Allumez vos lampes, s’il vous plaît !!!/22

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Texte établi par Association de La Salle, Éditeurs Dussault & Proulx (p. 64-66).

RÉPONSE À MONSIEUR LE CHANOINE DAVID GOSSELIN,
par G. Vugh, (Le Soleil, 7 décembre 1920.)


Est-il honnête de représenter comme des anglicisateurs ceux qui veulent un peu d’anglais pour nos enfants ? — Faut-il attendre que l’enfant sache bien sa langue maternelle avant d’aborder avec lui l’étude de l’anglais ? — Qui sont ces pharmaciens de l’enseignement ?

Le Soleil, 7 décembre 1920


Monsieur le directeur,

Dans l’Action Catholique de mardi dernier monsieur le chanoine David Gosselin a publié un article sur le programme de l’école primaire. J’ai beaucoup de respect pour le chanoine, mais j’en ai encore plus pour la vérité : il est regrettable qu’il faille contredire l’un pour honorer l’autre.

Je passe sous silence son long exposé de la méthode des femmes chrétiennes pour l’enseignement de leur langue à leurs poupons, puisque monsieur le chanoine avoue lui-même qu’il enfonce une porte ouverte, et j’en viens à la conclusion qu’il en tire, « En résumé dit-il faire marcher de pair — pendant la première enfance — l’enseignement de deux langues, c’est courir deux lièvres à la fois avec les chances de succès prédites par le bonhomme LaFontaine. » En laissant entendre que c’est là ce qui se pratique dans les écoles primaires, monsieur le chanoine fait un accroc à la vérité. On l’a dit plusieurs fois déjà — mais répétons-le, puisque aux mêmes faussetés il faut opposer les mêmes dénégations — il ne s’agit nullement de mener de pair l’enseignement des deux langues. Quand un enfant arrive en deuxième année, ce qui n’a pas lieu avant l’âge de sept à huit ans, il parle déjà sa langue maternelle depuis quatre, cinq et même six ans, ce qui constitue une avance considérable sur l’autre ; de plus, il n’est pas question en deuxième année — pas plus que dans les autres années du cours, d’ailleurs — de donner à l’anglais autant d’importance qu’au français. Ceux qui font semblant de croire et qui disent que tel est l’état de chose actuel, ou celui que l’on veut introduire, font preuve de peu d’intelligence ou de beaucoup de mauvaise foi. Une demi-heure d’anglais et cinq heures et demie de français, ce n’est pas là une parité. Car, remarquons-le bien, dans toutes nos écoles de la province — sauf de très rares exceptions, et cela dans les classes les plus avancées seulement il n’y a que l’anglais qui s’enseigne en anglais ; l’anglais n’est donc pas la langue de l’enseignement, et il n’est nullement question de détrôner Sa Majesté la Langue Française au profit de l’« English Speaking. » comme on le laisse entendre plus ou moins clairement dans tous les articles parus pour la défense des nouvelles théories. Ce n’est pas agir honnêtement que de représenter comme des anglicisateurs à haute pression, ceux qui veulent pour nos enfants une toute petite dose d’anglais.

D’après monsieur le chanoine Gosselin, le premier stage à l’école primaire est essentiellement le prolongement de la famille : donc, pas d’anglais, conclut-il. Quelle est la longueur de ce premier stage qui est essentiellement le prolongement de la famille ? Est-ce le premier jour ? les six premiers mois ? la première, les deux premières ou les dix premières années ? C’est laissé au jugement d’un chacun. Le deuxième stage de l’école primaire n’est-il pas essentiellement la continuation du premier, et partant de la famille ? N’a-t-on pas droit de conclure aussi logiquement : pas d’anglais au deuxième stage ? Jusqu’où faudra-t-il aller pour trouver une solution de continuité qui nous permette d’introduire l’anglais sans risquer la déformation de l’enfant ? La réponse est déjà donnée : il faut attendre que l’enfant sache bien sa langue maternelle. Réponse facile à donner quand on est confortablement assis dans un fauteuil de chapelinat peu onéreux et grassement rémunéré, ou quand le côté matériel n’offre plus de préoccupations. Quant à ceux qui sont engagés dans la lutte pour la vie, et qui doivent vivre de leurs propres sueurs, ils raisonnent autrement, et pour ceux-là, la réponse n’est pas aussi simpliste. Ils n’ignorent pas qu’il faut des principes, du patriotisme ; mais ils savent aussi qu’ils ont besoin de beurre sur leur pain et d’une bûche dans leur âtre. Il est plus facile de rire dédaigneusement des gens « pratiques », « troupeau maigre fasciné par une maigre pâture, » que de montrer sa propre supériorité ; plus facile de parler de l’étroitesse d’esprit de ses contradicteurs, que de prouver, par autre chose que par un cynisme révoltant, l’ampleur de ses propres idées.

« Dorénavant, nous dit monsieur le chanoine, il faut, comme le réclament les prêtres éducateurs, que l’enseignement du français et de la religion ait la place d’honneur dans nos écoles primaires. » Mais, monsieur le chanoine, vous devriez répéter ici ce que vous disiez au commencement : à savoir, que vous enfoncez une porte ouverte, car elle est toute grande ouverte, la porte. Le français a toujours été la langue principale, dans bien des cas la langue unique, et il s’enseigne plus de religion dans nos écoles primaires pendant une semaine qu’au séminaire pendant un mois : quatre heures par semaine, si j’ai bonne mémoire.

Vous pouvez, monsieur le chanoine, endosser les articles de Mgr Ross tant que vous voudrez ; le sentiment populaire, qui s’égare rarement, dites-vous, ne les endosse pas : à preuve, c’est qu’aucune commission scolaire n’a passé de résolution semblable à celle que vous avez rédigée vous-même, probablement, du premier mot au dernier, et que vos trop complaisants commissaires de Charlesbourg ont bénévolement signée, heureux qu’ils étaient de vous faire ce dernier plaisir.

Quant à vos pharmaciens de l’enseignement, monsieur le chanoine, on ne sait trop qui ils sont. Seraient-ce ceux qui font de l’enseignement l’œuvre de leur vie, ou Paul-Henri, ou J.-E. Prince, ou Olivar Asselin, ou vous-même, monsieur le chanoine, ou les autres qui ne s’occupent de l’enseignement primaire que pour le critiquer ? En tous les cas, si nos religieux éducateurs et nos professeurs laïques ne peuvent se prévaloir ni du titre de Monseigneur, ni de celui plus modeste, de Chanoine, ils ont au moins acquis un titre à notre admiration et à notre reconnaissance : c’est celui d’une vie toute de labeur caché et, on le voit, souvent méconnu ; d’une vie qui se penche vers le petit, l’humble et le pauvre ; d’une vie remplie, non de patriotiques expulsions, mais de patriotiques actions.

G. Vugh.