Almanach olympique pour 1920/04

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Imprimeries Réunies. S. A. (p. 13-18).

L’avenir de l’agriculture.

Parmi les conférences organisées l’an passé à l’Institut olympique de Lausanne sous le titre général : Les bases de l’État moderne, celle de M. le conseiller d’État Chuard a surtout fait impression. L’éminent conférencier, chef du département de l’Agriculture, a exposé combien les « possibilités » agricoles étaient loin d’être atteintes. « La production du globe, a-t-il dit, si tous les terrains cultivables étaient mis en valeur simplement comme ils le sont aujourd’hui dans les pays civilisés, suffirait largement à entretenir une population au moins décuple de celle que l’on compte actuellement ». Or la mise en valeur des « pays civilisés » est en ce moment très loin encore de ce qu’elle pourrait fournir grâce à la triple influence d’une bonne sélection des semences, d’un judicieux emploi des engrais chimiques et d’un travail soigné du sol.

La surface totale du sol terrestre émergé est estimée à 147 millions de kilomètres carrés, dont 16 millions doivent être éliminés comme inhabitables ou stériles. Restent 130 millions de kilomètres carrés sur lesquels vivent un peu moins de 1500 millions d’habitants, soit environ 11 habitants par kilomètre carré, densité extrêmement faible. Si pour le blé, par exemple, « nous appliquons le chiffre pratiquement très réalisable de 20 quintaux à l’hectare à l’ensemble des emblavures du globe, environ 108 millions d’hectares, nous obtenons une récolte de 2 milliards 160 millions de quintaux ou 216 millions de tonnes. Or d’après les données statistiques, cette production (avant guerre) ne dépassait pas 1100 millions de quintaux, 110 millions de tonnes et n’atteignait pas par conséquent 10 quintaux à l’hectare. Le progrès agricole peut donc aisément, par sa seule diffusion, doubler la quantité de blé récolté sur la surface actuellement emblavée de la terre, cette surface étant d’ailleurs susceptible elle-même d’une considérable extension.

Il faut noter que sur les 1100 millions de quintaux de récolte globale terrienne, on doit réserver à raison de deux quintaux environ par hectare, les semences nécessaires à la récolte suivante, soit plus de 200 millions, ce qui n’en laisse que 900 millions pour la consommation. Si nous doublons la production à l’unité de surface, la quantité de semence reste la même et nous livrons à la consommation le total de l’augmentation de la production. La population humaine, au lieu de 900 millions de quintaux, ce qui est la misère, dispose de 2 milliards de quintaux, ce qui est à peu près suffisant. »

Dans son livre intitulé Le gaspillage dans les sociétés modernes, Novikof estimait qu’en prenant l’ensemble de l’espèce humaine, on ne comptait guère qu’un individu sur 10 ayant une nourriture suffisante et un sur 300 disposant d’un logement et d’un mobilier convenables. Cet état de choses, qui fera sans doute l’étonnement indigné des générations futures, doit cesser. Et ce sera la plus heureuse conséquence de la guerre d’en avoir facilité et hâté la disparition. Mais une telle disparition ne sera durable que si elle s’accompagne d’une réelle augmentation de la production. La complexité et la rapidité des moyens de transport modernes assureront aisément la circulation et la distribution de ces richesses du jour où elles existeront. Pour les créer, il faut avant tout compter sur l’agriculture et il est plaisant de constater quelles vastes perspectives l’agriculture a devant elle. À vrai dire le progrès agricole s’opère dans des conditions bien différentes du progrès industriel. L’invention n’y joue guère qu’un rôle effacé, tandis que l’expérimentation y domine avec toute la lenteur que comportent ses procédés. Mais pour être moins vite obtenu et en proportions plus faibles, le succès n’en est que plus solide, plus acquis, plus véritablement fructueux. On voudrait voir cette conviction se répandre et une harmonie féconde s’établir entre le travailleur de l’usine et le travailleur des champs.

Y a-t-il un lien naturel entre agriculteurs et sportifs ?… C’est un point de vue que M. Chuard n’a pas traité. Et sans doute cela sortait de son sujet. Mais poser la question n’est pas inutile. Entre les uns et les autres existe tout le moins le goût commun du plein air ; ce devrait être le principe d’un « cousinage » reconnu.