Amour de singe/06

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Éditions Prima (Collection gauloise ; no 11p. 38-43).

vi

Le désespoir d’Amélie


Pompiers et agents n’avaient naturellement pas retrouvé la trace du singe fugitif. Après avoir fouillé toutes les maisons du quartier, exploré tous les toits, après être descendus inutilement dans toutes les cheminées, les représentants de l’ordre abandonnèrent leurs recherches, et le calme était revenu autour de la maison habitée par la blonde Gisèle, lorsque celle-ci vit arriver Amélie.

Cette dernière était toute nerveuse et inquiète :

— Qu’as-tu donc ? lui demanda son amie…

— Ah !… J’étais trop heureuse… J’ai à peine eu le temps de goûter aux caresses de Loulou… et il a disparu.

— Vraiment ? fit hypocritement l’amie de Gustave.

— Je ne comprends pas exactement ce qui s’est passé…

« Tout ce que je peux dire, c’est que j’ai éprouvé des impressions extraordinaires. Tu ne t’imagine pas ça, ma chère amie…

Gisèle souriait en elle-même.

— Non ! continuait Amélie… Non. Aucun homme ne m’a communiqué pareil frisson… J’étais transportée… anéantie.

« Crois-tu qu’il m’a embrassée ?

— Le singe !

— Oui… moi je croyais qu’il allait me mordre ! Eh bien ! Pas du tout ! Au moment où je m’attendais à être brutalisée, il est soudain redevenu doux… mais d’une douceur que tu ne t’imagines pas… Et il m’a donné des baisers… des vrais baisers…

« Qu’est-ce qui a dû se passer alors dans sa cervelle de singe ? Je n’en sais rien.

« Sans doute a-t-il eu peur ?… Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il s’est sauvé en sautant par la fenêtre.

« Je ne m’en suis pas aperçue… J’étais évanouie… c’est quand je suis revenue à moi que je me suis rendu compte de sa disparition.

« Je l’ai appelé d’abord : « Loulou ! Loulou ! » Je lui donnais des petits noms d’amitié comme une maîtresse à son amant

— Oui, tu l’appelais ta cocotte en sucre… ton bébé rose… ton chou mignon… Ton loup en or !

— Absolument !… Mais il ne répondait pas.

— Et pour cause… puisqu’il était parti !

— Je le sais… Il est venu rôder de ce côté, car les agents qui le pourchassaient sont montés me demander si je l’avais vu.

— Les agents le pourchassaient ?

— Dame ! Un singe ne peut pas se promener comme ça tout seul dans les rues… sans qu’on l’envoie à la fourrière…

— À la fourrière… Loulou… non ce n’est pas possible… Mais je ne veux pas, moi !… Je ne veux pas !

« D’abord il faut que Gustave me le donne complètement !…

— Sais-tu seulement si Gustave l’a retrouvé. S’il a fait comme Bijou dont personne n’a plus jamais entendu parler.

— Il ne s’agit pas de Bijou, qui était un petit singe de rien du tout… mais de Loulou… Vois-tu, à présent, je ne pourrais plus me passer de lui. C’est fini !…

Gisèle se retenait à quatre pour ne pas révéler la vérité à son amie. Pourtant, elle ne le fit pas, dans la crainte de mécontenter Gustave. Elle lui demanda ironiquement :

— Alors, vraiment… tu préfères ton Loulou à un homme. je n’aurais jamais cru cela.

— Peuh !… Les hommes ne savent pas aimer de cette façon-là… Je te conseille d’y goûter et tu verras !

— Tu me prêterais ton chimpanzé pour cela.

— Tu es folle !… Te prêter Loulou !… Ah non ! par exemple… Celui-là est à moi… je te défends d’y toucher !

— Ne sois pas jalouse… je ne te le disputerai pas… Moi, je n’ai pas de caprice pour les singes.

— Parce que tu ne sais pas ce que c’est… Je te plains !

Au fond Gisèle s’amusait beaucoup…

— C’est malheureux que je ne puisse pas lui dire ce qu’il en est. Elle serait rudement vexée tout de même !

On comprend qu’il fallut à la maîtresse de Gustave un grand courage pour résister au plaisir de vexer sa meilleure amie.

Elle eut ce courage si rare chez une femme.

Les circonstances d’ailleurs l’y aidèrent, car si les deux amies étaient encore restées seules longtemps, il est fort probable que Gisèle eût fini par dévoiler la supercherie de Gaston.

Mais Gaston lui-même, accompagné de Gustave, survint pour la tirer d’embarras.

Les deux jeunes gens furent surpris de trouver là Amélie.

Gaston était quelque peu gêné, et ne savait pas trop quelle contenance tenir. Il avait bien tort d’ailleurs, car sa maîtresse n’eut même pas l’air de le voir. Ce jeune homme, qui lui faisait pourtant la cour, était loin de ses pensées. Elle le salua courtoisement, mais c’est vers Gustave qu’elle courut tout de suite :

— Et Loulou, lui dit-elle… Avez-vous retrouvé Loulou ?

— Oui, je l’ai retrouvé.

— Ah ! soupira la jeune femme. Comme cette parole me rend heureuse ! Vous ne vous l’imaginez pas.

— Je ne sais pas ce que vous lui avez fait, ajouta le jeune étudiant, mais il est rentré très malade chez moi, et il devra garder le lit pendant deux jours, ordre du médecin.

— Oh ! Vraiment ? fit Amélie… Votre médecin est-il bon au moins ?

— Soyez sans inquiétudes. C’est un spécialiste pour les singes.

— Menez-moi vite le voir, ce pauvre chéri.

— C’est défendu par la Faculté ! On ne doit pas l’exciter.

— Vous me donnerez des nouvelles. Je ne vais pas vivre pendant ces deux jours.

— Mâtin ! Quel attachement vous avez pour mon singe…

— Ne dites pas « mon singe ». Je le voudrais pour moi seule… Combien demandez-vous pour me le céder ?

— Mais je ne veux pas vous le céder… D’abord, je l’ai promis à Gaston. Demandez-le lui…

Gaston était fort mécontent. Son ami, en effet, le plongeait dans un grand embarras,

— Oh ! dit Amélie d’un ton enjoué, Monsieur Gaston ne
Amélie enleva son peignoir (page 49).
fera certainement pas de difficulté…

Et, se tournant vers son amant, Amélie lui dit en riant :

— Ce n’est pas comme pour Bijou. Vous n’êtes pas jaloux de Loulou ?

— Si, fit Gaston. Puisqu’il faut tout vous dire, j’en suis jaloux… Comment ne serais-je pas jaloux quand je vous entends dire « mon pauvre chéri » à propos d’un vilain singe comme tout…

— Un vilain singe ! Qu’en savez-vous, vous ne le connaissez pas !…

« Moi je le trouve très bien… Il a des yeux si expressifs… Si vous voyiez ses yeux… !

Gaston sourit tristement :

— Enfin il est très bien… malgré que ce soit un singe… sans plus. Il à tout pour plaire.

— Oui, Monsieur, fit Amélie, il a tout pour plaire… mieux qu’un homme. D’abord votre ami Gustave vous le dira, lui aussi, c’est un singe très apprivoisé…

— Il sait même conduire des autos… et il n’a pas son pareil pour dépister la police quand elle est à ses trousses…

« Enfin, consolez-vous, belle dame, après-demain je vous ramènerai Loulou, un Loulou bien gentil et bien obéissant, dont vous pourrez faire tout ce que vous voudrez, et qui ne se sauvera plus des maisons, ni par les fenêtres, ni par les cheminées.

— Ce qui m’ennuie le plus, déclara encore Amélie, c’est qu’il va me falloir attendre deux jours avant de le revoir… Je vais m’ennuyer mortellement pendant ces deux journées-là.

« Enfin, il faut me résigner… puisqu’il est malade !

Et Amélie prit congé, en recommandant à Gustave de lui donner des nouvelles et de lui amener Loulou dès qu’il serait rétabli.

— Je suis désespérée, dit la jeune femme en partant.

Lorsque les deux jeunes gens furent seuls avec Gisèle, celle-ci dit à Gaston :

— Tous mes compliments ! Il paraît que vous avez été très brillant ?

Mais Gaston n’était pas de bonne humeur. Il répondit d’un ton bourru :

— Ne plaisantez pas, je vous en prie… Ne vous moquez pas de moi…

— Je ne me moque pas. Je crois que vous avez réussi ; Amélie est amoureuse de vous à la folie…

— Ce n’est pas de moi qu’elle est amoureuse, c’est du singe ! Et je n’en suis pas flatté…

— C’est à vous de savoir vous y prendre pour que l’amour donné au singe vous revienne finalement à vous !…

« Si vous saviez ce qu’elle m’a dit…

— Que vous a-t-elle dit ? demanda vivement Gaston…

— Vous allez être trop fier… Elle a dit que jamais aucun homme ne lui avait procuré pareille sensation…

— Parce qu’elle croyait avoir affaire au chimpanzé… C’est l’illusion.

— Plaignez-vous donc… Vous êtes déjà un beau donneur d’illusions. Sans compter que vous en avez profité, et, qu’elle le veuille ou non, Amélie a été votre maîtresse.

— Oui… mais elle n’a pas l’air de s’en douter. C’est à peine si elle faisait attention à moi tout à l’heure.

— Aie de la patience, dit Gustave. Elle se lassera bien un jour de Loulou, et tu pourras redevenir toi-même. Je suis persuadé qu’alors, elle te remerciera de l’avoir mystifiée.

— Sûrement, reprit Gisèle. Et si vous avez besoin de moi à ce moment-là pour la convaincre, je ne demande pas mieux que de m’y employer.

Malgré les paroles de consolation de ses amis, Gaston gardait en lui un profond dépit. Cela, néanmoins ne le fit pas renoncer à son projet et il se préparait à jouer de nouveau le surlendemain le rôle du chimpanzé amoureux.

Lorsqu’il fut parti, Gisèle commença à faire des reproches à son amant :

— Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? lui déclara-t-elle. Tu croyais donc que je préviendrais Amélie. Au contraire, ça me faisait quelque chose de voir cette petite s’embarquer dans une telle aventure et je préfère savoir que c’est une blague que vous lui avez faite.

« Je la connais. Quand elle sera dégoûtée du chimpanzé, elle viendra me dire que c’est de ma faute,

Elle prit un temps, puis ajouta :

— Dis-donc, mon chéri… tu ne sais pas ?… Tu devrais t’habiller en singe, toi aussi, j’ai envie de voir l’effet que ça me ferait !

— Tu es folle !… Voyons.

— Tu pourrais bien faire ça pour moi… Tu n’es donc pas aussi amoureux que ton ami Gaston.

— Il n’y a pas de comparaison à faire. D’abord, ça n’aurait aucune saveur, puisque tu le saurais.

— Ça, c’est un peu vrai.

— Et puis, je n’ai pas besoin de me déguiser… Si ça te dit, tu n’as que te figurer que je suis un singe, moi aussi.

— Non, c’était pour rire. Mon chéri, moi je n’ai pas d’idées extravagantes en amour. Je t’aime comme tu es, tu préfères que ce soit comme ça, n’est-ce pas !

— Oh ! oui !… Je le préfère… Tiens… viens nous aimer… Tu verras que c’est aussi bon que si je faisais le chimpanzé !

— C’est bien meilleur, mon loup adoré !

— Tu vois, je suis déjà un loup… ça doit te suffire.

— Tu es bête, mon coco…

Et Gisèle se jeta dans les bras de son amant, sans faire de manière. Elle n’exigea que des baisers et autre chose qu’il lui accorda sur-le-champ, sans se faire aucunement prier.