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Amélia et Caroline, ou L’amour et l’amitié/15 (bis)

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LÉOPOLD COLLIN, Libraire (4p. 190-226).

CHAPITRE XV.



Caroline s’éveilla ; elle sentait bien qu’elle avait dormi long-temps ; cependant les rayons du jour ne frappèrent point ses yeux ; elle se retourna pour chercher encore le sommeil. En effet, elle s’assoupit ; mais des songes effrayants se présentent à son imagination. Elle se sent mal à son aise, un air froid et humide la pénètre encore à moitié endormie ; elle touche son lit, et sent de la paille autour d’elle, au lieu du lit de duvet sur lequel elle s’était couchée. L’effroi s’empare de ses sens, elle s’éveille tout à fait, elle étend ses bras, elle touche la terre, une terre presque imbibée d’une eau fétide. Elle est couverte d’une espèce de linceul, étoffe de laine grossière qu’elle distingue seulement au tact, car elle est plongée dans l’obscurité la plus effrayante. Elle se lève, fait quelques pas, et comprend qu’elle et sir Charles sont tombés dans un piège horrible, et qu’elle est destinée à périr dans un cachot, sans que nulle puissance humaine puisse la secourir. D’abord une sorte de stupeur s’empare de ses esprits ; elle s’assied sur ce lit misérable, croise ses bras, et demeure immobile. Mais le sentiment d’une douleur aiguë la ranime, et, dans son désespoir, elle verse un torrent de larmes, et fait retentir sa prison du bruit de ses sanglots. Un long espace de temps s’était écoulé, lorsque la porte s’ouvre, et la perfide Adelina se présente, un flambeau à la main. Le temps de la dissimulation était passé. Ses regards avaient repris toute leur férocité ; un sourire perfide accompagne ceux qu’elle jète sur sa victime : À la fin, je vous tiens, dit-elle, et vous ne m’échapperez plus. Jeune insensée, vous avez cru qu’on désarmait ainsi mon courroux ! Vous avez cru que j’oubliais aussi facilement les offenses, et que j’étais assez simple pour combler mes ennemis de bienfaits ! C’est ici votre dernier séjour, vous y vivrez, vous y mourrez, la lumière du jour est éteinte pour vous ! — Et sir Charles, s’écria Caroline avec un sanglot douloureux ! — Que vous importe son destin, puisque vous ne le reverrez jamais ? — Ah ! dites-moi s’il est aussi dans un cachot. — Demeurez dans cette incertitude ; elle me plaît, elle est une jouissance pour mon cœur ulcéré. — Que vous ai-je fait, reprit encore Caroline ? de quelle offense vous plaignez-vous ? — Votre existence est un fardeau pour moi ; sans vous, j’aurais été heureuse ! Mais je le serai désormais. — Oh ! lady Amélia, si vous saviez que je venais ici chercher votre père et vous !… — Cessez d’implorer lady Amélia et milord ; ils savent tout. — Non, Madame, répondit Caroline. — Comment, non ! — L’autorité la plus sainte ne me persuaderait pas que votre époux et sa fille fussent jamais capables de pareilles horreurs ! — Vous osez me braver ! — Voyez en quel état je suis, et jugez si je puis rien braver : mais je vous dis une vérité que vous connaissez aussi bien que moi ! Milady furieuse, mais cependant interdite de ce ton de simplicité noble que la vertu seule peut conserver dans l’excès du malheur, se tourna vers la jeune fille du concierge qui la suivait, portant un panier dans lequel étaient quelques provisions. Cette fille les posa près du lit de paille. Milady, regardant Caroline, semblait jouir de sa misère : Adieu, lui dit-elle en se retirant, adieu : que l’hymen vous soit propice ! En même temps elle sortit, et Caroline demeura de nouveau dans l’obscurité. Le désespoir et le sommeil se partagèrent cette affreuse journée. L’infortunée appelait à son secours et sir Charles, et Claypole, et Amélia, et milord Falcombridge, et même son père. Elle mesurait toute l’étendue de ses maux ; pour elle, il n’y avait plus de terme que la mort ; et quelle mort, grand Dieu ! Vers le soir, elle était enfin assoupie par la fatigue et l’épuisement, quand on rentra dans sa prison. C’était la jeune fille ; elle était seule ; elle referme la porte sur elle, s’approche du lit, et voit que Caroline n’a touché à aucun des aliments qu’on lui a laissés. Elle lui en présente d’autres plus délicats ; Caroline la considère en silence : Qui êtes-vous, lui dit-elle enfin, qui semblez porter un cœur sensible ? Elle n’obtient aucune réponse. Elle repousse, mais avec douceur, ce qu’on lui présente ; la jeune fille l’encourage par gestes et par signes, et lui fait prendre d’abord un verre de vin excellent qui ranime un peu ses forces. Caroline la questionne encore ; elle porte le doigt sur sa bouche. Caroline croit qu’elle lui fait signe qu’on peut l’entendre. Elle lui parle très-bas ; l’autre lui fait enfin comprendre qu’elle est sourde et muète, non pas de naissance, mais depuis qu’elle avait la hauteur d’un enfant de six à sept ans, ce qu’elle exprima en comptant sur ses doigts. En même temps, en posant la main sur sa poitrine, elle fait entendre qu’elle a un cœur sensible, et son regard, accompagné de quelques larmes, en assure Caroline, qui l’embrasse et la caresse comme le malheureux baise la main secourable qui vient essuyer ses pleurs. Il était temps de partir ; elle fit quelques pas ; Caroline lui fit signe de lui laisser sa lampe : Oh ! non, non, sembla-t-elle dire par ses gestes, et l’effroi qui se peignait sur sa figure très-expressive. Caroline se jète à ses pieds, elle résiste en montrant à la porte, et faisant la caricature de sa maîtresse en fureur ; mais quand elle vit la prisonnière la quitter, et s’aller rejeter sur son lit avec les apparences du désespoir, elle lève les yeux au ciel, se rapproche, pose la lampe à terre, et s’enfuit, comme si elle avait craint de se repentir de cet acte d’humanité. Quelle consolation pour l’infortunée que cette faible et vacillante lumière ! Elle en profita pour visiter son horrible demeure. Le cachot, creusé dans la terre, solidement voûté, et revêtu de fortes murailles, ne laissait appercevoir ni fentes ni crevasses qui donnassent la moindre lueur d’espoir. Une ouverture en arcade, mais sans porte, donnait entrée dans un autre cabinet plus petit ; elle y vit les restes d’un lit semblable à celui qu’on avait préparé pour elle ; mais la paille était pourrie, et l’on ne voyait plus qu’un reste de couverture en lambeaux. « Grand Dieu, s’écria-t-elle, d’autres sont déjà morts ici ! Voilà donc le sort qui m’attend ! » Cette idée, malgré sa propre douleur, lui en fit éprouver une plus profonde. « Dans quelles angoisses, se disait-elle, le malheureux a dû attendre la mort ! Pauvre infortuné ! as-tu été victime encore des fureurs de milady ? Ta fin tragique date-t-elle de plus loin ? As-tu été immolé aux fureurs d’un parti ? Infortuné, tu as langui dans un déplorable abandon de tout être humain ! Et je suis destinée à un pareil sort ! Je vais mourir séparée de tout ce que j’ai de plus cher ! » En disant ces mots terribles, elle se jeta sur son lit, et tomba dans une espèce d’anéantissement auquel succéda un long sommeil.

Que faisait cependant lady Falcombridge, et qu’était devenu sir Charles ? Le lendemain à son réveil, l’âme satisfaite, il se lève avec empressement, et se hâte de chercher sa Caroline. Il est admis chez milady. Le repas du matin était déjà servi. Son rôle n’était pas fini vis-à-vis du jeune homme. Elle appèle le concierge Philips, et lui ordonne d’avertir Caroline. Cet homme revient avec quelques apparences de surprise, et annonce qu’il ne l’a pas trouvée. « Elle est sans doute au jardin, dit-elle, cherchez-la sur-le-champ. » Elle ne s’y trouva pas plus qu’ailleurs. Sir Charles imagina qu’elle était allée contempler la maison de sa mère, et demanda la permission d’aller lui-même la chercher. On la lui accorda, en observant cependant que c’était avoir beaucoup d’indulgence, et que les règles de la décence devraient s’y opposer. Charles partit, mais il revint fort abattu, l’esprit préoccupé, livré à un effroi involontaire, et, malgré celui dont milady parut saisie, il ne put s’empêcher de concevoir une secrète inquiétude. Il lui paraissait difficile de croire que Caroline fût sortie du château sans en prévenir la personne qui lui accordait sa protection, sans attendre qu’elle fût même éveillée, sans prévoir les alarmes qu’elle pouvait lui causer à lui-même. Milady s’agita beaucoup, envoya le concierge, sa femme, la petite fille elle-même, et semblait chercher dans son esprit tout ce que l’absence de Caroline pouvait avoir de fâcheux et de sinistre. Mais quand le soupçon est une fois entré dans un esprit éclairé, il est difficile qu’on échappe à l’observation. Elle avait bien joué son rôle tant qu’elle avait pu fasciner les yeux d’un jeune homme, franc, généreux, ivre d’amour et d’espoir ; mais le bandeau se leva tout à coup ; et Charles, qui ne pouvait douter de Caroline, devait nécessairement douter de son ennemie. Il ne trouva point son inquiétude assez réelle ; dans sa position vis-à-vis de lui, la fuite ou l’enlèvement de Caroline devaient la mettre au désespoir. Elle pleura, mais ses pleurs parurent étudiés ; elle finît par se plaindre de l’ingratitude de sa victime ; et cette attaque fut trop maladroite pour ne pas exaspérer l’esprit déjà troublé de Charles. « Rendez-moi Caroline, Madame, s’écria-t-il tout à coup, l’œil enflammé, la voix altérée ? le geste menaçant ! Vous seule nous avez séparés !

Milady feignit et peut-être éprouva réellement un courroux ardent ; elle prononça le mot d’outrage, et d’un ton impérieux, elle ordonna au jeune imprudent de se retirer dans son appartement, d’y calmer sa fureur insensée, et d’y attendre qu’elle allât essayer sur lui, par un reste de bonté, le langage de la raison. Charles furieux se hâta de sortir de l’appartement, de monter à la chambre qu’il avait occupée, dans le dessein d’y prendre ses armes, de quiter à l’instant le château, et de voler par tout où il pourrait trouver des protecteurs à Caroline. Mais sa marche, quoique rapide, l’était moins que celle d’Adélina, qui le suivait légèrement dans l’escalier. À peine entrée, elle referme derrière lui une porte épaisse, garnie d’une forte serrure.

Il n’avait pas remarqué que les fenêtres étaient garnies de barreaux de fer croisés. Qu’on juge de sa fureur, lors qu’il se vit prisonnier dans le lieu où son imprudente crédulité l’avait conduit ! Caroline était perdue, et c’était lui qui l’avait entraînée, qui avait opposé à ses pressentiments l’ascendant qu’il avait sur elle. Il passa plusieurs heures dans un état approchant de la frénésie. On avait eu la précaution d’ôter les malheureuses armes qu’il était allé chercher ; mais on l’entendait pousser des cris de rage, et Milady n’osa se présenter à sa vue.

Elle fut réellement effrayée, quand Philips vint lui dire que le prisonnier était dans un état de désordre et de délire qui faisait craindre pour sa vie. Que faire ? Quelle résolution prendre, quels secours employer ? Appeler un médecin ! L’esprit égaré du jeune homme s’exhalait contr’elle en imprécations, l’accusait d’un crime, appelait Caroline à grands cris, et ne parlait que de poignards, de meurtre, et d’infernale jalousie.

Cependant comme les fictions ne coûtaient rien à cette femme perfide, elle fit appeler un homme assez habile qui demeurait dans le voisinage, et lui dit qu’elle avait chez elle un de ses parents à qui sa famille avait jugé convenable d’enlever une fille d’une basse extraction, qui à force d’artifice, l’avait séduit au point de vouloir lui donner sa main et son nom ; que son aveuglement était tel qu’il était tombé malade, après cette violente épreuve et qu’il paraissait avoir une fièvre si ardente, que craignant même des excès de folie, elle s’était vue contrainte à s’assurer de lui, et à le tenir enfermé dans une des tours ; qu’elle le priait de le voir, et d’employer toutes les ressources de son art pour le sauver.

Le médecin vit l’infortuné jeune homme ; il l’entendit, il l’examina, et déclara qu’il y avait bien peu d’espoir. Milady se voyait arracher une partie du fruit qu’elle attendait de son crime. Les passions se flattent toujours, et les passions illégitimes plus que les autres : elle espérait en imposer encore à la crédulité du jeune homme, lui faire considérer sa détention comme un excès de précaution contre son désespoir, le flatter d’abord, lui inspirer adroitement des soupçons sur la conduite de Caroline, les fortifier par de faux rapports ; avec le temps lui apprendre sa mort ; et le guérissant de son amour par quelques moyens que ce pût-être, de lui offrir des consolations toutes sentimentales. L’insensée se flattait à son âge d’usurper dans son cœur, la place qu’avait occupée Caroline parée des grâces de la jeunesse, embellies par le charme des vertus.

Ces folles illusions s’évanouissaient maintenant devant un danger actuel. Elle pouvait le calculer d’après l’état où un acte de violence venait de réduire l’infortuné ; sa vie était visiblement exposée, et Charles n’était pas assez inconnu pour qu’on ne lui demandât pas compte de sa résidence au château, résidence qui serait attestée par Maclean, Molly, Philips et surtout le Docteur. L’histoire qu’elle avait faite à celui-ci, pouvait être démentie par le malade lui-même. Dans son délire, des propos quoique mal en ordre, pouvaient facilement porter la lumière dans l’esprit d’un homme dont l’état est d’examiner et de recueillir tout ce qui peut le diriger.

Elle était glacée d’effroi, mais elle était audacieuse ; elle était arrivée au point où l’on ne s’arrête plus, où un crime entraîne un autre crime, où il faut immoler des victimes, ou l’être soi-même. Le sort de Caroline était en ses mains, et il fallait qu’elle fût sacrifiée.

Que faisaient cependant les amis de cette malheureuse fille ? Comment Milady avait-elle consommé sa vengeance ? Lorsqu’elle la vit confiée par le Protecteur aux soins de Lady Ireton, elle comprit qu’il n’avait pas tout à fait abandonné ses projets ; ou bien que forcé peut-être à y renoncer par respect pour sa réputation extérieure, il pouvait bien lui assurer un sort auprès de sa fille, dont le mari venait de périr en Irlande, et qui seule et dans sa retraite, accepterait volontiers une telle compagne. Déterminée à tout pour arracher à cette jeune fille une semblable protection, mais obligée à garder quelque mesure, n’ayant plus à ses ordres Will et Madely qu’elle avait toujours si bien employés, elle jeta les yeux sur un jeune enseigne, dont la sœur avait brigué la singulière faveur d’être secrètement la maîtresse du Protecteur. Ce fut ce jeune étourdi qui se chargea volontiers du soin d’éloigner Caroline, sut la tirer des mains de Lady Ireton, et ameuta la populace à l’aide de l’or et des liqueurs fortes.

Caroline fut enlevée, et remise entre les mains de Maclean et de Molly, conduite par le jeune homme et un de ses camarades ; mais Lewis, ami de Barclay, protégé comme lui par sir Henry (On se rappèle que c’était à lui qu’il avait confié Caroline, après l’incendie d’Héáles et l’on saura bientôt qu’il avait un titre de plus à sa confiance.) Lewis se trouva dans la foule amassée à la porte de l’hôtel d’Ireton ; quelques-uns de ceux qui occasionnaient le tumulte, questionnés par lui, et trop peu de sang froid pour garder la portion du secret qu’il avait fallu leur confier, parlèrent assez pour éclairer Lewis, qui se hâta d’aller prendre les ordres de Sir Henry. Celui-ci le chargea de suivre Caroline ; et d’après ce qu’il avait entendu, de veiller surtout à ce qu’au moins elle fit conduite chez Maclean. Lewis ne s’abusa point sur la route qu’il fallait suivre, et ce fut vers la mer qu’il dirigea sa course.

Comme Henry supposait que Maclean était bien payé, il fallait opposer l’or à l’or, les promesses aux promesses, et maîtriser l’avarice d’un malheureux sans principes et sans remords.

Lewis atteignit les ravisseurs, et sut la tirer d’un péril dont elle ne se doutait pas ; car son père avait reçu l’ordre de la conduire à un château ruiné que possédait le lord Falcombridge, dans les Orcades, et qui était à peine compté dans les vastes possessions qui devaient être l’héritage d’Amélia du chef de sa mère.

C’était tout ce que pouvait se permettre Sir Henry dans la position où il se trouvait, et dans le moment où sa mère était mourante. Il ne fallait que forcer Maclean à la conduire dans son habitation qui du moins était connue, et où sous l’appât des récompenses, et la crainte des châtiments, il fût contraint de la garder, sans oser rien entreprendre contr’elle. Crumwell lui avait ordonné de veiller sur son sort ; Henry savait bien que milord Falcombridge n’autorisait pas d’actes de violence sur une femme dont il estimait les vertus ; aussi n’hésita-t-il point à lui confier ses démarches ; et Milord, naturellement généreux lui mit entre les mains de quoi s’assurer de Maclean, remettant à un autre temps à la tirer de sa misérable chaumière.

Mais comme Henry ne savait pas si Milady ne parviendrait point à le faire changer d’avis ; s’il oserait ensuite se déclarer ouvertement le protecteur de la fille de Maclean, sans en avoir la permission de Crumwell, et si Crumwell la donnerait ; il recommanda fortement à Lewis de n’avoir avec elle nul entretien particulier, de ne lui nommer personne, et enfin d’éviter également de la flatter d’un espoir trompeur, ou de la désoler par la cruelle perspective d’un total abandon. « Il vaut mieux, dit-il, l’abandonner à son imagination. Elle est ingénieuse à nous abuser par d’aimables fictions, et se voyant tirée d’un grand péril par une main inconnue, elle croira facilement, que cette main saura en écarter d’autres. »

Lady Adélina apprit ce qui s’était passé sur le bord de la mer ; elle frémit de rage lorsqu’on lui dit que l’argent et la peur avaient changé les dispositions de Maclean, que cet homme, dont le cœur aride n’était susceptible d’aucun sentiment, avait aussi éprouvé une forte sensation de pitié, lorsqu’il avait vu sa victime s’élancer au devant de la mort pour l’en garantir ; et qu’il avait promis de la protéger. Sir Henry ne manqua pas d’informer Milord de ce qu’il avait fait.

Celui-ci applaudit au zèle de Lewis, le félicita du succès, et avoua que cette fille ; digne d’une meilleure destinée, l’intéressait vivement ; qu’elle avait dans toute sa personne un charme indéfinissable dont il avait été profondément touché ; que par amour de la paix, par reconnaissance de l’attachement de Milady pour Amélia, il ne voulait point blâmer ouvertement sa haine pour une infortunée sans appui ; mais qu’il espérait obtenir l’agrément du Protecteur, et la placer secrètement dans la maison où avait été élevée son Amélia, et où elle serait d’une grande utilité à la maîtresse de pension. Le jeune Henry n’eut pendant un peu de temps, d’autres pensées que celles qui regardaient sa mère, et fut moins occupé de sa protégée ; jusqu’au moment où il rencontra sir Charles, et où concevant ensuite l’espoir d’épouser enfin son Amélia, il forma celui de lui rendre à la fois sa liberté, son amant et son amie.

Mais pendant ce temps, la fureur de Milady ne s’endormait point. Elle faisait observer les pas de son époux, elle savait tous ceux qui lui parlaient, elle ouvrait les lettres qui lui étaient adressées, elle passait les jours entiers à épier toutes ses démarches et à persécuter son père pour consentir au mariage d’Amélia et de sir Henry.

Enfin elle l’obtint ce consentement si desiré, elle l’obtint par écrit, et Çrumwell satisfait de la conduite de son petit fils, lui accorda de grands avantages en faveur de son union avec Amélia, qui ne tenait point à sa famille, et à qui l’orgueil du Protecteur ne voulait pas laisser l’honneur d’enrichir le fils de sa chère Fenny.

Il ne s’agissait plus que de savoir où était Amélia depuis sa sortie du château d’Édimbourg. Milord ne l’ignorait pas ; il avait eu la prudence de le cacher à sa femme, qui dans son emportement aurait pu laisser échapper un secret aussi important ; mais il croyait en être seul dépositaire : il ne savait pas qu’un amant est aussi ingénieux qu’un père, et quelquefois plus heureux. Henry connaissait bien la retraite d’Amélia, et même une fois il avait osé la voir.


FIN DU QUATRIÈME VOLUME.