Album des missions catholiques, tome IV, Océanie et Amérique/Patagonie

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Collectif
Société de Saint-Augustin (p. 136-138).

PATAGONIE.

Les Salésiens de Turin. Dom Bosco. Commencements et progrès de la nouvelle mission.


USQU'À ce jour, les immenses déserts des Pampas, la Patagonie, la terre de Feu et les îles Malouines avaient opposé la résistance la plus obstinée à la civilisation et au catholicisme.

Depuis la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, plusieurs fois de courageux ouvriers évangéliques tentèrent de pénétrer dans ces contrées égales en superficie à l'Europe entière ; mais ces essais durent infructueux, tous les apôtres furent massacrés et personne ne put fournir de renseignements positifs sur ces pays et leurs habitants.

Un prêtre de Turin, Dom Jean Bosco[1], en méditant sur le sort malheureux de ces sauvages, éprouvait


PATAGONIE. — PROCESSION À CARMEN, d'après une photographie.


la plus amère douleur. Il offrit pour une nouvelle tentative quelques-uns des religieux de sa Société et les présenta, le Ier novembre 1875, à Sa Sainteté Pie IX de douce mémoire.

Le Pontife les accueillit avec sa bonté toute paternelle : « Vous irez, leur dit-il, dans l'Amérique méridionale ; l'expérience, acquise par suite des tentatives faites jusqu'ici, vous conseille de ne pas vous rendre directement au milieu des sauvages, mais de vous établir sur les confins de leur territoire pour conserver dans la foi ceux qui l'ont déjà reçue. En prenant soin des enfants des Indiens, vous vous ouvrirez une voie pour vous approcher des parents. »

Après avoir ainsi reçu leur mission du Vicaire même de JÉSUS-CHRIST, les fils de Saint-François de Sales, au nombre de dix, sous la conduite de Jean Cagliero, prêtre, docteur en théologie, partirent, le 14 novembre 1875, pour la République d'Argentine ; le 14 du mois suivant, ils abordaient à Buenos-Ayres, capitale de cet État.

Les premiers travaux des nouveaux missionnaires furent consacrés à fonder des établissements d’éducation destinés aux sauvages, sur les confins de l’Uruguay et de la République Argentine. On éleva des hospices pour recueillir les enfants pauvres et abandonnés. On établit quelques séminaires pour y réunir des enfants capables de recevoir une instruction et une culture plus spéciales et pour développer en eux la vocation ecclésiastique.

La multiplication des maisons rendit indispensable l’augmentation du personnel. Chaque année on fit l’Amérique du sud. Sur divers points, on commença des missions dans le voisinage des Indiens. Elles eurent un bon succès et plusieurs centaines d’enfants et d’adultes furent instruits et reçurent le baptême.

Dans le but de pénétrer plus avant, on décida de profiter d’un bateau du gouvernement, qui devait se rendre au Rio Negro.

Le navire partit au mois de mai 1870. La navigation semblait devoir être heureuse ; mais à peine nos voyageurs furent-ils dans la haute mer, qu’une terrible bourrasque bouleversa les ondes de l’Atlantique. Après treize jours d’efforts inutiles et de périls, ils durent s’’abandonner aux vents qui repoussèrent le bateau au lieu même d’où ils étaient partis. Ce ne fut que par une protection toute spéciale du ciel, que les missionnaires et les autres voyageurs purent échapper à la mort.

Bien loin de perdre courage, les missionnaires voulurent faire une nouvelle tentative par voie de terre. Dans ce but, l’année suivante, le prêtre Jean Costamagna, le docteur Antoine Espinosa et un catéchiste


Dom JEAN BOSCO, fondateur et supérieur général des Missionnaires de Saint-François de Sales de Turin, chargés de l'évangélisation de la Patagonie.


se mirent en route à travers les Pampas. De grandes consolations les y attendaient. Ils purent parler à divers caciques (chefs de tribus), faire entendre le nom de JÉSUS aux habitants de ces immenses déserts, jusqu'alors inconnus, et donner le baptême à cinq cents sauvages.

Enfin, après Quarante-cinq jours de voyages à travers des terres inexplorées et innommées, ils purent, non sans difficulté, franchir le Rio Colorado, le Rio Negro, et entrer dans la Patagonie proprement dite, objet de leurs constantes aspirations. Le gouvernement de la République d'Argentine protégea cette périlleuse expédition, entreprise sur une étendue de plus de deux mille kilomètres.

Les missionnaires s’arrêtèrent sur les rives du Rio Negro, au 40° degré de latitude sud.

On trouve là divers marchés où les étrangers ont coutume de se rendre pour vendre, ou plutôt pour échanger du vin, des liqueurs, du pain, contre les fruits de ces pays ou des travaux exécutés par les Indiens. Ces objets sont ensuite transportés dans les autres parties de l’Amérique et même en Europe où leur rareté les fait rechercher. Les missionnaires s’établirent donc à Carmen, terrain découvert où les sauvages et les étrangers se rencontrent.

Les Patagons et quelques Européens déjà fixés dans le pays, accueillirent les Pères avec joie ; cette sympathique réception leur permit de traiter avec les chefs, d’examiner la condition des habitants et de reconnaître la possibilité d’établir des colonies. Puis, après les précautions nécessaires pour rester en bonne intelligence avec les Indiens et après leur avoir promis de revenir au plus tôt au milieu d’eux, ils retournèrent à Buenos-Ayres. Là, ils exposèrent l’heureux succès de leur voyage au gouvernement.

Après avoir préparé des provisions nécessaires, avec l’aide d’autres Pères et des Sœurs de Marie Auxiliatrices nouvellement arrivés d’Europe, le P. Fagnano, sur la fin de décembre 1879, se rendait directement en Patagonie pour organiser la mission. Les missionnaires fondèrent des maisons, des églises, des hospices ; ils établirent des écoles pour les jeunes garçons et pour les jeunes filles.

Au mois de juillet 1883, Dom Bosco, voyant que, grâce au courage de ses enfants, la mission de Patagonie était en pleine prospérité, adressa à la Propagande une supplique demandant l’érection d’un vicariat apostolique dans la partie septentrionale de la Patagonie et d’une préfecture dans la partie méridionale.

Les cardinaux de la Sacrée-Congrégation examinèrent le projet, dans leur réunion du 27 août, et émirent un avis favorable ; ils proposèrent de nommer M. Jean Cagliero, provicaire, et M. Joseph Fagnano, préfet apostolique.

Le vicariat septentrional comprend le nord de la Patagonie et la région centrale encore inconnue. La préfecture méridionale embrasse aussi les îles Malouines, voisines du détroit de Magellan. Le vicariat est borné, à l’est, par l’Océan Atlantique ; au nord, par les Pampas ; à l’ouest, par les Cordilières ; au sud, par la Patagonie centrale. La préfecture embrassant des pays en grande partie inexplorés, on n’a pu lui assigner de limites.

Voici l’état des colonies sur la rive nord du Rio Negro, vers le Rio Colorado. Ce sont :

Carmen de Patagones, résidence de l’évêque, Mgr Cagliero.

La Guardia Mitre, à 85 kilom. de Patagones, qui a de nombreux néophytes.

La Coloma Conesa, à 155 kilom. de Patagones, où il ya plus de huit mille Indiens de la tribu Catriel.

4° La nouvelle population, dite Chœle-Chœle, à 350 kilom. de Patagones. On y compte 2,500 Indiens baptisés ou catéchumènes.

En face de Carmen, sur la rive sud du Rio Negro, dans la Patagonie proprement dite, est située Mercedes, résidence d’un gouverneur envoyé par la République Argentine ; la population est d’environ deux mille âmes.

À cinquante kilomètres de Mercedes se trouve la colonie de Saint-Xavier ; elle est placée aussi sur la rive méridionale du Rio Negro, mais plus avant dans l’intérieur de la Patagonie. Là sont réunis des Indiens Linares, déjà baptisés où ou achevant leur instruction dans la foi. De nouvelles colonies, se fondent plus au cœur de la Patagonie et l'on s'occupe activement d'en établir une sur les bords du lac Nahuel-Hu-Api, dont les environs sont très peuplés.

Un missionnaire, avec un catéchiste, a fait, en 1885, une excursion vers ce lac, éloigné de Carmen de plus de 1,000 kilomètres et situé à peu de distance des Cordillères.

Aux environ du lac Nahuel-Hu-Api, on a déjà pu recevoir dans le sein de l'Église quelques centaines de sauvages qui ont ainsi commencé une chrétienté, première fleur offerte à l'Église par la Patagonie centrale.

Bien des obstacles viennent paralyser le zèle des missionnaires. La principale difficulté provient de la modicité des ressources.

Un autre obstacle des plus graves vient de la part des protestants. A peine ont-ils vu que le péril avait disparu, qu'ils sont allés planter leurs tentes dans les nouvelles colonies. Là, ils se sont mis à faire la classe ; en exerçant la médecine, la chirurgie, la pharmacie, et en prodiguant l'argent, ils réussirent à causer un grand embarras aux missionnaires catholiques.

Mais toutes ces difficultés et d’autres encore, les missionnaires pourront les surmonter, car la protection du ciel ne leur fera pas défaut.

Non contents de ces immenses territoires de l'Amérique australe, les Salésiens étendent à la plupart des autres grands États voisins le bienfait de leur ministère apostolique. Dans l’Uruguay et la République Argentine, ils ont déjà plusieurs collèges ou séminaires, et, pendant que nous traçons ces lignes (juillet 1887), ils fondent dans le Chili et l’Équateur d’importants établissements.

Mgr Cagliero, vicaire apostolique, visite en ce moment Conception, Los Angeles, Traiguen près de l’Araucanie, Talca, Valparaiso, Santiago. Partout on lui demande des Salésiens. D’autre part, sur l’invitation de Mgr Ordonez, archevêque de Quito, Dom Bosco a envoyé dans la capitale de l’Équateur, un premier groupe de missionnaires.

Enfin le R. P. Fagnano vient de pénétrer dans la Terre de Feu et de porter, pour la première fois, la parole de vie à la race chétive et dégradée qui végète dans cet archipel de désolation.

  1. Né à Castelmoro d'Asti (Piémont), le 15 août 1815, Dom Bosco, dès l'année 1841, accueillait le premier de ces milliers d'enfants délaissés, auxquels sa charité sacerdotale a généreusement donné le pain de l'âme et du corps et qui lui fourni les mille religieux et missionnaires de sa Congrégation de Saint-François de Sales. Aujourd'hui, le saint prêtre compte plus de soixante-douze maisons dirigées par ses religieux.