Almanach olympique pour 1918/05

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Imprimeries Réunies. S. A. (p. 9-14).


L’histoire se répète…



Il est évident, — et on l’a souvent répété depuis deux ans, — que l’Angleterre doit à son magnifique soubassement d’entraînement sportif, la facilité avec laquelle elle a improvisé de redoutables armées. Ce serait oiseux d’y revenir mais ce qui est opportun, parce que grandement instructif, c’est de rappeler les précédents historiques et surtout le plus illustre, le plus remarquable de tous, celui de l’improvisation athénienne en face du péril asiatique.

Un demi-siècle durant, de l’an 500 à l’an 449 avant Jésus-Christ, l’ambition du « grand roi », comme on nommait alors le chef de l’empire perse, menaça l’Hellénisme. Cette ambition était faite d’orgueil dynastique et de convoitises ploutocrates mélangés. À l’est, au sud, au nord, les terres désirables avaient été soumises ; il n’y avait au delà que des déserts, des montagnes rébarbatives ou des flots mystérieux ; du côté de l’ouest, au contraire, le monde grec, tout voisin, s’offrait avec son opulence, ses raffinements, ses attraits multiples. Et combien cette proie s’annonçait aisée à saisir. Le parti de la guerre, à la cour de Darius, parlait de plus en plus haut et poussait ce prince à cueillir sans retard de si fructueux lauriers. Entre les cités grecs, les rivalités s’étaient exaspérées. Partout la division ; aristocrates et démocrates se disputaient le pouvoir. Les richesses, trop grandes, la vie trop douce avaient détendu le ressort de l’énergie nationale. Et quand, après de préliminaires escarmouches, l’ultimatum fut apporté par des ambassades comminatoires, il se trouva plus d’un parmi les gouvernants hellènes pour conseiller la soumission en insistant sur l’inanité de la résistance. Plusieurs cités décidèrent de se plier aux exigences d’un voisin si puissant. Athènes, — et Sparte avec elle, — placèrent le souci de l’honneur au dessus de l’amour de la paix. Athènes barra la route aux troupes qu’une flotte de 600 navires ennemis venait de jeter sur son territoire. Et grâce à Miltiade, général prudent autant que valeureux et sachant mettre le calcul au service de l’héroïsme, la plaine de Marathon vit s’effondrer ce premier effort des Perses pour établir une hégémonie occidentale. Leur puissance, récente et fruste, eût accablé l’hellénisme sous l’action de la force. Athènes venait de sauver la civilisation.

Mais dix années ne s’étaient pas écoulées que Xerxès reprenait, sur une plus vaste échelle, l’entreprise de son père Darius. Cette fois, les contingents levés par le « grand roi » atteignirent, dit-on, plus de deux millions d’hommes. « Tous les ports d’Asie, de Phénicie et d’Égypte furent mis à contribution pour fournir une flotte de 1200 navires et de 3000 transports. » Xerxès, d’ailleurs, ne manqua pas de recourir à la corruption, cherchant à provoquer, à prix d’argent, des trahisons dans les rangs de ses adversaires.

Sur les conseils d’un « intellectuel », l’orateur Thémistocle, les Athéniens s’étaient consacrés à improviser une marine comme ils avaient improvisé une armée. Ce fut cette marine qui, tandis que Léonidas se faisait bravement mais inutilement tuer avec sa poignée de soldats spartiates au défilé des Thermopyles, livra bataille aux Perses à Salamine en face d’Athènes que ceux-ci avaient prise et incendiaient. Thémistocle, amiral inattendu, remporta, grâce à la supériorité de sa tactique et à la discipline volontaire de ses équipages, un triomphe éclatant. La victoire de l’armée de terre à Platées acheva la déroute des assaillants.

Restait à chasser ceux-ci de la Thrace, des îles de la mer d’Égée et des côtes grecques de l’Asie mineure. Une confédération des cités grecques, dirigées par Athènes, y pourvut. Elle eut son siège à Délos, au temple célèbre d’Apollon, comme pour mieux marquer que ce n’était point un impérialisme de race ou d’État, mais bien une forme de culture, une civilisation tout entière dont les représentants se liguaient pour la défense de la liberté et du droit. Cimon, fils de Miltiade, conduisit cette troisième et dernière période de la formidable lutte d’où Athènes allait émerger pour briller, sous Périclès, au premier rang de la gloire et de la fortune : résultats dont l’hellénisme devait profiter mais que devaient ensuite rapidement compromettre les divisions et querelles intestines survenues entre les alliés de Délos.

Telle est, résumée en quelques mots, cette histoire trop oubliée et dont l’Europe actuelle a intérêt à se remémorer les péripéties et à méditer les enseignements.

Du point de vue auquel nous nous plaçons, un de ces enseignements s’impose surtout. Le secret des improvisations magnifiques qui sauvèrent la culture grecques menacée par la demi-culture perse, c’est le sport. L’athlétisme athénien fut la cuirasse invincible dont se revêtit le patriotisme et sans laquelle son effort fut demeuré impuissant. Si, bien des siècles plus tard, un général anglais faisant allusion à la victoire des troupes britanniques à Waterloo, put déclarer que cette victoire avait été préparée sur les champs de cricket du collège d’Eton, il est bien plus exact encore de dire que la gloire de Marathon et de Salamine se forgea dans les enceintes du gymnase grec.