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Album des missions catholiques, tome IV, Océanie et Amérique/Guyane française

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Collectif
Société de Saint-Augustin (p. 132-135).

GUYANE FRANÇAISE.

La mission de Mana. Le R. Mère Javouhey. La colonie pénitentiaire.


ETTE préfecture apostolique comprend vingt-cinq missionnaires, treize prêtres séculiers et douze membres de la Congrégation du Saint-Esprit. Outre le ministère paroissial à Cayenne et dans les quartiers et les aumôneries de la colonie pénitentiaire, la S. C. de la Propagande leur a confié deux missions intéressantes : celles des Indiens portugais ou Tapouyes dans le terrain contesté entre l'Oyapock et les Amazones et celles des peuplades qui habitent le Haut-Maroni.

La mission de Mana. — La distance par terre de Cayenne à Mana est de cent quatre-vingt-seize kilomètres.

La rivière de Mana, qui donne son nom au village,


MARONI. — UNE RUE DE MANA, d'après un dessin du R. P. Brunetti.


coule du sud au nord, sur une étendue de près de deux cent cinquante kilomètres. Sept ou huit placers, quelques-uns considérables, sont établis dans le haut de la rivière. Le village, sur la rive gauche, à quatre ou dix kilomètres de l'embouchure, est construit sur un banc de sable qui n'est que la continuation de celui qui longe toute la côte de Cayenne au Maroni. C'est, après Cayenne, par sa population et son


commerce, le point le plus important de la Guyane française, c'est une humble religieuse, la Révérende Mère Javouhey, fondatrice de la Congrégation des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, qui l'a créé.

En 1828, cette femme intrépide dont Chateaubriand avait dit : « Mme Javouhey est un grand homme », vint avec trente-six Sœurs et trente-neuf cultivateurs engagés pour trois années et quelques enfants,s'établir sur les bords de la Mana, à l'endroit même où se trouve aujourd'hui le bourg. En 1835 les colons européens l'ayant presque tous quittée ; à l'expiration de leur engagement, elle demanda et obtint du Gouvernement que les noirs de traite, libérés en vertu de la loi du 4 mars 1831, seraient successivement envoyés sur les bords de la Mana. Cinq cent cinquante noirs, enlevés aux négriers capturés sur la côte furent ainsi préparés, par le travail et une éducation chrétienne, à la liberté dont ils devaient jouir plus tard.

La population s'est accrue, et les gens de Mana, qui sont, en ce moment au nombre de huit cents, sont fiers de n'avoir jamais été esclaves, et ont conservé un profond souvenir de vénération et de reconnaissance à la chère Mère, comme ils appellent encore la à Révérende Mère Javouhey. Les Sœurs de Saint-Joseph, en souvenir de leur vénérée fondatrice, y ont conservé un établissement important. Ce sont elles qui, jusqu'à ces derniers temps, ont instruit et élevé les enfants des deux sexes; et elles continuent à faire valoir une belle propriété avec une sucrerie, la seule qu'il y ait en ce moment à la Guyane.

Mana est un bourg considérable à larges rues sablonneuses, possédant une vaste église bien ornée, une horloge à son clocher, une grande mairie et quelques belles maisons. Sa population en ce moment est excessivement mêlée : quoiqu'il n'y ait à peu près de blanc que le sable de ses rues et quelques rares Européens, elle est bien la réunion de toutes les couleurs de toutes les races. Il y a là, à côté des noirs de toute nuance de Mana, des Coolis, des Chinois, des Annamites, des Peaux-Rouges ou Indiens d'Amérique, des Tapouyes ou métis portugais, des Boschs, des Bonis, des Paramaca, des Saramaca, des Arabes ; On y parle au moins dix langues différentes. Ce n'est pas ce mélange qui contribue précisément à élever le niveau moral de cette localité.

Ce qui fait affluer ainsi ce monde bigarré « ex omni natione », ce sont les placers établis dans le haut de la rivière. Les nègres Boschs et Bonis sont là, près de cent cinquante, occupés presque exclusivement au transport des vivres, du personnel et des instruments destinés aux placer.

Pendant notre séjour à Mana, nous irons visiter l'établissement des lépreux, placé sur la rive droite de l'Accarouany, affluent de la Mana, à quinze kilomètres du bourg. Cet établissement, admirablement situé sur un vaste plateau qui domine la petite rivière, est encore une des œuvres de la R. M. Javouhey.

La colonie pénitentiaire. — Saint-Laurent est l'établissement pénitentiaire le plus important de la Guyane. Fondé en 1858 sous la sage et intelligente direction de M. Mélinon, cet établissement avait donné les plus belles espérances. C'est là qu'on voulait établir en grand, la colonisation pénitentiaire par la culture ; et c'est là que fut inauguré le système des concessionnaires qui devait être, en effet, le seul moyen de coloniser, s'il avait été possible de coloniser à la Guyane avec des éléments purement européens.

Ce système consistait à accorder à tout transporté en cours de peine se conduisant bien, et à tout transporté ayant terminé sa peine, une maison, une certaine superficie de terrain, des instruments de culture et des vivres pendant trois ans avec autorisation de se marier. Dans ce but on avait dirigé sur la Guyane plusieurs convois de femmes condamnées, choisies dans les Maisons Centrales de la Métropole. Hélas ! les résultats n'ont pas répondu aux espérances qu'on avait conçues.

« Voilà vingt-sept ans, racontait en 1886 le R. P. Brunerti, que j'ai assisté aux deux premiers mariages de ce genre qui ont eu lieu à Saint-Laurent et qui ont été suivis de beaucoup d'autres. Que reste-t-il de tout cela en ce moment ? La plupart des concessions sont abandonnées, et de toutes ces unions, quelques dizaines d'enfants chétifs et malingres, dont la plupart meurent avant l'âge de quinze ans. »

Si, de Saint-Laurent, nous étendons nos regards sur la transportation à la Guyane, nous constaterons partout les mêmes résultats négatifs, la même stérilité. Elle existe depuis trente-cinq ans, et près de 20,000 forçats y ont été envoyés successivement depuis 1851 jusqu'à ce jour. La France a dépensé plus de cent millions dans cette entreprise : les hommes sont morts, les millions absorbés et à Guyane n'a pas avancé d'un pas dans la colonisation.

Quelle conclusion à tirer de cette longue et coûteuse expérience ? La première, c'est que la culture de la terre en plein soleil dans les pays intertropicaux est impossible pour l'Européen. La seconde, c'est que, dans notre beau pays de France, les coquins ne gagnent pas leur vie et que ce sont les honnêtes gens qui sont obligés de les nourrir.

Quant au ministère des Âmes sur ces établissements, il est bien peu consolant. L’influence des aumôniers a été diminuée autant qu’on a pu le faire, sans les supprimer ; et liberté pleine et entière est accordée aux transportés, non pas d’accomplir leurs devoirs religieux, mais de ne pas les accomplir. Depuis bon nombre d’années d’ailleurs, il n’y a plus que des Arabes, des Noirs et des Annamites qui soient envoyés à la Guyane.

Quoi qu’il en soit, Saint-Laurent, malgré sa décadence, offre encore un joli aspect. C’est un établissement bien situé, bien bâti, bien aéré ; c’est l’emplacement d’une belle ville, mais on ne crée pas des villes avec des règlements d’administration et des surveillants militaires.

Peuplades de l’intérieur. — En 1886 le R.P.Brunetti remonta le cours de la rivière Mana jusqu’à 300 kilomètres dans l’intérieur et fit connaissance avec différentes peuplades.

Le quatrième dimanche de Carême, il eut la consolation de baptiser un Grand Man (grand chef) avec toute sa famille.

« Grande et touchante cérémonie ce matin, écrit-il dans son journal de voyage à la date du 4 avril. Notre petite chapelle champêtre avait été parée de ses plus règne végétal et surtout par la magnifique famille des palmiers dont les bords du Maroni possèdent presque toutes les variétés. Après la sainte Messe, a eu lieu, dans la chapelle, en présence de toute l’assistance, attentive et recueillie, le baptême solennel du Gran-Man Anato, de sa femme et de ses trois enfants. Le Gran-Man a reçu le nom de Paul et sa femme celui de Pauline : les trois filles portent les noms d’Henriette, de Marie et de Madeleine.

« En outre, ont été jugés capables de recevoir le baptême, Couami, notre chasseur, sa femme et ses deux enfants, ainsi qu’un excellent jeune homme, Couacou, qui nous avait accompagnés de Sparwin jusqu’à Cottica.

« Après la cérémonie, il y a grand conseil présidé par Anato et l'on y décide à l'unanimité que, dans la tribu des Bonis, tout le monde sera baptisé. Le Grand-Man, se faisant l'interprète de l’honorable assemblée, vient me transmettre cette importante décision, en me priant de leur envoyer le plus tôt possible un missionnaire pour les instruire et les préparer au baptême ; il me dit en même temps qu'ils construiront une haussou gadou (une chapelle) et que Massa-Gadou ne manquera de rien au milieu d'eux.

« Je vais ensuite baptiser dans leurs cases, d’où elles ne peuvent pas sortir à cause de leurs infirmités, dont la première et la plus grave est la vieillesse, la mère du Gran-Man et sa tante.

« Enfin, sur la demande de ces dames, surtout de la femme du Gran-Man, qui s’appelle à présent Pauline et qui a voulu que je sois son parrain et celui du Gran-Man, je procède avec bonheur à la bénédiction du village. La partie religieuse de cette bonne et consolante journée se termine par cette cérémonie.

« A l’occasion de son baptême, le Gran-Man invita les capitaines à sa table qui fut copieusement servie de volailles, gibier et poisson convenablement préparés par Joseph, avec du vin et d’excellent café de Cottica pour la fin.

« Le soir, il y a eu danses des enfants que le Gran-Man m’invite à venir voir et qui sont innocentes, m’assure-t-il. J’accède à ses désirs : aux enfants s’étaient jointes quelques grandes personnes, et tout le village, ainsi que les villages voisins, était là. Voici en quoi consiste cet amusement, qui est comme le complément de toute cérémonie et pour lequel les Bonis sont passionnés.

« Les femmes se placent ensemble en demi-cercle. L’une d’elles chante en récitatif sur un ton uniforme, auquel toutes les autres répondent par un refrain de quelques syllabes et quelques notes répétées en cadence. Toutes ont les bras tendus en avant et levés vers le ciel, sans faire le moindre mouvement avec les pieds, elles se balancent de droite à gauche au son du tam-tam et en répétant leur refrain. Cela peut durer ainsi des heures et même des nuits entières.

« Les Bonis sont doux et pacifiques : aucune discussion vive entre eux : aucune dispute. Pendant le jour, les femmes sont à l’abattis ; les hommes vont à la pêche ou à la chasse, ou causent entre eux : la nuit venue, ou au moins de bonne heure, chacun rentre chez soi pour se livrer au repos. Nul tapage nocturne, aucun de ces cris et de ces chants avinés si communs dans nos pays civilisés. Les noirs du Maroni boivent volontiers un coup de tafia, mais ne s'enivrent pas ; et si l'un ou l'autre d'entre eux a contracté cette déplorable habitude, c'est dans le contact qu'il a eu avec la prétendue civilisation. »