Alector/Chapitre 12

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Alton (p. 136-142).

De l’ancienne Dame Anange, et de sa grande autorité et puissance. De l’office des trois soeurs Faees Cleronome, Zodore et Termaine, et des cierges qu ‘elles administrent, à la conduicte et offerte des Pelerins tendans au temple souverain. Chapitre XII.


Au plus hault de celle grand tour ronde estoit un comble, en façon d’une ronde lanterne, ouverte à clair jour et fenestrée de toutes pars, tellement qu’elle avoit regard universel, et là dedans estoit residente une grande Dame tresancienne et de redoubtée autorité, et ayant souveraine puissance sur tout ce qui estoit au dessoubz d’elle, et sur tout et sur tous jectant son regard, par lequel seul, selon qu’elle estendoit ou retiroit, elevoit ou abaissoit son aspect d’universelle conduicte, elle advançoit ou arrestoit, surhauçoit ou deprimoit les hommes et les affaires humains à elle soubzmis, sans que aucunement on peust au contraire resister, ne que autrement il se peut faire, et pourtant est elle appellée Anange, pource que necessaire est qu’il soit ainsi comme elle l’ordonne, et nullement autre. Non qu’elle face aucune force, violence ou extortion ny à Nature, ny à raison, mais pource que, par son seul regard, tout est conduict et reduict à son final et droict poinct d’eternelle ordonnance, duquel elle ne seuffre rien divertir, que incontinent n’y retourne inevitablement ; tant grande est la puissance et autorité de celle ancienne dame Anange. Et telle je la vi sur le plus hault de la tour, alors que l’oyseau blanc (comme cy dessus je t’ay racompté) me tira l’esperit à un baiser, et l’eleva jusques là dessus.

Ceste ancienne Dame avoit trois filles Faees, et nommées (ainsi que dict est) Cleronome, Zodore et Termaine, residentes au dessoubz de leur mere, ès trois inferieurs estages de la tour, prochains toutesfois, pervoiables et passables facilement de l’un à l’autre, et là faisoient estat de recevoir les pelerins voulans monter au temple Souverain, où l’on alloit par plusieurs diverses voies obscures et difficiles à tenir sans bonne conduicte et precedente lumiere. Parquoy ces trois Faees estoient là constituées à l’office de fournir cierges aux pelerins voyageurs, tant pour leur esclairer en la voie qu’ilz avoient à faire, que pour offrir au Dieu du temple. Et les donnoient, non d’une façon, mais de diverse sorte, tout ainsi que par Fortune, ou plustost par certaine et occulte ordonnance, ilz leur venoient ès mains, les uns gros et longz, autres moyens et autres bien petitz. La premiere Faee, au superieur estage, donnoit à chescun son cierge, la seconde les allumoit, et la tierce finalement les estaignoit, ou devant, ou après estre offers. Or estoient ces cierges Faeez comme le tison de Meleager, et en iceux consistoit la vie ou la mort de ceux qui les avoient receuz, et les portoient par telle determination que durant le temps qu’ilz ardoient et esclairoient, la personne les portant vivoit ; et incontinent que par l’office de Termaine ilz estoient estainctz, au mesme instant terminoit aussi la vie corporelle des portans. Car par l’ordonnace d’Anange il estoit necessaire qu’ilz fussent une fois estainctz, ou par defaillance, ou par violence, affin que, en les offrant, finalement leur odeur montast au Dieu adoré en l’ancien temple, pour estre receüe ou rejectée bonne ou mauvaise, selon la matiere d’ond ilz estoient faictz et selon ce qu’ilz avoient esté traictez et tenuz honnestement et purement, ou tantoillez, desbrisez et polluz sallement et villainement. Et nulz, ou bien peu, n’estoient offers au sacrifice en vive lumiere durante, ains failloit necessairement que en fins ilz fussent estainctz par la derniere Faee, ou en default de matiere, ou par violent accident. Et neantmoins après estre allumez, ilz demouroient en l’arbitraire conduicte, entretien et gouvernement de ceux qui les avoient entre leurs mains, avec expresse defense de ne les amortir, mais les porter constamment et clairement jusques à ce que Termaine la Faee y eust mis la main. Ce nonobstant, aucuns, ou par ennuy desdaigneux, ou par desespoir, ou par autre male affection, les estaignoient avant le temps et despiteusement les jectoient par terre, ensemble avec leurs corps mourans, autres les trenchoient et desbrisoient par despit. Aucuns estimans plus clair les faire reluire que leur feu et lumignon ne portoit, les escharbotoient, esmouchoient, renversoient et ventiloient en sorte qu’ilz les faisoient en brief consumer, et ne duroient que bien peu. Autres les farcissoient, oignoient et engressoient de gresses vieilles, d’huylles et autres crasses liqueurs, cuydans les faire plus durer et adjouster à la premiere facture (chose impossible) ; mais au rebours de leur opinion, ilz s’en enflamboient d’advantage et brusloient plus legerement, et plustost venoient à consommation, et si en rendoient fumée de tresmauvaise odeur. Au contraire, il en y avoit qui tenoient et portoient leurs beaux cierges en constante droicture hault elevez, d’ond ilz rendoient lumiere plus apparente et plus loing esclairante, tant à euxmesmes que à ceux qui les precedoient et suyvoient. Autres aussi y adjoustoient Basme, Mirrhe, Encens et autres gommes aromatiques, non seulement aydantes à la resplendeur, mais aussi laissans une tresbonne et tresgracieuse odeur après l’extinction et offerte sacrée au temple, ou par la Sacriste Termaine ilz estoient amortiz et recueilliz, combien que tous certes ne parvenoient jusque à ce terme d’estre receuz en fin de leur peregrination et offre de leurs cierges par la tierce Fatalle Termaine. Ains la plus grand part defailloient en chemin, ou pour estre la matiere de leur luminaire trop peu durable, telle que de poix, resine ou terrebinthine, ou pour estre trop petitz et de trop peu de substance, ou pour avoir le lumignon trop gros au respect de la cire, ou pource que le plus souvent ilz estoient violentement estainctz par les cas occurrens en celle voie, comme par mauvais vens les soufflans, par heurtemens et tresbuchemens de malencontre, par pluyes, eaues, tempestes, orages et autres tels anciens, qui estaignoient les lumieres, et par consequent tuoient ceux qui les portoient, pource qu’ilz estoient ainsi faiez que dict est, d’ond advenoit que la plus grand part des pelerins demouroit en chemin et ne parvenoit pas jusques à la tierce station de la tierce Faee Termaine, ny au temple pour offrir et presenter l’odeur de leurs cierges. Ainsi estoient ces trois Faees residentes ès trois logis de celle grande tour, et fournissantes aux pelerins les cierges de leur conduicte, voie et vie, que la premiere et plus haulte leur presentoient, la seconde et moyenne leur allumoit, la tierce et derniere les amortoit et en offroit l’odeur au temple. Mais comme divinement a chanté le bon Poète :


Par sort fatal toutes choses ruinent
De mal en pis, et en derrier declinent.


Ainsi communement il se faict que les premieres munificences sont plus larges et plus liberalles que les succedentes, et aussi que toutes naturelles choses premieres communement sont meilleures. D’ond advint que les premiers cierges presentez se trouvarent les plus beaux, plus longs et gros, mieux façonnez et de meilleure cire, et par consequent de plus longue durée et de plus claire lumiere. Et au semblable les premiers hommes qui les receurent se trouvarent plus grandz et fors (comme Geans qu’ilz estoient) à les porter et eslever, voire encore plus prudens et adroictz à les conduire et maintenir, comme bien entendans que leur vie et leur mort y gisoit, laquelle ilz ne desprisoient ne despitoient, et n’avoient à regret, mais l’estimoient, honoroient et gardoient trescherement, comme le don ou depost receu du plus grand Roy de tous les Roys, pour en honneur la luy rendre en son temple, en offerte de leur dernier voyage, et à la termination de la derniere Faee Termaine, où quasi tous ilz parvenoient heureusement, sans malencontre, trouble, ny offension.