Alector/Chapitre 24

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Alton (p. 296-321).

Corographie de la ville d’Orbe, de la Basilique, de l’Hippodrome, du Prytan et du Theatre, et des Arenes et autres lieux. Chapitre XXIIII.



La cité d’Orbe estoit ainsi nommée pour sa forme et figure ronde, située sur une montaigne bien peu haulte, mais fort large en demie rondeur comme un demi globe, tellement que le mylieu estoit le plus hault et le plus eminent, descouvrant facilement tous ses environs descendans non en precipice roide, mais peu à peu en douce vallée pendante de tous costez si coulamment que ny au monter, ny au descendre, presque on ne s’appercevoit point de l’elevation du mylieu, ne de la depression des entours, tant doucement alloit devallant jusques aux arriere-murs et aux murailles d’ond elle estoit close en parfaicte circularité, fondées et basties des dures pierres de roche, massonnées à ciment, de la hauteur de trente toises et de l’espesseur de trois, remparées de dix neuf gros boulevardz avec leurs Chevaliers et faulses brayes, garniz de tours et sentinelles ; et autour, au lieu de fossez, environnées d’une grosse riviere appellée Cloterre, portant gros bateaux chargez de toute sorte de marchandise, trafiquée de toutes pars du monde. Car en, et de la cité d’Orbe, on entroit et sortoit par quatre principalles portes, l’une Orientale qui s’appelloit Porte Physe, l’autre Occidentale qui estoit nommée Porte Thane, la tierce Meridionalle, dicte Porte Valentine, et la derniere Septentrionalle, clamée Porte Passant. Et tant de portes, autant de pons y avoit il : à savoir le petit Pont, le Pont sans garde, le Pont bruyant et le Pont qui tremble ; par lesquelles portes et ponts on entroit et sortoit dans la cité ou aux champs d’alentour (car de faux bours n’y avoit point), desquelz champs le territoire contenoit un bien grand pays à la ronde, divisé en quatre regions, selon la partition de la ville et des portes, mais de bien differente qualité et temperature.

Car au territoire appartenant à la Porte Physe, l’air y estoit doux ; le vent Zephyr venant d’occident se rendoit pour dernier soupir en celle region orientalle ; les herbes, plantes et arbres y estoient tousjours en fleur ou en verdure ; les gens gracieux et amoureux, contens de peu, et ne faisans gueres autre chose que danser, sauter, courir, gambader, chanter, aubader, jouer d’instrumens, faire l’amour, contracter mariages, ou les avancer et emprunter sur l’avenir ; composer ballades, rondeaux et sonnetz, cercher nouvalitez, chasser aux bestes et aux oyseaux, pescher poissons, s’habiller de couleurs et se maintenir sans souci ne sans cure. Car tous estoient, ou enfans, ou garsons, ou adolescens de l’un et l’autre sexe.

Et quand ilz passoient la jeunesse, ilz faisoient transmigration en la region de la porte Valentine, qui estoit meridionale, d’un air chault, inspiré de l’Austral ou des vens Etesies. Et à la region de celle porte croissoient fruycts d’arbres en grande abondance, et semblablement herbages de pasture, bledz et grains de toutes sortes, tellement que au costé de celle porte on ne voioit que faucheurs, feneurs, moissonneurs, fructiers, Marchans, voyageurs, traficqueurs, hommes d’armes courans la lance et Philosophes disputans, usuriers prestans à revenue des fruyctz venans, et y voyoit on force bestial par les champs, force mousches, papillons et formis ; et si y faisoit bien chault et sec, mais on y beuvoit d’autant à beaux flascons refraischiz ès claires fontaines.

De là on alloit à la Septentrionale Porte Passant, où l’air estoit divers, inconstant, nebuleux, froid, humide, bruyneux et venteux d’un vent traversier, au demourant le pays fort bon et bien cultivé, où tousjours on recueilloit pesches et raisins, noix et avellanes, et n’y voioit on gueres autre chose que vendanger, trueiller et souffler aux chalumeaux, et encaver vins ; et estoient les gens de celle partie là quasi tous grisons.


L’autre region de la Porte Thane, subjecte au vent de bise trenchant, estoit fort sterile, sinon qu’il y avoit force gras bestial, volaille, gibier et venaison ; et c’estoit le territoire où l’on faisoit quasi la meilleure chere, mais c’estoit communement ès maisons closes autour de grandz feux domestiques ou en pailes chaux ; et là faisoit on bancquetz, nopces, mommeries. On y tuoit aussi continuellement des cayons, ou porceaux, et y faisoit on saucisses, andoilles et boudins, d’ond – et d’autres choses aussi – on envoioit presens et estrenes les uns aux autres, pour l’entretien d’amour. En la region de celle porte, se tenoient costumierement de bons vieillardz qui après avoir prié Dieu, beuvoient d’autant, se chaulfoient, divisoient du temps passé, jouoient aux cartes – au glic, au flux, à la premiere –, ou au tablier – aux eschez, aux dames, au lourche et trictrac. Telles estoient les quatre portes et les quatre finages de la Cité d’Orbe, où les habitans par ordonnance des Seigneurs de la ville passoient tous les ans et faisoient transmigration d’une porte et d’une region en l’autre.

Quant à ceux de la ville, s’ilz estoient faschez des chaleurs de la Porte Valentine, ilz s’en alloient refreschir aux glaces de la porte Thane, et là passer le temps aux jeux sedentaires. Et s’ilz estoient ennuyez des bondinailleries de la Porte Passant, ilz s’en alloient danser aux fleurs de la Porte Physe. Car telle puissance avoient les citoyens de la ville, en laquelle neantmoins il faisoit temps continuellement temperé par la concordante discorde des vens, temperamens et qualitez d’une chescune porte et de son territoire circonstant, qui faisoient egale concurrence au clos de la ville ; laquelle (comme dict est) estoit en parfaicte rondeur, tousjours peu à peu s’elevant jusques à l’ombilic du Mylieu, où estoit le temple de JOVA, cy dessus descript, en la grande place du quarrefour, auquel se venoient croiser les quatre grandes rues de la ville, amples et larges, et basties de singulierement beaux et magnifiques edifices, et traversées de cent petites rues en rondeur tournoiantes tousjours en devallant à mesure des quatre grandes croisantes les edifices à si droicte ligne que du temple on voioit abas jusques aux quatre portes, et des quatre portes on voioit amont directement le temple, au mylieu de la grande et spacieuse place du quarrefour.

Devant lequel temple y avoit une tresbelle et tresgrande fontaine d’eau vive argentine, claire et saine, de source jamais ne defaillant, mais jectant eau en si grande abondance par douze gros cors faictz en façon et figure des douze signes du Zodiac, que il s’en faisoit un ruysseau tousjours croissant et tournoiant autour des rues et ruelles de toute la ville, tant pour l’abbreuvement et commun usage des personnes et des bestes, que pour la purgation et mondification des rues et maisons. Pource que ce ruisseau fontanier tournoiant, quand il estoit parvenu en la derniere et plus basse rue circulaire, au long de l’avantmur, autant comme il avoit de canaux de source, par autant de cloaques il s’engorgeoit en la grande riviere de Cloterre, où y avoit pales et bondes d’escluse, que l’on fermoit et serroit quand on vouloit ; et icelles estant fermées, toutes les rues se trouvoient pleines d’eau, avec laquelle, par alluvion, puys après on envoioit toutes les immondices aux esgoutz des cloaques : ainsi tousjours et de toutes pars, estoit la ville nette et belle.

Aux quatre fronts de la grande place du quarrefour spacieux estoient quatre superbes edifices publiques, à savoir la grande Basilique Dicaste, le Palais Prytan, l’Hippodrome et le Theatre.

La Basilique Dicaste estoit le Palais Judicial, où se decidoient toutes controverses et causes, tant civiles que criminelles. En icelle y avoit une longue, large et spacieuse salle, en laquelle on montoit par degrez de marbre, et y entroit on par deux portes des deux costés. Ceste grande salle estoit voultée et pavée de mesme artifice correspondant, tout de marbre blanc et noir ; la voulte estoit double, soustenue sur quarante piliers de pierre grise, à savoir douze à chescun costé et douze au mylieu, departissans les deux voultes, et deux intervallaires en front et en fond. A chescun pilier estoit posée une riche et brave statue d’un Legislateur ou d’un souverain Justicier qui autres fois avoit esté, avec l’inscription de son nom et tiltre d’honneur ; et aux piliers du mylieu y en avoit deux, une de chescun aspect. Entre les piliers, en chescune cortyne de la muraille, au plus hault vers l’arc de la voulte, estoient de belles verrieres, archelées, peinctes et illustrées des antiques histoires, des exemples memorables, d’excellentes et singulieres sentences, et executions de Justice. Et au dessoubz estoient affix grandz tableaux de cuyvre, où en lettre fort grosse et de loing lisible, estoient engravées toutes les loix, selon lesquelles receües en la Republique d’Orbe les Orbitains se gouvernoient. Et à cette raison estoient là affixes ces loix engravées en cuyvre, affin que nul ne pretendist ignorance de droict.

A l’un des boutz de ladicte salle y avoit un Pretoire clos à treilliz de fer fueillagé et argenté, dans lequel estoit un Parquet en demi rond lunaire, environné de deux ordres de bancz, avec leurs pulpites et marchepiedz, l’un ordre hault où estoient colloquez les Orateurs et Advocatz, et l’autre plus bas où se mettoient les plaidoians – les demandeurs d’un costé et les defenseurs d’autre. Au dessus et à l’opposite vers le fond du Parquet estoit elevé un hault Tribunal – ou siege Pretorian – avec le dossier et chapiteau, le tout faict de bois d’hebene ouvragé et lambricé fort artificiellement.

Aux deux costez duquel Tribunal estoient vingtquatre sieges un peu moins elevez, à savoir douze à dextre et douze à senestre, sur lesquelz se asseoient les vingtquatre Assesseurs et principaux Conseilliers en tapis de veloux ; et au tribunal – ou siege Dicastain – seoit le Potentat, souverain Justicier, lequel siege Judicial, au lieu d’estre tapicé de velours cramoisy ou drap d’or, estoit couvert d’une hideuse et morte peau d’un corps humain, qui fut d’un certain Potentat, Juge d’iniquité, qui, pour avoir traversé Justice et abusé de son office de souveraine Judicature, avoit esté tout vif escorché et sa peau mise pour tapis sur le Siege Judicial pour donner exemple à ceux qui y seroient assis de ne faire injustice digne de pene tant atroce. Aux deux costez d’iceliuy Tribunal, estoient colloquées assez hault deux statues, l’une d’or, qui estoit l’image de Justice, taillée et figurée de traict et fil de visage virginal, mais de regard vehement et redoubtable, la lumiere des yeulx acre et poignante, ny humble, ny atroce, mais representant une certaine dignité de reverende tristesse. Celle statue estoit d’or, pource que l’or est incorruptible : aussi doibt estre Justice ; et toutesfois il est doux et ployable : aussi doibt estre Justice plus douce et clemente que rigoureuse, et flexible à equité ; elle estoit figurée vierge, pource que Justice doibt estre entiere, inviolée et incorrompue ; elle estoit de face severe, triste et constante, en signe qu’elle ne doibt escouter douces parolles, ne flateries, ne prieres, ne louanges. Son regard estoit fier et vehement, pour donner terreur aux mauvais, et confiance et asseurance aux bons et justes.

De l’autre costé estoit une statue de fin crystal clair et blanc, pourtraicte toute nue, qui estoit la statue de verité, en signe que Justice est ou doibt estre acompaignée de verité, laquelle est de soy claire et evidente, pure et sans tache, et pource estoit pourtraicte de blanc et transparent crystal, et en forme de corps nu. Car la verité ne veult point de couverture, de simulation ou dissimulation, ains et se monstre telle qu’elle est. Velà quelle estoit la grande salle de la Basilique Dicaste, et le Parquet et Siege Judicial.

Joignant le chef de ceste grande salle, estoient à dextre et à senestre deux corps de maison, membrez de plusieurs chambres, et entre les autres, en chescune maison, estoit une fort belle chambre en forme de sallete quarrée, à deux forneaux de cheminée, et tout autour garnie de bancz à hault dais, et au dessus de riche tapicerie ; au reste, vuyde de toute autre chose fors que de tables et chaires à l’entour, et toutes ces deux chambres avoient entrée et sortie contigue et commune dans le Parquet de la grand salle Basilicane ; la dextre estoit appellée la chambre Conseilliere, pour autant que là se retiroient le Potentat et ses Assesseurs quand quelque jugement doubteux estoit remis au Conseil ; au mylieu estoit une large table de marbre, ronde et polygonalle. Car celle table avoit vingtcinq espaces entrangulaires d’un pied et demi chescun, et autant y avoit de chaires à l’entour, faictes bravement de bois commun. Mais une entre les autres estoit plus ample, faicte de bois de cedre ouvré et doré à belles figures, et icelle avoit un marchepied pour estre un peu plus haulte que les autres et un tapis avec un oreiller de velours, où se asseoit le President Potentat.

Au mylieu de celle table de marbre y avoit un petit pilier de crystal, et sur icelluy une statue de mesme matiere diaphane, qui representoit l’image de Prudence en forme feminine, non nue, mais couverte d’une longue stole crystalline bordée en damasquines d’or et semée d’estoilles d’or. Mais elle avoit trois testes pour estre mieux cervelée et plus sage : l’une vieille comme regardant le passé, l’autre de moyen eage comme considerant le present, et la tierce jeune comme prevoyant l’avenir. En main droicte elle tenoit une pierre lydienne qu’on appelle Pierre de touche, et en la senestre presentoit un petit tableau d’or où estoient escriptz ces motz en Grecz :



Ἀγαθὸν μέγιστον ἡ φρόνησις ἔστ᾽ἄει


Qu’est à dire :



Prudence est tousjours tresgrand bien.


Et sur la table de blanc marbre estoit engravée en noir ceste sentence en lettres latines :



Primùm consultò opus est, deinde
Maturè opus est facto.


C’est à dire :



Conseiller fault premierement,
Et puys parfaire meurement.


En celle chambre tenoit on le conseil. Pource estoit appellée la chambre Conseilliere. L’autre chambre, à la part senestre, estoit appellée la chambre Sphragide pource que en icelle estoient signez et seellez tous actes, instrumens et exploitz de la Justice, escriptz par fideles personnages à cela deputez et par solennel serment adjurez. Celle chambre estoit telle comme l’autre, sinon que il y avoit deux longues tables estendues de la longueur de sa sallette tout au long des deux grandz pans de mur, fenestrez à haux larmiers, et au dessoubz, adossez de longz bancz à hault dais à sieges separez et distinctz par intervalles, comme sont les sieges d’un coeur d’Eglise Canonique, et là estoient assis les Pragmatiques Scripteurs à deux renz d’un costé et d’autre des deux murailles, mais d’un seul costé des tables, qui estoit ès bancz vers les murailles, l’autre au dehors vers le plan de la sallete, demourant vuyde, fors que de deux marches qu’il failloit monter pour advenir aux deux tables, à ceux qui y avoient affaire. Au chef de ceste sallete estoit une autre table de marbre noir, et contre le mur un banc de trois sieges, où se asseoient deux signateurs qui soubsignoient leur veuë et approbation des escriptz, et un Garde des seaux, qui les chancelloit ou seelloit, selon qu’il les jugeoit legitimes ou non. La marque du seau estoit une main ouverte, et en la palme d’icelle un oeil regardant. Au mylieu de celle chambre, y avoit aussi (comme en la premiere) un pilier faict en façon d’un Rochier de pierre lazurine, et dessus, une Statue de fer bruni, en figure feminine, ayant une des mains contre sa poictrine à l’endroict du coeur, et l’autre estendue comme la presentant à palme ouverte : c’estoit l’image de Foy ou Fidelité, ferme et infrangible comme le fer, et constante comme un Roch, tenant et parfaisant ce qu’est promis, de coeur et de faict. Au rochier estoit gravé en lettre grecque :



Μὴ πιστεύειν ἄνευ τεκμήριου


C’est à dire :



Rien ne fault croire, s’il n’appert.


Et en lettres latines estoit escript :



Fides fundamentum Justiciae.


Qui signifie :



Foy est le fondement de Justice.


Aux deux coingz de l’autre bout de la grand salle Basilicane, estoient conjoinctes deux grosses tours de pierre dure, basties à la rustique, fortes et espesses, poinct fenestrées et peu pertuisées de trous canonniers estroictz, barrez de fer et de barbacanes, à peu de jour. Esquelles n’y avoit entrée, sinon par un petit guychet à double porte de fer, barrée et ferroullée, ressortant de la grande salle, et estoient ces deux tours à trois voultes, l’une dans terre, bien profond, sans lumiere ny ouverture, et l’appelloit on le Barathre ; la moyenne, hors terre, recevant quelque lumiere maligne et loingtaine par les trouz susdictz, appellée Latumie ; la tierce au dessus, ayant fenestres barrées et treillisées, où ceux qui y estoient enclos povoient veoir et estre veuz, et pource on l’appelloit la Cage. Dans ces deux tours estoient serrez les criminelz, ou plus profond, ou plus hault, selon la gravité de leurs charges. Au dessoubz de la grande salle Basilicane, estoit un Cryptoportique, clos à fortes murailles de tous costez, fors que d’une estroicte porte ferrée et de fenestres treillisées de fer, pour donner jour. Dedans ce Cryptoportique (qui estoit autant grand et spacieux comme la grande salle, et pource y avoit plusieurs et diverses chambretes) estoient mis les prisonniers civilz, ou de captivité, soubz la charge d’un Chartrier, homme assez humain ; comme au contraire, ès deux tours estoient commis pour gardes deux Geoliers rudes et rebarbatifz, et aux deux chambres Conseilliere et Sphragide, deux Consierges, hommes meurs et prudens, et fideles pour les garder et les appareiller avec la salle et le Parquet, selon qu’il en estoit besoing. Et aux deux portes de la grand salle y avoit deux portiers commis à les ouvrir à la prime heure du Soleil levant, et les clorre à la derniere du Soleil couchant, selon le temps equinoctial. Telle estoit la Basilique Dicaste de la Justice d’Orbe, où presidoit le Potentat Dioclès.

A l’opposite estoit l’Hippodrome, grande place egalle et uniforme, de la longueur de stade et demi, et de la largeur de demi stade, en figure quarrée non equilateralle, ains plus longue beaucoup que large, toute environnée de triples galleries levées l’une sur l’autre, à portiques soustenuz sur petitz piliers balustrez, et estoit le lieu où l’on faisoit courir les chevaux, au pris proposé pour le mieux picquant et plus adroictement chevauchant, auquel aussi on couroit la bague ; et y faisoit on joustes et preuves d’armes à cheval, à la lance, à l’espée et à la hache et masse. A l’un des boutz de l’Hippodrome estoient les barrieres où l’on tenoit les chevaux enclos, battans la terre des piedz et forcenans d’attente jusques à ce que le signe du depart fust donné par les trompettes, au commandement des Juges. A l’autre bout estoit un eschafaut de pierre de marbre de cinq degrez de hauteur, et des sieges ordonnez dessus, pour y asseoir les plus belles pucelles de la ville, commises par eschange ordinaire à donner et delivrer les pris d’honneur et de valeur aux mieux faisans, selon la sentence des Juges qui avoient leurs places en un moyen Portique au mylieu de l’Hippodrome entre les rencz des galleries ; et de l’autre part, à l’opposite d’eulx, estoient montez les trompettes, qui au commandement des Juges sonnoient pour donner le signe, et incontinent à barrieres ouvertes, bons chevaux legiers s’espandoient par l’estrade à la course, et les chevaliers aux lices à la jouste, chescun taschant à emporter le pris et l’honneur, autant stimulez par le poignant regard des yeux des tresbelles pucelles comme estoient leurs chevaux esmeuz par le son des trompettes et poincture des esperons. Velà quel estoit le Hippodrome.

Le tiers edifice estoit le Prytan, maison publique de la ville. Sur le devant y avoit une grande basse court, et d’icelle on montoit par dix degrez de pierre en une tresgrande et tresspacieuse salle garnie tout au long des murailles de bancz à dossier, et aux deux flancz y avoit deux grandz fourneaux de cheminée ; et au dessus des bancz, les murailles estoient couvertes de crochetz et de rastelliers, où pendoient toutes sortes d’armes, de glaives et divers bastons, de corseletz et morrions, et tous harnois en tresgrand nombre. En ceste salle le peuple s’assembloit la derniere sepmaine de Decembre pour changer les Magistratz de l’année precedente et en elire de nouveaux pour l’année suyvante, et adviser ce qu’il seroit bon à faire, ou non faire, pour l’utilité de la Republique.

Outre celle grande salle, y avoit un vestibule quarré et esclairé de tous costez à force fenestres. De ce vestibule on passoit en une autre moindre salle secrette et close à triple porte, et trois huissiers de garde. En laquelle les gouverneurs Politiques de la ville, qui estoient douze en nombre, consultoient et concluoient les affaires concernans la Republique d’Orbe. Après ce corps de logis y avoit une autre grande court, et au mylieu d’icelle, une fontaine à deux bassins, et le tromphoir d’albastre jectant eau par trois muffles ou gueulles de lutre. Outre celle court, sur le derriere de la maison publique, estoit un autre grand et fort ample corps de maison, brave, somptueuse et magnifique, comprenant deux grandes salles, l’une au dessoubz, elevée neantmoins sur un Quay de huyct degrez d’une part et d’autre de la plate forme d’escale, et l’autre au dessus de pareille grandeur, ayans leurs cuysines et offices à l’un des flans, et à l’autre l’ouverture des fenestres à triple croisée sur la court. Lesdites deux salles, garnies de tables cedrines et buffetz de service, avec chaires de mesme tout autour, et deux lictz verdz de repos ; au reste, toutes tendues de riches et belles tapiceries. Et là venoient boire, manger, pourmener, diviser ceux qui là dedans habitoient, c’est à savoir ceux qui par quelque insigne bienfaict, ou d’invention utile, ou de sapience, ou de prouesse, ou de liberalité, ou autre acte vertueux et à la cité honnorable et profictable, avoient bien merité de la Republique ; aux quelz, pour pris d’honneur et de grace estoit approprié ce beau logis, où ilz estoient à la despense des deniers communs nourriz en [l.. et] entretenuz splendidement en quotidians bancquetz ès susdictes salles, serviz d’officiers et serviteurs payez du commun, de tous metz et viandes, en riche vascelle d’or et d’argent et de crystal, et de linges precieux. Et si estoient visitez et accompaignez tous les jours des plus nobles et apparens seigneurs et dames de la ville, tousjours leurs rememorans leurs meritoires biensfaictz avec louange et grace. Et en oultre, recevans tous les matins chescun une belle fleur (selon le temps), avec une humble reverence et un doux baiser des plus belles filles de la cité. Et pour eux retirer à privé outre les salles, estoit une grande gallerie traversante et departissant les salles d’avec les chambres, qui estoient en nombre vingtquatre, toutes chambres de parement bien ornées et garnies de riches lictz de broderie, de tables et treteaux ouvragez, de tapiceries et linges delicieux, à chescune chambre jointe sa garderobe et son cabinet, et le valet de chambre prompt et propre à les servir. Desquelles chambres le regard estoit en partie Oriental et en partie meridional sur de tresamenes jardins, vergiers et preaux, où les oysillons leur donnoient gayes aubades ; et tout cela aux despens publiques. Et encore tous les ans estoit en la grande salle basse faicte une oraison Panegyricque à la louange et honneur des biens meritans de la Republique. Toutes lesquelles choses estoient ainsi faictes et entretenues en la maison de Prytan, pour esmouvoir et donner exemple à tous vertueux jeunes gens de faire actes telz d’ond ilz acquissent telz biens et telles louenges meritoires que d’estre pour leur merite et bien faict entretenuz noblement aux deniers communs et despens de la Republique, ce qu’ilz estimoient estre un tresgrand honneur, procedant de bonne et juste cause ; aussi estoit il à la verité. Velà quel estoit le Prytan.

Reste le Theatre et les Arenes. Tout le pourpris du Theatre estoit de figure Ovalle, de deux mille pas de tour, duquel la muraille de marbre de diverses couleurs estoit divisée en trois rencz d’arceaux admirables, en bas, au mylieu et au dessus, elevez d’une hauteur incroyable, chescun renc contenant septante deux arceaux ; entre ceux de dessus estoient drecées de tresbelles statues autant que de pilastres soustenans les arceaux. Encore dessus les rencz des arceaux y avoit un autre renc de septantedeux fenestres fort amples et donnants lumiere aux salles d’alentour le Theatre, par lesquelles on povoit regarder dedans et dehors le Theatre, où l’on entroit par douze portes en la place, où depuys le plan, en montant, estoient elevez pour sieges quarentecinq degrez de pierre, desquelz le plus hault avoit en estendue de circuit mille nonante huyct piedz, et le vingetuniesme après en descendant, qui estoit le degré du mylieu, avoit en son tour sept cens vingtsix piedz de contour. A quoy on peut ratiociner combien contenoient les autres quarante trois degrez, esquelz povoient estre assis aux spectacles vingtcinq mille personnes à leur aise, ayans chescun un pied et demi d’espace, sans y comprendre la largeur des douze portes. Aux piedz d’iceux degrez, estoit l’Orchestre, où estoient les sieges des Seigneurs, et au devant un peu plus bas, estoient les fornices, les scenes et la plate forme du Proscene, où se agissoient toutes manieres de jeux et passe-temps, que pour le solas du peuple exhiboient et faisoient representer bien souvent les plus riches et opulens citoyens, pour acquerir la grace populaire. En ce mesme pourpris, tout en devant et au regard du Theatre et de ses appartenances, estoit une grande, longue, large et spacieuse place, vuyde et descouverte, que l’on appelloit les Arenes, pource que tout le par-terre estoit sablonné d’arene, affin d’asseurer les piedz des bestes et personnes qui là faisoient chasse, ou combatoient à tous jeux de pris et d’exercice de corps : de lucte, de course, de sault, de ject, de batterie, à bourres, bastons ou espées trenchantes, à corps nuz ou armez ; et à chasses et combatz de toutes bestes fortes et cruelles. Au bout de laquelle place, estoit le sepulchre de l’ancien Archier Calliste au devant la bouche d’une cloaque, où repairoit le grand serpent contre lequel Alector devoit combatre ce jour là. Tel estoit le Theatre et les Arenes d’Orbe. Et de telle magnificence estoient ces quatre nobles edifices, aux quatre frontz du quarrefour, assemblans les quatre grandes rues au plus hault de la cité, où estoit le tresauguste temple de JOVA, l’exuberante fontaine et le beau et sainct logis de l’Archier et de ses ministres, et la maison de Vaniah, qu’est à dire nourrissement du Seigneur. Car là estoient nourriz les povres, vieux, malades, estorpiez, impotens, caduques, valetudinaires, povres veufves et orphelins, des biens offers à Dieu en son temple.

Encore outre cela, il y avoit assez d’autres places publiques, comme les Portiques et le Xiste à se pourmener, tant en temps de pluye que en temps serein. Les quatre Marchez de vivres, à savoir de bledz, de vins, de chairs et de poissons, et le cinquiesme de tous fruyctz, oeufz et laictages. Encore d’advantage y avoit un grand et spacieux Portique plain de sieges et pulpites, entremeslez de pourmenoirs et Galleries, et un hault Suggest de pierre solide entaillée, qui estoit le lieu où l’on lisoit et disputoit de tous ars et sciences, avec pris honorables proposez du public. Outre tout cela, aux quatre portes estoient quatre beaux ports de la riviere Clotterre qui environnoit toute la ville, auxquelz ports abordoient ordinairement grandz bateaux chargez de toutes sortes de marchandise amenée de toutes pars, tant par la riviere que par voiture de charroy, muletz, chameaux et tout Jument. Pour lesquelles recevoir estoient autour des ports grandz magazins, et à chescune porte estoit constitué un grand Portique, où les marchans de toutes nations et langues s’assembloient, et là y avoit Change general d’espèces d’or, d’argent et monnoies, de dictes, responses, remises, lettres de Bancque, ports et rapports, et toutes faciendes de negotiations. Velà la description de la renommée ville de Orbe, qui a esté icy mise par forme de digression, après laquelle extravagance ce fault retourner à notre propos, qui estoit du combat d’Alector contre le serpent des Arenes.