Allie/09

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L’action paroissiale (p. 49-52).
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VII


Tout était tranquille aux abords du temple. Je pénétrai à l’intérieur, au dernier son de la cloche. La nef était vide. Dans le bas-côté de gauche, j’aperçus la mince silhouette d’Allie, qui avait l’air plongée dans une méditation profonde. La porte du confessionnal de droite s’ouvrit au même instant et je vis apparaître le profil bedonnant de M. Latour qui en sortait. Il sembla un peu interloqué de ma présence. Je détournai mon regard pour ne pas le mettre à la gêne, mais surtout pour observer Allie, qui semblait figée dans son attitude méditative. Une paroissienne, un villégiateur et un étranger constituaient donc toute l’assistance à la messe matinale du vicaire de la paroisse. Cette absence de fidèles n’était pas du nouveau pour moi. C’était la même chose lorsque je servais la messe à Port-Joli. Dieu au tabernacle, le prêtre à l’autel, le servant de messe, deux, trois, rarement quatre ou cinq fidèles, voilà tous les personnages qui composaient l’assistance à cet office quotidien. Quelle différence avec les messes du dimanche, où l’affluence refoulait les assistants jusque dans l’abside ! Il est vrai que, si le Dieu du tabernacle de tous les jours était parfois négligé, celui du dimanche avait conservé ses droits et que la profanation de son jour n’entrait pas encore dans la linguistique canadienne. Quel contraste avec cette activité de mauvais aloi qui faisait cracher les cheminées d’usines, le jour du Seigneur, en cette année 1920 !

Kyrie eleison…, Oremus…, Sequentia sancti Evangelii…, Credo…, Vere dignum et justum est…, Sanctus…, Pater…, Ite missa est. Quelque vingt-cinq minutes, et la messe était finie. Elle m’avait paru encore plus courte que cela, absorbé que j’étais par les nombreux souvenirs qui obsédaient ma mémoire.

Je sortis furtivement de l’église, pour n’être pas aperçu d’Allie, et je retournai à l’hôtellerie. Tout n’y était qu’animation. Un babillage indescriptible remplissait la rotonde de la Bastille.

— Dépêchons-nous de déjeuner, dit la jeune fille à la cigarette que j’avais vue la veille. Il ne faut pas manquer ça : un mariage d’habitants, ma chère !

— Tu peux être sûre que je ne manquerai pas une aubaine pareille ! répondit l’admiratrice de Maurice Chevalier.

— Nous serons de la partie ! interrompit la dame au caniche. Venez-vous, Madame Latour ?

— Vous comprenez, hein ! Je ne manquerai pas ça !

— À quelle heure ce mariage ? dit précieusement Mme Lachance, la belle poupée du petit vieux.

— À neuf heures, répondit une voix de jeune fille, du fond de la rotonde.

— Serez-vous de la partie ? me demanda M. Latour.

— Ma foi ! oui, lui répondis-je. Il y a si longtemps que je n’ai pas vu une belle noce canadienne.

— Ça va être amusant !

— Tant que ça ? vous croyez ?

— Ah ! vous pouvez en être sûr. Imaginez-vous ! … De bons habitants pure laine !

— Dites donc, Monsieur Latour, à combien de générations remonte votre ascendance terrienne ?

— Mon grand-père était habitant.

— Alors, votre père était fils d’habitant ?

— Tout naturellement !

— Alors ?…

— Quoi ?

— Votre père a dû se marier en habitant ?

— Oui, oui !… sans aucun doute !…

— Entre nous, Monsieur Latour, ils sont rares les Canadiens dont les grands-pères n’ont pas porté de culottes d’étoffe du pays !

— Les vôtres en ont porté ?

— Comme les vôtres, mon ami. Alors, ne rions pas de nos ancêtres. Ils pouvaient être plus pauvres, plus simples, plus naïfs que nous, même, mais ils nous valaient bien, allez !

— Vous avez raison ! Si d’aucuns perdent la raison, vous ne l’avez pas perdue, vous !

— Vous la recouvrez ! Monsieur Latour.

— Je vous remercie. Savez-vous que les femmes nous font parfois paraître ridicules ? Certaines femmes, pas toutes.

— Je vais me méfier de la mienne.