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AGASSIZ EN EUROPE
Ce grand, naturaliste est né à Orbes, dans le canton de Vaud, le 28 mai 1807. Son père était un pauvre pasteur protestant de village, qui l’envoya à l’école publique de Bienne, où il attira, par la précocité de son intelligence, l’attention de ses professeurs. Pour le récompenser, il fut mis au collège de Bienne, et de là il alla à Zurich, pour étudier la médecine et l’histoire naturelle. De Zurich il passa à Heidelberg, et de Heidelberg à Munich, où il suivit pendant quatre ans les cours de Schelling, le philosophe idéaliste et éolutioniste par excellence. Pour Schelliug, en effet, il n’y a rien de vrai que les phénomènes de l’intelligence, et la nature entière n’est que la traduction matérielle des pensées de la Divinité. C’est, à cette forte école qu’Agassiz puisa le spiritualisme éclairé dont tous ses ouvrages sont animés. Partout, en effet, ce grand homme reconnaît la main de l’être suprême, dont son lumineux génie se plaît à décrire les chefs-d’œuvre. Nulle part ou ne trouve un esprit plus libéral, une horreur plus vive pour les conceptions étroites, un éloignement plus prononcé pour les matérialistes, qui veulent chasser Dieu de la nature. Retirez à Cuvier ses faiblesses et ses complaisances ; donnez-lui un milieu plus favorable au développement de ses doctrines, n’ayant plus à se préoccuper du soin de flatter les puissants de ce monde, et vous aurez Agassiz.
C’est en 1826, à peine à dix-neuf ans, qu’Agassiz commença à produire une œuvre. Il fut chargé par Martins de rédiger ses notes et de mettre en ordre les poissons qu’il avait rapportés du Brésil. Le talent avec lequel il s’acquitta de cette mission attira sur lui l’attention d’une grande maison de librairie de Leipzig. L’éditeur Cotta, de Leipzig, ayant besoin de faire terminer l’histoire de ses poissons d’Europe, jeta les yeux sur ce jeune savant ayant deux qualités : du talent à exploiter et des besoins à satisfaire. Agnssiz accepta ce qu’on lui donna et accomplit son œuvre de manière à ce que la postérité lui en tienne compte. Mais la fortune ne venait point ; Agassiz n’aurait pas eu l’argent nécessaire pour faire son pèlerinage à Paris et voir le grand Cuvier, si Christenat, un des amis de son père, ne fût venu pécuniairement à son aide.
Protestant de naissance, et natif de Montbéliard, Cuvier ne pouvait manquer d’être sympathique au jeune voyageur. Comme lui, il avait été pauvre, comme lui il avait lutté contre l’exploitation du génie par l’inintelligence, comme lui il avait fréquenté les universités allemandes. Si Cuvier eût vécu, Agassiz fût peut-être resté dans cette France dont la langue était la sienne, et dont il est, au point de vue scientifique et littéraire, un des plus illustres enfants. Car sa méthode, son style et la tournure de son esprit, tout en lui, rappelle les grands auteurs de l’école française. Mais Cuvier succomba aussi rapidement qu’Agassiz devait succomber lui-même quarante et un ans plus tard, victime surtout de son ardeur au travail, de cette fièvre scientifique qui ravage les hautes intelligences et qui nous coûte tant d’existences précieuses.
Heureusement pour Agassiz, Neuchâtel appartenait au roi de Prusse, qui en était le prince ; et la cour de Berlin était en quelque sorte obligée de faire quelques sacrifices pour entretenir l’Académie dans un certain état de splendeur. Agassiz fut nommé professeur d’histoire naturelle dans cet établissement qu’il devait illustrer et où son talent attira de nombreux auditeurs. Il compta parmi ses élèves les plus assidus le prince Louis-Napoléon Bonaparte, qui était élevé avec le plus grand soin sous les yeux de la reine Hortense, et qui conserva pendant toute sa vie la plus grande admiration et la plus sincère attachement pour son ancien professeur. Agassiz épousa la fille d’un botaniste suisse que le roi de Prusse attira à Berlin. Agassiz ne voulut point imiter son beau-père, et il resta au milieu de la Suisse romande, dont il aimait avec passion les admirables paysages. Mais M. de Humboldt, qui était le miuislre des libéralités du roi de Prusse, et qui avait un crédit illimité chez le banquier de la cour, avança à Agassiz les fonds nécessaires pour la publication de son grand ouvrage sur les Poissons fossiles. Sans doute, en reconnaissance de ce bienfait, Agassiz donna à son fils aîné le nom d’Alexandre.
Sur ces entrefaites, un des compatriotes d’Agassiz, nommé Charpentier, découvrit dans les montagnes les roches striées et les traces de l’action d’anciens glaciers éteints. Agassiz devina toute l’importance d’une remarque aussi intéressante, et il entreprit avec toute la fougue, de la jeunesse de grandes expériences pour démontrer qu’à une certaine époque, les glaciers de la Suisse débordaient sur toutes les régions voisines. Agassiz ne perdit point courage. Il enseigna hardiment l’existence d’une période glaciaire, étonnant épisode de l’évolution mystérieuse de notre globe. Cette révélation inattendue jeta le trouble dans toutes les académies des deux mondes. Pendant quelque temps elle n’excita que des sourires de pitié sur les lèvres des savants patentés. Mais Agassiz n’était point homme à se laisser arrêter dans sa route. Sa voix éloquente et sa conviction profonde lui conquirent des disciples. Aussitôt les glaciers, jusqu’alors délaissés, se peuplent de chercheurs qui, presque tous, sont devenus illustres. Leur livre d’or, c’est la pierre où chacun d’eux a écrit son nom ; on l’a nommée l’Hôtel des Neuchâtclois, parce qu’Agassiz et ses amis campaient sous son ombre pendant qu’ils procédaient à leurs grandes expériences.
À cette époque, la pierre était inclinée et soutenue par deux murs de pierres sèches. Comme elle s’était délitée et redressée en marchant vers la moraine frontale, on renonça à s’en servir comme d’un abri. C’est alors que M. Dollfus-Ausset, le frère du maire de Mulhouse, fit construire la cabane en terre ferme qui domine le glacier de l’Aar, et où les voyageurs vont encore se reposer.
Nous avons reproduit l’Hôtel des Neuchâtelois d’après un dessin fait sur place, en 1846, par M. Edouard Collomb, un des plus fidèles amis de M. Dollfus-Ausset et de Louis Agassiz.
La pierre, qui était tombée vers la fin du siècle dernier des hauteurs du Schreckhorn, était de nature schisteuse et se démembrait progressivement à mesure qu’elle suivait la pente naturelle des glaces. D’après les mesures prises, il y a une trentaine d’années, c’était précisément en 1873 qu’elle devait arriver au terme de sa carrière et se coucher pour toujours sur les flancs de la moraine frontale. Mais il y a déjà longtemps qu’elle n’est plus représentée que par des blocs épars sur la neige.
C’est eu 1846 qu’Agassiz, ne pouvant suffire aux frais de sa gloire, fut obligé d’aller chercher en Amérique une moins rude existence ! Ce n’est pas sans une vive émotion qu’il quitta ces Alpes si chères à son cœur de montagnard, ces Alpes qui lui avaient rendu une première fois la santé en 1865, et vers lesquelles il est mort tournant encore ses regards.
La dernière fois qu’il aperçut les grandes cimes où il avait erré si souvent, il avait gravi les plus hauts ballons des Vosges, et de grosses larmes coulaient de ses yeux en songeant aux incertitudes de l’avenir.
Quelques semaines après, il voguait à toute vapeur vers la terre féconde où il devait trouver une nouvelle patrie, plus généreuse que celle que lui avait donnée la nature. W. de Fonvielle.