Alector/Chapitre 23

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Alton (p. 288-296).

La vision de l’Archier au temple sur la mort de Franc-Gal. L’Assemblée des Magistratz et du peuple en la Basilique Pretoriane. L’oracle des Charites, trouvé escript en leurs mains, et le jugement et appareil d’armes d’Alector contre le serpent. Chapitre XXIII.



Le premier soir que Franc-Gal fut receu en la maison de l’Archier, après le soupper et les devis, et qu’il fust conduyct en la chambre de son repos qui tant luy sembla funeralle, comme dict est, l’Archier, selon sa costume, s’en alla au temple, à ses oraisons vesperines ; où, ainsi comme il prioit, en general pour tous et en especial encore pour son hoste Franc-Gal, que bonne nouvelle luy vint de ce qu’il alloit cerchant, il luy sembla entendre à un instant le mortel siblement d’une coleuvre et le chant d’un coq intempestif, car il n’estoit pas encore la seconde vigile de la nuyct. Et sur ce, par le pertuys lucan, au plus hault du temple, vit du Ciel tomber comme une estoille tresclaire sur l’autel, qui, incontinent avoir touché la table d’esmeraude, s’alluma et se leva en haute et droicte flambe de lumiere, qui toutesfois tousjours alloit en decroissant ; et incontinent après icelle estoille, suyvit un Cygne blanc comme nege, qui se posa tout auprès de ce feu celeste, et à un doux soufflement de Zephyr, vent occidental, commença son chant mortel qu’il a de costume et de nature chanter aux bors du tortueux fleuve Meandre, quand il est reposant sur l’herbe moite et sent sa mort prochaine ; et en chantant, destilloit de ses deux yeulx larmes en abondance, qui tomboient sur le feu stellaire et l’estaignoient peu à peu, le cygne aussi affoiblissant de voix et de vie, au pris que le feu alloit diminuant, tellement que à la derniere et finalle voix et larme que le cygne rendit, il mourut et le feu s’esvanouyt, reflambant au ciel d’ond il estoit venu.

Par ceste vision, l’Archier entendit incontinent la fin derniere de Franc-Gal, son hoste, estre prochaine, et qu’il mourroit bien tost par cause douloureuse et joyeuse. Parquoy le matin avant que d’entrer au temple l’alla visiter, mais il ne le trouva pas en sa chambre. Donc regardant par une fenestre l’apperceut se pourmenant fort pensif par le jardin, où il l’alla trouver et saluer. Franc-Gal luy rendit son salut en parolle assez basse et casse. Et luy demanda pourquoy il s’estoit levé avant jour et pourquoy il n’avoit prins son repos à son aise. Mon repos (respondit Franc-Gal) est bien prochain, à ce que j’ay peu cognoistre en plusieurs presages, et mesmement ceste nuyct ès phantasies de mon inquietude, qui ne m’ont laissé dormir pour m’apprester à un dormir durable, sans reveil, jusques à la revolution des siecles. Pource allons au temple orer et rendre graces à celluy qui nous a donné estre jusques à present. Ainsi s’en allarent ces deux bons preud’hommes droict au temple pour acomplir le sacrifice tel qu’il a esté recité. Après lequel faict, la plus grand part du peuple s’assembla en la grande Basilique Dicaste, où Dioclès presida comme Potentat d’Orbe, avec tous ses assesseurs, les Magistratz, Seigneurs et Notables citoyens. Devant luy fut amené Alector, celluy jeune Escuyer qui par les Gratians avoit esté accusé de tant de crimes, d’ond s’en estoit ensuivie la mort de la belle Noemie, leur soeur, et qui dans trois briefz jours avoit esté jugé par sentence de renvoy à la Justice divine, soubz l’espreuve du combat au grand serpent des Arenes. Ce jeune Escuyer Alector comparut devant la face de ces Magistratz, de toute la Justice et du Potentat, où il se trouva aussi asseuré et brave qu’ilz estoient severes et graves, demandant à instance Justice du sagittaire meurtrier de sa belle et bien aimée Noemie, qu’il regrettoit sans cesse, au demourant n’ayant – ou ne monstrant avoir – cure ne soucy, ne de sa personne propre, ne de sa vie, ne de sa mort, mais qu’il peust venger Noemie. Adonc Dioclès Potentat monstra à tous les assesseurs du conseil le brevet que le jour devant il avoit trouvé entre les mains des statues d’albastre des trois Graces, où y avoit ces motz escriptz en vers rythmiques :



Quand la sagette en main sera
Du vinqueur vengeur de s’amie,
La vengence du Ciel cherra
Sur le meurtrier de Noemie.
Et peu après sera finie
Du Pelerin la vie et voie,
Qui transira de peur et joie.


Ce brevet, premierement declaré d’ond il estoit venu et en quelles mains il avoit esté trouvé, fut tenu pour divinement transmis et approuvé de tous, en sentence commune, que la sagette d’ond Noemie avoit esté occise fust mise ès mains d’Alector pour veoir ce qu’en adviendroit. Lequel appellé en jugement, l’interrogea Dioclès s’il ne luy souvenoit pas de la condemnation au combat du serpent, à quoy il avoit esté jugé, et s’il ne se disposoit pas de subir la sentence. Oy (respondit il treshardiement et tresasseuréement), et vous en remercie de l’honneur que me faictes, et ne demande pas mieux, sinon que le traistre meurtrier de Noemie fust joinct encore avec le serpent pour de tous deux faire sacrifice vindicatif à l’esprit de la defuncte. Mais qu’il pleust aux chefz de la Justice me garnir de mes armes, qui sont ma bonne espée au fourreau de leberide luysante et mon escu au coq hardy, emporté du trophée de Gallehault. Remonstrant que toutes bestes par nature sont garnies de leurs propres et convenantes armes, tant pour defense que pour offense : Les lyons (dist il) ont pates gryphantes, les elephans leurs trompes, les cerfz et bestes taurines ont les cornes et les piedz de devant, les chevaux ont morsure devant et ruades derriere, les sangliers leurs crochetz, les tortues et concques leur dureté, les mouches leur aguillon, les scorpions leur queüe, les serpens leur venin, langue et dens mortiferes. Le seul homme est né sans armes, comme animant de paix, sinon que par la main ouvriere et organicque il se face ou conqueste des armes, comme j’ay obtenu mon espée de don paternel qui m’est propre, et mon escu de propre conqueste ; lesquelles armes seulles (car autres à moy, simple Escuyer, n’appartiennent) je requier me estre restituées et mises en main, pour me trouver, moy homme, desarmé et nu de tout harnois offensif et defensif contre le terrestre ennemi de l’homme armé de malice, cautelle, force, legiere volubilité, dens penetrantes, queüe dangereuse et venin mortel, en outre, couvert d’esquailles dures, sur lubrique peau, où moy estant nu et desgarni de toute defense contre tel et si bien armé ennemi, si j’estoie vincu, ce seroit vrayement mon mal et mon dam en particulier, mais en general seroit la honte, reproche et confusion des hommes occis et devorez par le plus meschant des animaux, lequel Dieu souverain (que vous appellez JOVA) a condamné surmarchable soubz les piedz de l’homme, à qui puissance a esté donnée de marcher sur l’aspic et le Basilisc, et de fouller aux piedz le lyon et le dragon. Ce que verrez avenir, Dieu me donnant la force, si vous me rendés mes armes, qui m’ont esté injustement ostées, et lesquelles je demande à vostre Justice. »

Le Potentat et tous les Magistratz furent esmerveilléz, non seullement de la brave hardyesse d’Alector (qui povoit naturellement venir du feu de l’eage), mais beaucoup plus de sa liberalle eloquence et raisonnable prudence avant l’eage où il estoit, encore qu’il fust beaucoup moins eagé qu’ilz ne pensoient. Parquoy sur le champ feirent apporter et luy delivrer son espée avec la guaine de peau serpentine luysante, et son escu verd au coq d’or, qu’il receut à aussi grande joye comme à grand regret ilz luy avoient esté tolluz. En outre, le Potentat Dioclès, suyvant l’advertissement de l’Archier et l’oracle escript des Charites, luy mist en main une flesche sanglante jusques au mylieu du fust, laquelle il print en main et, après l’avoir regardée assez longuement (comme celluy qui aucunement la recognoissoit avoir tirée du corps de Noemie), demanda quelle flesche c’estoit et qu’il luy en convenoit faire. A quoy luy fut respondu que c’estoit celle mesme flesche qui à Noemie avoit donné la mort, et qu’il en feit ce que le Gladiateur en l’Arene. Adonc, il s’escria à haute voix vers toute l’assistance, s’il y avoit nul qui la voulust calanger contre luy. Mais personne ne respondit. Parquoy il la mist et encroisa à sa ceincture du baudrier d’armes, puys dist : Or allons, Messeigneurs, quand il vous plaira. Puys que j’ay mes armes, je suys prest à combatre le draconique ennemi public et à venger l’injure privée du meurtre si le traistre se peut retrouver. Adonc le Potentat envoya quatre trompettes par tous les quarrefours de la ville cryer et publier que à l’heure de None un hardy et vaillant champion combatroit le dragon des Arenes au hazard et peril de sa vie, pour le salut public et expiation de certains homicides par luy perpetrez, ou à sa cause advenus ; et pource, qui voudroit se y trouvast.

A ce cry, tous les citoiens s’esmeurent pour aller à ce delectable et profitable spectacle, où il se trouva plus grande multitude de gens que jamais ne s’en estoit veu aux Arenes pour une assemblée. Et là fut Alector conduict par quatre cens hommes en armes, deputez pour garder et clorre le camp. A ce tumulte, Franc-Gal et l’Archier, qui après disner estoient aux fenestres de la salle regardans sur la rue, furent esmeuz à demander que c’estoit, et ayans entendu la cause, deliberarent d’y aller, encore que l’Archier ne se y trouvast pas frequentement. Mais il fut incité d’y aller pour esperance d’y veoir advenir la revelation à luy faicte, du salut public. Et Franc-Gal n’estoit pour autre cause venu à Orbe, sinon pour y trouver son filz dans les Arenes du Theatre, comme le noir Oyseau Augural luy avoit predict. Ainsi s’en allarent ces deux preud’hommes ensemble au nouveau spectacle.