Album des missions catholiques, tome IV, Océanie et Amérique/Indiens des États-Unis

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Collectif
Société de Saint-Augustin (p. 105-111).

INDIENS DES ÉTATS-UNIS.

Dénombrement général. Les Têtes Plates. Le P. de Smet. Les Apaches de l'Arizona. Le Territoire Indien.


ALGRÉ une croissance constante, le chiffre total des Peaux-Rouges dispersés dans les régions occidentales des États-Unis s'élève encore à trois cent mille se trouvent dans l'Alaska. L'île de Vancouver en renferme six mille, répartis en différentes nations.

Dans le diocèse de Nesqually, qui comprend le Territoire de Washington, Mgr Juger compte 13,000 Indiens ; parmi ceux-ci, les Pères Jésuites possèdent quatre missions avec des résidences pour les prêtres et des locaux pour les écoles.

Dans le diocèse d'Orégon, il y a quatre mille Indiens ; un bon nombre sont catholiques. Mgr Gross les a pourvus de deux prêtres et de bâtiments d'école.

Dans la Californie, onze mille Indiens sont partagés entre l'archevêque de San Francisco, Mgr Riordan, et les évêques de Grass Valley et de Los Angeles. Ce dernier a sept mille Peaux-Rouges dans le Nevada qui fait partie de son diocèse. Mgr J.-B. Brondel, évêque de Montana, compte dix-huit mille Indiens dans son diocèse, et Mgr Glorieux en a quatre mille dans son vicariat apostolique d'Idaho.

Dans le Dakota, Mgr Martyr possède trente mille Indiens dont plus de trois mille sont catholiques ; les Pères bénédictins et les Sœurs bénédictines ont cinq


ARIZONA. — UNE FAMILLE APACHE, d'après une photographie. (Voir p. 106.)


écoles et résidences parmi eux ; une école excellente est confiée aux Sœurs Grises, une autre est placée sous la direction des Pères Jésuites, et une troisième sous celle des Sœurs Franciscaines.

Mgr Rupert Seidenbusch, vicaire apostolique de la partie nord du Minesota, a quatre mille Indiens ; parmi eux les Pères Bénédictins et les Sœurs du même Ordre ont établi trois missions avec deux installations scolaires ; environ deux mille de ces sauvages sont catholiques.

Dans le Nord du Wisconsin et du Michigan, Mgr Flash, évêque de la Crosse, Mgr J. Vertin, évêque de Marquette et Sault Sainte-Marie, Mgr Richter, évêque de Grand'Rapids, se partagent entre eux quatorze mille Indiens, en majeure partie catholiques. Dans le Nébraska et Wyoming, qui ressortissent au diocèse de Omaha, Mgr O'Connor compte trois mille Indiens ; malheureusement, le zélé prélat n'a pu, jusqu'à présent, leur donner des missionnaires et des catéchistes à demeure fixe.

Mgr Bouryade, vicaire apostolique de l’Arizona, compte quatorze mille Indiens ; la plupart, depuis l’expulsion des missionnaires espagnols, sont retournés à l’état de barbarie.

Dans le Nouveau-Mexique, Mgr J.-B. Salpointe, archevêque de Santa-Fé, compte vingt-huit mille Indiens ; le plus grand nombre vivent groupés autour des anciennes églises (on en compte encore une vingtaine), et forment des agglomérations comme de petites villes et des bourgades ; quant aux Indiens non baptisés, ils errent partout et dévastent, quand ils le peuvent, toute la contrée.

Les trois mille Indiens du Mississipi sont dispersés dans le diocèse de Natchez, dont le titulaire, Mgr F. Janssens, leur a procuré deux missionnaires et deux écoles.

Reste le Territoire Indien (Indian Territory) dont le préfet apostolique et Dom Ignace, religieux de Saint-Benoît. Ce Territoire, dans ses limites actuelles, contient cinquante-sept mille Indiens.

Quelques détails sur les missions indiennes les plus intéressantes.

Les Têtes-Plates. — Les Indiens de ce nom sont divisés en dix tribus dont les principales sont les Pendants d'Oreilles, les Cœurs d'Alène, les Kalispels et

9. Moulin et scierie. 11. Montagnes au pied desquelles se trouve la mission. 10. Chutes d'eau.
4. Église primitive,
aujourd'hui atelier de charpentier.
2. Ancienne résidence 1. Église. 8. Emplacement où l'école
des garçons a été fondée depuis
ainsi que la résidence.
7. Hutte indienne à trois étages.
6. Boutique de forgeron 3. École des filles
tenue par les Sœurs
de la Providence.
5. Imprimerie
ÉTATS-UNIS. — VUE GÉNÉRALE DE LA MISSION ST-IGNACE, CHEZ LES TÊTES-PLATES (diocèse d'Omaha). (Voir p. 105.)


les Kootenay. Tous parlent au fond la même langue, le selish, avec quelques différences de dialectes.

Leur conversation au catholicisme date de 1841. Ils avaient réclamé en 1838, à Saint-Louis, des missionnaires ; mais, en route, les délégués furent tous massacrés par les Indiens Serpents d'Idaho.

A la fin de 1840 ils envoyèrent une seconde députation qui atteignit heureusement Saint-Louis, y passa l'hiver et revint au printemps avec le P. de Smet, trois autres Pères et trois Frères coadjuteurs. La première mission fut établie à Sainte-Marie, de la vallée de Bitter-Root ; une seconde, quelques années plus tard, chez les Kalispels, et, en 1853, celle de l'intervalle, la nation tout entière s'était convertie, et aujourd'hui elle ne compte pas un seul païen.

Depuis cette époque, ils ont toujours été les fidèles amis des blancs, dont ils se font gloire de n’avoir jamais versé le sang. De fait, leur bonne conduite leur a mérité à diverses reprises les éloges des officiers du gouvernement. L’honorable Isaac K. Stephens, gouverneur du Territoire de Washington, disait d’eux dans son rapport pour l’année 1854 : « Vous connaissez déjà le caractère des Têtes-Plates. Ce sont les meilleurs Indiens des montagnes et des plaines. Honnêtes, braves et dociles, ils n’ont besoin que d’encouragement pour devenir de bons citoyens. Ils sont chrétiens, et nous sommes assurés qu’ils vivent d’après les principes chrétiens. »

Il y a maintenant douze cents Indiens de différentes tribu, mais principalement des Pendants-d’Oreilles, à la mission de Saint-Ignace, et cinq cents à celle de Sainte-Marie dans la vallée de Bitter-Root.

La mission de Saint-Ignace n’est pas découpée en rues, parce que les Indiens tiennent à placer leurs cabanes de façon à voir l’église de leur porte. Pendant le jour, ils y font de fréquentes visites pour prier en particulier ; mais, quand ils n’y vont pas, ils trouvent un grand plaisir à la regarder. « Où est votre trésor, là aussi est votre cœur. »

Leurs cabanes, en règle générale, mesurent environ quinze pieds carrés ; bâties avec des poutres de pins tirés des montagnes voisines, elles sont à la fois propres et commodes. À l’exception de un ou deux bois de lit, on n’y trouve aucun meuble. Les habitants s’asseyent ou plutôt s’accroupissent par terre, ou bien ils s’appuient sur les couvertures ou les peaux qui leur servent de lit. Des images de piété et des crucifix sont pendus au mur, des chaudrons et d’autres ustensiles de cuisine sont sur le foyer, accrochés à des clous ou appuyés contre les chenets. Les huttes sont garnies à peu près de la même manière ; seulement le foyer est au milieu de la pièce, et la fumée s’échappe par une ouverture supérieure.

Les Indiens se réunissent tous les matins à six heures et demie pour la prière et la messe. Après la messe, on donne une instruction sur le catéchisme qui dure un quart d’heure. Les femmes et les enfants assistent à un entretien du même genre dans la matinée. Le soir, au coucher du soleil, tous s’assemblent dans l’église pour la prière précédée ou suivie d’une troisième instruction. Les dimanches, à neuf heures du matin, grand’messe et sermon ; dans l’après-midi, bénédiction ou chemin de la croix et une instruction.

Le plus grand nombre s’approche des sacrements une fois par mois ; beaucoup le font une fois par semaine ou même plus souvent. Parmi les douze cents Indiens de la mission, il n’y en a pas plus de cinq ou six qui négligent leurs devoirs religieux, et encore uniquement parce qu’ils sont retournés à la polygamie. Ils aiment surtout beaucoup à se confesser, et quelques-uns d’entre eux, si on le leur permettait, le feraient plus d’une fois par jour. Un Père raconte que, pendant qu’il était avec eux à la chasse aux buffles, au milieu de la nuit, un Indien scrupuleux le tirait par les pieds et lui demandait d’entendre sa confession.

Cependant, c’est de ces Indiens que le Père Point, un de leurs premiers missionnaires, écrivait en 1848 :


ARIZONA. — UN CHEF APACHE EN COSTUME DE GUERRE, d’après une photographie.


« Il n’y a pas un quart de siècle, les Cœurs d’Alène étaient si insensibles que, pour les peindre au naturel, leurs premiers visiteurs leur avaient appliqué justement le nom étrange qu’ils portent encore. Leur esprit était si borné que, tout en rendant un culte divin à tous les animaux, ils n’avaient aucune idée ni du vrai Dieu, ni de leur âme, ni par conséquent, d’une vie future. En résumé, c’était une race d’hommes si dégradés, qu’ils n’avaient conservé de la loi naturelle que deux ou trois notions très obscures, auxquelles bien peu se soumettaient dans la pratique. Cependant, je dois le dire à l’honneur de la tribu, elle a toujours eu dans son sein des âmes d’élite qui n’ont jamais courbé le genou devant Baal. Je connais des Indiens qui, depuis le jour où le vrai Dieu leur fut prêché, n’ont jamais eu à se reprocher l’ombre d’une infidélité. »

La piété n'a diminué en rien la bravoure des Têtes-Plates, la plus belliqueuse peut-être de toutes les tribus des Montagnes Rocheuses ; car, depuis comme avant leur conversion, ils ont conversé leur supériorité sur leurs voisins les Sioux et les Pieds-Noirs.

Le grand apôtre des Indiens d'Amérique en notre siècle a été le célèbre Père de Smet, jésuite belge, à qui sa ville natale élevait naguère une statue.

Né à Dendermonde, le 31 janvier 1801, il était parti à l'âge de vingt ans pour l'Amérique, et était entré le 21 octobre 1821 au noviciat de White Marsh (Maryland). En 1823, nous le voyons déjà occupé à bâtir la petite église de Florissant, et, quelques années plus tard, c'est à Saint-Louis que ses mains sacerdotales taillent les pierres sur lesquelles repose aujourd’hui


Le R. P. DE SMET, missionnaire jésuite aux Montagnes-Rocheuses.


le plus ancien édifice de l'université de Saint-Louis du Missouri.

Une sphère plus large devait bientôt s'ouvrir à son activité : en 1838, on l'envoie prêcher d'Évangile aux Indiens. Une lumière soudaine lui fait comprendre sa mission : désormais il sera le compagnon inséparable des sauvages, il les suivra dans leurs longues excursions, il les aidera à la chasse, il soignera leurs malades, il instruira leurs enfants, et, partageant ainsi leurs fatigues et leurs joies, il saura gagner leur confiance, les dominer par sa vertu et ouvrir leurs yeux à la lumière de l'Évangile. Une vie, bien rude sans doute, mais riche de consolations pour un cœur d'apôtre. Que de sauvages instruits de leur haute destinée, que d'âmes arrachées à l'enfer et gagnées pour le ciel, que de brebis égarées ramenées dans le bercail du pasteur éternel !

Le nom du P. de Smet devenait peu à peu populaire dans les Montagnes Rocheuses, et il s'en prévalait pour étendre partout les conquêtes pacifiques de la Croix. Nous n'entrerons pas dans les détails de ses travaux apostoliques ; qu'il nous suffise de remarquer que le gouvernement des États-Unis recourut trois fois à son influence pour traiter avec les Indiens. En 1851, il amène au Fort Laramie les chefs de plusieurs tribus indiennes et le gouverneur du lieu voit toutes ses espérances réalisées. En 1858, il parcourut pendant l'hiver le Territoire de Washington et amène neuf chefs puissants au général Harney à Vancouver. Enfin, en 1868, il quitte de nouveau Saint-Louis, accompagné des généraux Sherman, Sheridan, Harney et Ferry. Après de longs travaux, le vieillard désarmé obtient par la puissance de sa parole ce que les soldats n’avaient pu obtenir par la force : Sitting-Bull et ses 500 cavaliers consentent à faire la paix. Les généraux américains adressèrent alors au P. de Smet une lettre qui se conserve encore à l’Université de Saint-Louis et dans laquelle on lit le passage suivant :

« Nous voulons vous témoigner notre estime pour les services que vous nous avez rendus, ainsi qu'à tout ce pays. Sans votre long et pénible voyage au cœur même du territoire ennemi. Sans votre influence sur les tribus les plus sauvages, nous n’aurions jamais pu atteindre les résultats que nous avons obtenus. »

C'est à Saint-Louis que ce vaillant fil de saint Ignace est mort le 23 mai 1873.

Les Apaches. En 1859, le Territoire d'Arizona, qui appartient déjà aux États-Unis, fut agrégé par décret de la Cour de Rome au diocèse de Santa-Fé (Nouveau-Mexique). La même année, Mgr Lamy en fit prendre possession par son grand vicaire, M. Machebeuf, aujourd'hui évêque de Denver, Colorado, et, dans les premiers mois de 1864, il y fit une visite pastorale. La seule église qui restait encore debout était celle de Sans Xavier del Bac. Une centaine de familles d'Indiens Papagos, faibles débris de la grand tribu qui formait autrefois la missions, vivaient autour de cette église. Le reste de la population, en dehors des Pimas du Gila et des autres tribus indiennes dispersées sur différents points, se composait de quelques familles mexicaines et d'un petit nombre d'Américains. L'ensemble de cette population ne dépassait pas 1,500 âmes dans tout le Territoire. Cependant, le prélat ne voulait pas laisser sans administration cette partie de son diocèse, et comme, malgré les difficultés et les dépenses, il l’avait tenue, autant que possible, toujours pourvue de prêtres à demeure, depuis que la Providence l’en avait chargé, ainsi continua-t-il de pourvoir à ses besoins spirituels.

Mais l’humble évêque de Santa-Fé trouvait trop lourde la responsabilité qui pesait sur lui, et il cherchait à la faire diminuer. Ce fut à sa demande que son diocèse fut divisé, par décret de Pie IX, en 1868 ; ce qui donna occasion à l’érection des vicariats apostoliques du Colorado et de l’Arizona.

Depuis 1866, la population d’Arizona augmentait tous les jours d'une manière sensible. Les troubles du Mexique y contribuaient en refoulant vers les États-Unis tous ceux qui ne voulaient pas prendre part aux révolutions de leur patrie. Le Territoire commença donc à être exploré, il se forma des populations nouvelles, et les communications s’établirent entre les différents points, mais non sans dangers, à cause des hostilités des Apaches. Le besoin d’églises se manifestait dans plusieurs localités. La petite ville de Tucson, la première, fut dotée d’une maison de prière. L’église de Saint-Augustin, commencée en 1862, fut achevée en 1868.


ARIZONA. — CONVOI DE CHARIOTS ATTAQUÉ ET BRULÉ PAR LES APACHES, AU MOIS DE MAI 1869.


Depuis cette époque, on a vu se construire, dans le vicariat, les églises de Yuma, de Florence, de Silver-City, de la Mesa et de Tularosa, ainsi que les chapelles de San Lorenzo, de San Isidoro, de Santo Tomas, de San Miguel, de Nuestra Señora de la Luz, etc. Le nombre actuel des missions pourvues de prêtres, y compris celles qui se trouvent dans les comtés de Paso, de Grant et de Mesilla-Valley, est de douze, avec seize prêtres pour en prendre soin.

Les institutions religieuses du vicariat sont : celle des Sœurs de Loretto, établie à Las Cruces en décembre 1869, et érigée depuis en noviciat de la même congrégation ; celle des Sœurs de Saint-Joseph, établie à Tucson en mai 1870, avec une maison de noviciat instituée le 8 septembre 1876, enfin celle des Sœurs de la Merci.

Les religieuses de ces trois congrégations ont présentement la direction de six écoles d’internes et de cinq écoles paroissiales dans les localités de Tucson, d’Yuma et de Las Cruces. Les Sœurs de Saint-Joseph doivent aussi se charger prochainement de plusieurs nouvelles maisons d’école aujourd’hui en voie de construction. En outre, la ville de Tucson possède une école paroissiale pour les garçons, sous la direction de trois professeurs laïques. Ces établissements, où se donne annuellement l'instruction à plus de cinq cents élèves, sont dus, en grande partie, aux secours fournis au vicariat par l'œuvre de la Propagation de la Foi.

La population du vicariat est évaluée à 38,000 habitants, dont 20,000 à peu près sont catholiques. Dans ce chiffre, ne sont pas compris les Indiens.

Les principales tribus d’Indiens qui vivent sur le territoire sont : les Apaches, les Papagos, les Pimas et Maricopas, les Yumas, les Mohaves, les Yavapal et les Moquis. Quoique le nombre des membres qui les composent ne soit pas entièrement fixé, on peut l’évaluer approximativement à 20,000.


ARIZONA. — FEMME APACHE PORTANT SON ENFANT, d'après une photographie. ARIZONA. — BERCEAU D'UN ENFANT APACHE, d'après une photographie.


Jusqu’à présent, l’action civilisatrice du prêtre catholique n’a pu s’exercer que dans des limites très restreintes au sein de ces tribus. Les ouvriers évangéliques ont manqué presque autant que les ressources matérielles ; les fonctionnaires des Agences américaines n’ont cessé de susciter des embarras ; enfin, il n’était pas prudent d’aborder les Indiens directement et de leur prêcher l’Évangile sans les y avoir préparés d’avance.

« Un jour, dit Mgr Salpointe, nous demandions au chef des Pimas s’il ne serait pas content de nous voir au milieu des siens pour les baptiser et en faire des chrétiens : « — Non, répondit-il, cela n’est pas bon ; si tu venais pour nous baptiser, nous te tuerions. » La réponse était nettement formulée. Nous insistâmes cependant en présentant la question sous un autre point de vue : « — Si nous étions au milieu de vous, nous instruirions vos enfants, ce qui serait un très grand avantage pour vous. Vous savez très bien que, dans vos traité, vous vous laissez souvent tromper parce que vous ignorez le prix des choses. Mais supposez que vos enfants soient instruits, ils pourront vous aider à tirer un meilleur parti de vos biens ; et alors vous serez plus riches, vous pourrez vous procurer de beaux habits. » L'argument fut puissant. Le chef, après avoir conféré quelque temps avec cinq ou six Indiens de sa tribu, se tourna vers nous et nous dit : « Si tu veux instruire les jeunes, tu peux venir quand tu voudras, je me charge de te faire accepter, et même je te laisserai baptiser mes enfants. » Aussi, nous n'en doutons pas, il y aurait une abondante moisson à faire dans nos tribus pacifiques, si les ouvriers ne manquaient.

« A Pima, ville composée de Mexicains et d'Américains, mais très rapprochée de la tribu indienne, qui lui donne son nom, j'ai eu occasion de voir souvent les Indiens et d'étudier un peu leurs mœurs. Ils venaient à la ville vendre leur foin, faire leurs provisions ou se promener. Attirés par la curiosité, ils se mettaient aux fenêtres de l'église pendant les offices, assistaient aux enterrements et, grands admirateurs de mes ornements sacerdotaux, m'appelaient capitaine. Cette naïveté m'attirait quelquefois des visiteurs. Je voyais entrer chez moi quatre ou cinq de leurs capitaines en petite tenue, n'ayant pour tout vêtement qu'un paletot court et une ceinture. Ils s'asseyaient ou se couchaient sans façon sur le sol, et fumaient la cigarette en se la passant de l'un à l'autre. Certains jours, la visite devenait longue... Mais j’avais un moyen de me débarrasser d’eux, c’était de leur donner une petite pièce de monnaie, un peu de tabac, et surtout un vieux pantalon, si c’était en hiver. »

Voici à quoi se réduisent les croyances religieuses de ceux qui ne possèdent point la vraie foi.

« On m’a assuré, raconte Mgr Salpointe, que l’Indien attend le retour de Montezuma et que, selon lui, ce monarque doit venir en compagnie du soleil, qui est son proche parent. Ce qu’il y a de certain, c’est que plusieurs tribus voisines des nôtres rendent un culte au soleil. Il consiste à tenir du feu allumé, pendant l’hiver, dans une cave très profonde qu’on nomme estufa. Celui qui doit veiller à la garde du feu est pris à tour de rôle parmi les hommes de la tribu, et il est condamné à vivre dans l’estufa pendant plusieurs mois.

C’est l’exercice d’une fonction sacrée : tout commerce avec les hommes lui est interdit. Ayant un jour demandé à un Indien ce que signifiait cette pratique, il nous répondit naïvement qu’il était étonné d'un pareille question ; qu’il est bien évident « que, si on abandonnait le soleil pendant la saison froide, il finirait par perdre sa chaleur, se fatiguer et tomber ce qui causerait la perte du monde, qu’il fallait en conséquence l’aider par la chaleur du feu. » Il ajouta qu’ils en usaient ainsi en qualité de parents, vu que le soleil est fils d’un Indien et d’une indienne et que par cela même ils sont frères. »

Le Territoire Indien. — Cet immense Territoire, plus grand que le tiers de la France et placé comme une enclave au cœur de la grande république américaine, doit son nom, on le sait, aux tribus à demi-sauvages qui composent presque exclusivement sa population. Là se sont réfugiés, comme dans une dernière citadelle, les débris des races aborigènes refoulées par l’envahissement des Européens. Quelques-unes de ces peuplades n’ont pas encore perdu l’habitude de scalper et de torturer les malheureux blancs égarés dans leurs repaires. Mais la perspective d’une mort affreuse n’a pas arrêté les vaillants missionnaires bénédictins, à qui est confiée depuis onze ans cette grande mission, et ils ont déjà fait entrer dans le bercail du divin Maître plus de deux mille de ces enfants indomptés du désert.

Le Territoire Indien, encore inculte dans presque toute son étendue, est divisé en tribus. Chacune d’elles a son langage propre : quand deux Indiens, un Comanche et un Sharonce par exemple, se rencontrent, s’ils veulent se comprendre, ils sont obligés de se faire des signes, langage universel, intelligible pour tous. Outre l’idiome propre à chaque tribu, l’anglais commence à être parlé par les Indiens du Territoire, à l’exception toutefois des vieillards, ennemis de tout ce qui sent tant soit peu la civilisation. La jeune génération indienne, au contraire, se jette, tête perdue, dans le courant de la civilisation américaine qui envahit tout.

Les religions ici sont très nombreuses. Parmi les blancs, la grande majorité est méthodiste ou presbytérienne ; les épiscopaliens, baptistes, quakers sont en minorité : beaucoup n’ont aucune croyance. Quant aux Indiens, leur religion varie avec la tribu et il est difficile d’en connaître le caractère précis. Les Comanches adorent le soleil et sont très superstitieux.

Les trois tribus des Comanches, des Apaches et des Arrapahœs sont les seules qui conservent certaines mœurs et coutumes indiennes, telles que le la coiffure de plumes, les danses guerrières et religieuses. Mais toutes les tribus pratiquent encore la veillée des morts. Quand un Indien meurt, les voisins accourent et passent la nuit près du cadavre ; on chante en accomplissant certains rites ; le chant est long et monotone ; puis on boit, on organise des danses mortuaires, pendant que les pleureuses se livrent à des lamentations bruyantes, impossibles à décrire.

Seule la tribu des Pottowatomies est presque entièrement catholique. C’est à ces mêmes Pottowatomies que le bon Dieu a envoyé, il y a environ cinquante ans, la vaillante et sainte Madame Duchesne, l’apôtre du Sacré-Cœur chez les Indiens ; c’est vers eux qu’il a dirigé les enfants de Saint - Benoît, pour les maintenir dans la vraie foi. Quelques-uns servent et prient Dieu avec une simplicité admirable ; mais il y en a encore beaucoup, surtout parmi les vieux, à qui il est difficile d’expliquer les vérités les plus essentielles de la foi ; néanmoins, on y arrive, car ils ont en matière religieuse beaucoup de simplicité, et ils écoutent docilement la voix du prêtre.

Les missionnaires bénédictins ont bâti leur monastère sur un plateau entouré de collines boisées. Les dépendances : forge, menuiserie, forment un vrai village. Ce n’est qu’à force de labeurs incessants qu’ils sont parvenus à transformer cette sauvage solitude et à en faire un lieu habitable. Leurs Pères ont défriché les forêts des Gaules et de la Germanie ; Deo adjuvante, ils ont pu faire comme eux dans ce vaste désert indien et ces vieilles forêts d’Amérique. Après avoir beaucoup souffert dans les commencements, ils peuvent aujourd’hui subvenir à leurs besoins, et le bon Dieu leur donne encore de quoi nourrir de pauvres familles indiennes. Un jour, le vénéré supérieur de la mission disait : « Tant que nous aurons des pauvres parmi nous, je ne désespérerai de rien ; et, n’eussions-nous qu’un morceau de pain, je le partagerais entre eux et la communauté. » Sainte et belle confiance que la Providence n’a cessé de bénir visiblement ! Alors que toute la contrée d’alentour semble frappée de stérilité, les champs de maïs, d’avoine, de millet, le jardin, les vergers des moines, tout produit chaque année, abondamment.

Le fondateur de cette intéressante mission, dom Robot, s’est endormi dans le Seigneur l’année dernière. Il a été remplacé par dom Ignace.