Advis pour dresser une bibliothèque/Chapitre 2

La bibliothèque libre.

la façon de s’instruire et sçavoir comme il faut dresser une bibliotheque.

or entre iceux : m. J’estime qu’il n’y en a point de plus utile et necessaire que de se bien instruire auparavant que de rien advancer en cette entreprise, de l’ordre et de la methode qu’il faut precisément garder pour en venir à bout. Ce qui se peut faire par deux moyens assez faciles et asseurez : le premier desquels est de prendre l’advis et conseil de ceux qui nous le peuvent donner, concerter et animer de vive voix, soit qu’ils le puissent faire, ou pour estre personnes de lettres, bon sens et jugement, qui par ce moyen sont en possession de parler à propos et bien discourir et raisonner sur toutes choses : ou bien parce qu’ils poursuivent la mesme entreprise avec estime et reputation d’y mieux rencontrer et d’y proceder avec plus d’industrie, de precaution et de jugement, que ne font pas les autres, tels que sont aujourd’huy Messieurs De Fontenay, Halé, Du Puis, Riber, Des Cordes, et Moreau, l’exemple desquels on ne peut manquer de suivre ; puis que suivant le dire de Pline Le Jeune.

(…) : et que pour ce qui est de vostre particulier, la diversité de leur procedé vous pourra tousjours fournir quelque nouvelle addresse et lumiere qui ne sera, peut estre, pas inutile au progrez et à l’avancement de vostre bibliotheque, par la recherche des bons livres, et de ce qui est le plus curieux dans chacune des leurs.

Le second est de consulter et recueillir soigneusement le peu de preceptes qui se peuvent tirer des livres de quelques autheurs qui ont escrit legerement et quasi par maniere d’acquit sur cette matiere, comme par exemple, du conseil de Baptiste Cardone, du philobiblion de Richard De Bury, de la vie de Vincent Pinelli, du livre de Possevin de cultura ingeniorum , de celuy que Lipse a fait sur les bibliotheques, et de toutes les diverses tables, indices et catalogues : et se regler aussi sur les plus grandes et renommées bibliotheques que l’on ait jamais dressées, veu que si l’on veut suivre l’advis et le precepte de Cardan, (…). En suitte dequoy il ne faut point obmettre et negliger de faire transcrire tous les catalogues, non seulement des grandes et renommées bibliotheques, soit qu’elles soient vieilles ou modernes, publiques ou particulieres, et en la possession des nostres ou des estrangers : mais aussi des estudes et cabinets, qui pour n’estre cognus ny hantez demeurent ensevelis dans un perpetuel silence. Ce qui ne semblera point estrange et nouveau si on considere quatre ou cinq raisons principales qui m’ont fait avancer cette proposition. La premiere desquelles est qu’on ne peut rien faire à l’imitation des autres bibliotheques si l’on ne sçait par le moyen des catalogues qui en sont dressez ce qu’elles contiennent : la seconde, parce qu’ils nous peuvent instruire des livres, du lieu, du temps et de la forme de leur impression : la troisiesme, d’autant qu’un esprit genereux et bien nay doit avoir le desir et l’ambition d’assembler, comme en un blot tout ce que les autres possedent en particulier, ut quae divis a beatos efficiunt, in se mixta fluant

la quatriesme, parce que c’est faire plaisir et service à un amy quand on ne luy peut fournir le livre duquel il est en peine, de luy monstrer et designer au vray le lieu où il en pourroit trouver quelque copie, comme l’on peut faire facilement par le moyen de ces catalogues : finalement à cause que nous ne pouvons pas par nostre seule industrie sçavoir et connoistre les qualitez d’un si grand nombre de livres qu’il est besoin d’avoir ; il n’est pas hors de propos de suivre le jugement des plus versez et entendus en cette matiere, et d’inferer en cette sorte. Puis que ces livres ont esté recueillis et achetez par tels et tels, il y a bien de l’apparence qu’ils meritent de l’estre, pour quelque circonstance qui nous est incognuë.

Et en effect je puis dire avec verité, que pendant l’espace de deux ou trois ans que j’ay eu l’honneur de me rencontrer avec Monsieur De F chez les libraires, je luy ay veu souvent acheter de si vieux livres et si mal couverts et imprimez, qu’ils me faisoient sousrire et esmerveiller tout ensemble, jusques à ce que prenant la peine de me dire le sujet et les circonstances pour lesquelles il les achetoit, ses causes et raisons me sembloient si pertinentes, que je ne seray jamais diverti de croire qu’il est plus versé en la cognoissance des livres, et qu’il en parle avec plus d’experience et de jugement qu’homme qui soit non seulement en France, mais en tout le reste du monde.