Allie/43

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L’action paroissiale (p. 266-269).
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XLI


La vieille horloge, qu’Allie avait tenu à transporter au manoir, sonna onze heures. À travers la rafale, venant de l’est, nous pouvions entendre sonner le premier coup de la messe de minuit. Le cocher nous attendait à la porte, et les deux petits chevaux canadiens, impatients de partir, piaffaient sur le parquet de ciment de la cour.

Le vent de l’est nous cinglait la figure, pendant que de gros flocons de neige nous collaient au visage. Nous étions bien au chaud, cependant, dans cette carriole que j’avais fait confectionner par le charron du village, qui s’y connaissait en fait de traîneaux.

Les petits chevaux canadiens dévoraient la route, pendant que le son argentin des cloches du harnais s’unissait aux exclamations joyeuses des jeunes. Allie et moi nous nous contentions d’admirer silencieusement une demi-lune qui, de temps en temps, émergeait d’un nuage, se mirait dans les eaux grises du fleuve et semblait multiplier ses reflets dans les vagues successives agitées par le vent.

Nombreux étaient les paroissiens, à la porte de l’église, quand nous descendîmes de voiture. J’entendais chuchoter : « C’est le seigneur ! » Déjà, les habitants, anciens censitaires ou fils de censitaires, me qualifiaient du titre de seigneur. Comme j’habitais le fief seigneurial d’autrefois, ils croyaient tout naturel de m’appeler ainsi. M’objecter eût été inutile ! Je les laissai faire.

La messe de minuit revêtit toute la poésie qui caractérise toujours cette solennité à la campagne. La fournaise, placée au centre de l’église, avec son tuyau appuyé sur un support cintré, en fer forgé, qui s’étirait droit comme une flèche vers le ciel, répandait une douce chaleur dans la nef. Des lampes à pétrole jetaient une demi-clarté sur la foule pieuse assemblée pour commémorer la naissance du Sauveur.

La messe de l’aurore fut suivie avec la même attention pieuse, au son des chants de Noël, toujours les mêmes, mais toujours nouveaux : Çà, bergers, assemblons-nous, Il est né le divin Enfant, Nouvelle agréable, etc., etc.

C’était bien encore la messe de minuit de mon enfance, lorsque, sous le surplis fraîchement plié par ma bonne mère, je servais, avec une piété mêlée d’un certain orgueil, la messe traditionnelle. Cécile, pour qui tout était nouveau et qui, d’habitude, partageait si bien mes sentiments intimes, goûtait avec moi cette sublime simplicité, rappelant l’événement le plus glorieux de l’histoire : Dieu se faisant enfant pour racheter le monde !

Nous visitâmes la crèche de l’Enfant-Dieu, en attendant que le curé, qui avait bien voulu accepter de venir réveillonner avec nous et bénir le manoir, finisse son action de grâces. Il avait consenti à nous honorer de sa présence, à la condition que nous ne fassions pas de « cérémonies ». C’est pourquoi ce fut un vrai réveillon canadien « sans cérémonie », que nous prîmes cette nuit-là, dans le manoir ressuscité des seigneurs de Gaspé.