure l’initiative de ses subordonnés. Trouver la mesure qui donne le meilleur rendement total, tel est le problème de la centralisation et de la décentralisation. Tout ce qui augmente l’importance du rôle des subordonnés est de la décentralisation ; tout ce qui diminue l’importance de ce rôle est de la centralisation. 9° Hiérarchie

La hiérarchie est la série de chefs qui va de l’autorité supérieure aux agents inférieurs.

La voie hiérarchique est le chemin que suivent, en passant par tous les degrés de la hiérarchie, les communications qui partent de l’autorité supérieure ou qui lui sont adressées.NCe chemin est imposé à la fois par le besoin d’une transmission assurée et par l’unité de commandement . Mais il n’est pas toujours le plus rapide ; il est parfois même désastreusement long dans les très grandes entreprises, notamment dans l’État. Or, il y a beaucoup d’opérations dont le succès repose sur une exécution rapide ; il faut donc pouvoir concilier le respect de la voie hiérarchique avec l’obligation d’aller vite. On y parvient de la manière suivante : Supposons qu’il s’agisse de mettre en rapport le service F avec le service P dans une entreprise dont la hiérarchie est représentée par l’échelle double G — A — Q. En suivant la voie hiérarchique il faudra gravir l’échelle de F en A, puis descendre de A en P en s’arrêtant à chaque échelon, remonter ensuite de P en A et redescendre de A en F pour revenir au point de départ. 11 est évidemment beaucoup plus simple et plus rapide d’aller directement de F en P en prenant la passerelle F — P. Et c’est ce que l’on fait le plus souvent. Le principe hiérarchique sera sauvegardé si les chefs E et O ont autorisé leurs agents respectifs F et P à entrer en relations directes ; et la situation sera tout à fait régularisée si F et P renseignent immédiatement leurs chefs respectifs sur ce qu’ils ont fait d’un commun accord. Tant que F et P restent d’accord et que leurs opérations sont approuvées par leurs chefs directs, les relations directes peuvent se poursuivre ;’dès que l’accord disparaît ou que l’approbation des chefs manque, les relations directes cessent et la voie hiérarchique est immédiatement rétablie. Tel est le régime de fait que l’on peut constater dans la grande majorité des affaires. Il comporte l’habitude d’une certaine initiative à tous les degrés de l’échelle. Dans la petite entreprise, l’intérêt général, c’est-à-dire celui de l’entreprise elle-même, est facile à saisir et le patron est là pour rappeler cet intérêt à ceux qui seraient tentés de l’oublier.

Dans l’Etat, l’intérêt général est chose si complexe, si vaste, si lointaine, qu’on ne s’en fait pas facilement une idée nette ; et le patron est une sorte de mythe pour la presque totalité des fonctionnaires. S’il n’est pas sans cesse ravivé par l’autorité supérieure, le sentiment de l’intérêt général s’estompe, s’affaiblit et chaque service tend à se considérer comme étant à lui-même son but et sa fin ; il oublie qu’il n’est qu’un rouage d’une grande machine dont toutes les parties doivent marcher d’accord ; il s’isole, se cloisonne et ne connaît plus que la voie hiérarchique. L’emploi de la passerelle est simple, rapide, sûr ; il permet aux deux agents F et P de traitor, en une séance, en quelques heures, telle question qui, par la voie hiérarchique, subira vingt transmissions, dérangera beaucoup de monde, entraînera une énorme paperasserie, fera perdre des semaines ou des mois pour arriver à une solution généralement moins bonne que celle qu’on aurait obtenue en mettant directement en contact F et P.

Est-il possible que de telles pratiques, aussi ridicules que funestes, soient en usage ? On n’en peut malheureusement pas douter en ce qui concerne les -services de l’Etat. Il est généralement admis que la crainte des responsabilités en est la principale cause. Je jcrois plutôt que c’est l’insuffisante capacité administrative des dirigeants. Si le chef suprême A exigeait de ses collaborateurs B et L l’emploi de la passerelle et les déterminait à l’imposer à leurs subordonnés C. M..., l’habitude et le courage des responsabilités s’établiraient en même temps que l’usage du plus court chemin.

C’est une faute que de s’écarter de la voie hiérarchique sans nécessité ; c’en est une bien plus grande de la suivre quand il doit en résulter un dommage pour l’entreprise. Cette dernière peut prendre une extrême gravité dans certaines circonstances. Quand un agent se trouve dans l’obligation de choisir entre les deux procédés et qu’il ne lui est pas possible de prendre l’avis de son chef, il doit avoir assez de courage et se sentir assez de liberté pour adopter celui que l’intérêt général impose. Mais pour qu’il soit dans cet état d’esprit, il faut qu’il y ait été préparé d’avance et que ses chefs lui en aient donné l’exemple. L’exemple doit venir d’en haut. 10° Ordre

On connaît la formule de l’ordre matériel : Une place pour chaque chose et chaque chose h sa place . La formule de l’ordre social est identique : Une place pour chaque personne et chaque personne à sa place.

Ordre matériel .

D’après la définition précédente, pour que l’ordre matériel règne, il faut qu’une place ait été réservée à chaque objet et que tout objet soit a la place qui lui a été assignée. Cela suffit-il ? Ne faut-il pas encore que la place ait été bien choisie ?

L’ordre doit avoir pour résultat d’éviter des pertes de matières et des pertes de temps. 1 Pour que le but soit complètement atteint, il faut non seulement que les choses soient à leur place, bien arrangées, mais encore que la place ait été choisie de manière à faciliter autant que possible toutes les opérations. Si cette dernière condition n’est pas remplie, l’ordre n’est qu’apparent.

L’ordre apparent peut recouvrir un désordre réel. ( J’ai vu une cour d’usine servant de magasin de lingots d’acier où les matières bien dressées, bien alignées, propres, donnaient une agréable impression d’ordre. En y regardant de près on constatait que le même tas renfermait, confondues, quatre ou cinq espèces d’aciers destinées à des fabrications différentes. D’où manœuvres inutiles, pertes de temps, chances d’erreurs..... ; chaque chose n’était pas à sa place. Il arrive au contraire qu’un désordre apparent correspond à un ordre réel.* C’est le cas de papiers éparpillés selon la volonté du maître et qu’un serviteur bien intentionné, mais incompétent, dispose autrement et dresse en piles bien alignées. Le maître ne s’y reconnaît plus. L’ordre parfait comporte une place judicieusement choisie ; l’ordre apparent n’est qu’une image fausse ou imparfaite de l’ordre réel.

La propreté est un corollaire de l’ordre. Aucune place n’est réservée à la saleté.

Un tableau graphique, représentant l’ensemble des immeubles, divisé en autant de compartiments qu’il y a d’agents responsables, facilite beaucoup l’établissement et le contrôle de l’ordre.

Ordre social.

Pour que l’ordre social règne dans une entreprise, il faut, d’après la définition, qu’une place soit réservée à chaque agent et que chaque agent soit à la place qui lui a été assignée. L’ordre parfait exige de plus que la place convienne à l’agent et que l’agent convienne à sa place. The right man in the right place.

L’ordre social ainsi compris suppose résolues deux opérations administratives des plus difficiles : une bonne organisation et un bon recrutement.. Les postes nécessaires à la marche de l’entreprise ayant été fixés, on a recruté les titulaires de ces postes et chaque agent occupe le poste où il peut rendre le plus de services. Tel est l’ordre social parfait. « Une place pour chaque personne et chaque personne à sa place. » Cela paraît simple, et nous avons naturellement un tel désir qu’il en soit ainsi que lorsque, pour la vingtième fois, nous entendons affirmer ce principe par un chef de Gouvernement, nous évoquons aussitôt l’idée d’une administration parfaite. C’est un mirage.

L’ordre social exige une connaissance exacte des besoins et des ressources sociales de l’entreprise et un équilibre constant entre ces besoins et ces ressources. Or, cet équilibre est fort difficile à établir et à maintenir et d’autant plus difficile que l’entreprise est plus grande. Et quand il a été rompu, que des intérêts particuliers ont fait négliger ou sacrifier l’intérêt général, que l’ambition, le népotisme, le favoritisme, ou simplement l’ignorance ont multiplié inutilement les postes ou placé aux postes nécessaires des agents incapables, il faut beaucoup de talent, beaucoup de volonté et plus de persévérance que n’en comporte actuellement l’instabilité ministérielle pour faire disparaître les abus et rétablir l’ordre.

Appliquée à l’Etat la formule de l’ordre : « Une place pour chaque personne et chaque personne à sa place » prend une ampleur extraordinaire. C’est la responsabilité de la nation vis-à-vis de tous et de chacun, c’est le sort de chacun prévu, c’est la solidarité, c’est la question sociale tout entière. Je ne m’arrête pas davantage devant cette troublante extension du principe de l’ordre. Dans les affaires privées et surtout dans les entreprises de faible envergure, il est plus facile de proportionner le recrutement aux besoins.

Comme pour l’ordre matériel , un tableau graphique, un schéma, facilite beaucoup l’établissement et le contrôle de l’ordre social. Celui-ci représente l’ensemble du personnel et tous les services de l’entreprise avec leurs titulaires. 11 sera question de ce tableau au chapitre de l’organisation 11° Equité

Pourquoi équité et non justice ?

La justice est la réalisation des conventions établies. Mais les conventions ne peuvent tout prévoir ; il faut souvent les interpréter ou suppléer à leur insuffisance. Pour que le personnel soit encouragé à apporter dans l’exercice de ses (onctions toute la bonne volonté et le dévouement dont il est capable, il faut qu’il soit traité avec bienveillance ; l’équité résulte de j^a combinaison de la bienveillance avec la justice.

L’équité n’exclut ni l’énergie ni la rigueur. Elle demande, dans l’application, beaucoup de bon sens, beaucoup d’expérience et beaucoup de bonté.

Désir d’équité, désir d’égalité, sont des aspirations dont il faut tenir grand compte dans le traitement du personnel. Pour donner à ces besoins la plus grande satisfaction possible, sans négliger aucun principe et sans perdre de vue l’intérêt général, le chef de l’entreprise doit souvent mettre en jeu sos plus hautes facultés. Il doit s’efforcer de faire pénétrer le sentiment d’équité à tous les niveaux de la hiérarchie.

12° Stabilité du personnel

»

Il faut du temps à un agent pour s’initier à une fonction nouvelle et pour arriver à la bien remplir — en admettant qu’il soit pourvu des aptitudes nécessaires. Si, lorsque son initiation s’achève ou avant qu’elle soit achevée, l’agent est déplacé, il n’aura pas eu le temps de rendre un service appréciable.

Et si la même chose se répète indéfiniment, la fonction ne sera jamais bien remplie.

Les fâcheuses conséquences d’une telle instabilité sont surtout redoutables dans les grandes entreprises où l’initiation des chefs est généralement longue. Il faut beaucoup de temps, en effet, pour faire connaissance avec les hommes et les choses d’une grande entreprise, pour être en mesure de décider un programme d’action, pour prendre confiance en soi et inspirer confiance aux autres. Aussi a-t-on constaté souvent qu’un chef de moyenne capacité qui dure est infiniment préférable à des chefs de haute capacité qui ne font que passer.

En général, le personnel dirigeant des entreprises prospères est stable ; celui des entreprises malheureuses est instable. L’instabilité est à la fois cause et conséquence des mauvaises marches. L’apprentissage d’un grand chof coûte généralement fort cher.

Cependant les changements de personnel sont inévitables : l’âge, la maladie, les retraites, la mort troublent la constitution du corps social ; certains agents cessent d’être capables de remplir leurs fonctions, tandis que d’autres deviennent susceptibles d’aborder de plus grandes responsabilités. Comme tous les autres principes, celui de stabilité est donc aussi une question de mesure.

13° Initiative

Concevoir un plan et en assurer la réussite est l’une des plus vives satisfaction que puisse éprouver l’homme intelligent ; c’est aussi l’un des plus puissants stimulants ’ de l’activité humaine.

Cette possibilité de concevoir et d’exécuter est ce qu’on appelle Y initiative. La liberté de proposer et celle d’exécuter sont aussi, chacune de leur côté, de l’initiative. A tous les niveaux de l’échelle sociale, le zèle et l’activité des agents sont accrus par l’initiative. L’initiative de tous, venant s’ajouter à celle du chef et, au besoin, la suppléer, est une grande force pour les entreprises. On s’en aperçoit surtout dans les moments difficiles, r

Aussi faut-il encourager et développer le plus possible cette faculté.

Il faut beaucoup de tact et une certaine vertu pour exciter et soutenir l’initiative de tous dans les limites imposées par le respect de l’autorité et de la discipline. Il faut que le chef • sache faire quelques sacrifices d’amour-propre pour donner des satisfactions de cette nature à ses subordonnés. Toutes choses égales d’ailleurs, un chef qui sait donner de 1 initiative à son personnel est infiniment supérieur à un autre qui ne le sait pas.

14° L’union du personnel

L’union fait la force .

Ce proverbe s’impose à la méditation des chefs d’entreprise.

L’harmonie , l’union dans le personnel d’une entreprise est une grande force dans cette entreprise. Il faut donc s’efforcer de l’établir.

Parmi les nombreux moyens à employer (je signalerai particulièrement un principe à observer et deux dangers à éviter. Le principe à observer c’est Vunité de commandement ; les dangers ix éviter sont : a) une mauvaise interprétation de la devise « diviser pour régner » ; b) l’abus des communications écrites. a) Il ne faut pas diviser son personnel. Diviser les forces ennemies pour les affaiblir est habile ; ftiais diviser ses propres troupes est une lourde faute contre l’entreprise.

Que cette faute résulte d’une insufïisante capacité administrative, ou d’une imparfaite compréhension des choses, ou d’un égoïsme qui sacrifie l’intérêt général à un intérêt personnel, elle est toujours condamnable parce que nuisible à l’entreprise.

Il n’est besoin d’aucun mérite pour semer la division parmi ses subordonnés ; c’est à la portée du premier venu. 11 faut au contraire un réel talent pour coordonner les efforts, stimuler le zèle, utiliser les facultés de tous et récompenser le mérite de chacun sans éveiller des susceptibilités jalouses et sans troubler l’harmonie des relations. b) Abus des communications écrites . Pour traiter une question d’affaires ou pour donner un ordre qui doit être complété par des explications, il est généralement plus simple et plus rapide d’opérer verbalement que par écrit.

On sait d’ailleurs que des conflits ou des malentendus, qui pourraient se résoudre dans une conversation, s’enveniment souvent par correspondance.

Il suit de là que, toutes les fois que c’est possible, les relations doivent être verbales. On y gagne en rapidité, en clarté et en harmonie.

Cependant il arrive que dans certaines entreprises les agents de services voisins qui ont entre eux de nombreux rapports, ou môme les agents d’un même service qui pourraient facilement se rencontrer, ne communiquent que par écrit. 1 D’où surcroît de besogne, complications et lenteurs nuisibles à 1’entreprisel. On peut constater en même temps qu’une certaine animosité règne entre les services ou entre les agents du même service. Le régime clés communications par écrit conduit habituellement à ce résultat. Il y a une manière de mettre un terme à ce régime détestable, c’est d’interdire toutes les communications écrites qui peuvent facilement et avantageusement être remplacées par les communications verbales.

Là encore nous rencontrons une question de mesure. (Je n’est pas seulement par les heureux effets derharmonic qui règne entre les agents d’une même entreprise que se manifeste la puissance de Vunion : les ententes commerciales, les syndicats, les associations de toutes sortes jouent un rôle considérable dans le gouvernement des affaires. Le rôle de l’association a singulièrement grandi depuis un demi-siècle ; j’ai vu, en 1860, les ouvriers de la grande industrie, sans cohésion, sans lien, véritable poussière d’individus ; le syndicat en fait des collectivités qui traitent d’égal à égal avec le patron. A la même époque régnait entre les grandes entreprises similaires une rivalité acharnée qui a fait place peu à peu à des relations courtoises permettant de régler, d’un commun accord, la plupart des intérêts mutuels. C’ekt le début d’une ère nouvelle qui a déjà profondément modifié les habitudes et les idées. Les chefs d’entreprise doivent tenir compte de cette évolution.

J’arrête là cette revue des principes , non pas parce que la liste en est épuisée — cette liste n’a pas de limite précise — mais parce qu’il me paraît surtout utile, en ce moment, de doter la doctrine administrative d’une douzaine de principes bien établis, sur lesquels il convient donc de concentrer la discussion publique.

Les principes précédents sont ceux auxquels j’ai eu le plus souvent recours. J’ai exprimé tout simplement, à leur égard, mon opinion personnelle. Prendront-ils place dans le code administratif qui osi à constituer ? La discussion publique en décidera.

Ce code est indispensable. Qu’il s’agisse de commerce, d’industrie, de politique, de religion, de guerre ou de philanthropie, il y a dans toute entreprise une fonction administrative à remplir, et pour remplir cette fonction on a besoin de s’appuyer sur des principes, c’est-à-dire sur des vérités admises, considérées comme démontrées. C’est le code qui représente à chaque moment l’ensemble de ces vérités. On peut s’étonner, de prime abord, que les principes de la morale éternelle, que les lois du Décalogue, que les Commandements de l’Eglise... ne soient pas pour l’administrateur un guide suffisant, qu’il ait besoin d’un code spécial. Cela s’explique : les lois supérieures d’ordre moral ou religieux n’ont généralement en vue que l’individu ou des intérêts qui ne sont pas de ce monde ; or, les principes d’administration visent généralement le succès d’associations et la satisfaction d’intérêts économiques. Le but étant différent il n’est point surprenant que les moyens ne soient pas les mêmes. Il n’y a pas identité, il n’y a pas contradiction. Sans principes, on est dans l’obscurité, dans le chaos ; sans expérience et sans mesure, on reste fort embarrassé, même avec les meilleurs principes. Le principe est le phare qui permet de s’orienter : il ne peut servir qu’à ceux qui connaissent le chemin du port.


CHAPITRE II

Eléments d’administration 1 Prévoyance — 2 Organisation — 3 Commandement 4 Coordination — 5 Contrôle.




1" PRÉVOYANCE

La maxime « gouverner c’est prévoir » donne une idée de l’importance qu’on attribue à la prévoyance dans le monde des affaires] et il est vrai que si la prévoyance n’est pas tout le gouvernement, c’en est du moins une partie essentielle. Prévoir, ici, signifie à la fois supputer l’avenir et le préparer ; prévoir , c’est déjà agir.

La prévoyance a une infinité d’occasions et de manières de se manifester ; sa principale manifestation, son signe sensible, son instrument le plus efficace, c’est le programme d’action.

Le programme d’action c’est h la fois le résultat visé, la ? ligne de conduite à suivre, les étapes à franchir, les moyens/ à employer ; c’est une sorte de tableau d’avenir où les événements prochains sont figurés avec une certaine netteté, selon l’idée qu’on s’en est faite, et où les événements lointains apparaissent de plus en plus vagues ; c’est la marche de l’entreprise prévue et préparée pour un certain temps. Le programme d’action repose : 1° sur les ressources de l’entreprise (immeubles, outillage, matières premières, capitaux, personnel, puissance de production, débouchés commerciaux, relations sociales, etc., etc.,) ; ; 2° sur la nature et l’importance des opérations en cours, et 3° sur les possibilités d’avenir, possibilités qui dépendent, en partie, des conditions teclini([ues, commerciales, linancières et autres, toutes soumises à des changements dont on no peut déterminer à l’avance ni l’importance, ni le moment. La préparation du programme d’action est l’une des opérations les plus importantes et les plus difficiles, de toute entreprise ; elle met en jeu tous les services et toutes les fonctions et particulièrement la fonction administrative . C’est, en effet, pour remplir sa fonction d’administrateur que le chef prend l’initiative du programme d’action, qu’il en indique le but et l’ampleur, qu’il fixe la part de chaque service dans l’œuvre commune, qu’il on coordonne les parties, en harmonise l’ensemble, qu’il décide, enfin, de la ligne de conduite à suivre. Dans cette ligne do conduite il faut non seulement que rien ne heurte les principes et les règles d’une bonne administration, mais encore que les dispositions adoptées facilitent l’application de ces principes et de cos règles.

Aux diverses capacités techniques, commerciales, financières et autres, nécessaires au chef de l’entreprise et à ses collaborateurs pour établir le programme d’action, doit donc s’ajouter une sérieuse capacité administrative. Caractères généraux d’un bon programme d’action . Personne ne conteste l’utilité du programme d’action ; il faut bien qu’avant d’agir on sache ce qu’on peut et ce qu’on veut. On sait que l’absence de programme s’accompagne d’hésitations, de fausses manœuvres, de changements d’orientation intempestifs qui sont autant de causes de faiblesse, sinon de ruine pour les affaires. La question de nécessité du programme d’action ne se pose donc pas, et je crois exprimer l’opinion générale en disant que le programme d’action est indispensable.

Mais il y a programme et programme : il y en a de simples, il y en a de complexes, de succincts, de détaillés, de longue ou de courte durée ; il y en a qui ont été étudiés avec une minutieuse attention, d’autres traités légèrement ; il y en a de bons, de médiocres et de mauvais. Comment distinguer les bons des autres ? Sur la valeur réelle d’un programme, c’est-à-dire sur les services qu’il peut rendre à l’entreprise, l’expérience seule peut so prononcer souverainement. Et encore faut-il tenir compte de la manière dont il est appliqué. Il y a l’instrument et l’artiste.

Il est cependant quelques caractères généraux sur lesquels -on peut s’entendre préalablement sans attendre que l’expérience ait prononcé.

L’unité de programme par exemple. Il ne peut y avoir en application qu’un programme à la fois : deux programmes différents, ce serait la dualité, la confusion, le désordre. Mais un programme peut se diviser en plusieurs parties. Dans la grande entreprise on trouve, avec le programme général , un programme technique y un programme commercial, un programme financier , etc., etc., ou encore un programme d’ensemble avec un programme particulier pour chaque service. Mais tous ces programmes sont reliés, soudés, de manière à n’en faire qu’un, et toute modification apportée à l’un quelconque d’entre eux est aussitôt traduite dans le programme d’ensemble.

L’action directrice du programme doit être continue, Or, les bornes de la perspicacité humaine limitent forcément la durée des programmes. Pour qu’il n’y ait pas d’interruption dans l’action directrice, il faut qu’un second programme succède au premier sans intervalle, un troisième au second et ainsi de suite.

Dans la grande entreprise, le programme annuel est d’un usage à peu près général. D’autres programmes, de plus longue ou de plus courte durée, toujours étroitement harmonisés avec le programme annuel, fonctionnent simultanément avec ce dernier. Le programme doit être assez souple pour se plier aux modifications que l’on juge bon d’y introduire, soit sous la pression des événements, soit pour toute autre raison. Après comme avant, il est la loi devant laquelle on s’incline. Une autre qualité du programme est d’avoir toute la px’éçjswn compatible avec l’inconnu qui pèse sur les destinées de l’entreprise. Habituellement, il est possible de tracer la ligne de conduite prochaine avec un assez grand degré de précision. Une simple directive convient aux opérations lointaines ; avant que le moment de les exécuter soit venu on aura acquis des lumières qui permettront de mieux fixer la ligne de conduite. Lorsque la part d’inconnu est relativement très grande, le programme ne peut avoir aucune précision ; l’entreprise prend alors le nom ^aventure. , Unité , continuité , souplesse, et précision, tels s^nt les caractères généraux d’un bon programme d’action. Quant aux autres qualités particulières qu’il doit posséder et qui dépendent de la nature, do l’importance et des conditions de l’entreprise pour laquelle il est fait, on ne saurait les fixer d’avance que par comparaison avec d’autres programmes qui ont été reconnus bons pour des affaires analogues. Il faut donc, pour chaque cas, chercher, dans la pratique des affaires, des éléments de comparaison, des modèles, comme fait l’architecte qui a une construction à édifier. Mieux servi que l’administrateur, l’architecte peut recourir à dos albums et à des cours d’architecture ; il n’y a pas d’albums de programmes d’action ; il n’y a pas d’enseignement de prévoyance ; la doctrine administrative est à faire.

Les bons programmes ne manquent pas ; on les devine à l’allure des affaires, mais on ne les voit pas d’assez près pour les bien connaître et les juger. Il serait cependant fort utile à tous ceux qui doivent administrer de savoir comment les chefs expérimentés s’y prennent pour dresser leurs programmes. Une douzaine d’exemples bien choisis suffiraient. A titre de document ou d’échantillon, je vais exposer la méthode qui est suivie depuis longtemps dans une grande entreprise minière et métallurgique que je connais bien. Mode d’établissement du programme d’action dans une grande entreprise minière et métallurgique . Cette Société comprend plusieurs établissements distincts et occupe environ dix mille agents.

Le programme d’ensemble se compose d’une série de programmes distincts qu’on appelle prévisions. Il y a les prévisions annuelles , les prévisions décennales , des prévisions mensuelles , hebdomadaires , quotidiennes ; il y a des prévisions à très long terme , des prévisions spéciales .Et toutes ces prévisions se fondent en un programme unique qui sert de directive à l’entreprise. 1° Prévisions annuelles

Chaque année, deux mois après la fin d’un exercice, un rapport général est fait sur les opérations et les résultats de cet exercice. lie rapport traite particulièrement de la production, des ventes, de la situation technique, commerciale et financière, du personnel, des résultats économiques,*etc. Le rapport est accompagné de prévisions qui traitent des mêmes sujets. Les précisions sont une sorte de compte rendu fait d’avance des opérations et des résultats probables du nouvel exercice.

Les deux mois écoulés du nouvel exercioe ne sont pas restés sans programme grâce à des prévisions provisoires faites quftvze jours avant la fin de l’exercice précédent. Dans une grande entreprise minière et métallurgique, il ost peu d’opérations qui se déroulent entièrement dans le cours d’une année. Les combinaisons techniques, commer ciales et financières, qui donnent son activité à l’entreprise, exigent plus de temps pour leur préparation et leur réalisation.

D’un autre côté, il faut tenir compte des répercussions que les opérations prochaines doivent avoir sur les opérations ultérieures, et de l’obligation de préparer quelquefois très longtemps à l’avance un état de choses désiré. Enfin, il faut penser aux modifications incessantes qui s’opèrent dans la situation technique, commerciale, financière et sociale du monde industriel en général et de l’entreprise en particulier et ne pas se laisser surprendre par l’événement. Ces diverses considérations sortent du cadre des prévisions annuelles et conduisent à des prévisions à plus long terme.

11° Prévisions décennales

Les prévisions décennales traitent des mêmes matières que les prévisions annuelles .

Au départ, ces deux sortes de prévisions sont identiques ; les prévisions annuelles se confondant avec la première année des prévisions décennales. Mais de notables divergences apparaissent dès la deuxième année. Pour conserver l’unité de programme, il faut chaque année mettre les prévisions décennales en harmonie avec les prévisions annuelles, si bien qu’au bout de quelques années les prévisions décennales sont généralement tellement modifiées, transformées, qu’elles ne sont plus claires et qu’on sent le besoin de les refaire. Et en effet, l’usage s’est établi de les refaire tous les cinq ans.

La règle est que les prévisions décennales embrassent toujours une décade, et qu’elles sont refaites tous les cinq ans. Ainsi on a toujours une ligne de conduite tracée d’avance pour cinq ans au moins. III ° Prévisions spéciales

Il est des opérations dont le cycle dépasse une ou même plusieurs périodes décennales ; il en est d’autres qui, surgissant tout à coup, doivent modifier sensiblement les conditions de l’entreprise. Les unes et les autres sont l’objet de prévisions spéciales dont les conclusions prennent naturellement place dans les prévisions annuelles et décennales. On ne perd jamais de vue qu’il n’y a qu’un programme. Ces trois sortes de prévisions — annuelles , décennales , spéciales — fondues, harmonisées, constituent le programme général de l’entreprise.

Préparées avec un soin minutieux par chaque direction locale avec le concours des chefs de services ; revues, modifiées, complétées par la direction générale ; soumises à l’examen et à l’approbation du Conseil d’administration, ces prévisions deviennent le programme qui servira de guide, de directive, de loi, pour tout le personnel tant qu’il n’aura pas été remplacé par un autre.

Voici la table des matières traitées dans les prévisions annuelles et décennales et un modèle des tableaux qui complètent et résument ces provisions.

PRÉVISIONS ANNUELLES OU DÉCENNALES Table des matières Partie technique. Concessions. — Immeubles. — Matériel. Exploitation. — Fabrication. — Productions. Travaux neufs. — Améliorations. Entretien des immeubles et du matériel. / Prix de revient. Partie co m merciale . Débouchés. Produits disponibles pour les ventes. Comptoirs. — Ententes. Clients : Importance. — Solvabilité. Prix de vente. Partie financière. Capital. — Emprunts. — Dépôts. Fonds de roulement. / Approvisionnements.

Marchandises. 

j Débiteurs. ( Fonds liquides. Fonds disponibles. Réserves et provisions diverses. i Salaires. Créditeurs. Fournisseurs. *

Divers. 

Amortissements. — Dividendes. — Banquiers. Comptabilité .

Bilan. — Profits et pertes. — Statistique.

Sécurité. Mesures prises contre les accidents. Gardes. — Contentieux. — Service de santé. Assurances. Administration. Programme d’action. Organisation du personnel. — Recrutement. Commandement. Coordination. — Conférences. Contrôles. (Suit le tableau) (tableau) (tableau) Il y a cinquante ans que j’ai commencé à employer ce système de prévisions. 11 s’agissait alors de la direction d’une houillère. Il m’y rendit de tels services que je n’hésitai pas à l’appliquer ensuite aux diverses industries dont la direction me fut confiée. Je le considère comme un précieux instrument de direction et je n’hésite pas à en recommander l’emploi à ceux qui ne disposent pas d’un instrument meilleur. Il ne va pas sans quelques inconvénients, mais ses inconvénients sont bien peu de chose en comparaison des avantages qu’il présente.

Jetons un coup d’œil sur ces avantages et ces inconvénients.

Avantages et inconvénients des prévisions. a) L’étude des ressources, des possibilités d’avenir et des moyens à employer pour atteindre le but, appelle l’intervention de tous les chefs de service dans le cadre de leurs attributions ; chacun apporte dans cette étude le concours de son expérience avec le sentiment de la responsabilité qui lui incombera dans la réalisation du programme. Ce sont là d’excellentes conditions pour qu’aucune ressource ne soit négligée, pour que les possibilités d’avenir soient évaluées avec courage et prudence, et pour que les moyens soient bien adaptés au but.

Sachant ce qu’elle peut et ce qu’elle veut, l’entreprise prend une allure ferme ; elle aborde les affaires courantes avec sûreté et elle est préparée à dresser toutes ses forces contre les surprises et les accidents de toute nature qui peuvent se présenter.

b) La confection du programme annuel est toujours une opération délicate ; elle est particulièrement longue et laborieuse quand on l’effectue pour la première fois. Mais chaque renouvellement amène quelque simplification et lorsque le programme est devenu une habitude, la peine et les difficultés sont grandement réduites.

L’intérêt qu’il présente va, au contraire, en augmentant : l’attention que réclame la réalisation du programme ; la comparaison qui s’impose entre les faits prévus et les faits réels ; la constatation des erreurs commises et aussi des succès obtenus ; la recherche des moyens de reproduire les uns et d’éviter les autres, tout cela fait du programme nouveau un travail de plus en plus intéressant et de plus en plus utile. En faisant ce travail le personnel accroit sa valeur d’année en année et il se trouve au bout d’un certain temps très supérieur à ce qu’il était au début.

A la vérité, ce résultat n’est pas uniquement dû h l’exercice de la prévoyance. Mais tout se tient : un programme bien étudié ne va pas ordinairement sans de saines pratiques d’organisation, de commandement, de coordination et de contrôle. Cet élément de Y administration influe sur tous les autres.

c) Le manque de suite dans l’action et les changements injustifiés d’orientation sont des dangers qui menacent constamment les affaires sans programme. Le moindre vent contraire fait dévier le navire qui ne s’est pas préparé à résister. Lorsque surgissent de graves événements, des changements regrettables d’orientation peuvent être décidés sous l’influence d’un trouble profond, mais passager. Seul, un programme mûrement étudié en période tranquille permet de conserver une claire vision de l’avenir et do concentrer sur le danger présent la plus grande somme possible do facultés intellectuelles et de forces matérielles. C’est surtout dans les moments difficiles qu’un programme est nécessaire. Le meilleur programme n’a pu prévoir d’avance tous les événements extraordinaires qui peuvent survenir ; mais il a fait une part à ces événements et il a préparé les armes dont on pourra avoir besoin au moment des surprises. Le programme défend l’entreprise non seulement contre les changements fâcheux d’orientation que de graves événements peuvent susciter, mais aussi contre ceux qui proviennent parfois tout simplement de la versatilité des autorités supérieures. 11 la protège aussi contre des déviations, d’abord insensibles, qui finiraient parla détourner de son but. ^ Conditions et qualités nécessaires a l’établissement d’un bon programme d’action

En résumé, le programme d’action facilite l’utilisation des ressources de l’entreprise et le choix des meilleurs moyens à employer pour arriver au but ; il supprime ou réduit les hésitations, les fausses manœuvres, les changements injustifiés d’orientation ; il contribue à l’amélioration du personnol. C’est un précieux instrument de gouvernement. On doit se demander pourquoi un tel instrument n’est pas partout usité et partout porté à son plus haut degré de perfection. La raison en est probablement que sa confection exige chez le personnel dirigeant un certain nombre de qualités et de conditions assez difficiles à rpunir. La confection d’un bon programme d’action exige chez le personnel dirigeant :

1° L’art de manier les hommes ; 2° beaucoup d’activité ; 3° un certain courage moral ; 4° une assez grande stabilité ; 5° une certaine compétence dans la spécialité professionnelle de’ l’entreprise ; 6° une certaine expérience générale des affaires.

1° L’art de manier les hommes .

Dans une grande entreprise, la plupart des chefs de service participent à la confection du programme de marche. Cette besogne vient, par intervalles, s’ajouter au travail quotidien ordinaire ; elle comporte une certaine responsabilité et elle ne donne lieu habituellement à aucune rémunération spéciale.

Pour obtenir des chefs de service, dans ces conditions, une collaboration loyale et active, il faut un habile manieur d’hommes, ne craignant ni la peine, ni les responsabilités. L’habile manieur d’hommes se reconnaît au zèle des subordonnés et à la conüanoe des supérieurs. 2° Activité.

Les prévisions annuelles, les prévisions décennales et les prévisions spéciales exigent de la part du personnel dirigeant une attention continuelle.

i

3° Courage moral.

On sait bien que le programme le mieux étudié ne se réalisera jamais exactement ! Les prévisions ne sont point des prophéties. Elles ont pour but de réduire la part de l’imprévu t Cependant, le public, et mépie les intéressés de l’entreprise les plus éclairés sur la marche des affaires, sont sans bienveillance pour le chef qui avait fait naître, ou laissé naître des espoirs non réalisés. D’où nécessité d’une certaine prudence, qu’il faut concilier avec l’obligation de faire tous les préparatifs que comporte la recherche du meilleur résultat possible. Les timorés sont tentés de supprimer le programme ou de le rendre insignifiant afin de ne point donner prise à la critique. C’est un mauvais calcul, même à leur point de vue personnel. L’absence de programme qui compromet la marche des affaires expose le chef à des responsabilités infiniment plus graves que celle d’avoir à expliquer les causes de prévisions imparfaitement réalisées. 4° Stabilité du personnel dirigeant. 11 s’écoule un assez long temps avant qu’un nouveau directeur ait pu prendre une connaissance suffisante des opérations en cours, de la valeur des agents, des ressources de l’entreprise, de son organisation générale et de ses possibilités d’avenir, pour aborder utilement la confection du programme d’action. Si, à ce moment, il sent qu’il no disposera pas du temps nécessaire pour achever ce travail ou seulement pour en voir commencer la réalisation ; si, d’autre part, il est convaincu que ce travail, condamné à rester stérile, ne peut lui attirer que des critiques, peut on croire qu’il l’exécutera avec ardeur ou meme qu’il l’entreprendra s’il n’y est pas obligé ? 11 faut compter avec la nature humaine. Sans stabilité du personnel dirigeant, il ne peut pas y avoir de bon programme de marche.

5° et 6° Compétence professionnelle et connaissarice générale clés affaires .

Ce sont des capacités aussi nécessaires à la confection du programme qu’à sa réalisation.

Telles sont les conditions nécessaires à la confection d’un bon programme d’action. Elles impliquent une direction intelligente et expérimentée.

L’absence de programme ou un mauvais programme sont des signes d’incapacité du personnel dirigeant. Pour protéger les affaires contre cette incapacité il faut : 1° Rendre le programme obligatoire ; 2° Mettre de bons modèles de programmes à la portée du public ;

(On peut demander ces modèles aux affaires prospères. L’expérience et la discussion publique désigneront les meilleurs.)

3° Introduire la prévoyance dans l’enseignement.

Ainsi, l’opinion publique pourra s’éclairer et agir sur le personnel dirigeant dont l’incapacité sera moins à craindre*, ce qui ne diminuera nullement l’importance relative des hommes de valeur.

Je n’entrerai ici dans aucun détail sur les prévisions mensuelles, hebdomadaires et quotidiennes qui sont en usage dans la plupart des entreprises et qui, comme les prévisions de longue durée, ont pour but de tracer d’avance la ligne de conduite jugée la plus favorable au succès. Toutes ces prévisions doivent arriver assez tôt pour qu’on ait le temps d’en préparer la réalisation. Prévoyance nationale

La nation française est prévoyante ; son gouvernement ne l’est pas (1).

Etablissons d’abord le fait, nous en chercherons ensuite les causes et, s’il est possible, les remèdes. Le légendaire bas de laine ne laisse aucun doute sur la prévoyance de la partie peu fortunée de la population française ; elle économise pour améliorer sa situation et pour se prémunir contre les mauvais jours possibles. Les compliments qu’on lui adresse à ce sujet prouvent que ce n’est point une coutume universelle. Cette prévoyance montre la faculté de s’imposer des privations pour atteindre un but ; elle n’exige point un grand effort intellectuel. La vie de famille des ouvriers d’élite et des contre-maîtres est souvent un modèle de prévoyance et d’organisation dont la femme est le principal artisan et dont la raison est le désir (Il Ceci est écrit depuis longtemps. Dans le chapitre intitulé Leçons de la Guerre, je dirai les réflexions que les récents événements m’ont inspirées.

d’un relèvement social, pour les enfants au moins. Le programme exige déjà quelques calculs, mais il peut tenir dans le cerveau du chef de la famille.

Dans la petite industrie ouïe petit commerce, les affaires plus complexes exigent un degré de prévoyance de plus. Ceux, qui ne sont pas pourvus de cette capacité le paient chèrement. On rend généralement hommage aux qualités de nos classes moyennes.

Nous savons quelle est l’importance’de la prévoyance dans la grande entreprise et quelles qualités elle exige chez le personnel dirigeant : compétence professionnelle, expérience, capacité administrative, activité, courage moral, etc. Cet ensemble de qualités se trouve dans la majorité des grandes entreprises françaises.

Pour autant qu’il nous est permis d’en juger par la lecture des débats parlementaires, on n’en peut dire autant de l’Etat français.

Les prévisions annuelles (budget) y sont rarement terminées en temps utile ;

Les prévisions k long terme y sont rares. Dans cette immense entreprise, qui a besoin d’une extrême prévoyance, on vit un peu au jour le jour. Pourquoi ?

La raison immédiate est Vinstabilité ministérielle . Des ministres qni ne font que passer n’ont pas le temps d’acquérir la compétence professionnelle, l’expérience des affaires et la capacité administrative qui sont indispensables pour la confection d’un programme d’action. L’éloquence de la tribune qui est, il n’est que trop vrai, de première nécessité pour un ministre, ne le dispense pas des connaissances que donnent, au bout d’un certain temps, la pratique des affaires et l’exercice du pouvoir. Une certaine stabilité s’impose. L’instabilité ministérielle est une plaie pour le pays.

Le jour où l’opinion publique en sera bien convaincue, les partis, sachant que ce jeu est devenu dangereux, no s’y livreront plus aussi légèrement qu’aujourd’hui. Une autre raison de l’imprévoyance de l’Etat est l’absence de responsabilité des dirigeants. La responsabilité financière par exemple, ce puissant stimulant des chefs d’affaires privées, est à peu près nulle dans l’Etat. Le remède à ce mal est encore dans la stabilité ministérielle qui attache le ministre à son œuvre et lui donne la valeur morale, seule garantie réelle de gestion des très grandes entreprises. Donc, au seul point de vue de la prévoyance , il faut faire les plus grands efforts pour arriver h la stabilililé ministérielle.

2 ORGANISATION

1 Organiser une entreprise, c’est la munir de tout ce qui est utile à son fonctionnement : matières, outillage, capitaux, „ personnel.

On peut faire, dans cet ensemble, deux grandes divisions : l’organisme matériel et l’organisme social. Il ne sera question ici que de ce dernier. Pourvu des ressources matérielles nécessaires, le personnel, le corps social, doit être capable de remplir les six fonctions essentielles, c’est-à-dire d’exécuter toutes les opérations que comporte l’entreprise.

Mission administrative du Corps social. Entre le corps social de l’entreprise rudimentaire où un homme seul remplit toutes les fonctions, et celui de l’entre" prise nationale qui emploie des millions d’individus se trouvent tous les intermédiaires possibles.

— Dans tous les cas, le corps social a à remplir la mission administrative suivante :

1° Veillera ce que le programme d’action soit mûrement préparé et fermement exécuté ;

2° Veiller à ce que l’organisme social et l’organisme matériel soient en rapport avec le but, les ressources et les besoins de l’entreprise ;

3° Etablir une direction unique, compétente et vigoureuse ; 4° Concerter les actions, coordonner les efforts ; 5° Formuler des décisions claires, nettes et précises ; 6° Concourir à un bon recrutement : chaque service devant avoir à sa tête un homme compétent et actif, chaque agent devant être à la place où il peut rendre le plus de services ; 7° Définir nettement les attributions ; 8° Encourager le goût des initiatives et des responsabilités ; 9° Rémunérer équitablement et habilement les services rendus ;

10° Prendre des sanctions contre les fautes et les erreurs ; 11° Faire observer la discipline ; 12° Veiller à ce que les intérêts particuliers soient subordonnés à l’intérêt de l’entreprise ; 13° Donner une attention particulière à l’unité de commandement ;

14° Surveiller l’ordre matériel et l’ordre social ; 15° Faire tout contrôler ;

16° Combattre les abus de réglementation, de ’formalisme

  • bureaucratique et de paperasserie, etc., etc.

Telle est la mission administrative que le personnel de toute entreprise doit remplir. Elle est simple dans l’entreprise rudimentaire ; elle se complique de plus en plus à mesure que l’entreprise devient plus importante et le personnel plus nombreux.

Nous constaterons d’abord que, malgré l’infinie diversité des entreprises, tous les corps sociaux de même importance numérique ont entre eux une grande ressemblance extérieure et qu’ils diffèrent surtout par la nature et la valeur de leurs éléments constitutifs.

Nous examinerons ensuite les organes du corps social ainsi que les individus qui composent ces organes et nous chercherons quelles sont’’conditions que les uns et les autres doivent remplir pour que le corps social soit bien constitué. Enfin, nous nous occuperons du recrutement et de la formation du personnel des entreprises. Constitution du corps social.

(A) Forme du corps social h ses divers degrés de développement. — Ressemblances. — Importance du facteur individuel. — Analogies. La forme générale du corps social dépend presque uniquement du nombrè des agents de l’entreprise. Considérons d’abord l’entreprise industrielle représentée à ses divers degrés de développement par les figures du tableau n° 6.

(а) Est l’artisan unique de l’entreprise rudimentaire ; (б) Est le personnel de la petite entreprise où quelques ouvriers seulement reçoivent directement les ordres du chef de l’entreprise ;

(c) Quand le nombre des ouvriers s’élève à dix, vingt, trente..., selon les cas, un contre-maître, un intermédiaire intervient entre le chef et l’ensemble ou une partie des ouvriers. Le corps social prend alors la forme (c) ; (d) à (g) Chaque nouveau groupe de dix, vingt, trente ouvriers fffft apparaître un nouveau contre-maître ; deux, trois, quatre ou cinq contre-maîtres déterminent la nomination d’un chef d’atelier ; deux, trois, quatre ou cinq chefs d’atelier donnent naissance à un chef de division.Et le nombre des degrés hiérarchiques continue ainsi à s’accroître jusqu’au chef suprême, chaque nouveau chef n’ayant généralement pas plus de quatre ou cinq subordonnés directs. A raison de quinze ouvriers par contre-maître et de quatre chefs d’un degré quelconque C n pour un supérieur 0“ + le nombre des ouvriers d’une entreprise serait : Avec le chef initial C, de. 15

— C 1 , de. GO

— C 2 , de. 240

— C 3 , de. 960 TABLEAU N 6 FORME OU CORPS SOCIAL A SES DIVERS DEGRÉS DE DÉVELOPPEMENT Avec le chef initial C 4 , de. 3.840 - C 5 , de. 15.360

— . . C 6 , dë. 61.640

— C 7 , de. 245.760

— C 8 , de. 983.040

— C 9 , de.. 3.932.160*

— C !0 , de. 15.728.640

— G 11 , de. 62.914.560

— C 12 , de. 251.658.240

Je cite ces chiffres— qui sont ceux d’une simple progression géométrique dont le premier terme est 15 et la raison 4 — afin de montrer que le mode de développement ordinaire du corps social so prête bien au groupement d’un nombre quelconque d’agents, et que le nombre de degrés hiérarchiques des plus grandes affaires est assez limité. Si on marquait chaque degré hiérarchique par un galon, le nombre des galons des plus grands chefs d’industrie ne dépasserait pas huit ou neuf et celui des plus grands chefs politiques ou religieux, dix h douze.

Le corps social de toutes les sortes d’entreprises se constitue de la même manière que celui des entreprises industrielles, de sorte que, au même degré de développement , tous les corps sociaux se ressemblent. Cette ressemblance s’explique par l’identité des fonctions dans les entreprises de même espèce, ou par l’existence d’une majorité de fonctions semblables dans les entreprises d’espèce différente. Elle est complète dans les entreprises de même espèce ; incomplète, mais encore très marquée, dans les autres. Comme exemple voici deux tableaux (n° 7 et n° 8) représentant les cadres de deux entreprises industrielles de nature différente — une mine de houille et une usine métallurgique

— occupant chacune de mille à deux mille ouvriers. C’est le même aspect général, les mêmes services principaux portant les mêmes dénominations sauf que le service technique s’appelle fabrication dans un cas et exploitation dans l’autre.

Le même cadre convient à toutes les entreprises industrielles occupant le même nombre d’ouvriers, quelle que soit .leur nature.

Dans les entreprises industrielles c’est le service technique qui est prépondérant ; s’il s’agissait d’entreprises commerciales, ce serait le service commercial ; ce serait le service militaire dans l’armée, le service pédagogique dans l’école, le service religieux dans l’église... L’organe le plus développé est celui de la fonction professionnelle caractéristique de l’entreprise. Mais, dans son ensemble, le corps social garde toujours, au même degré de développement, le même aspect général.

Même aspect général ne veut pas dire même constitution intime, même valeur organique. De deux corps sociaux de môme apparence, l’un peut être excellent, l’autre mauvais, selon la valeur des individus qui les composent. Si l’on pouvait faire abstraction du facteur individuel, il serait assez facile de constituer un organisme social. Ce serait à la portée du premier venu ayant quelque idée des modèles courants et disposant des capitaux nécessaires. Mais pour créer un corps social utile il no suffit pas de grouper des hommes et de distribuer des fonctions ; 1 il faut savoir approprier l’orgartisme aux besoins,/trouver les hommes nécessaires et mettre chacun à la place où il peut rendre le plus de services ; il faut, en somme, de nombreuses et sérieuses qualités.

On compare fréquemment le corps social des entreprises a une machine , à un végétal , à un animal. Les expressions « machine administrative », « rouage administratif » donnent l’idée d’un organisme qui obéit à Direction. Directeur et son Etat-Major TABLEAU N* 7 USINE Fabrication. ] Ingénieur principal. .. . , [ Approvisionnement.. Hauts fourneaux ) 1 r Chef de service. / „ , . .. ( Fabrication. . tri [ Thomas. Aciéries. Chef de service. I .. .. ’ Martin.. Réversible .. Moyens mills__ Petits mills. Tôlerie. Tournerie à cylindres. Laminoirs. Chef de service. Laboratoires et essais. Entretien, constructions, divers Chef de service. Service commercial Chef de service. Comptabilité.... Chef de service. Caisse.. ^ Entretien et const 01 »». ( Electricité.

! Achats. 

Ventes. Magasins. ^ Technique... ( Commero»* et générK | Contentieux Divers.. Service médical { Police. Surveillant. Ü/niaitre chef. Ingénieur. iD d° d° C/maltre. d° Chimiste. ChH de bureau. C/maitre. Chef de bureau. d° Magasinier. ClnTde bureau. d° Caissier. Chef de service. Médecins. Gardes. Direction. Directeur et son Etat-Major. TABLEAU N* 8 HOUILLÈRE Travaux souterrains. Carrières , Exploitation. Ingénieur principal. Préparation mécanique . Chef de service. Transports. Chef de service. Entretien, constructions, divers. Chef de service. Service commercial Chef de service. Comptabilité.... Chef de service. Caisse. Divers. l re division. Ingénieur. 2* d° . d° 3* cl° . d° 4 e d° do Service des plans.... Chef de bureau. Ingénieur. Triage. Surveillant Lavage . d° Agglomération. d° Carbonisation. d° Laboratoire. Chimiste. Chemins de fer..... Surveillant. Equipages.. do Mécanique. Ingénieur. Electricité. d° Bâtiments, chemins.. Employé princ 1 . Achats. Chef de bureau. Ventes. do Magasins. Magasinier. Technique. Chef de bureau. Commère* 8 et générK do Caissier. Contentieux. Chef de service. Service médical. Médecins. Police. Gardes.

l’impulsion du chef et dont toutes les parties, bien reliées, se meuvent ensemble et concourent au même but. Et cela est excellent. Mais elles pourraient aussi donner l’idée que, comme le rouage mécanique, le rouage administratif ne peut transmettre le mouvement qu’en laissant perdre de la force. Et cela est une idée fausse : le rouage administratif — tout chef intermédiaire — peut et doit être producteur de mouvement et d’idées. Il y a dans chacun de ces rouages, dans chacun de ces chefs intermédiaires, une force d’initiative qui, bien employée, peut étendre considérablement la puissance d’action du chef de l’entreprise. Ce n’est donc pas uniquement dans la déperdition de la force initiale à travers la multiplicité des transmissions qu’il faut chercher la limite d’action d’un organisme administratif. C’est plutôt dans une insulïisance de l’autorité supérieure : la force centrifuge l’emporte quand la force centrale faiblit. La vie végétale a été aussi l’occasion de nombreux rapprochements avec la vie sociale.

Au point de vue du développement, sur la jeune tige unique de l’arbre, prennent naissance des branches qui sc ramifient et se couvrent de feuilles. Et la sève porte la vie dans toutes les branches et jusque dans les rameaux les plus ténus, comme l’ordre supérieur porte l’activité jusqu’aux extrémités les plus infimes et les plus lointaines du corps social.

Les arbres « ne grandissent pas jusqu’au ciel » ; les corps sociaux ont aussi leurs limites. Est-ce insuffisante force d’ascension de la sève dans le premier cas, insuffisante capacité administrative dans le second ?

Mais certaine force, certaine puissance que l’arbre ne peut atteindre par son seul développement, peuvent résulter du groupement, de la juxtaposition, de la forêt. C’est ce que l’entreprise obtient par les ententes, les comptoirs, les trusts, les fédérations. Chaque unité, conservant une assez large autonomie, apporte à la communauté un concours qui lui est largement rendu.

A partir d’un certain degré de grandeur qui ne peut être que difficilement dépassé, le groupement par juxtaposition est le moyen de constituer de puissantes associations et de développer des individualités ou des collectivités vigoureureuses, avec le moindre effort administratif. C’est surtout à l’animal quo l’être social est souvent comparé.

L’homme joue dans le corps social un rôle analogue à celui de la cellule dans l’animal : cellule unique dans l’entreprise rudimentaire, millième ou millionième partie du corps social dans la grande entreprise.

Le développement de l’organisme s’opère par le groupement des unités élémentaires (hommes ou cellules) et les organes apparaissent, se différencient et se perfectionnent à mesure que le nombre des éléments réunis augmente. Dans l’être social, comme dans l’animal, un petit nombre de fonctions essentielles accomplissent une infinie variété d’opérations.’ On peut faire de nombreux rapprochements entre les fonctions des deux sortes d’organismes. Le système nerveux, notamment, a de grandes analogies avec le service administratif. Présent et actif dans tous les organes, il n’a généralement pas de membre spécial et n’est point visible à l’observateur superficiel. Il recueille, on tous points, des sensations qu’il transmet d’abord à des centres inférieurs, centres réflexes, puis, de là, s’il y a lieu, à la tête, à la direction. De ces centres ou du cerveau part ensuite l’ordre qui, par un chemin inverse, arrive au membre ou au service qui doit exécuter le mouvement. Le corps social a, comme l’animal, ses actes réflexes ou ganglionnaires qui s’effectuent sans intervention immédiate de l’autorité supérieure. Sans l’action nerveuse ou administrative, l’organisme devient une masse inerte et dépérit rapidement. (B) Organes ou membres du corps social Ces organes sont ceux des six fonctions essentielles. Dans l’entreprise rudimentaire ils peuvent être représentés par un seul agent ; dans l’entreprise nationale, les fonctions essentielles, extrêmement complexes et subdivisées, occupent beaucoup de monde et conduisent à la création d’organes ou de sous-organes très nombreux.

Pour étudier les organes du corps social je prendrai d’abord pour exemple une grande entreprise industrielle, constituée sous la forme anonyme, à la fois minière et métallurgique — occupant environ dix mille personnes —. Le tableau suivant représente les cadres du personnel de cette entreprise.

En allant de gauche à droite on voit d’abord le groupe des actionnaires, puis le Conseil d’administration, puis la direction générale. Jusque-là le pouvoir est allé en se concentrant. A partir de là, il se disperse et se répand jusqu’aux extrêmes confins de l’entreprise en passant par les directions régionales, les directions locales et divers chefs de service. On peut distinguer dans le corps social de la Société anonyme les principaux organes suivants : 1° Groupe des actionnaires ;

2° Conseil d’administration ;

3° Direction générale et son Etat-Major ; 4° Directions régionales et locales ; 5° Ingénieurs principaux ;

6° Chefs de services ;

7° Chefs d’ateliers ;

8° Contre-maitres ;

9° Ouvriers. (TABLEAU N° 9 ) GRANDE ENTREPRISE INDUSTRIELLE

Usine I).. Usines .. ; Usine E. Usine F.. „ . .. .. ( Travaux souterrains. Exploitation ] ( Préparation mécanique. Entretien et constructions.. Service commercial. Comptabilité. Service financier. Service de sécurité. d° d° f Hauts fourneaux. Fabrication ? Aciéries. ( Laminoirs. Entretien et constructions. Service commercial. Comptabilité. Service financier. Service de sécurité. 1 Hauts fourneaux. Fonderies.* Ateliers. Entretien et constructions. Service commercial. 1 Comptabilité. Service financier. Service de sécurité. i Aciéries. i Fabrication < Laminoirs. 1 [ Ateliers. | Entretien et constructions, i Service commercial. I Comptabilité, f Service financier. • Service de sécurité. Sociétés liliales C Mines. ( Usines.


1° Actionnaires

Leur rôle est fort réduit. 11 consiste principalement : (a) A nommer les membres du Conseil d’administration et les commissaires-vérificateurs des comptes ; (b) A délibérer sur les propositions du Conseil d administration.

Ils se réunissent au moins une fois par an. L’acte le plus important et le plus difficile des actionnaires est la nomination des administrateurs. 2° Conseil d*administration

Le Conseil d’administration possède des pouvoirs statutaires très étendus. Ces pouvoirs sont collectifs. 11 en délègue généralement une très grande partie à la direction générale qu’il nomme. 11 doit être en mesure d’apprécier les propositions de la direction générale et d’exercer un contrôle général. Le tableau n° 5 indique les diverses capacités nécessaires au Conseil. 3° Direction générale

La direction générale est chargée de conduire l’entreprise vers son but, en cherchant à tirer le meilleur parti possible des ressources dont elle dispose . C’est le pouvoir exécutif. Elle dresse le programme d’action, recrute le personnel, ordonne le mouvement, assure et contrôle l’exécution des opérations.

Elle se compose tantôt d’un seul, tantôt de plusieurs directeurs généraux.

Le directeur général unique peut être en rapports directs, soit avec les directeurs locaux, soit avec des intermédiaires (chefs de groupes d’établissements ou chefs de services généraux, techniques, commerciaux, etc.).

Les directeurs généraux multiples se partagent les attributions de la direction générale de manières diverses. L ’unité a, sur la pluralité , l’avantage de iaciliter Vunilé de vues, limité d’action, Vunité de commandement. Elle tend à prévaloir. Mais en ces sortes de matières, la valeur personnelle des hommes a une importance énorme qui l’emporte sur le système.

Dans tous les cas, la Direction générale s’appuie sur un Etat-Major.

Etat-Major. — L’Etat-Major est un groupe^ d’hommes disposant de la force, de la compétence et du temps qui peuvent manquer au directeur général. C’est une aide, un renfort, une sorte d’extension de la personnalité du chef. 11 n’est pas hiérarchisé et ne reçoit des ordres que du directeur général. Ce groupe d’agents s’appelle Y Etat-Major dans l’armée ; je lui ai conservé ce nom à défaut d’un autre qui m’ait paru préférable.

Cet organisme est destiné à venir en aide au chef dans l’accomplissement de sa mission personnelle. Si le chef est en mesure de remplir lui-même toutes les obligations de sa charge, il n’a pas besoin d’Etat-Major ; mais si ses forces ou ses connaissances sont insuffisantes, ou si le temps lui manque, il est obligé de se faire aider, et ce sontles personnes qui lui viennent en aide qui constituent son Etat-Major. Or, il est bien peu de grands chefs qui puissent suffire à la fois l°à leurs obligations journalières de correspondance, de réceptions, de conférences et de démarches diverses ; 2° au commandement et au contrôle ; 3° aux études de toutes sortes qu’exige la préparation des programmes d’avenir et l’harmonisation des programmes en cours ; 4° à la recherche des perfectionnements qu’il faut sans cesse introduire dans tous les domaines. Aussi voit-on des Etats-Majors dans la plupart des grandes entreprises, sous les apparences les plus variées : secrétaires, spécialistes-conseils(ingénieurs,juristes, financiers, comptables), comités consultatifs, bureauxd’études, laboratoires, etc.

Pour qu’ils puissent être entièrement à la disposition du chef et n’avoir de responsabilité que vis-à-vis de lui, les agents de TEtat-Major no participent pas à l’exécution des services subordonnés. Mais rien ne s’oppose à ce que le même agent soit, pendant une partie de son temps, attaché à TEtat-Major et pendant une autre partie à un service quelconque. Rien ne s’oppose non plus à ce qu’un agent de l’Etat-Major ne soit pas exclusivement attaché à 1 entreprise. Tel spécialiste-conseil par exemple peut utilement donner à TEtat-Major une heure par jour, ou par semaine, ou par mois. La constitution et le fonctionnement de TEtat-Major se prêtent à des modalités fort diverses. Il suffit qu’il soit entièrement à la disposition du chef et que, grâce à son intervention, toutes les obligations de la direction puissent être satisfaites. Perfectionnements. — Parmi ces obligations, Tune des plus importantes est la recherche des perfectionnements. On sait bien qu’une entreprise qui ne progresse pas est bientôt en retard sur ses rivales et qu’il faut, par conséquent, poursuivre sans cesse le progrès dans tous les domaines. Pour réaliser des perfectionnements, il faut de la méthode , de la compétence , du temps , de la volonté et des ressources financières .

La méthode consiste :

A observer, à recueillir et à classer les faits , à les interpréter, à instituer des expériences s il y a lieu , et h tirer de tout cet ensemble d’études , des règles qui, sous l’impulsion du chef , entreront dans la pratique des affaires. La plupart des perfectionnements qui ont élevé la science des affaires à son niveau actuel, procèdent do la même méthode qui n’est autre, en réalité, que la méthode cartésienne. Bien entendu, il ne suffît pas de connaître la définition de la méthode pour être capable de s’en servir utilement. 11 y faut, en outre, des aptitudes naturelles que l’expérience développe.

La compétence désigne ici une connaissance assez approfondie do la matière sur laquelle portent les recherches. Or, le chef le plus instruit ne peut pas être vraiment compétent dans toutos les questions d’ordre différent que soulève la direction d une grande entreprise.

Absorbés par la besogne courante et par les grosses questions qu’il faut régler sans retard, les chefs n’ont généralement pas le temps qu’il faut pour pouvoir se consacrer aux recherches de perfectionnement.

On peut admettre qu’ils ont la volonté de tenir l’entreprise au niveau du progrès et que l’entreprise met à leur disposition toutes les ressoiuxes financières nécessaires . Tel est l’ensemble de facteurs dont l’action doit être combinée pour arriver à la découverte d’un perfectionnement dans l’un quelconque des multiples organes matériels ou sociaux d’une grande entreprise.

Cette action doit se poursuivre sans cesse à tous les niveaux et dans toutes les parties de l’entreprise. Il faut donc que le chef (chef d’entreprise, chef de service, chef d’atelier) ait la volonté active et persistante du perfectionnement ; il faut aussi qu’il dispose du crédit nécessaire pour poursuivre les recherches utiles. Mais ne pouvant avoir ni tout le temps ni toutes les compétences qu’exigent ces recherches, il faut qu’il ait recours à un Etat-Major.

Dans une grande entreprise minière et métallurgique, par exemple, l’Etat-Major se manifeste autour de la direction générale par des spécialistes-conseils (métallurgistes, mineurs, constructeurs, architectes, électriciens, géologues, chimistes, juristes, comptables, etc.), les uns entièrement attachés à l’entreprise, d’autres ne lui donnant qu’une partie de leur temps ; autour des directions locales, par des secrétaires techniques, des agents spéciaux, des bureaux d’études, des laboratoires, etc.

C’est par la collaboration intime et continue du service exécutif et de l’Etat-Major que se réalisent la plupart des innombrables perfectionnements dont la description remplit les publications techniques.

4° Directions régionales et locales

Le groupe d’établissements comportant uno direction générale constitue la grande unité industrielle. L’unité industrielle , comme on l’entend généralement, c’est l’exploitation agricole, la mine, l’usine, l’atelier, avec son directeur. Il y a de petites unités, il y en a de moyennes, il yen a de grandes et de très grandes.

Dans la petite et moyenne unité, le directeur est généralement en relation -avec tous les chefs de service ; dans la grande usine, souvent un ingénieur principal sert d’intermédiaire entre le-directeur et les chefs de service technique. Les pouvoirs du directeur local dépendent à la fois de la nature des choses et du partage d’attributions qui s’est fait entre la direction générale et la direction locale. Parfois ces pouvoirs confinent à l’autonomie ; ils sont parfois assez restreints.

L<*s qualités et connaissances nécessaires découlent naturellement de ces pouvoirs ; nous savons déjà par les tableaux n° 1 et n° 5 que le directeur d’un grand établissement industriel doit être avant tout administrateur, qu’il doit posséder à un assez haut degré la capacité technique et qu’il doit être en mesure d’assurer la marche des quatre autres fonctions essentielles.

On trouve dans la plupart des directions locales un Etal-Major où peuvent figurer des secrétaires administratifs, des secrétaires techniques, des spécialistes-conseils, des bureaux d’études, des laboratoires.

Système Taylor.

J’ai cherché à me faire une idée un peu précise du système d’organisation dit Système Taylor dont il est beaucoup question depuis quelques années. Ce n’est pas facile : pour certains c’est la direction du travail des ouvriers basée sur « 

une étude attentive et minutieuse du temps et des mouvements ; pour d autres, cest l’acier à coupe rapide, ce sont des méthodes de comptabilité et de rémunération, etc. C’est probablement un peu de tout cela ; mais il me semble que c’est surtout ce que Taylor lui-même a appelé « l’organisation scientifique ou administrative » et qu’il a longuement décrite comme suit, dans un de ses derniers ouvrages (1). « L’une des industries les plus difficiles à organiser, dit-il « (p. 54) est celle d’un grand établissement de construction « mécanique, construisant des machines variées ; c’est pourquoi l’auteur l’a choisie pour en faire la description. « En pratique, tous les ateliers de cette catégorie sont (( organisés sur ce que l’on peut appeler le principe de la « hiérarchie militaire. Les ordres du général sont transmis « par les colonels, les commandants, les capitaines, les lieutenants et les sous-officiers aux hommes. De la même « manière, les ordres, dans les établissements industriels, « vont du directeur général aux chefs de services (superintendants), aux chefs d’ateliers, aux chefs adjoints et, par « les chefs d’équipe, arrivent aux ouvriers. Dans un établissement de ce genre, les devoirs des chefs d’ateliers, des > chefs d’équipe, etc., sont tellement variés et exigent une « telle somme de connaissances spéciales, jointes à une telle « diversité d’aptitudes, qu’ils ne peuvent être remplis de « façon satisfaisante que par des hommes de valeur peu (1) La Directimi îles ateliers (Dunod et Pinat, éditeurs, Paris, 1913)

— Extrait de la Revue de métallurgie. commune, ayant des années d’un dressage spécial. C’est « en raison de la difficulté (et presque de l’impossibilité) ’« qu’on rencontre dans le recrutement des gens capables « comme chefs d’ateliers, contre-maîtres, etc., plus que pour « toute autre raison, qu’on constate si rarement le succès, « pendant les premières années, de nouveaux ateliers de « mécanique générale montés sur une grande échelle. » « Selon l’expérience de l’auteur, presque tous les ateliers « ont un personnel de direction insuffisant pour faire le « travail économiquement.

« Avec le type d’organisation militaire, le chef d’atelier est « tenu responsable de la bonne marche de tout son atelier. « Il doit(p. 57) être bon mécanicien. . ... « Il doit pouvoir lire facilement les dessins et avoir suffisamment d’imagination pour se représenter nettement par « eux la pièce terminée.

« Il doit préparer l’ouvrage et s’assurer que les ouvriers « ont en main l’équipement et les outils convenables et qu’ils « en font usage pour monter correctement la pièce sur machine « et tailler le métal à la vitesse et à l’avance voulues. « 11 doit veiller à ce que chaque ouvrier tienne sa machine « propre et en bon état.

a II doit veiller à ce que chaque ouvrier produise un « travail de la qualité requise.

« 11 doit s’assurer que les ouvriers placés sous ses ordres « travaillent de façon continue et rapide. « Il doit constamment prévoir tout l’ensemble du travail « et veiller à ce que les pièces viennent aux machines dans « l’ordre voulu et que chaque machine reçoive les travaux « qui lui conviennent.

« Il doit, au moins d’une façon générale, surveiller l’emploi « du temps et fixer le prix des travaux aux pièces.

» Il doit exercer la police parmi les ouvriers sous ses « ordres, corriger leurs salaires.

« Il est donc évidont que les devoirs imposés au chef « d’équipe ordinaire exigent qu’il soit apte à remplir la « majeure partie des neuf obligations mentionnées ci-dessus. « Or, quand on peut trouver un pareil homme, on doit en « faire un directeur ou un superintendant des ateliers, et non « un chef d’équipe. Néanmoins, en prenant en considération « le fait qu’on peut trouver bon nombre d’hommes capables (( de satisfaire à quatre ou cinq de ces obligations à la fois, il « est clair que le travail de direction doit être subdivisé de « telle manière que les diverses fonctions soient tenues par « des hommes de cette capacité ; une grande parlie de l’art « de la direction consiste indiscutablement à organiser le « travail de cette façon. Selon l’auteur, on y arrivera au mieux « en abandonnant le type militaire d’organisation et en « introduisant dans la direction deux changements radicaux : « a) Autant que possible, les ouvriers, aussi bien que les « chefs d’équipes et les chefs d’atelier, devront être complètement déchargés du travail d’organisation comme de tout « travail d : écritures...

« b) Dans toute la direction, le type d’organisation militaire « peut être abandonné et remplacé par ce qu’on peut appeler « le type administratif.

« La direction administrative consiste à répartir la « besogne de direction de telle manière que, depuis le « directeur-adjoint, en descendant tous les échelons de la « hiérarchie, chaque individu ait le minimum possible d’attributions. Dans le système ordinaire ou type militaire , les « ouvriers sont répartis en groupes, ceux d’un même groupe « recevant leurs ordres d’un seul homme, chef d’atelier ou « chef d’équipe. Cet homme est l’unique agent par lequel les « divers services de direction sont en rapport avec les « ouvriers. La caractéristique extérieure la plus frappante « de la direction administrative réside , au contraire , dans « ce fait que chaque ouvrier , au lieu d’être en contact « immédiat avec la direction par un seul point, c’est-à-dire « par son chef d’équipe, reçoit directement ses ordres jour naliers et son aide de huit chefs différents , cio ?? / chacun « remplit une fonction particulière (p. 59). « Dans la direction administrative (p. 62), nous voyons « donc subdivisé entre huit personnes le travail fait par un « seul chef d’équipe dans le type militaire d’organisation. « Les préposés aux ordres de travaux, les rédacteurs do « fiches d’instructions, les comptables du temps et des frais « de main-d’œuvre, dirigent et donnent des instructions, du « bureau de répartition du travail.

« Les chefs de brigades, chefs d’allure, surveillants et « chefs d’entretien, montrent aux ouvriers comment les instructions doivent être exécutées et veillent à ce que le « travail soit fait à la vitesse convenue. « Enfin, le chef de discipline exerce sa fonction dans tout « l’établissement.

« La direction administrative (p. 64) est déjà employée, « dans une certaine mesure, dans beaucoup des ateliers les « mieux organisés. Un certain nombre de directeurs ont « apprécié les avantages pratiques qu’il y aurait à mettre « directement en contact avec les ouvriers deux ou trois « hommes spécialement instruits dans leurs attributions « particulières, au lieu de passer, comme dans l’ancienne « méthode, par l’intermédiaire du chef d’équipe. ». Tel est le systèmp d’organisation préconisé par Taylor pour la direction des ateliers d’une grande entreprise de construction mécanique.

Il repose sur les deux idées suivantes : 1° La nécessité de renforcer les chefs d’atelier et les contre-maîtres par un Etat-Major ;

2° La négation du principe de l’unité de commandement. Autant la première me paraît bonne, autant la seconde me paraît fausse et dangereuse.

I. Nécessité de renforcer les chefs d’ateliers et contremaîtres par un Etat-Major. — Mieux que personne, Taylor a mis en évidence la complexité et le poids de la charge qui pèse sur les chefs d’un grand atelier de construction mécanique. Ces chefs ne peuvent remplir convenablement leur mission que s’ils sont aidés.

Pour atteindre le but, Taylor a imaginé et pratiqué le procédé ci-dessus décrit : au chef sont adjoints divers spécialistes qui le dispensent d’une profonde compétence en chaque spécialité et qui le déchargent d’interventions multiples qui absorberaient une trop grande partie de son temps. C’est le rôle de l’Etat-Major.

Ce rouage n’est pas nécessaire seulement dans les ateliers de construction mécanique ; on en sent aussi bien la nécessité dans les ateliers de réparation des grands établissements miniers, métallurgiques ou autres ; on la constate dans toutes les sortes d’ateliers. On y a pourvu jusqu’ici de diverses façons, rarement d’une manière suffisante. J’estime que Taylor a rendu un grand service en appelant l’attention sur l’importance de ce rouage et sur la manière de le constituer.

IL Négation du principe de Vunité de commandement.

— Selon Taylor, il faut abandonner le type ordinaire d’organisation, qu’il désigne non sans quelque dédain sous le nom de type militaire d’organisation , « où les ouvriers reçoivent leurs ordres d’un seul homme, chef d’atelier ou chef d’équipe ». j « Cependant, ajoute-l-il (page (i’i), la conviction est fortemont enracinée que la véritable base d’organisation repose « sur le type militaire dont le principe est qu’aucun ouvrier « ne peut travailler sous les ordres de deux chefs différents. « Jusqu’ici, sauf dans les usines qu’il a aidé à organiser, « l’autour n’a jamais trouvé un seul directeur déclarant « carrément et en pleine connaissance de cause qu’il « employait le système de direction administrative parce (( que tel était le principe correct. » D’après Taylor lui-même, certains fidèles du principe de l’unité de commandement n’ont pas voulu y renoncer même sur ces instances.

En ce qui me concerne, je ne crois pas qu’un atelier puisse bien marcher dans l’état de violation flagrante de ce principe. Et cependant, Taylor a dirigé avec succès de grandes entreprises.

Comment expliquer cette contradiction ? Je suppose qu’en pratique Taylor savait concilier le fonctionnement de l’Etat-Major avec le principe de l’unité de commandement. Mais ce n’est là qu’une supposition dont je ne suis pas en mesure de vérifier l’exactitude. Tous les jours, dans les affaires, et du haut en bas des hiérarchies, on a à concilier le fonctionnement de l’Elat-Major avec le principe de l’unité de commandement. 11 y* faut quelque habileté. Taylor devait en être richement pourvu. Je crois qu’il est dangereux de laisser se répandre l’idée que le principe de l’unité de commandement est sans importance et peut-être impunément violé. Conservons donc, précieusement, jusqu’à nouvel ordre, le vieux type d’organisation où l’unité de commandement est en honneur. 11 se concilie très bien d’ailleurs avec le renforcement des chefs d’atelier et contre-maîtres recommandé par Taylor. Mes réserves sur l’organisation scientifique ou administrative de Taylor ne m’empêchent point d’admirer l’inventeur clés aciers à coupe rapide, le créateur de procédés minutieux et précis des conditions dans lesquelles s’exécute le travail de l’ouvrier, l’industriel énergique et ingénieux qui, après avoir fait des découvertes, n’a reculé devant aucun effort et aucun ennui pour les faire entrer dans le domaine de la pratique, et le publiciste infatigable qui a tenu à faire profiter le public de ses essais et de ses expériences. Nous pouvons souhaiter que l’exemple du grand ingénieur américain soit suivi à cet égard par beaucoup de nos compatriotes.

5° a 9° Ingénieurs principaux, chefs de service, CHEFS DE DIVISION, CHEFS D’ATELIER, CONTRE-MAITRES, OUVRIERS.

Les tableaux n 08 7 et 8 montrent, dans deux industries différentes (houillère et usine métallurgique), la même série d’organes subordonnés à la direction. Cette même série d’organes se retrouve, sous des noms différents, dans toutes les grandes entreprises, quelle que soit leur nature.

Nous savons déjà que la fonction administrative) d’abord dominante, cède peu à peu le pas à la fonction spéciale

— technique, commerciale ou autre — qui est la principale occupation des agents inférieurs. Tels sont les principaux organes d’une grande entreprise minière et métallurgique. On les retrouve à peu près exactement dans toutes les grandes entreprises industrielles, et 4

aussi avec quelques modifications légères dans les entreprises de toute nature, commerciales, financières, militaires, politiques, religieuses et autres. (G) Agents ou éléments constitutifs du corps social Je oontinueà prendre pour type la grande entreprise industrielle.

Il faut, à ces sortes d’entreprises, la série suivante d’agents : ouvriers, contre-maîtres, chefs d’ateliers, chefs de division, chefs de services, ingénieurs principaux, directeurs, directeurs généraux.

De même que la qualité des matériaux dont on dispose influe sur la forme et la solidité d’un édifice, de même la qualité des agents que l’on emploie influe sur la forme et la valeur de l’édifice social. La forme et les proportions des organes et du corps social lui-même dépendent de la valeur des agents dont on dispose ; on doit naturellement rechercher pour chaque emploi le meilleur agent possible. Essayons d’abord de dégager les qualités nécessaires aux chefs.


Direction et exécution se confondent dans l’entreprise rudimentaire où toutes les opérations sont effectuées par la même personne.

Dans la petite entreprise, le chef reste chargé de la direction dont il garde l’entière responsabilité, mais il est déchargé de l’exécution d’un grand nombre d’opérations.

À mesure que l’entreprise grandit, la part du chef dans l’exécution des opérations diminue pendant que son rôle de direction devient plus important et plus difficile. Ce rôle ne tarde pas à dépasser les capacités d’une seule personne malgré une excellente organisation des services subordonnés. Alors on voit apparaître autour du directeur des agents qui ont pour mission spéciale d’alléger la tâche personnelle du chef : secrétaires administratifs, secrétaires techniques, spécialistes-conseils en matières diverses, agents de liaison et de contrôle, comités consultatifs, etc.


Pour déterminer les qualités nécessaires aux chefs d’entreprise il est indispensable d’être bien fixé sur le rôle que l’Etat-Major peut être appelé à jouer dans la direction des affaires.

Le ’chef idéal serait celui qui, possédant toutes les connaissances nécessaires pour résoudre les problèmes administratifs, techniques, commerciaux, financiers et autres qui lui sont soumis, jouirait encore d’une vigueur physique ot intellectuelle et d’une puissance de travail suffisantes pour faire face à toutes les charges de relations, de commandement . et de contrôle qui pèsent sur la direction. Un tel chef peut se trouver, exceptionnellement, dans les petites affaires ; il n’existe pas dans les grandes, à plus forte raison dans les très grandes. 11 n’y a pas d’homme dont le savoir embrasse toutes les questions que soulève le fonctionnement d’une grande entreprise ; il n’y en a point qui dispose des forces et du temps exigés par les multiples obligations d’une grande direction

Force est donc de recourir à l’Etat-Major. 11 y a là une réserve de forces physiques, de forces intellectuelles, de compétence, de temps... dans laquelle le chef peut puiser à son gré.

On peut diviser en quatre groupes les travaux de l’Etat-Major : l ü concours divers donnés au chef dans sa besogne courante, correspondance, réceptions, étude et préparation de dossiers, etc. ; 2° liaison et contrôle ; 3° études d’avenir, programme à faire ou à harmoniser ; 4° recherche des améliorations.

Toutes ces choses sont dans les attributions de la direction. L’intérêt de l’entreprise exige qu’elles soient faites. Le chef doit les réaliser, soit avec ses seules forces, soit avec l’aide de l’Etat-Major.

Les deux premiers groupes de travaux de l’Etat-Major s’effectuent généralement d’une façon satisfaisante ; mais la préparation de l’avenir et la recherche des perfectionnements, deux facteurs importants du succès, sont souvent déplorablement négligés. Il n’est pas encore bien entré dans les habitudes de considérer l’Etat-Major comme un organe de pensée, d’étude, d’observation, dont la principale fonction consiste à préparer l’avenir et à rechercher les perfectionnements possibles, sous l’impulsion du chef. Pour que l’Etat-Major puisse bien s’acquitter de cette partie de son rôle, il faut qu’il soit dégagé de toute responsabilité dans la marche des services.

Nulle partie de l’organisme social ne réclame de la part du chef de l’entreprise plus d’attention, plus de jugement, plus d’expérience, plus d’autorité et plus de mesure. C’est un service qu’il doit instituer dans l’intérêt et dans l’intéiêt seul de l’entreprise, et qui a un peu l’apparence d’un service personnel puisqu’il est destiné à combler les propres lacunes du chef. Il se prête facilement aux abus et il éveille vivement l’attention critique. C’est peut-être pourquoi on ne lui demande pas tous les services qu’il pourrait rendre. CHEFS DES GRANDES ENTREPRISES

Dans la recherche des qualités nécessaires aux chefs d’entreprise, nous avons donc à tenir compte à la Ibis des pouvoirs et responsabilités transmis aux chefs de services, et du concours que le chef peut trouver dans son Etat-Major. Nous avons constaté d’ailleurs que les caractères principaux d’un bon gouvernement sont à peu près exclusivement d’ordre administratif’. Il est admis, en effet, que lorsque la prévoyance, l’organisation, le commandement , la coordination et le contrôle s’exercent efficacement sur toutes les parties de l’entreprise, toutes les fonctions s’effectuent convenablement et la marche de l’entreprise est satisfaisante.

Nous pouvons conclure de là que la première condition que doit remplir le chef d’une grande entreprise , est d’être bon administrateur. Mais sa capacité administrative ne le dispense pas d’avoir à prendre des décisions sur d’importantes questions techniques, commerciales, financières et autres. Il ne peut pas être compétent en toutes choses, et doit donc baser un grand nombre de ses décisions sur l’avis des chefs de service et do son Etat-Major. Mais son incompétence n’est guère admissible dans la profession spéciale caractéristique de l’entreprise : technique dans l’industrie, commerciale dans le commerce, politique dans l’Etat, militaire dans Parmée, religieuse dans l’église, médicale à l’hôpital, pédagogique à l’école, etc.

— Il est évidemment bon qu’il puisse se prononcer en connaissance de cause sur les questions les plus importantes et les plus fréquentes de l’entreprise. Il s’ensuit que la seconde condition requise chez le chef d’une grande entreprise est de posséder une assez grande compétence dans la fonction spéciale caractéristique de l’entreprise .

On ne demande pas au chef de l’entreprise le même degré de compétence dans les autres fonctions essentielles, parce qu’il y a une limite à la puissance des facultés humaines. On se borne à souhaiter chez lui, pour les fonctions secondaires de l’entreprise, des notions générales suffisantes pour qu’il puisse, en s’appuyant sur les avis des chefs de service et de PEtat-Major, prendre des décisions éclairées sur toutes choses.

En résumé, les qualités et connaissances désirables chez tous les grands chefs d’entreprises sont les suivantes : , 1° Santé et vigueur physique ;

2° Intelligence et vigueur intellectuelle ; 3° Qualités morales : volonté réfléchie, ferme, persévérante ; activité, énergie et, s’il y a lieu, audace ; courage des responsabilités ; sentiment du devoir, souci de l’intérêt général ;

4° Forte culture générale ;

5° Capacité administrative ;

Prévoyance. — Habileté à dresser et à faire dresser le programme d’action ;

Organisation . — En particulier, savoir constituer le corps social ;

Commandement. — Art de manier les hommes ; Coordination. — Harmoniser les actes, faire converger les efforts ;

Contrôle ;

6° Notions générales sur toutes, les fonctions essentielles ; 7° La plus large compétence possible dans la profession spéciale caractéristique de l’entreprise. 11 est très remarquable que sur ces sept groupes de qualités et connaissances désirables chez les chefs des grandes entreprises, six se composent d’éléments semblables, quelle que soit la nature de l’entreprise, et un seul, le septième, comporte des conditions spéciales différentes pour chaque nature d’entreprise.

Les éléments communs sont : la santé, la vigueur physique, l’intelligence, les qualités morales, la culture générale, des notions sur toutes les fonctions essentielles et une forte capacité administrative.

Le chef industriel, le chef commercial, le chef politique, le chef militaire, le chef religieux, de même niveau hiérarchique, se ressemblent par les six premiers groupes de qualités et ne diffèrent que par la qualité professionnelle caractéristique de l’entreprise. C’est, le plus souvent, par cette capacité professionnelle que les hommes devenus grands chefs ont commencé par attirer l’attention : une maîtrise spéciale les a mis hors de pair, puis leurs qualités générales les ont portés au premier rang. Il arrive que les succès professionnels voilent les qualités générales : un persiste à ne voir dans le grand industriel que l’éminent technicien ou l’habile négociant, dans le chef du gouvernement, que le général heureux ou le parlementaire éloquent. Cependant la capacité spéciale la plus brillante ne suffît pas à faire un bon chef de grande entreprise. Pour faire un chef parfait il faudrait posséder à un haut degré toutes les qualités et connaissances énumérées plus haut. Les hommes qui approchent de cette perfection sont bien rares ; il faut admettre des faiblesses, des lacunes môme. Dans quelle mesure ?

L’absence de santé peut annihiler toutes les autres qualités réunies. De même un grand affaiblissement intellectuel. Par les chefs de service et l’Etat-Major il est possible do suppléer dans une large mesure à un défaut de connaissances fonctionnelles, même de celles qui concernent la fonction professionnelle caractéristique de l’entreprise ; rien ne peut compenser l’incapacité administrative. La moindre imperfection morale du grand chef peut avoir les conséquences les plus graves. La hauteur hiérarchique est comme un bras de levier dont la longueur augmente considérablement la puissance ; qualités et défauts ont cent fois plus d’importance chez un chef à sept ou huit galons que chez un contre-maître. CHEFS DES MOYENNES ET DES PETITES ENTREPRISES Entre les qualités et connaissances nécessaires au chef d’une grande entreprise, même à un chef d’Etat, et celles nécessaires à un artisan, chef et unique agent de son industrie ou de son commerce^ il n’y a que des différences de degré. Ce sont des éléments de même nature associés à des degrés divers qui constituent la valeur des chefs grands et petits.

Pour le chef de la très grande entreprise, la capacité administrative est non seulement la plus importante de toutes, mais elle l’emporte comme importance à elle seule sur toutes les autres capacités réunies. Cependant l’absence complète de l une des capacités secondaires serait pour ce chef une grave lacune. Il est vrai qu’il peut y remédier par l’Etat-Major. Pour le chef de l’entreprise rudimentaire, la capacité la plus importante est la capacité technique — c’est-à-dire celle de la profession caractéristique de l’entreprise. Mais les capacités commerciale et financière ont pour ce cljef une importance relative plus grande que pour le chef de la très grande entreprise. #

Le tableau n° 4 montre les transformations graduelles qui s’opèrent dans l’importance relative des diverses capacités essentielles du chef à mesure que l’entreprise grandit ou diminue.

Il ne faut pas oublier que ce tableau ne figure que des valeurs relatives et qu’il n’y a presque rien de commun entre telle capacité du chef rudimentaire et la capacité de même nom du grand chef.

Chefs de service. — Sous la série des chefs d’entreprise CE 1 , CE 2 , CE 3 , CE 4 . ;. CE n se trouve la série des chefs de service CS 1 , CS 2 , CS 3 . CS 11 - 1

Les chefs d’entreprise ont la responsabilité de l’ensemble et doivent assurer l’exécution de toutes les fonctions ; la responsabilité des chefs de service ne s’étend que sur une partie de l’entreprise.

Les tableaux n° 3 et n° 4 montrent que la valeur des chefs de service se compose des mêmes éléments que celle des chefs d’entreprise. Cependant, entre un chef d’entreprise CE n et un chef de service de même niveau CS n , il y a toujours cette différence que la responsabilité du premier est totale et celle du second partielle.

Agents inférieurs . — Ouvriers . — Même pour les agents inférieurs des entreprises, la valeur se compose des mêmes éléments que celle des grands chefs ; mais l’importance absolue el la proportion de ces éléments dans la valeur des uns et des autres sont tellement différentes qu’on a quelque peine à reconnaître, de prime abord, leur identité. Nous allons jeter un coup d’œil sur les divers éléments qui constituent la valeur des chefs et des agents des entreprises et sur les proportions dans lesquelles ces éléments entrent dans la valeur des uns et des autres. Eléments de la valeur des chefs et des agents DES ENTREPRISES

1° Santé et vigueur physique .

La santé est nécessaire à tous les agents de l’industrie, de l’ouvrier au plus grand chef.

Une certaine vigueur physique, qui dépend de la fonction, est également nécessaire à tous. 2° Intelligence et vigueur intellectuelle. 4 /

L’intelligence se compose d’aptitude à comprendre et à assimiler, de jugement et de mémoire. La vigueur intellectuelle permet, soit de concentrer puissamment la pensée sur un sujet pressant, soit de traiter sans transition des sujets différents et multiples. Intelligence et vigueur intellectuelle sont d’autant plus nécessaires que la fonction comporte des opérations plus nombreuses, plus étendues et plus complexes. Le grand chef a besoin d’une largeur de vues et d’une souplesse d’esprit que ne réclament qu’à un très faible degré les fonctions de contre-maître et encore moins celles d’ouvrier. Un affaiblissement de la mémoire porte une grave atteinte à la valeur intellectuelle.

3° Qualités morales.

r

On désigne souvent par le mot de caractère certaines qualités morales telles que l’énergie, la fermeté, l’honnêteté, l’initia

tive ; j’évite l’emploi de ce mot à cause de son imprécision. On demande à tous les agents de l’industrie, quel que soit leur rang, de la discipline, de la droiture, du dévouement. L’initiative est aussi un don précieux pour tous, mais d’autant plus utile que le rang est plus élevé. Quand à la fermeté, au sentiment de la mesure, au courage des responsabilités, leur importance grandit avec la situation, et on peut les placer en tète des qualités utiles aux grands chefs. 4° Culture générale.

Cette culture so compose de notions qui ne sont pas du domaine propre de la fonction exercée.(Elle s’acquiert, partie à l’école et partie dans le cours de la vie J On voit des hommes qui, n’ayant passé que par l’école primaire, se sont élevés à do hautes situations industrielles ou commerciales, politiques ou militaires, et dont le savoir a toujours été au niveau de la situation. Notons en passant que tous les hommes qui s’élèvent ont besoin de développer leur culture générale dont l’Université ne s’occupe plus guère au delà de l’enseignement secondaire.

A chaque fonction correspond un certain degré de culture générale qui augmente avec le niveau hiérarchique et l’importance de la fonction.

5° Connaissances administratives.

Ces connaissances se rapportent à la prévoyance, à l’organisation, au commandement, à la coordination et au contrôle. Rudimentaires pour l’ouvrier, elles sont extrêmement étendues pour les fonctionnaires d’un ordre élevé et surtout pour les chefs des grandes entreprises. Elles ne sont pas enseignées à l’école ; il faut donc les apprendre dans l’atelier ou l’empirisme règne souverainement. Donc rien d’étonnant à ce que l’éducation administrative soit généralement insuffisante. Il me semble qu’il est grand temps de systématiser les données de l’expérience et de mettre une doctrine à la portée de tous. 0° Notions sur les autres fonctions.

En remontant de l’ouvrier au contre-maître, au chef d’atelier et aux agents supérieurs jusqu’au directeur d’une entreprise industrielle, on constate que le nombre des spécialités ou métiers dont chacun doit s’occuper va sans cesse en augmentant : l’ouvrier n’a ordinairement qu’un métier ; le contremaître étend sa surveillance sur quatre ou cinq ; le chef d’atelier sur huit ou dix ; l’ingénieur sur un plus grand nombre. Quant au directeur, il doit avoir des notions non seulement sur toutes les spécialités techniques qui s’exercent dans l’entreprise, mais encore sur les fonctions commerciale^, financières et autres dont il est obligé de s’occuper. Il s’ensuit que le contre-maître est généralement moins compétent que chacun de ses ouvriers dans sa spécialité ; que le chef d’atelier est moins compétent que le contre-maître dans les travaux spéciaux de chaque équipe ; que l’ingénieur est moins compétent que le chef d’atelier dans son domaine. Quant au directeur, il ne saurait avoir la prétention d’être plus fort que chacun de ses chefs de service dans leur spécialité respective ; mais il doit avoir des notions sur tous les services/ Le nombre des connaissances augmente à mesure qu’on s’élève.

7° Capacité professionnelle spéciale caractéristique de l’entreprise.

Cette capacité qui constitue la presque totalité de la valeur de l’ouvrier n’entre plus que pour un quait à un dixième dans la valeur des grands chefs. Chez ces derniers, elle vient notablement après la capacité administrative. Il ne faut pas perdre de vue que le meft capacité ne désigne pas le même ensemble de qualités et de connaissances aux divers degrés de l’échelle hiérarchique. Tableaux d’organisation

Des tableaux synoptiques de la forme des tableaux n° 7 et n° 8, facilitent beaucoup la constitution et la surveillance du corps social. Ils permettent de saisir d’un coup d’œil, mieux qu’on ne pourrait le faire au moyen d’une longue description, l’ensemble de l’organisme, les services et leurs limites, la filière hiérarchique ;m !s attirent l’attention sur les points faibles tels que des chevauchements ou des empiètements de service, des dualités de commandement, des fonctions sans titulaire, l’absence d’un chef unique, etc. Ce mode de représentation convient à toutes les sortes d’entreprises, aux grands établissements comme aux petits, aux affaires en développement ou en déclin comme à celles en création. Dans ce dernier cas, le tableau d’organisation est un cadre à compartiments où viennent s’inscrire les agents au fur et à mesure du recrutement et de la constitution des services.

L’emploi du tableau synoptique n’est pas limité à la création de l’organisme. A peine l’œuvre est-elle achevée que des modifications s’imposent résultant de changements dans l’état des affaires ou des personnes. Or, toute modification dans une partie du corps social peut avoir de larges répercussions et influer sur la marche générale. Le tableau offre de particulières facilités pour découvrir ces répercussions et y parer ;*mais il faut constamment le mettre à jour) A cette condition c’est un précieux instrument de direction. On voit sur le tableau d’organisation l’ensemble du personnel, la constitution et les limites sociales de chaque service, par qui chaque poste est occupé, les chefs auxquels un agent obéit et les subordonnés auxquels il commande, mais il ne faut lui demander ni la valeur personnelle des agents, ni leurs attributions, ni les limites topographiques do leur responsabilité, ni la désignation des suppléants. Pour ces divers renseignements, des états spéciaux doivent accom pagner le tableau d’organisation. La composition des Etats-Majors est aussi en marge des accolades. On trouvera dans la 3 e partie de ces Etudes quelques exemples de tableaux d’organisation sociale pris dans la pratique des affaires.

RECRUTEMENT

Le recrutement consiste à se procurer les agents nécessaires à la constitution du corps social. Cette opération est parmi les plus importantes et les plus difficiles des entreprises ; elle influe beaucoup sur leur destinée.

Les conséquences d’un mauvais choix sont en rapport avec le rang de l’agent, généralement peu importantes pour l’ouvrier, toujours graves pour l’agent supérieur. La difficulté du choix augmente avec le niveau hiérarchique de l’agent : quelques jours, parfois quelques heures, suffisent pour apprécier la valeur d’un ouvrier ; il faut des semaines ou des mois pour connaître la valeur d’un contre-maître ; il s’écoule parfois des années avant qu’on soit exactement fixé sur la valeur du chef d’une grande entreprise. 11 importe donc, au plus haut degré, de ne pas commettre d’erreur dans le choix des grands chefs.

La question du recrutement préoccupe toutes les sortes d’entreprises et particulièrement les plus grandes. La plus importante opération d’une assemblée d’actionnaires, c’est la nomination du Conseil d’administration ; la principale préoccupation du Conseil d’administration, c’est d’avoir une bonne direction générale ; le recrutement des agents à tous les degrés de la hiérarchie est l’un des plus grands soucis du pouvoir exécutif.

Le Comité des forges de France a provoqué, il y a quelques années, une discussion qui a montré à quel point le monde industriel et le public en général se préoccupent du recrutement des agents supérieurs de l’industrie. « Le nombre des hommes » — disait le président du Comité des forges, dans une lettre ouverte adressée au Ministre des travaux publics — « que la netteté et l’ampleur « de leur intelligence, la rectitude et la profondeur de leur « jugement désignent pour diriger les grandes affaires, en « créer de nouvelles et maintenir la France au rang que, « malgré la faiblesse de ses ressources naturelles, son clair « génie à su lui attirer à la tête du progrès des sciences et « des arts industriels, a singulièrement diminué depuis quelques années.

« Nos jeunes ingénieurs sont, pour la plupart, incapables « d’utiliser avec profit les connaissances techniques qu’ils « ont reçues par l’incapacité où ils sont de présenter leurs « idées dans des rapports clairs, bien composés et rédigés « de manière à faire saisir nettement les résultats de leurs « recherches ou les conclusions auxquelles les ont conduits « leurs observations. »

Et le président du Comité des forges attribuait cette déplorable situation, au moins en grande partie, à la nouvelle orientation donnée à l’enseignement secondaire de l’Université depuis 1902.

Que les hommes capables de bien diriger les grandes affaires soient rares et que beaucoup d’ingénieurs ne sachent l)as faire des rapports clairs, cela n’est pas douteux et le fait est assez grave pour qu’on en cherche avec persévérance les causes et les remèdes.

Pour moi, ces causes ne sont pas dans les programmes de l’enseignement secondaire, mais danslaconc<m/rafion industrielle et dans la manière dont est compris et pratiqué l’enseignement technique supérieur .

La direction des grandes affaires a toujours présenté de très grandes difficultés ; pour s’en rendre compte il suffit de jeter un coup d’œil sur les charges aussi nombreuses que variées qui pèsent sur un grand chef d’entreprise. Ces difficultés sont inhérentes à la nature des choses et ont existé de tout temps. Mais ce qui n’a pas existé de tout temps, c’est le développement récent de l’industrie et la concentration industrielle qui augmentent considérablement la proportion des grandes affaires et font ressortir la pénurie des grands chefs.

En substituant une seule grande entreprise à un certain nombre de petites et de moyennes, la concentration industrielle produit divers effets qui concourent aux mêmes résultats :

1° Donnant naissance à do grands organisme elle fait appel à des hommes de plus grande envergure ((lie ceux dont on avait besoin auparavant ;

2° Pendant qu’elle crée le besoin d’hommes supérieurs elle fait disparaître un grand nombre d’affaires que l’on pouvait considérer comme des écoles d’apprentissage pour directeurs ; 3° Dans les affaires moyennes, les chefs de divers services s’initient par la force des choses, dans une certaine mesure, aux services voisins. Dans les très grandes affaires, chaque service est assez important pour absorber l’intelligence et le temps du chef et pour lui permettre d’arriver à un grade élevé où il termine fréquemment sa carrière. C’est encore un groupe d’hommes distingués enlevés à la pépinière des directeurs. Il n’est donc pas douteux que la concentration industrielle augmente le besoin des grands chefs et rend leur formation plus difficile.

A mon avis, l’enseignement technique supérieur pourrait être dirigé d’une manière beaucoup plus utile aux besoins de l’industrie qu’il no l’est actuellement. Formation dos agents d’entreprises. La proportion des qualités et connaissances necessaires aux agents des entreprises est une question de mesure d’autant plus délicate que le poste est plus élevé et plus complexe. Chaque cas appelle un examen spécial. Cependant quelle que soit la difficulté du choix des agents, elle n’est peut-être pas aussi grande que celle- de leur formation . Le bon agent — technique, commercial, financier, administratif ou autre — n’est pas up produit spontané de la nature ; pour qu’il existe il a fallu le former et cette formation représente généralement de longs et laborieux efforts auxquels participent la famille, l’école, l’atelier et l’Etat.

La question do formation des agents préoccupe vivement toutes les catégories d’entreprises — industrielles, commerciales, militaires, politiques, religieuses, sociales.— Les efforts tentés de tous côtés pour obtenir de bons agents et de bons chefs sont considérables et se ressemblent. Ce que je vais dire de la formation des agents de l’industrie minière et métallurgique en France, s’applique en grande partie à la formation des agents de toutes les sortes d’entreprises industrielles. FORMATION DES AGENTS DE L’INDUSTRIE MINIÈRE ET MÉTALLURGIQUE a) Rôle de l’Ecole. — b) Rôle de l’Atelier (du patron), c) Rôle de la Famille. — d) Rôle de l’Etat. a) rôle de l’école : 1° Enseignement technique supérieur. 2° Enseignement secondaire. 3° Enseignement primaire. 1° Enseignement technique supérieur. Abus des mathématiques. Durée des études. Conseils aux futurs ingénieurs. 2° Enseignement secondaire. a) Enseignement universitaire. b) Enseignement spécial. 8° Enseignement primaire. — />) rôle de l’atelier (du patron). c) ROLE DE LA FAMILLE. d) ROLE I)E L’ÉtAt.


A — Rôle de l’Ecole

i ù Enseignement technique supérieur. En France, les agents supérieurs et les chefs do l’industrie minière et métallurgique ont les origines les plus diverses : cependant ils sortent en majeure partie des Ecoles supérieures du génie civil (Ecole nationale supérieure des mines de Paris, Ecole nationale des mines do Saint-Etienne, Ecole centrale des arts et manufactures, etc.). Les programmes d’admission et d’enseignement de ces écoles permettent de se rendre compte de la pensée directrice qui y règne.

Notons d’abord que les cours y sont presque exclusivement techniques , qu’il n’y est question ni d’ administration, ni de commerce , ni de finances. à peine de sécurité (entendu dans le sens de sécurité de l’entreprise) et très peu de comptabilité. Ajoutons que la culture générale a peu d’influence sur le classement de sortie et que les qualités physiques et morales n’y figurent pas.

Notons enfin que le concours d’admission donne aux mathématiques une place très prépondérante. 11 y a un tel écart entre cette éducation et les qualités et connaissances dont les ingénieurs et les chefs d’industrie doivent être pourvus, qu’on ne saurait s’étonner si le résultat visé n’est pas atteint.

Ainsi nos écoles de génie civil semblent ignorer que la santé et la vigueur physique comptent parmi les importantes qualités nécessaires aux ingénieurs et aux directeurs des établissement industriels.

Les Anglais en font plus de cas. Peut-êtrp dépassent-ils la mesure ? Bien que le goût des sports apparaisse dans notre pays, je ne crois pas que nous soyons exposés de longtemps à tomber dans l’excès sous ce rapport, et l’opinion publique a encore fort à faire pour imposer aux écoles un souci suffisant fie la santé et fie la vigueur physique fie leurs élèves. L’initiative, Y énergie, la mesure, le courage des responsabilités, le sentiment du devoir, etc., sont autant fie qualités morales qui donnent une grande valeur aux agents supérieurs fie l’industrie. On ne saurait éclairer trop tôt et trop fortement les futurs chefs sur l’importance fie ces qualités. La culture générale n’est pas beaucoup plus en honneur dans nos écoles fie génie civil que la culture physique ou morale. Toute l’attention est portée sur les questions techniques.

Ce n’est pas tout : la sélection fies candidats se faisant surtout par les mathématiques, les cours préparatoires se composent surtout fie mathémathiques et il n’y est guère question fie littérature, d’histoire ou fie philosophie. Or, les chefs d’industrie et les ingénieurs, sauf quelques rares exceptions, ont besoin fie savoir parler et écrire ; ils n’ont pas besoin fie mathématiques supérieures. On ne sait pas assez que la règle de trois simple a toujours suffi aux hommes d’affaires comme aux chefs d’armées. On fait un bien mauvais calcul en sacrifiant pendant quatre ou cinq ans la culture générale nécessaire à un excès fie mathématiques. Je reviendrai plus loin sur ce sujet. • i

Connaissances administratives. — Dans une grande entreprise industrielle, la fonction qui sollicite le plus fortement et lo plus directement l’attention du chef est la fonction administrative (programme d’action, recrutement, organisation et direction du personnel, coordination, contrôle). Immédiatement après viennent les fonctions technique et commerciale, et enfin * avec des exigences moindres d’action personnelle, les fonctions financière , de sécurité et de comptabilité .

»

L’action administrative du chef est considérable et absorbante. Pour l’ingénieur divisionnaire, la capacité administrative a autant d’importance que la capacité technique. Ce fait peut surprendre ; il s’explique facilement : le chef de service d’une division métallurgique par exemple — hauts fourneaux, aciérie, laminoirs, etc. — ne s’occupe plus depuis quelques années que de métallurgie et seulement d’une division limitée de la métallurgie. — Tous les détails qu’il a appris à l’Ecole concernant les mines, les chemins de fer, la construction, etc., ne lui sont plus que d’une vague utilité, tandis que le maniement des hommes, l’ordre, la prévoyance, tous les éléments administratifs en un mot, retiennent sans cosse son attention. Au niveau hiérarchique où il est parvenu, les services qu’il pourra rendre désormais et son propre avancement dépendront très probablement beaucoup plus de sa capacité administrative que de sa capacité technique. Et s’il doit s’élever jusqu’à la direction, ce n’est pas seulement l’administration qu’il devra ajouter à ses connaissances, mais encore le commerce et la finance dont on ne lui a rien dit à l’Ecole, et la comptabilité dont on l’a peu entretenu.

On peut, sans grands efforts, imaginer un enseignement mieux adapté au but.

Sans doute une forte instruction technique est nécessaire à l’ingénieur. 11 faut qu’il soit pourvu de notions générale^ suffisantes pour pouvoir s’initier rapidement aux opérations techniques auxquelles il est appelé à prendre part. Mais on n’attend pas de lui dans l’industrie, qu’il soit capable, en sortant de l’Ecole, de conduire un haut fourneau, le fonçage d’un puits de mine ou la construction d’une machine. Le major lui-même de la promotion est incapable de remplir immédiatement ces fonctions ; il n’y parviendra qu’après une plus ou moins longue initiation pratique.

Une préparation du même genre au point de vue administratif est tout aussi nécessaire, et son absence, ainsi que celle de notions suffisantes de commerce, de finance, de

sécurité et do comptabilité, est une grave lacune dans la formation des agents supérieurs de l’industrie. L’enseignement actuel de nos écoles supérieures de génie civil repose sur deux illusions.

La première, c’est que la valeur des ingénieurs et des chefs d’industrie se compose presque uniquement de capacité technique.

La seconde, c’est que la valeur des ingénieurs et des chefs d’industrie est en rapport direct avec le nombre d’années qu’ils ont consacrées à l’étude des mathématiques. Celle-ci n’est pas moins funeste que la précédente et sera peut-être plus difficile à détruire.

A «US DES MATHÉMATIQUES

Que les mathématiques soient l’une des branchos les plus* importantes de renseignement ; qu’elles soient le grand outil de progrès dos sciences physiques et mécaniques ; que tous ceux qui se vouent à l’industrie aient besoin d’en posséder des notions plus ou moins étendues, personne ne songe à le contester. Mais il y a la mesure qu’il ne faut pas perdre de vue. La philosophie, la littérature, l’histoire naturelle, la chimie, sont aussi de grands facteurs de progrès social ; en tire-t-on prétexte pour imposer plusieurs années de culture forcée de chacune de ces connaissances à nos futurs ingénieurs ? On abuse des mathématiques dans la croyance que plus on en sait, plus on est apte au gouvernement des affaires et que leur étude, plus que tout autre, développe et rectifie le jugement. Ce sont là des erreurs qui causent un sérieux préjudice à notre pays et qu’il me paraît utile de combattre. Où commence l’abus ?

Pour faciliter la discussion j’appellerai mathématiques supérieures celles qui n’entrent pas dans le programme actuel du baccalauréat. Ce programme fait partiede la culture générale universitaire ; au delà, les mathématiques prennent

le nom de spéciales et deviennent, en effet, une spécialité des candidats à l’Ecole polytechnique et aux Ecoles de génie civil. A partir du moment où les jeunes gens entrent dans les classes dites de « mathômathiques spéciales » il n’est pour ainsi dire plus pour eux de culture générale ; ils sont spécialisés. Une longue expérience personnelle m’avait appris que l’emploi des mathématiques supérieures est nul dans le gouvernement des affaires et que les ingénieurs, mineurs ou métallurgistes, n’y ont presque jamais recours. Je déplorais que tous les élèves, de nos grandes écoles fussent astreints à de longues et inutiles études alors qu’il y a tant de choses nécessaires à apprendre et que l’industrie a besoin d’ingénieurs jeunes et en bonne santé physique et morale. Je souhaitais que l’on réduisît les programmes de mathématiques et que l’on introduisît dans l’enseignement des notions d’administration. Le Congrès des Mines et de la Métallurgie de 1900 me donna l’occasion d’exprimer publiquement ces idées (1). A la suite de ma communication le Président du Congrès, M. Maton de la Goupillière, prononça les paroles suivantes : « Messieurs, vos applaudissements indiquent assez à M. Fayol combien il a touché juste... Cependant il me permettra, je l’espère, quelques observations, car il faut bien que les mathématiques trouvent ici quelque défense. « Messieurs, j’ai commencé ma carrière par les mathématiques pures. Pendant vingt ans, j’ai enseigné à l’Ecole des mines ou à la Sorbonne les calculs différentiel et intégral ainsi que la mécanique. En ce qui concerne l’Ecole des mines, j’étais pénétré des idées que vous a développées M. Fayol ; je faisais un cours très limité de calcul différentiel et intégral que j’avais réduit à dix leçons et dans lequel j’avais soigneusement condensé tout ce qui me paraissait nécessaire pour mettre les élèves en état de traverser tout le reste de (I) Congrès international des mines et de la métallurgie, 23 juin 1900, lJutletinde la Société de l’Industrie minérale, tome XV, 1901. renseignement. Plus tard, je suis passé au cours d’exploitation des mines et des machines. Celui d’analyses a été alors confié à un homme absolument éminent (les professeurs do l’Ecole des mines savent bien qui je veux dire), un mathématicien de premier ordre qui a cru devoir donner à ce cours un développement tout différent . Depuis lors , on a respecté cette ampleur apportée par mon successeur ; mais je crois que ce que dit M. Fayol est juste, et qu’il conviendrait de réduire les mathématiques pures à ce quonl à appliquer les jeunes gens . Toutefois, je vais mettre ici une réserve à mon approbation, il ne faut pas seulement en effet que l’ingénieur soit en état d’exécuter les calculs futurs qui, d’après M. Fayol, se réduiraient pre.sque à rien, il faut tout d’abord que l’élève puisse traverser l’Ecole et il est nécessaire que l’enseignement y soit présenté avec une précision mathématique, toutes les fois que cela reste possible. « Mais je pense surtout, Messieurs, que les mathématiques sont un tout-puissant instrument de formation pour l’esprit. Une fois que l’esprit de l’ingénieur sera formé, mettez, si vous le voulez, les mathématiques à l’écart, votre élève n’en restera pas moins susceptible de devenir un grand ingénieur ou un habile administrateur. Le même homme que vous auriez fait passer par une éducation faiblement mathématique n’atteindrait jamais le même niveau. « Telle est la seule correction que je voudrais apporter aux excellentes paroles do mon très éminent et très cher contra T (licteur.

« Je rappellerai d’ailleurs à M. Fayol qu’il est bien placé pour donner à ses vues toute l’influence possible, car il appartient à un Conseil de première importance, celui de l’Ecole.des mines de Saint-Etienne. Ce Conseil comprend, outre les professeurs, un nombre notable de grands industriels ; assurément on n’en pourrait trouver de plus indiqué que lui comme importance industrielle et comme esprit de haute portée. » Ainsi, M. llaton de la Goupillière, illustre mathématicien et grand professeur, était d’avis de réduire l’enseignement des mathématiques à l’Ecole supérieure des mines à ce qui est utile aux élèves pour traverser l’Ecole. Mon opinion ne pouvait être appuyée par une plus grande autorité. Reste la question de savoir si l’étude des mathématiques supérieures doit prendre plusieurs années de la vie des futurs ingénieurs dans l’unique espoir de former leur jugement.

Que l’étude des mathématiques élémentaires contribue à former le jugement, comme toute autre branche de la culture générale, je le crois fermement ; mais que la culture intensive des mathématiques supérieures, infligée sans nécessité aux futurs ingénieurs, ait le même effet, je n’en crois rien. La culture excessive d’une science quelconque est nuisible à la santé physique et à la santé intellectuelle ; l’étude dos mathématiques ne fait pas exception à la règle ; poursuivie longuement avec intensité, elle ne laisse intacts (pie les cerveaux très bien équilibrés. On cite des mathématiciens transcendants dépourvus de raison pratique ; les hommes de bon sens, non mathématiciens, sont innombrables. Auguste Comte a fait remarquer que les faits mathématiques sont les plus simples, les moins complexes et aussi les plus « grossiers » des phénomènes, les plus abstraits ou les plus pauvres, les plus éloignés de la réalisation, par opposition aux faits sociaux qui sont les plus complexes et les plus subtils.

Si le jugement dépendait d’une plus ou moins grande possession de connaissances mathématiques supérieures, l’humanité en eût été bien longtemps privée, et de nos jours peu de personnes pourraient y prétendre ; avocats, prêtres, médecins, littérateurs, commerçants, en seraient dépourvus, et tous les contre-maîtres dont le robuste bon sens fait souvent la principale force de 1 Industrie, et toutes les ménagères qui administrent si merveilleusement leur modeste ménage, seraient privés dp ce bien précieux du jugement réservé aux seuls mathématiciens ! Evidemment personne ne songe à soutenir une telle proposition. La vertu éducatrice n’est pas plus réservée aux mathématiques qu’aux littératures anciennes ; elle réside surtout dans les problèmes sociaux que la vie nous impose. Toute application de l’esprit, tout problème, de quelque nature qu’il soit, peut contribuer à former le jugement.

11 n’est pas contestable, cependant, que les mathématiques supérieures jouissent dans notre pays d’un très grand prestige.

Pourquoi ?

Ce n’est pas pour les services qu elles rendent aux chefs d’industrie puisqu’ils no s’en servent pas. Serait-ce pour ceux qu’elles rendent aux chefs d’armée ? Pas davantage.

« Sous prétexte que les progrès des sciences et de l’industrie seront utilisés pour la lutte armée contre les nations », dit le général Maillard (1), « on proclame que la conduite de « la guerre sera toute scientifique et qu’elle exigera des « connaissances mathématiques développées. « Rien n’est plus opposé à l’esprit de la guerre. La règle « de trois simple a suffi jusqu’ici et suffira encore pour la « solution des problèmes relevant du calcul qui peuvent se « présenter au cours des opérations. » Ainsi la règle de trois simple suffit aux chefs d’armée comme aux chefs d’industrie.

Si l’on se reporte aux études que Napoléon avait pu faire quinze ans avant le commencement du siècle dernier, on a tout lieu de croire que le dieu de la guerre ne s’est jamais servi de formules plus compliquées. (1) Eléments de la guerre , par le général Maillard, commandant de lTeole de guerre.

Ce n’est donc pas non plus de ce côté que se trouve l’explication du prestige national des mathématiques. Quant aux ingénieurs des établissements miniers ou métallurgiques, qu’ils soient sortis de l’Ecole Centrale, d’une Ecole des mines ou d’une Ecole d’arts et métiers, je ne les ai jamais vu se servir des mathématiques supérieures dans l’accomplissement de leur service. Seuls, ceux qui s’occupent plus particulièrement de construction — et ce sont généralement des élèves d’arts et métiers qui n’ont pas suivi le cours de mathématiques supérieures — font assez fréquemment usage de formules qu’on trouve dans les formulaires. Inutile de faire remarquer que la science essentielle des grands chefs, l ’administrât ion , n’a absolument rien de commun avec les mathématiques supérieures. La seule explication plausible que j’aie trouvée du prestige des mathématiques supérieures dans notre pays est la suivante :

L’Ecole polytechnique jouit dans notre pays d’un prestige très grand et justifié.

Ce prestige vient :

1° Des situations que l’Etat réserve aux élèves de cette école dans les fonctions publiques et dans l’armée, situations qui leur donnent une influence considérable dans beaucoup de grandes entreprises publiques et privées ; 2° De la valeur personnelle des élèves. 11 est tout naturel que la jeunesse intelligente et studieuse fasse de grands efforts pour obtenir le titre de polytechnicien et en recueillir les avantages. Les familles, les dirigeants do l’enseignement, orientent tous les enfants intelligents vers ce but.

Et comme c’est surtout par les mathématiques que l’on entre à l’Ecole et qu’on en sort dans les premiers rangs, le public conclut que les mathématiques sont la science par excellence puisqu’elle conduit à des situations recherchées. On prend ici l’effet pour la cause. Les mathématiques ne sont pour rien, ou pour bien peu de chose, dans la considération qui s’attache à l’Ecole polytechnique : cette considération résulte des privilèges réservés par le gouvernement aux élèves de cette école et de la valeur naturelle de ces élèves.

Sans ces privilèges, le prestige de l’Ecole aurait bientôt disparu ; ce ne sont pas les mathématiques qui le soutiendraient.

Si, au contraire, ces privilèges étant maintenus, on cotait dans les examens d’entrée et de sortie les mathématiques sur le même pied que la chimie, la géologie ou les exercices physiques, et si, de plus, l’art de parler et d’écrire bénéficiait d’une cote de faveur, l’Ecole serait tout aussi recherchée qu’auparavant, la grande majorité des élèves ne seraient pas moins aptes à remplir les postes qui leur sont réservés, mais du coup les mathématiques supérieures auraient perdu tout leur prestige.

Recrutés parmi les enfants intelligents du pays tout entier, les élèves de l’Ecole polytechnique constituent incontestablement une élite. Seraient-ils moins une élite sans l’excès de mathématiques auquel ils sont soumis ? Est-il bien certain ([lie cet enseignement ne leur est pas plus nuisible qu’utile ? On doit se demander pourquoi les mathématiques supérieures, dont les chefs d’entreprises ne font pas usage, qui servent peu aux ingénieurs et aux militaires, qui ont peu d’action et plutôt une action mauvaise sur le jugement quand on en surcharge les jeunes étudiants, sont restées au tout premier rang du programme d’admission et du classement en cours d’études de l’Ecole polytechnique. J’ai été attristé en constatant que l’opinion générale attribue cette pratique à la facilité de classement que les mathématiques donnent aux examinateurs.

Quoi qu’il en soit, je fais des vœux pour que l’Ecole polytechnique réduise ses programmes (le mathématiques, pour que les lettres y prennent une plus grande place et pour que l’administration n’y soit point oubliée. Je suis convaincu que son prestige n’y perdrait rien, et nos écoles de génie civil qui se croient obligées de l’imiter cesseraient d’imposer à leurs candidats et à leurs élèves des épreuves inutiles et partant nuisibles. — Durée des études

Je disais au congrès des mines et de la métallurgie de 1900 : « Nos futurs ingénieurs restent beaucoup trop sur les bancs « de l’école. L’industrie qui a besoin de jeunes gens bien « portants, souples, sans prétention, je dirais même, pleins « d’illusions, reçoit souvent des ingénieurs fatigués, anémiés « de corps et d’esprit, moins bien disposés qu’on peut le « souhaiter aux besognes modestes et à ces beaux efforts « qui rendent tout facile.

« Je suis convaincu qu’on pourrait les rendre plus tôt à la « vie active et tout aussi bien préparés, en supprimant de « l’enseignement les choses inutiles.. : » Depuis 1900, mon opinion sur la durée trop longue des études d’ingénieur, n’a fait que se confirmer. J’estime que quatre années sont largement suffisantes pour faire d’un bon élève de renseignement secondaire un diplômé des écoles techniques supérieures. Le jeune ingénieur peut être prêt à rentrer dans l’industrie à 2.1 ou 22 ans ; à cet âge il est en mesure d’être utile (1).

Ce résultat doit être obtenu tout en consacrant six mois à des leçons (Vadministration } de commerce , de finances , de sécurité et do comptabilité qui manquent aujourd’hui dans les grandes écoles.

(1) J’ai débuté comme ingénieur divisionnaire des houillères de Commentry, à 19 ans, en sortant de l’Ecole des minesde Saint-Etienne. C’était en 1860. A cette époque lointaine le service militaire n’était pas obligatoire. Il faut donc gagner au moins deux ans sur le temps consacré aux mathématiques supérieures et à quelques détails inutiles des cours techniques. Je suis convaincu que cela peut être fait en préparant les élèves du génie civil beaucoup mieux qu’ils ne le sont au jourd’hui à leurs destinées industrielles. Reste la question du service militaire que je ne crois pas devoir examiner ici.

On ne saurait s’occuper avec trop de sollicitude de la formation de ces jeunes gens sur qui repose en grande partie l’avenir industriel du pays. C’est cette pensée qui m’a déterminé à formuler ici quelques conseils que je leur donnerais volontiers, si c’était, en mon pouvoir, au moment ou ils vont quitter les bancs de l’Ecole.

Conseils aux futurs ingénieurs

Vous êtes heureux de penser que vous allez enfin pouvoir être utiles et vous avez le légitime désir de conquérir une situation honorable en rendant des services. Les qualités que vous allez avoir à mettre en œuvre ne sont pas exactement celles qui permettent d’arriver aux premiers rangs à l’Ecole. Ainsi la santé, l’art de manier les hommes, la tenue, qui ne sont pas cotés aux examens, ont une certaine influence sur le succès de l’ingénieur. Les circonstances aussi sont diverses ; il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les premiers et même les majors ne soient pas toujours ceux qui réussissent le mieux. Vous n’êtes pas préparés à prendre la direction d’une entreprise, même petite. L’Ecole ne vous a donné ni les notions administratives, ni les notions commerciales, ni même les notions de comptabilité nécessaires à un chef d’entreprise. Vous les eût-elle données qu’il vous manquerait encore ce qu’on appelle pratique , expérience et qui ne s’acquiert qu’au contact des hommes et des choses.

Vous n’étes pas davantage préparés a conduire immédiatement un grand service technique. Aucun chef d’industrie ne commettra l’imprudence de vous confier immédiatement le fonçage d’un puits de mine, la conduite d’un haut fourneau ou d’un laminoir. Il faut d’abord que vous appreniez le métier que vous ne connaissez pas.

Comme la plupart de vos prédécesseurs, vous débuterez donc en qualité d’ingénieur en second ou dans des fonctions plus modestes.

On n’attend pas de vous un jugement mûr, une connaissance pratique des procédés techniques ni une vision étendue des mille détails qui touchent de plus ou moins près à votre fonction, mais on vous demande d’apporter, avec votro diplôme, de la réflexion, de la logique, de l’esprit d’observation, le dévouement dans l’accomplissement de votre tâche. Les notions théoriques que vous possédez vous permettront de vous assimiler rapidement les détails de n’importe quel genre de travail.

Votre avonir dépendra beaucoup de votre capacité technique, mais il dépendra plus encore de votre capacité administrative. Meme pour un débutant, savoir commander, prévoir, organiser et contrôler est le complément indispensable des connaissances techniques. On ne vous jugera pas sur ce que vous savez, mais sur vos œuvres.

L’ingénieur accomplit très peu de choses sans l’intervention des autres, mémo à ses débuts. Savoir manier les hommes est pour lui une nécessité immédiate. Vous aurez d’abord comme subordonnés directs des contremaîtres, anciens ouvriers pour la plupart, qui furent choisis parmi leurs camarades en raison de leur intelligence, de leur conduite et de leur aptitude au commandement. Ils ont l’expérience des ouvriers et celle de l’atelier qui vous manquent, et ils le savent bien. Ils savent aussi que vous êtes relativement très savant et ils ont pour la science un très sympa thique respect. Ce sont là les bases de raccord tacite qui doit s’établir entre vous.

N’oubliez pas que le contre-maître représente de nombreuses années d’expérience et un jugement développé par une pratique quotidienne et pensez qu’à son contact vous pourrez acquérir de précieuses, d’indispensables données pratiques, complément nécessaire de l’enseignement de l’Ecole. Vis-à-vis des ouvriers, observez une attitude de politesse et de bienveillance ; attachez-vous à les étudier dans leur conduite, leur caractère, leurs aptitudes, leur travail et même dans leurs intérêts personnels. H appelez-vous que dans tous les milieux sociaux se trouvent des hommes intelligents. Par un habile commandement on obtient non seulement la discipline, mais encore tous les dévouements pouvant aller, dans des circonstances difficiles ou périlleuses, jusqu’à l’abnégation, au sacrifice de soi-même.

Dans le sorvice, mesurez soigneusement vos paroles et n’exprimez aucun reproche immérité. N’hésitez pas à reconnaître ouvertement, le cas échéant, que votre observation était basée sur une interprétation inexacte des faits ou des règlements.

Efforcez-vous de vous concilier la sympathie de votre chef par un zèle de bon aloi dans l’exercice de vos fonctions ; il aura pour vous une bienveillance dont vous ne devrez pas abuser.

Apportez dans votre appréciation des choses et des gens qui vous entourent de la réserve et de la mesure. Faire de la critique avec l’idée de contribuer à une amélioration, c’est très bien ; mais toute autre espèce de critique est un acte de légèreté ou de malveillance.

Ayez confiance en vous-mêmes sans tomber dans la présomption ; il ne s’agit pas de mépriser les opinions ni de négliger l’expérience des autres, mais il faut savoir défendre ses vues avec confiance et enthousiasme lorsqu’on possède son sujet et qu’on est sûr de soi. Vous arriverez difficilement 9 à convaincre les autres si vous n’êtes pas vous-mêmes convaincus.

Votre temps ne sera jamais complètement absorbé par vos travaux professionnels ; vous pourrez toujours trouver le temps nécessaire à l’étudo.

Travaillez à compléter vos connaissances professionnelles, mais ne négligez par votre instruction générale. Les chefs qui vous inspirent le plus d’estime et d’admiration n’ont pas cessé, vous le verrez, de s’instruire par un effort constant. Soyez convaicus qu’il y a beaucoup à apprendre autour de vous. Tout est intéressant à condition de s’y donner. Prenez note des choses au fur et à mesure qu’elle se présentent à votre esprit ; si vous les classez avec méthode vous ne tarderez pas à constater que vous avez fait ainsi un travail utile. Nul doute, si vous aimez votre métier, que vous rencontrerez bientôt des questions qui vous attireront et que vous voudrez approfondir. Consacrez-leur vos loisirs ; recherchez ce qu’ont fait les autres sur les mêmes sujets ; voyez s’ils n’ont pas laissé quelque problème à résoudre. Le savoir ne vous viendra pas par l’unique accomplissement des tâches quotidiennes : instruisez-vous par les livres, par les revues, par l’effort personnel, sinon vous ne récolterez que des déceptions.

Faites-vous inscrire comme membres des principales sociétés techniques de votre spécialité, suivez les réunions, assistez aux congrès. Vous vous mettrez ainsi en relation avec les hommes éminents de votre profession. Essayez- vous de bonne heure à publier, sur dos sujets que vous aurez étudiés, des notes d’abord modestes qui vous permettront de prendre et de donner votre mesure.

Avoir une bonne santé est une condition essentielle pour faire son chemin dans le monde. Il faut donc soigner sa santé. Ne dépassez pas la mesure de vos propres forces. Combinez dans ce but les exercices physiques et les efforts intellectuels.

Il pourra vous arriver d’avoir à soutenir dans des circonstances critiques un travail intense de jour et de nuit, jusqu’à épuisement. Un peu de repos rendra facilement à vos facultés un fonctionnement normal. Mais sachez que les excès de travail sont parfois aussi dangereux que les autres excès. Quand le cerveau est fatigué et n’obéit plus, il est temps de se distraire. Ne jamais prendre de vacances est une habitude fâcheuse ; le rendement individuel s’en ressent et comme quantité et comme qualité.

Soyez vaillants et enthousiastes comme il convient à la jeunesse ; ne vous laissez jamais aller au découragement. Quand on a mis dans son œuvre le meilleur de soi même, qu’on a supporté fatigues et désagréments pour la faire aboutir, on est récompensé de sa peine par la satisfaction de lui voir prendre vie.

Ayez de l’initiative, ayez même de l’audace. La crainte des responsabilités est un indice de faiblesse. N’oubliez pas que toute l’intelligence, tous les efforts, toutes les qualités consacrés à la prospérité d’une entreprise peuvent échouer ; le hasard, les circonstances ont parfois une grande influence sur le succès des affaires et par conséquent sur celui des hommes qui les dirigent. Mais il ne faut pas s’exagérer le rôle de la chance. Celui qui réussit une première fois peut être simplement heureux ; si son succès se répète, on est bien obligé d’admettre que sa valeur personnelle a dans le succès le rôle principal. Vous appartenez à l’élite intellectuelle, vous ne devez donc pas vous désintéresser de votre temps ; vous devez être au courant des idées générales qui agitent la société moderne dans tous les domaines.

Vous vous devez non seulement à vous-mêmes, mais aussi à vos collègues, à vos chefs, et à l’entreprise que vous servez ; votre tenue, votre attitude, vos propos, votre conduite doivent montrer que vous avez le sentiment exact de votre responsabilité.

Enfin ne perdez pas de vue que le mariage est Tacte le plus important de la vie civile ; que de cet acte dépendent beaucoup le bo nhem ^ de la y je et le succès même de la carrière ; que vous devez vous efforcer d’être dignes d’une bonne compagne et que vous devez faire un choix digne de vous.

2° Enseignement secondaire.

L’enseignement secondaire des lycées a pour but la culture générale et, pour sanction, le baccalauréat. Il ne prépare spécialement à aucune carrière. Ses élèves sont moins bien préparés que ceux de l’école primaire aux postes inférieurs de l’industrie et ils no le sont nullement aux postes élevés. Ils sont comme une sorte de ^rodu U Jjiterniédiairy qui a besoin d’une nouvelle élaboration pour pouvoir être utilisé. Pour les futurs ingénieurs, cette élaboration se fait dans les écoles techniques supérieures où les candidats arrivent après une année ou deux de préparation spéciale. Si cette préparation n’est pas ce qu’elle devrait être, soit au point de vue des besoins du pays, soit à celui de l’avenir des jeunes gens, ce n’est pas au lycée qu’il faut s’en prendre, mais à l’école technique supérieure qui fixe ses conditions d’admission. Le lycée subit le programme d’enseignement des cours préparatoires ; il n’en est pas responsable. Le jour où les écoles techniques supérieures demanderont à leurs candidats moins de mathématiques, plus de clarté dans l’expression de leur pensée e{ un peu d’administration, les lycées mettront leur enseignement en harmonie avec les programmes d’admission. Je souhaite que ce jour no soit pas trop éloigné. (a) enseignement universitaire

L’enseignement secondaire do l’Université n’a pas directement l’industrie en vue. Ses élèves rayonnent vers les carrières les plus diverses : la médecine, le droit, le professorat, le commerce, l’agriculture, les écoles industrielles, l’armée, etc., etc.

L’Université a-t-elle donné à tous ces jeunes gens la culture générale pour laquelle on les lui avait confiés avant leur spécialisation ?

Au point de vue industriel, le Comité des F orges a répondu : Non, et il en fait poser la responsabilité sur les programmes adoptés en 1912. Quelques autres représentants de l’activité sociale ont émis des avis contradictoires ; la plupart n’ont rien dit.

Je no crois pas que tout soit pour le mieux dans renseignement secondaire universitaire et je suis bien convaincu par exemple, que si, dans la direction des études, les règles administratives d’unité d’action , de coordination et de contrôle étaient mieux observées, les résultats seraient meilleurs. Mais ce ne sont point là des questions de programme et je ne pense pas que les programmes de 1902 soient pour beaucoup dans le mal dont on se plaint. À ce point de vue, l’enseignement secondaire me paraît beaucoup moins défectueux que l’enseignement technique supérieur et c’est sur ce dernier que l’effort doit, à mon avis, d’abord et surtout se porter.

(b) enseignement spécial

Les agents moyens que l’industrie ne trouve pas parmi les élèves de l’enseignement secondaire universitaire, elle les recrute en grande partie dans les écoles spéciales de plus en plus nombreuses et de plus en plus fortes, instituées spécialement en vue de préparer de bons contre-maîtres et de bons chefs d’ateliers. La construction, les mines, la métallurgie, l’agriculture, la chimie, l’électricité, le tissage, ont leurs écoles spéciales, locales ou régionales, d’où sortent chaque année une armée de bons sujets. Résultant généralement d’une sélection qui s’est opérée pendant le cours des études primaires, l’ensemble de ces jeunes gens constitue une élite bien disposée au service industriel. Un certain nombre d’entre eux deviennent chefs d’entreprises, quelques-uns arrivent aux plus hautes situations industrielles. Jusqu’ici Y administra lion n’a pas fait partie des programmes d’enseignement des écoles techniques secondaires ; c’est une lacune regrettable. Destinés à devenir des chefs, les élèves de ces écoles doivent avoir des notions assez étendues sur l’art do prévoir, d’organiser, de commander, de coordonner et de contrôler.

3° Enseignement primaire.

Personne no doute qu’un bon enseignement primaire soit une excellente préparation aux travaux industriels. Avant que l’Etat n’eût pris la charge de l’enseignement primaire, les grandes entreprises avaient généralement leurs écoles ; depuis, elles ne se sont pas désintéressées de cet enseignement. Elles interviennent, soit par des faveurs réservées aux meilleurs elèves, soit par des subventions destinées à la création de cours supérieurs ou spéciaux, soit autrement. Aujourd’hui, les ouvriers mineurs ou métallurgistes ont autant, sinon plus d’instruction que n’en avaient en moyenne les contre-maîtres et les maîtres mineurs il y a un demisiècle. Le résultat est appréciable ; il est encore loin du maximum possible.

Je crois qu’il serait bon d’introduire dans l’enseignement primaire quelques notions d’administration. Deux pages de texte et quelques tableaux graphiques suffiraient à introduire dans l’esprit des enfants le germe de connaissances qui se développeraient naturellement au cours de la vie. i B — Rôle de l’atelier (du patron).

Lorsqu’il vient de quitter l’école, l’agent industriel n’est qu’un apprenti, apprenti ouvrier, apprenti contre-maître, apprenti ingénieur, apprenti directeur. Meme lorsqu’il a fait des études spéciales, sa préparation est incomplète il lui manque l’expérience du milieu où le facteur humain et la lutte commerciale ont une importance dont il est difficile de donner une idée exacte à l’école. L’éducation des élèves a besoin d’un complément ; au moment où le rôle de l’école finit, celui de l’atelier doit commencer. La fonction éducatrice du patron doit s’exercer à tous les niveaux ; elle doit être sans cesse en éveil. 11 faut découvrir les aptitudes, encourager les efforts, faciliter l’initiation, l’apprentissage, récompenser le zèle et le succès, opérer une sélection continue. On arrive ainsi à former un bon personnel.

A quelque niveau qu’il appartienne, un agent ainsi formé dans la maison est dans des conditions à remplir bien mieux sa fonction que celui qu’on aurait pu prendre ailleurs. Même en faisant avancer sur placedes agents qu’on connaît, on n’est pas à l’abri de toute déception ; mais combien y est-on oxposé davantage en les tirant du dehors, malgré toutes les précautions dont on a pu s’entourer.

Il y a pour la formation technique des agents de tous les niveaux des usages presque identiques dans toutes les entreprises similaires, usages découlant de la doctrine scientifique et de l’expérience ; pour s’instruire, l’agent n’a qu’à ouvrir les yeux, à réfléchir et à s’efforcer de bien remplir sa mission.

Il n’en va pas tout à fait de même pour la formation administrative. L’absence de doctrine détermine des hésitations, des contradictions au milieu desquelles il est souvent dillicile de voir autre chose que la volonté omnipotente du chef.


Une marque de bonne administration est la formation méthodique, persévérante, des agents de toute sorte et de tous degrés dont on a besoin. Quelques années d’efforts habiles peuvent donner sous ce rapport de merveilleux résultats. Malheureusement il ne faut pas longtemps non plus à une direction maladroite pour annihiler la valeur d’un bon personnel, surtout au point de vue administratif. Si le chef prêche d’exemple en initiant autant que possible ses subordonnés immédiats aux problèmes généraux de l’entreprise ; s’il détermine l’ingénieur à inculquer au contre-maître un peu de sa science en échange des notions expérimentales qu’il en reçoit ; s’il obtient du contre-maître de chercher à instruire les ouvriers, il y a de grandes chances pour que l’entreprise dispose bientôt d’un bon personnel.

G. — Rôle de la famille.

Comme toute autre entreprise, la famille a besoin d’a dministration , c’est-à-dire de prévoyance, d’organisation, de commandement, de coordination et de contrôle. La famille pourrait être une excellente école d’administration ; les principes, les procédés, les méthodes pénétrant naturellement l’esprit des enfants constitueraient des notions transmissibles et perfectibles. 11 n’en est rien. Chacun croit avoir là-dessus des notions suffisantes et suit son inspiration ou laisse aller les choses au gré des événements. Au point de vue administratif, la famille donne les exemples les plus variés du meilleur au pire ; et cela se répète constamment, sans progrès sensible.

Seule une doctrine enseignée, donc soumise à la discussion publique, peut mettre fin à ce tâtonnement général qui se poursuit dans l’isolement des ménages. Alors seulement la famille pourra jouer dans la formation administrative de la jeunesse le rôle qui lui revient. D. — Rôle de 1 Etat.

L’Etat peut contribuer à la formation administrative des citoyens par ses écoles et par ses exemples. Nous avons vu que les écoles de l’Etat ont généralement jusqu’à présent à peu près complètement négligé l’enseignegnement administratif. De ce côté tout est à faire. Quant aux exemples de l’Etat, ils sont, comme ceux de la famille et de l’atelier, de valeurs très différentes et très variables. Dans les grands services nationaux, la prévoyance, l’organisation, le commandement, la coordination et le contrôle ne sont à la portée que d’intelligences d’élite doublées de l’expérience des affaires. Or, le système de recrutement actuel porte fréquemment au pouvoir des hommes étrangers aux affaires et non préparés ou à peine préparés aux difficiles fonctions dont ils sont tout à coup investis. Dans ces conditions, l’administration est forcément inégale, bonne, peut-être même très bonne parfois, mais impropre à former l’éducation administrative des citoyens. Je crois qu’un bon enseignement administratif pourrait améliorer cette situation.

r 3* COMMANDEMENT

Le corps social étant constitué, il s’agit de le faire fonctionner : c’est la mission du commandement. Cette mission se répartit entre les divers chefs de l’entreprise, chacun ayant la charge et la responsabilité do son unité.

Pour chaque chef, le but du commandement est de tirer le meilleur parti possible des agents qui composent son unité, dans l’intérêt de l’entreprise.

L’a rt de commander repose sur certaines qualités personnelles et sur la connaissance des principes généraux d’administration. Il se manifeste dans les petites comme dans les grandes entreprises. Il a, comme tous les autres arts, ses degrés. La très grande unité qui fonctionne bien et donne son maximum de rendement suscite l’admiration publique. Dans tous les domaines, dans l’industrie, dans l’armée, dans la politique ou ailleurs, le commandement d’une très grande unité exige de rares qualités.

Je me bornerai ici à rappeler quelques préceptes qui ont pour objet de faciliter le commandement. Le chef chargé d’un commandement doit : 1° Avoir une connaissance approfondie de son porsonnel ; 2° Eliminer les incapables ;

3° Bien connaître les conventions qui lient l’entreprise et sos agents ; ^ ’

4° Donner le bon exemple ;

5° Faire des inspections périodiques du corps social ; s’aider dans ces inspections de tableaux synoptiques ; 6° Réunir ses principaux collaborateurs en des conférences où se préparent l’unité de direction et la convergence des efforts ;

7° Ne pas se laisser absorber par les détails ; <S° Viser à faire régner dans le personnel, l’activité, l’initiative et le dévouement.

1° Connaissance approfondie du personnel. Devant une grande unité qui compte des centaines ou des milliers d’agents, le problème apparaît tout d’abord insoluble. Mais la difficulté se trouve singulièrement réduite par le mode de constitution du corps social, mode qui découle certainement de cette difficulté même. Quel que soit son niveau hiérarchique, un chef n’a jamais à commander directement qu’un très petit nombre de subordonnés, ordinairement moins de six. Seul, le chef C 1 (contremaître ou équivalent) commande parfois directement à vingt ou trente hommes quand l’opération est simple. 11 n’est donc pas impossible au chef, même dans une très grande, entreprise, d’étudier ses subordonnés directs et d’arriver à savoir ce qu’il peut attendre de chacun d eux, quel degré de confiance il peut leur accorder. Cette étude exige toujours un certain temps. Elle est d’autant plus difficile que les subordonnés sont d’un rang plus élevé, que leurs fonctions les éloignent plus les uns des autres et que les contacts entre chefs et subordonnés sont rares, comme il arrive parfois au sommet des grandes entreprises. Elle ne se concilie pas avec Yinstabilitè du haut personnel.

Quant aux subordonnés indirects , c’est-à-dire tous ceux qui de degré en degré, vont jusqu’à la base de la pyramide dont il est le sommet et sur qui son action ne s’exerce que

par des intermédiaires, il est évident qu’il ne peut les connaître tous individuellement et que la connaissance qu’il en a s’affaiblit à mesure que leur nombre augmente. Cela n’empêche pas absolument toute action personnelle directe, celle de l’exemple entre autres.

2° Elimination des incapables .

Pour maintenir son unité en bon état de fonctionnement le chef doit éliminer ou proposer l’élimination de tout agent devenu, pour des raisons quelconques, incapable de bien remplir sa fonction. C’est un devoir impérieux toujours grave, souvent ardu.

Prenons, par exemple, le cas d’un ancien serviteur, haut placé, estimé et aimé, qui a rendu de grands services et dont es facultés se sont affaiblies — sans qu’il s’en rende bien compte — au point de gêner la marche de l’entreprise. L’élimination est devenue nécessaire. Mais qui est juge de cette nécessité ? Qui est chargé de fixer le moment précis de l’exécution ? Le chef seul, sans que, aucun principe, aucune règle ne couvrent sa responsabilité. Le souvenir des services rendus, l’affection, les répercussions certaines inclinent à faire ajourner une mesure qui va surprendre et chagriner profondément un agent dévoué et respecté ; seul, l’intérêt général, dont le chef est juge et responsable, l’impose sans délai. Le devoir est dicté ; il faut l’accomplir habilement et courageusement ; ce n’est pas à la portée du premier venu.

Le corps social tout entier se sent atteint par l’amputation de l’un de ses membres, d’un membre important surtout. La sécurité de chacun des agents serait troublée, sa confiance dans l’avenir et par suite, son zèle, seraient diminués, s’il n’avait pas la conviction que l’opération était nécessaire et juste.

Cette conviction, il faut la donner.


Pour ces sortes d’éventualités l’entreprise a prévu des compensations pécuniaires, des satisfactions honorifiques, des fonctions légères qui permettent de conserver un peu d’activité. Le chef bienveillant et habile trouve dans ces ressources et dans son cœur le moyen de panser les blessures d’amour-propre et d intérêt qu’il a été obligé de faire ; il trouve en même temps le moyen do rassurer tous les membres du corps social sur leur avenir. On voit par cet exemple que l’élimination des membres incapables du personnel met enjeu les plus hautes qualités morales du chef et notamment un certain courage civil qui est parfois plus difficile à pratiquer que le courage militaire. 3° Connaissance approfondie des conventions qui lient Ventreprise et les agents .

L’entreprise et ses agents sont liés par des conventions. Le chef doit veiller sur l’exécution de ces conventions. Ocla lui impose un double rôle ^ défendre l’intérêt de l’entreprise vis-à-vis de ses agents, défendre l’intérêt des agents vis-à-vis du patron. ’ f

L’entreprise est exposée à de multiples assauts, déterminés soit par le désir d’une plus forte rétribution ou d’un effort moindre, soit par les conseils de la paresse, de la vanité ou d’autres passions et faiblesses humaines. Parmi ces assauts les plus redoutables sont ceux qui viennent du chef lui-même lorsqu’il oublie que l’intérêt de l’entreprise doit seul guider sa conduite, qu’il doit éviter avec soin tout ce qui ressemble à du favoritisme quand il s’agit de sa famille, dé ses camarades, de ses amis. Pour remplir cette première partie de son rôle, le chef a besoin d’intégrité, de tact et d’énergie. Pour protéger le personnel contre les abus possibles du patron, il a besoin d’une connaissance bien complète des conventions, d’un sentiment profond du devoir, et d’équité. L’observation attentive et intelligente des conventions ne libère pas sa conscience. Bonnes ou mauvaises, les conventions n’ont qu’un temps. Il vient toujours un moment où elles ne sont plus en harmonie avec les conditions économiques ou sociales en cours ; sous peine d’arriver un jour à quelque redoutable conflit, il faut tenir compte de l’évolution. Nul n’est mieux placé que le chef d’unité pour observer les conventions et pour conseiller ou réaliser, s’il en a le pouvoir, les modifications que le temps et les circonstances ont rendues nécessaires.

4° Le bon exemple du chef.

Il est entendu que tout chef a le pouvoir de se faire obéir. Mais l’entreprise serait bien mal servie si l’obéissance n’était obtenue que par crainte de la répression. Il y a d’autres moyens d’arriver à une obéissance plus fertile on résultats, génératrice d’efforts spontanés et d’initiatives réfléchies. Certains chefs obtiennent l’obéissance, l’activité, le zèle et même le dévouement sans effort apparent ; d’autres n’y parviennent jamais.

Parmi les moyens d’entraînement l’un des plus efficaces est l’exemple.

Quand le chef donne l’exemple de l’assiduité, personne n’ose arriver en retard. Quand il est actif, courageux, dévoué, on l’imite et, s’il sait bien s’y prendre, il arrive à rendre le travail aimable.

Mais le mauvais exemple aussi est contagieux et, partant de haut, il a les plus graves répercussions sur l’unité tout entière. C’est l’une des innombrables raisons qui font désirer un bon chef.

5° Inspections périodiques du corps social . Il serait fort imprudent de ne pas faire des revues périodiques de tous les organes d’une machine, surtout d’une machine compliquée. On s’exposerait ainsi à do mauvais

rendements, à des accidents et même à des catastrophes. La surveillance journalière, un peu superficielle, n’est pas une garantie suffisante.

Le besoin de revues périodiques des machines administratives n’est pas moins grand, mais il est infiniment moins usité. Les raisons en sont nombreuses : D’abord on n’est pas bien fixé sur la forme du modèle à adopter. Tandis qu’on sait très bien ce que doit être un organe ou une pièce de machine on bon état, on n’a généralement pas des notions précises sur ce que devrait être l’organisme d’une fonction ou Vu n des éléments de cet organisme. On est accoutumé à des aspects divers et variables et la réparation à faire n’apparaît pas clairement. Ensuite ce qui touche le personnel demande généralement plus de temps, plus de doigté et plus d’énergie morale qu’une opération matérielle.

Dans les réformes du personnel il faut être soutenu par le sentiment d’une haute responsabilité morale qui ne se concilie guère avec l’instabilité des chefs. 11 est donc prudent d’avoir une règle qui impose, pour ainsi dire automatiquement, l’examen périodique du corps social.

La règle suivante répond à ce besoin : « Tous les ans, à propos de la confection du programme « annuel, une étude minutieuse de la constitution du corps « social est faite avec emploi de tableaux synoptiques. » Les tableaux synoptiques représentent la hiérarchie des chefs de l’entreprise avec l’indication du supérieur direct ett clos subordonnés directs de chacun d’eux. C’est une sorte de photographie des cadres à un moment précis. Deux tableaux faits à des dates différentes montrent les modifications qui se sont produites pendant l’intervalle dans la constitution du corps social.

Ils sont précieux pour les inspections périodiques. Ils ne le sont pas moins dans le service courant pour / éviter les formes vicieuses qui sortent trop souvent de modifications hâtives de l’organisme. Ces vices d’organisation sociale, qu’on aperçoit assez difficilement dans une description, sautent aux yeux dans les tableaux. C’est comme un gabarit qui ne laisse pas passer une forme défectueuse. Ils rendent encore de grands services au point de vue du principe de l ’unité du commandement. On sait que la dualité est la source d’une multitude de conflits. Or, la dualité s’introduit souvent dans le personnel par de petits défauts d’organisation que les tableaux révèlent et permettent d’éviter.

Les tableaux synoptiques du personnel , qu’on tient constamment à jour, font partie des procédés auxquels un chef d’unité, de grande unité surtout, fait constamment appel.

6° Conférences et rapports.

Dans une conférence qui réunit autour de lui ses principaux collaborateurs directs, le chef peut exposer un programme, recueillir les idées de chacun, prendre une décision, s’assurer que ses ordres sont compris et que chacun sait la part qu’il doit prendre à leur exécution, tout cela en dix fois moins de temps qu’il ne lui en eût fallu pour arriver au meme résultat sans conférence.

On peut même dire que si ces collaborateurs sont de grands chefs de services, sans contact fréquent entre eux et avec le chef, comme il arrive souvent dans les très grandes entreprises, il n’est pas possible d’obtenir sans conférence, même au prix de beaucoup de temps et de peine, la sûreté et la force que la conférence peut donner.

Le chef doit savoir tout ce qui se passe, soit par lui-même dans la petite unité, soit indirectement dans la grande. Des rapports verbaux, rapports écrits sont des compléments de surveillance et de contrôle dont il doit savoir se servir. 7° Ne pas se laisser absorber, par les détails. Un grave défaut pour un grand chef consiste à consacrer beaucoup de temps à des détails que des agents subalternes pourraient exécuter aussi bien, sinon mieux que lui, alors que d’importants problèmes attendent une solution parce qu’il n’arrive pas à trouver le temps de s’en occuper. Certains croient qu’ils sont très utiles en s’occupant personnellement des plus petites choses ; d’autres ne peuvent s’habituer à penser qu’une chose puisse être bien faite s’ils n’y ont pas mis la main et cette pensée en détermine quelques-uns à laisser les affaires on souffrance pendant qu’ils sont absents.

Sans s’inquiéter du jugement des personnes qui croient qu’un grand chef doit toujours avoir l’air affairé, celui-ci doit toujours chercher à se réserver la liberté de pensée et d’action nécessaire dans l’étude, la direction et le contrôle des grandes affaires.

Il doit se décharger sur ses subordonnés et sur l’Etat-Major de toute la besogne qu’il n’est pas strictement obligé d’effectuer lui-même. Il ne lui restera jamais trop de temps et de force pour les questions qui sollicitent constamment son attention personnelle.

Ne pas se laisser absorber par les détails, ne veut pas dire qu’il ne faut pas regarder aux détails. Un chef doit tout savoir ; mais il ne peut ni tout voir, ni tout fairo. Il ne faut pas que le soin donné aux petites choses lui fasse négliger les grandes. Une bonne organisation y pourvoit. 8° Viser à faire régner , dans le personnel, Vunion l’activité % Vinitiative et le dévouement . Le chef peut contribuer beaucoup à l ’union du personnel en écartant les germes de division qu’engendreraient la dualité de commandement , les attributions mal définies , les reproches immérités , etc...

Il peut développer r initiative de ses subordonnés en leur donnant la plus grande part d’action que leur situation et leur capacité comportent, meme au prix de quelques fautes dont il lui est possible, d’ailleurs, de limiter l’importance par une surveillance attentive. En les guidant discrètement sans se substituer à eux, en les encourageant par une louange faite à propos, en faisant parfois quelques sacrifices d’amourpropre à leur profit, il peut assez rapidement transformer des hommes bien doués en agents d’élite. En veillant à ce que la même chose soit faite à tous les niveaux hiérarchique, il peut améliorer assez rapidement l’ensemble du personnel et rendre un très grand service à l’entreprise.

Au contraire, un accueil distrait et dédaigneux, le rejet ou l’ajournement indéfini de toute proposition, ne tardent pas à tarir les sources de l’initiative et du dévouement. 11 ne faut pas très longtemps pour changer, en bien ou en mal, par une direction habile ou maladroite, les dispositions d’un personnel.

Beaucoup d’autres conseils pourraient ou pourront s’ajouter aux précédents. Ce sont autant de moyens que l’expérience signale comme étant de nature à faciliter la tâche du chef. 11 ne faut pas oublier que le meilleur instrument ne dispense pas de l’artiste.

4 COORDINATION

Coordonner c’est mettre de l’harmonie entre tous les actes d’une entreprise de manière à en faciliter le fonctionnement et le succès ;

C’est donner à l’organisme matériel et social de chaque fonction les proportions qui conviennent pour qu’elle puisse remplir son rôle sûrement et économiquement ; C’est tenir compte, dans une opération quelconque — technique, commerciale, financière ou autre — des obligations et des conséquences que cette opération entraîne pour toutes les fonctions de l’entreprise ; C’est proportionner les dépenses aux ressources financières, l’ampleur des immeubles et de l’outillage aux besoins de fabrication, les approvisionnements à la consommation, les ventes à la production ;

C’est construire sa maison ni trop petite, ni trop grande, adapter l’outil à son emploi, la voie au véhicule, les procédés de sécurité aux dangers ;

C’est faire passer l’accessoire après le principal ; C’est, en somme, donner aux choses et aux actes les proportions qui conviennent, adapter les moyens au but. Dans une entreprise bien coordonnée on constate les faits suivants :

a) Chaque service marche d’accord avec les autres :l le service des approvisionnements sait ce qu’il doit fournir et à quel moment ; le service do production sait ce que l’on attend de lui ; le service d’entretien maintient le matériel et l’outillage en bon état ; le service financier procure les capitaux nécessaires ; le service de sécurité assure la protection des biens et des personnes ; toutes les opérations s’effectuent avec ordre et sûreté.

b) Dans chaque service, les divisions et subdivisions sont exactement renseignées sur la part qu’elles ont à prendre dans l’œuvre commune et sur l’aide mutuelle qu’elles doivent se prêter.

c) Le programme de marche des divers services et des subdivisions de chaque service est constamment tenu en harmonie avec les circonstances.

Un tel résultat exige une direction intelligente, expérimentée et active.

11 faut croire que ces trois conditions ne sont pas toujours remplies car on peut observer dans certaines entreprises les signes suivants d’une incontestable incoordination : d) Chaque service ignore et veut ignorer les autres. Il marche comme s’il était à lui-même son but et sa raison d’être, sans s’inquiéter ni des services voisins, ni de l’ensemble de l’entreprise.

e) La cloison étanche existe entre les divisions et les bureaux d’un même service comme entre les différents services. La grande préoccupation de chacun est de mettre sa responsabilité personnelle à l’abri derrière un papier, ordre ou circulaire.

/) Personne ne pense à l’intérêt général. L’initiative et le dévouement sont absents.

Cette disposition du personnel, désastreuse pour l’entreprise, n’est pas le résultat d’une volonté préalablement concertée. 11 est l’aboutissement d’une coordination nulle ou insuffisante.

Un bon personnel ne tarde pas à faiblir s’il n’est constamment rappelé à ses obligations envers l’entreprise et envers tous les membres du corps social.

L’un dos meilleurs moyens de tenir le personnel en haleine et de lui faciliter l’accomplissement de son devoir est la conférence des chefs de service . Conférence hebdomadaire des chefs de service. — La conférence des chefs de service a pour but de renseigner la direction sur la marche de l’entreprise, de préciser les concours que les divers services se doivent entre eux, et de profiter do la présnce des chefs pour résoudre divers problèmes d’intérêt commun.

Il ne s’agit pas, dans ces conférences, de dresser le programme d’action de l’entreprise, mais de faciliter la réalisation de ce programme à mesure que se déroulent les événements. Chaque conférence n’étend son action que sur une courte période — une semaine ordinairement — pendant laquelle il s’agit d’assurer l’harmonie des actes et la convergence des efforts.

Voici, à titre d’échantillon, la pratique suivie à ce sujet dans les divers établissements d’une grande entreprise minière et métallurgique où elle a donné d’excellents résultats.

Dans chaque établissement— mine ou usine —tous les chefs de service sont réunis une fois par semaine, àdatefixe, sous la présidence du directeur.

Chaque chef de service expose, à son tour, la marche de son service, les difficultés qu’il rencontre, l’assistance qu’il requiert et les solutions qu’il propose. Le directeur sollicite l’avis de tous sur les questions qui se présentent ou qu’il pose lui-même.

Après la discussion une décision est prise. Il est entendu qu’aucune question ne disparaîtra de l’ordre’ du jour par simple oubli.

Procès-verbal de chaque séance est dressé et lu au commencement de la séance suivante. Ce procès-verbal est généralement fait par un secrétaire pris en dehors des chefs de service.

La séance a toujours lieu à sa date, même si le directeur ne peut y assister. 11 est alors remplacé par un suppléant désigné d’avance.

La conférence met en présence les chefs de fabrication ou d’exploitation, d’approvisionnements, des ventes, de l’entretien, des constructions neuves, etc. ( Irâce à ces compétences réunies, le directeur peut donner à l’examen de chaque question une ampleur, une précision et une rapidité que l’on ne saurait obtenir autrement. En un temps relativement court — une heure environ — le directeur est renseigné sur la marche généraledes affaires ; il peut prendre des décisions qui intéressent à la fois plusieurs services et préciser les concours que les divers services doivent se donner. — Chaque chef de service se retire sachant ce qu’il a à faire, avec la pensée qu’il viendra rendre compte dans huit jours de ce qu’il aura fait.

Cette cohésion ne saurait être obtenue sans conférence y employât-on dix fois plus de temps et d’efforts. Aussi le directeur a-t-il généralement grand soin de ce précieux instrument. 11 prépare la conférence en notant par avance les questions qui y seront traitées, et il veille sur la rédaction du procès-verbal. Il fait les efforts nécessaires pour que la discussion soit toujours courtoise et intéressante pour tous.

Une conférence bien dirigée est toujours utile. Mais il y faut quelque talent sans quoi elle peut rester terne, ennuyeuse et stérile. Toutes choses égales d’ailleurs, le directeur qui sait tirer bon parti des conférences est très supérieur à celui qui ne le sait pas.

L’expérience m’a montré qu’une conférence de coordination par semaine sutlit à des établissements miniers ou métallurgiques occupant quelques centaines ou quelques milliers d’agents. L’observation m’a convaincu qu’une conférence hebdomadaire convient également à la coordination des entreprises de toute nature ayant un personnel de même importance que les précédents.

.Je crois que la conférence hebdomadaire des chefs de service s’impose, au point de vue de la coordination, aux plus grandes unités, aux ministres et au gouvernement lui-même. J’en ferais, pour toutes les entreprises, une obligation de rigueur.

Agents de liaison. — Mais pour que la conférence ait lieu il faut qu’auqune impossibilité de distance ou autre ne se s’oppose à la réunion des chefs de service. S’il y a seulement difficulté, on peut espacer les séances ; s’il y a impossibilité, il faut suppléer dans la mesure du possible à la conférence par des agents de liaison . Le meilleur des agents de liaison serait le directeur se rendant successivement auprès de tous les chefs de service ; mais les obligations de sa charge ne lui permettent généralement pas de s’imposer ces déplacements. 11 faut donc recourir à d’autres agents ; suivant les circonstances, ce seront des hommes de haute valeur ou des agents ordinaires.

Les agents de liaison font généralement partie de l’Etat-Major dont nous avons étudié précédemment les attributions et le fonctionnement.

Dans la très grande entreprise composée d’établissements distincts et plus ou moins éloignés les uns des autres, la coordination est assurée par l’action combinée de la direction générale, qui veille sur l’ensemble, et des directions locales qui s’appliquent à la prospérité de chacune des parties. Là aussi, plus encore peut-être que dans l’établissement unique, il importe do mettre à profit la force que donne la conférence. Pour faire régner l’harmonie entre les diverses parties de l’organisme matériel ou social d’une très grande entreprise, entre sa puissance technique, sa puissance commerciale et sa puissance financière, entre ses diverses opérations, il faut non seulement un bon programme et une bonne organisation, mais encore une coordination de tous les instants. Il faut sans cesse mettre en équilibre les forces en jeu ; éviter que la marche de l’ensemble soit troublée inopinément par une mesure appliquée sur un point seulement. Aucun procédé n’est supérieur à la conférence pour assurer l’unité de direction et la convergence des efforts, pour entraîner à une collaboration spontanée les divers chefs de service appelés à poursuivre un but commun. La cloison étanche disparaît quand tous les chefs do service ont à s’expliquer et à s’entendre en présence de l’autorité supérieure.

La conférence des chefs de service est pour la coordination ce que le programme d’action est pour la prévoyance, et ce que les tableaux synoptiques du personnel sont pour l’organisation sociale, c’est-à-dire un signe caractéristique et un instrument essentiel. Si le signe est absent, il y a de grandes probabilités pour que la fonction soit mal remplie. La présence, du signe n’est pas une garantie absolue du bon fonctionnement ; il faut de plus que le chef sache bien se servir de l’instrument. L’art de manier ces divers instruments est l’une des qualités de l’administrateur. 5 CONTROLE

Dans une entreprise, le contrôle consiste à vérifier si tout se passe conformément au programme adopte, aux ordres donnés et aux principes admis.

Il a pour but de signaler les fautes et les erreurs afin qu’on puisse les réparer et en éviter le retour. 11 s’applique à tout, aux choses, aux personnes, aux actes. Au point de vue administratif , il faut s’assurer que le programme existe, qu’il est appliqué et tenu à jour, que l’organisme social est complet, que les tableaux synoptiques du personnel sont usités, que le commandement s’exerce selon les principes, que les conférences de coordination se tiennent, etc., etc.

Au point de vue commercial , il faut s’assurer que les matières entrées et sorties sont exactement appréciées en quantités, qualités et prix, que les inventaires sont bien faits, que les engagements sont bien tenus, etc. Au point de vue technique , il faut observer la marche des opérations, leurs résultats, leurs inégalités, l’état de l’entretien, le fonctionnement du personnel et des machines, etc. Au point de vue financier, le contrôle porte sur les livres et la caisse, sur les ressources et les besoins, sur l’emploi des fonds, etc.

Au point de vue sécurité , il faut s’assurer que les moyens adoptés pour protéger les biens et les personnes sont en bon état de fonctionnement.

Enfin, au point de vue comptabilité , il faut constater que les documents nécessaires arrivent rapidement, qu’ils donnent une claire vision de la situation de l’entreprise, que le contrôle trouve dans les livres, dans les statistiques et les diagrammes de bons éléments de vérification et qu’il n’existe aucun document ou statistique inutile. Toutes ces opérations sont du ressort de la surveillance tant qu’elles peuvent être exécutées par le chef de l’entreprise et ses collaborateurs hiérarchisés. Dans une entreprise métallurgique, par exemple, le minerai entrant à l’usine est l’objet d’une réception parle service technique ; les produits usinés sont soumis au contrôle du service commercial avant leur mise en vente. Chaque service surveille ses agents. L’autorité supérieure a l’œil sur tout.

Mais lorsque certaines opérations de contrôle deviennent trop nombreuses, ou trop complexes, ou trop étendues pour pouvoir être laites par les agents ordinaires des divers services, il faut avoir recours à des agents spéciaux qui prennent le nom de contrôleur ou d ’inspecteur. M’occupant uniquement ici d’administration, je ne m’arrête pas au contrôle qui s’exerce entre deux entreprises différentes et qui, concernant généralement des réceptions de marchandises, est du ressort du service commercial ; j’ai surtout en vue le contrôle intérieur, celui qui a pour but de contribuer à la bonne marche de chaque service en particulier et de l’entreprise en général.

Pour que le contrôle soit ellicace, il faut qu’il soit fait en temps utile et suivi de sanctions.

Il est bien évident que si les conclusions d’un contrôle, même très bien fait, arrivent trop tard pour qu’il soit possible de les utiliser, le contrôle aura été une opération inutile. Il est non moins évident que le contrôle est inutile si les conclusions pratiques qui en découlent sont volontairement négligées.

Cesjdeux fautes sont de celles qu’une bonne administration ne laisse pas commettre.

Un autre danger à éviter est l’immixtion du contrôle dans la direction et l’exécution des services. Cet empiètement constitue la dualité de direction sous son aspect le plus redoutable : d’un côté, le contrôle irresponsable et cependant pourvu du pouvoir de nuire parfois dans de larges limites ; de l’autre, le service exécutif qui ne dispose que de faibles moyens de défense contre un contrôle malveillant. La tendance du contrôle à l’empiètement est assez fréquente surtout dans les très grandes affaires, et elle peut avoir les plus graves conséquences. Pour la combattre iT faut d’abord définir d’une manière aussi précise que possible les attributions du contrôle en indiquant bien les limites qu’il ne doit pas franchir ; il faut ensuite que l’autorité supérieure surveille l’usage que le contrôle fait de ses pouvoirs.

Connaissant le but et les conditions dans lesquelles doit s’exercer le contrôle nous pouvons en déduire que le bon contrôleur doit être compétent et impartial. La compétence du contrôleur n’a pas besoin de démonstration. Pour juger de la qualité d’un objet, de la valeur d’un procédé de fabrication, de la clarté des écritures, des moyens de commandement employés, il faut, évidemment, dans chaque cas, être pourvu de la compétence adéquate. L’impartialité repose sur une conscience droite et sur une complète indépendance du contrôleur vis-à-vis du contrôlé. Le contrôle est suspect quand le contrôleur dépend, à un degré quelconque, du contrôlé, et même seulement quand existent, entre les deux, des relations trop étroites d’intérêt, de parenté ou de camaraderie.

Telles sont les principales conditions que le contrôleur doit remplir ; elles comportent compétence, sentiment du devoir, indépendance du contrôlé, jugement et ta’fct. Bien fait, le contrôle est un précieux auxiliaire de la direction ; il peut lui donner certaines informations nécessaires que la surveillance hiérarchisée serait parfois incapable de lui fournir. Il peut s’exercer sur tout ; il dépend de la direction que son fonctionnemeat soit ellicace. Un bon contrôle prévient contre des surprises fâcheuses qui pourraient dégénérer en catastrophes.

Il est bon de pouvoir toujours, à propos de n’importe quelle opération, répondre à cette question : ce Comment se fait le contrôle ? »

S’appliquant aux opérations de toute nature et aux agents de tous les niveaux, le contrôle s’exerce de mille manières différentes. Comme les autres éléments d’administration — prévoyance, organisation, commandement et coordination — il exige toujours une attention soutenue et souvent beaucoup d’art.

J’aurai l’occasion d’en citer quelques exemples dans la troisième partie de ces études. (Fin de la deuxième partie.) Dans la première partie de ces études j’ai cherché à établir la nécessité et la possibilité d’un enseignement administratif.

Dans la seconde partie j’ai indiqué ce que pourrait être cet enseignement.

Dans la troisième partie, j’exposerai comment j’ai amassé, au cours d’une longue carrière industrielle, les matériaux de cet ouvrage.

Dans la quatrième partie, je tirerai des faits récents de nouvelles preuves de l’utilité d’un enseignement administratif.



APPENDICE

APPENDICE

DISCOURS PRONONCÉS PAR 3VL Henri F .A. Y O L. ET M. HATON DE LA GOUPILLIÈRE A LA SÉANCE DE CLOTURE DU CONGRÈS INTERNATIONAL DES MINES ET DE LA MÉTALLURGIE (23 Juin 1900) M. le Président — Messieurs, nous avons actuellement terminé nos séances de sections, aussi bien pour la métallurgie qu’en ce qui concerne les mines. Elles ont été, comme vous l’avez vu, très nourries et très intéressantes. En ce moment, le Congrès se réunit en séance plénière comme au jour de l’ouverture. Nous avons pensé qu’il convenait d’y reporter une question qui nous intéresse tous au même titre. Elle émane de M. Henri Fayol auquel je suis heureux de donner la parole. M. H. Fayol. — Messieurs, avant-hier, üi l’heure des toasts, nous avons eu le plaisir d’entendre des hommes, qui représentent au plus haut degré la science et l’expérience professionnelle, parler des remarquables progrès de nos deux U

grandes industries et de l’heureuse influence qu’ont eue sur ces progrès les relations qui existent entre les ingénieurs du monde entier. M. Harzé a caractérisé ces relations en disant qu’elles établissent entre nous une sorte de franc-maçonnerie technique .

Je souligne le mot technique, Messieurs, parce que, en effet, les communications qu’a reçues le Congrès sont à peu près exclusivement techniques. Aucun écho de nos préoccupations commerciales, financières et administratives ne s’y est fait entendre. Et cependant, le Congrès comptait des hommes particulièrement compétents en ces matières. 11 est assurément regrettable, par exemple, que personne n’ait parlé de ces associations commerciales qui, sous les divers noms d’ententes, syndicats, comptoirs, trusts, ont pris depuis quelques années dans le monde industriel une si grande importance. Mais j’arrive tout de suite aux questions administratives sur lesquelles je désire appeler l’attention, parce que l’enseignement mutuel que nous pratiquons si utilement dans le domaine technique me paraît appelé à rendre de non moins grands services dans le domaine administratif. Le service technique et le service commercial sont assez bien définis ; il n’en est pas de même du service administratif ; sa constitution et ses attributions ne sont pas bien connues ; ses opérations ne tombent pas sous les sens ; on ne le voit ni bâtir, ni forger, ni vendre, ni acheter..., et cependant chacun sait que s’il ne fonctionne pas bien, l’entreprise périclite. Ses fonctions sont multiples :

C’est lui qui prévoit et prépare les conditions financières, commerciales, techniques, etc., au milieu desquelles doit naître et vivre l’entreprise ;

11 préside à l’organisation, au recrutement et au fonctionnement du personnel ;

Il est l’instrument de relations de toutes les parties de l’entreprise entre elles et des relations de l’entreprise avec le monde extérieur.

Cette énumération, quoique incomplète, donne une idée de l’importance du service administratif. La charge du personnel suffirait seule à lui donner la suprématie dans la plupart des cas. Qui ne sait, en effet, qu’une entreprise, lors même qu’elle disposerait des engins et des procédés de fabrication les plus parfaits, est vouée à l’insuccès si elle est entre les mains d’un mauvais personnel ?

Pour représenter son mode d’action, j’emprunterai une comparaison à la physiologie :

Comme le service administratif d’une société industrielle, le système nerveux de l’homme n’est pas visible à l’observateur superficiel ; ses actes ne tombent pas directement sous les sens, et cependant, les muscles, bien qu’ils possèdent une énergie propre, cessent de se contracter si le système nerveux cesse d’agir. Sans son action, le corps humain devient une masse inerte, tout organe dépérit rapidement. Dans tous les organes et dans toutes les parties de chaque organe, le système nerveux est présent et actif. Par des cellules et des fibres il recueille des sensations et les transmet d’abord à des centres nerveux inférieurs, centres réflexes, puis, de là, s’il y a lieu, au cerveau. De ces centres ou du cerveau part ensuite l’ordre qui, par un chemin inverse, arrive au muscle qui doit exécuter le mouvement.

La société industrielle a aussi ses actes réflexes ou ganglionnaires qui s’effectuent sans l’intervention immédiate de l’autorité supérieure. En général, cependant, le renseignement, l’information qui vient d’un agent en contact avec le monde extérieur ou avec un autre agent de l’entreprise, va jusqu’à la direction qui examine, décide et donne un ordre, lequel, par un chemin inverse, arrive aux agents d’exécution. Tel est le fonctionnement du service administratif ; tous les agents y participent plus ou moins.

Sur cent heures consacrées à une grande entreprise industrielle, l’ouvrier emploie quelques heures seulement aux questions administratives : informations diverses transmises au contremaître ; discussion sur les salaires, la durée et l’organisation du travail ; temps consacré aux réunions de caisses de secours, de syndicats, etc...

Le contremaître qui reçoit et transmet les observations des ouvriers, qui reçoit des ordres, les transmet et en assure l’exécution, qui fait lui-même des observations et donne des avis, le contremaître, dis-je, consacre plus de temps au service administratif.

Cette part du temps absorbée par le service administratif grandit avec le rang occupé par l’agent dans la hiérarchie industrielle ; les questions d’ordre, de prévoyance, de discipline, d’organisation, de recrutement et d’éducation des ouvriers et contremaîtres, sont déjà pour l’ingénieur ordinaire des préoccupations importantes.

A ces préoccupations viennent s’ajouter, pour le directeur, les questions commerciales et financières, les relations avec l’Etat, etc.. . ; il s’ensuit que le temps donné aux questions techniques se réduit de plus en plus et qu’il devient presque insignifiant pour le chef d’une très grande entreprise. Je ne dis rien des agents du service commercial, ni de ceux du service financier ou de tout autre service : en dehors de leur spécialité, ces divers agents jouentdans le service administratif un rôle analogue à celui des agents du service technique.

Tous les agents d’une entreprise participent donc plus ou moins à l’administration : tous, par conséquent, ont l’occasion d’exercer leurs facultés administratives et de les faire remarquer. C’est ainsique l’on voit parfois des agents, d’instruction rudimentaire mais particulièrement bien doués, passer par degrés du rang le plus infime aux rangs les plus élevés de la hiérarchie industrielle ou syndicale.

Mais les jeunes hommes qui, en sortant des écoles industrielles, exercent de bonne heure les fonctions d’ingénieur, sont particulièrement favorisés, soit pour faire leur éducation administrative, soit pour montrer leurs aptitudes ; car, en administration comme dans toutes les autres branches de l’activité industrielle, c’est surtout par les services rendus que le mérite se fait apprécier.

Les agents qui s’occupent plus ou moins d’administration dans les mines et les usines, comme d’ailleurs dans toutes les entreprises, sont donc une multitude ; c’est à eux et particulièrement aux ingénieurs que je demande des communications administratives analogues à celles qui s’échangent sur les questions techniques.

La bonne utilisation .des dons physiques, moraux et intellectuels des hommes, n’est pas moins importante pour le bonheur de l’humanité que la bonne utilisation de nos richesses minérales. Tout en cherchant à dominer la matière, selon l’expression de notre éminent président, nous devons nous ingénier à nous dominer nous-mêmes, à découvrir et appliquer les lois qui rendront aussi parfaits que possible l’organisation et le fonctionnement des machines administratives. Pourquoi ne mettrions-nous pas en commun, pour le bien t

de tous, nos observations, nos expériences, nos études ? 11 y a des commissions internationales qui fonctionnent très utilement à la recherche des méthodes d’essai des matériaux de construction ; la recherche des meilleures méthodes de préparation et d’essai des agents de l’industrie mérite-t-elle moins de sollicitude ?

Pour faire des communications utiles, il n’est pas nécessaire d’embrasser magistralement tout l’ensemble d’une grande affaire ; dans l’ordre administratif, comme dans l’ordre technique, ces sortes de travaux ne sont à la portée que d’un très petit nombre de personnes ; mais les plus petites communications ne sont pas toujours les moins intéressantes. Et combien de choses avons-nous à nous dire sur les moyens employés pour avoir de bons ouvriers, do bons contremaîtres, de bons ingénieurs, de bons agents supérieurs ? Combien sur les dispositions adoptées pour l’appareil administratif et sur les diverses manières do le faire fonctionner ?... C’est ce programme que je désirais présenter à la franc-maçonnerie de I. Harzéenlui demandant d’ajouter le domaine administratif au domaine technique. Je m’engage à apporter ma contribution. En attendant, pcrmettez-moi d’appeler votre attention sur une question de recrutement qui intéresse au plus haut degré nos deux grandes industries : on est d’accord sur la nécessité d’allier la théorie à la pratique dans l’éducation des ingénieurs ; mais c’est sur la question de mesure qu’on diffère. Les uns songent sans cesse à surcharger les programmes d’admission et les cours professés dans les grandes écoles industrielles ; d’autres pensent qu’on a déjà dépassé la limite do l’enseignement théorique nécessaire et qu’on fait perdre inutilement à l’élite de notre jeunesse un an ou deux qui seraient mieux employés dans la vie active. Je pense comme ces derniers. Certes, il ne s’agit pas de ralentir le zèle et l’ardeur des études scientifiques ; loin de là. Je trouve au contraire que l’Etat ne traite pas assez libéralement les savants, et je crois que l’industrie s’honorerait et se fortifierait en fournissant les subsides nécessaires pour perfectionner les laboratoires et pour débarrasser les savants des soucis de la vie matérielle. Je souhaite que ce mouvement se produise bientôt dans notre pays.

Mais il y a loin de là à vouloir que chacun de nos ingénieurs soit un savant, et, à la façon dont on augmente sans cesse les programmes, il semble vraiment que tel est le but visé. On ne l’atteint pas ; et d’ailleurs, c’est parfaitement inutile. Voulez-vous savoir quel est l’usage qu’on fait, par exemple, des mathématiques supérieures dans nos deux grandes industries ?

Eh bien, on ne s’en sert pas. Quand j’ai eu constaté 

cela pour moi-même, après une carrière déjà longue, je me suis demandé si je ne faisais pas exception ; j’ai pris des

renseignements et j’ai vu que c’est une règle générale : les ingénieurs ne se servent pas des mathématiques supérieures clans l’exercice de leurs fonctions et les directeurs pas davantage.

Il faut apprendre les mathématiques, c’est entendu ; mais dans quelle mesure ? Telle est la question qui se pose et que les professeurs ont presque toujours été seuls à résoudre jusqu’à présent. Or, en pareille matière, les professeurs me paraissent particulièrement redoutables, et d’autant plus qu’ils sont plus savants et plus zélés. Ils voudraient transmettre toute leur science et trouvent que les élèves quittent toujours trop tôt les bancs de l’école. De là beaucoup d’efforts inutiles et beaucoup de temps perdu. Et l’industrie qui a besoin de jeunes gens bien portants, souples, sans prétention, je dirais meme pleins d’illusions, reçoit souvent des ingénieurs fatigués, anémiés de corps et d’esprit, moins bien disposés qu’on peut le souhaiter aux besognes modestes et à ces beaux efforts qui rendent tout facile.

Je suis convaincu qu’on pourrait les rendre plus tôt à la vie active et tout aussi bien préparés, en supprimant de l’enseignement actuel les choses inutiles.

L’administration, qui comporte l’application de nombreuses connaissances et de beaucoup de qualités personnelles, est surtout l’art de manier les hommes ; et dans cet art, comme dans beaucoup d’autres, c’est en forgeant qu’on devient forgeron. C’est l’une des raisons pour lesquelles il faut le plus tôt possible rendre à la vie active les futurs ingénieurs ; un trop long séjour sur los bancs de l’école a beaucoup d’inconvénients.

A mon avis, dans cette question de mesure, c’est l’industrie qui doit avoir voix prépondérante. C’est elle qui utilise les produits des écoles ; comme tout consommateur, elle a le droit de faire connaître ses désirs, et cela lui serait facile en France par l’intermédiaire des deux organes qui la représentent : le Comité des Forges et le Comité des Houillères.

Permettez-moi, Messieurs, en terminant, de rappeler le but de cette communication : c’est que les ingénieurs étendent désormais au service administratif renseignement mutuel qu’ils ont pratiqué avec tant de succès dans le service technique.

M. le Président. — Messieurs, vos applaudissements indiquent assez à M. Fayol combien il a touché juste. Il y a d’ailleurs trente ans que je vois M. Fayol toucher toujours juste. Cependant, il me permettra, je l’espère, quelquos observations, car il faut bien que les mathématiques trouvent ici quelque défense.

Messieurs, j’ai commencé ma carrière par les mathématiques pures. Pendant vingt ans, j’ai enseigné à l’Ecole des mines ou à la Sorbonne les calculs différentiel et intégral, ainsi que la mécanique. En ce qui concerne l’Ecole des mines, j’étais pénétré des idées que vous a développées M. Fayol ;je faisais un cours très limité .de calcul différentiel et intégral que j’avais réduit à dix leçons, et dans lequel j’avais soigneusement condensé tout ce qui me paraissait nécessaire pour mettre les élèves en état de traverser tout le reste de l’enseignement. Plus tard, je suis passé au cours d’exploitation des mines et de machines. Celui d’analyse a été alors confié à un homme absolument éminent (les professeurs de l’Ecole des mines savent bien qui je veux dire), un mathématicien de premier ordre qui a cru devoir donner h ce cours un développement tout différent. Depuis lors, on a respecté cette ampleur apportée par mon successeur ; mais je crois que ce que dit M. Fayol est juste, et qu’il conviendrait de réduire les mathématiques pures à ce qu’ont à appliquer les jeunes gens. Toutefois, je vais mettre ici une réserve à mon approbation. Il ne faut pas seulement en effet que l’ingénieur soit en état d’exécuter les calculs futurs qui, d’après M. Fayol, se réduiraient presque à rien ; il faut tout d’abord que l’élève puisse traverser l’Ecole, et il est nécessaire que renseignement y soit présenté avec une précision mathématique toutes les fois que cela reste possible.

Mais je pense surtout, Messieurs, que les mathématiques sont un puissant instrument de formation pour l’esprit. Une fois que l’esprit de l’ingénieur sera formé, mettez, si vous le voulez, les mathématiques à l’écart. Votre éléve n’en restera pas moins susceptible de devenir un grand ingénieur ou un habile administrateur. Le même homme que vous aurez fait passer par une éducation faiblement mathématique n’atteindrait jamais le même niveau.

Telle est la seule correction que je voudrais apporter aux excellentes paroles de mon très éminent et très cher contradicteur. Je rappellerai d’ailleurs à M. Fayol, qu’il est bien placé pour donner à ses vues toute l’influence possible, car il appartient à un Conseil de première importance, celui de 1 Ecole des mines de Saint-Etienne. Ce Conseil comprend, outre les professeurs, un nombre notable de grands industriels ; assurément, on n’en pourrait trouver de plus indiqué que lui comme importance industrielle et comme esprit d’une haute portée.

Messieurs, la proposition de M. Fayol se rapporte aux congrès de l’avenir et, sans quitter ce terrain, nous pouvons passer maintenant aux propositions de mon honorable voisin, M. le professeur Kotsowsky. 11 nous a fait, dans la première séance de la section des mines, que j’ai eu l’honneur de présider, une communication très applaudie, à laquelle on n’a trouvé qu’un seul défaut, c’est qu’elle était trop courte. Nous y avons relevé une proposition que j’ai retenue. M. Kotsowsky nous a fait observer que tous les Etats miniers travaillent aux questions du grisou avec beaucoup d’ardeur, mais qu’il s’est établi certaines habitudes, certains courants qui, en se généralisant dans un pays, ne coïncident pas avec ceux de tel autre. L’ensemble général de la lutte contre le grisou pourrait sans doute trouver avantage à quelques rapprochements entre les méthodes. Dans ce but, l’honorable professeur considérerait comme très utile qu’il existât périodiquement des congrès de grisou ; les ingénieurs pourraient ainsi se réunir à de courts intervalles — je crois qu’il fixait trois ans — pour examiner ce qui aurait été fait dans l’intervalle ; et cet échange d’idées serait très favorable à la marche en avant.

Si M. Ivotsowsky veut bien reprendre son idée, elle sera mieux exposée par lui que je ne saurais le faire moi-même.