Amour de singe/05

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Éditions Prima (Collection gauloise ; no 11p. 31-38).

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La Chasse au Singe


Bondir dans la rue était chose aisée. L’appartement où Amélie avait conduit Gaston était, on le sait, situé au rez-de-chaussée, et le faux chimpanzé n’eut pas de mal à retomber sur ses mains.

Heureusement la rue n’était pas très fréquentée. Il ne s’y trouvait personne à ce moment. Sans réfléchir, le jeune homme se mit à courir.

Il n’avait pas fait cent mètres qu’il se trouvait nez à nez avec une vieille femme, laquelle poussà des cris désespérés… s’affaissa sur le sol en appelant :

— Au secours ! Au secours !…

Un gamin accourut, puis des concierges des maisons riveraines.

— Qu’y a-t-il ? lui demanda-t-on.

— Un singe !…

— Comment, un singe !

— Oui… un singe énorme. Il a voulu me tuer ! Il s’est échappé par là… Courez vite après lui !

Et l’on courut après le pauvre Gaston.

Une poursuite folle commença. Le fugitif avait beau tourner dans les rues pour dépister les poursuivants, ceux-ci ne le lâchaient pas.

Des gardiens de la paix s’étaient joints à la foule et couraient eux aussi.

— Mon Dieu ! se disait Gaston. Comment vais-je me tirer de là ?… Je vais sûrement être rattrapé !… Que pourrai-je dire ?… Je ne peux pourtant pas me laisser traiter comme un singe…

Il se voyait déjà emmené à la fourrière comme tous les animaux « trouvés errants sur la voie publique », Car, pour l’instant il n’était pas autre chose !…

Il ne pouvait trouver de salut que dans la fuite, et il continuait à courir…

Il s’engouffra, — pourquoi ? il ne le savait pas lui-même — dans une maison, espérant se cacher dans un réduit quelconque… où il pourrait quitter sa peau de singe. Mais à peine avait-il pénétré dans ce logis inconnu qu’il se souvint qu’il n’avait pas de vêtements… Il était nu sous l’enveloppe du chimpanzé… et il lui eût été aussi difficile de s’évader dans cet état que sous l’aspect d’un animal…

Les poursuivants s’étaient arrêtés devant l’entrée de l’immeuble,

— Ça va ! dit un agent… On le tient…

Puis il alla informer la concierge.

Lorsque celle-ci apprit qu’un singe géant s’était réfugié dans sa maison, elle leva les bras au ciel :

— Mon Dieu ! dit-elle… Qu’est-ce que vous me dites là !… Et le propriétaire qui ne veut pas d’animaux !…

— Il ne s’agit pas du propriétaire !… Aidez-nous à rechercher cet animal sauvage, qui a dû certainement se cacher quelque part.


— Rassurez-vous, madame (page 35).

Et la concierge, effarée, guida les agents dans l’escalier, supposant que le singe avait dû s’enfuir de ce côté.

Cette idée sauva Gaston.

Celui-ci s’était réfugié dans la cour de la maison… Or, cette cour était vaste et spacieuse, et, dans le fond se trouvait un garage d’automobiles, un garage dont l’entrée donnait sur une rue voisine…

— Voilà mon affaire, dit le jeune homme. Heureusement que je suis un chauffeur expérimenté.

Pénétrer dans le garage fut facile pour lui.

Il n’y avait là qu’un homme, chargé de la surveillance des voitures et qui dormait dans un coin.

L’homme-singe évita de le déranger. Il avisa une des autos, la mit en marche, sauta sur le siège… et le surveillant, réveillé par le ronflement du moteur, n’eût que le temps de voir la voiture sortir… avec un singe à la place du chauffeur !

Il se frotta les yeux pour s’assurer qu’il ne rêvait pas, mais avant qu’il ait donné l’alarme, l’auto était déjà loin !

Gaston avait pris tout de suite la quatrième vitesse.

— Maintenant, dit-il, ma peau de singe va me servir !… Tout le monde s’écartera devant moi !…

Ce fut une fantastique randonnée à travers les rues et les avenues. Les piétons se sauvaient, effrayés devant l’auto du singe qui courait sans s’arrêter, comme s’il avait voulu s’amuser…

Les agents avaient beau lever leurs bâtons… Gaston n’y prenait pas garde. Il passait à toute allure… devant les gens stupéfaits et les chauffeurs médusés qui le voyaient prendre des virages savants pour éviter les accidents…

Il arriva enfin dans les parages du logis de Gisèle…

Il avait d’abord pensé à se rendre chez Gustave, mais il savait que son ami n’était pas chez lui et qu’il le trouverait plus aisément en compagnie de sa maîtresse.

Il abandonna son auto au coin d’une rue voisine et gagna à pied, en courant, la maison où logeait la jeune femme. La concierge le vit passer en trombe et gravir quatre à quatre l’escalier. Il tira la sonnette d’une main nerveuse.

La bonne vint lui ouvrir ; elle poussa une exclamation :

— Revoilà le singe ! Il s’est échappé !

— Taisez-vous ! dit Gaston… Et fermez la porte !

— Ah !… Ah !… Le singe qui parle à présent ! s’écria la pauvre fille… et elle s’enfuit épouvantée dans l’appartement…

Gaston referma vivement la porte d’entrée, puis sans être autrement annoncé, il entra :

Il ne s’était pas trompé. Gisèle et Gustave étaient bien là ; ils ne se préoccupaient pas le moins du monde de ce qui pouvait se passer entre Amélie et son chimpanzé. Et Gustave, qui n’avait pas besoin de se travestir en singe pour cela, était en train de prouver son amour à sa blonde amie lorsque Gaston fit brusquement irruption dans la pièce où ils se trouvaient…

En singe bien élevé, il se tourna immédiatement pour ne pas voir… du côté du mur… ou du moins se mit à regarder à la fenêtre…

Ce qu’il vit d’ailleurs n’était pas fait pour le rassurer, Devant la maison s’était formé un fort rassemblement au milieu duquel se tenaient des agents… Il n’y avait pas de doute, c’était toujours le singe qu’on cherchait.

D’autre part, Gisèle, en voyant réapparaître celui qu’elle prenait pour un véritable chimpanzé, n’avait pas été moins surprise.

— Gustave, s’écria-t-elle… Gustave ! Ton singe qui est revenu !… Pourvu qu’il n’ait pas fait de mal à Amélie !…

Le singe, à ces mots, se retourna, et, au grand ébahissement de la jeune femme, il enleva sa tête !…

— Rassurez-vous, madame, fit-il… Rassurez-vous ! Le singe n’a pas fait de mal à votre amie !

L’ébahissement de Gisèle devint de la stupeur !…

Elle resta muette un moment, puis, reprenant ses sens :

— Monsieur Gaston !… Vous… fit-elle… Vous !…

— Oui, moi… Mais je n’ai pas le temps de vous raconter des histoires… Dites-moi où je pourrais me cacher tout de suite… car la police est à mes trousses…

— La police ? fit Gustave…

À ce moment on entendit l’appel bien connu des pompiers…

Gustave se précipita à la fenêtre.

— Voici même les pompiers… dit-il… Et ils se mettent en devoir de dresser une échelle contre la maison… Cache-toi dans le cabinet de toilette… et enlève ta peau de singe bien vite !

— Mais je ne peux pas, répondit Gaston… Je ne peux pas… Je n’ai pas de vêtement en dessous…

— Sapristi !…

Gisèle le regardait. Elle était rassurée à présent :

— Vous êtes amusant comme tout, fit-elle en riant… Ça vous apprendra à faire le chimpanzé…

— Mais je ne veux pas qu’on me découvre ainsi !…

— Allez dans mon cabinet de toilette…

— Avez-vous des vêtements à me donner ?

— Ma foi non. À moins que vous ne consentiez à prendre un de mes peignoirs…

— Si vous me le permettez. Je préférerai cela provisoirement à une peau de singe…

On frappait à la porte.

Gustave poussa son ami dans le cabinet de toilette :

— Va, fit-il… et dépouille-toi du chimpanzé.

En même temps, la femme de chambre entrait :

— Madame, dit-elle, c’est la police qui cherche le singe…

Derrière la servante, un agent s’avançait :

— L’animal est chez vous, Madame ? N’ayez pas peur, nous allons nous en rendre maîtres et le conduire à la fourrière.

— Mais il n’est pas là… Monsieur l’agent, je vous assure.

— Si… un grand singe !… On l’a vu entrer. La bonne elle-même l’affirme…

Gustave eut alors l’inspiration qu’il fallait pour éloigner le policier indiscret :

— Vous avez raison. Il est entré ici, mais il est reparti.

— Par où ? On ne l’a pas vu sortir…

— Il est parti par la cheminée… Sans doute court-il à cette heure sur les toits. |

— Bon, fit l’agent. On va prendre les mesures nécessaires…

Et il sortit, se confondant en excuses.

La bonne regardait Gustave sans comprendre :

— Mais, Monsieur, dit-elle… Je ne suis pas folle. C’était bien votre singe ? Dieu me damne ! Il m’a même semblé qu’il parlait !

— Vous ne savez pas ce que vous dites, ma pauvre fille ! Mon singe ne parle pas. En tout cas, il s’est sauvé par la cheminée… Et vous feriez bien d’aller voir dans votre chambre au sixième si par hasard il n’y serait pas.

— Je n’oserai jamais.

— Allez-y toujours… Vous vous ferez accompagner d’un agent !… Allez vite ! J’ai besoin d’être renseigné !…

— Mais oui ! dit Amélie… Dépêchez-vous |

Elle comprit, elle aussi, qu’il fallait éloigner la servante. Lorsque celle-ci fut sortie, Gaston reparut… revêtu d’un peignoir bleu ciel emprunté à la garde-robe de Gisèle…

— Tu es mieux comme ça qu’en singe… lui dit Gustave…

— Oui, mais je ne suis pas plus avancé… mes vêtements sont chez toi.

— Eh bien ! Allons-y… Gisèle va te prêter un manteau et même un chapeau. Avec une fourrure qui te dissimulera le visage, on te prendra pour une femme. Nous sauterons dans un taxi et nous irons chez moi…

Cette proposition fut acceptée par Gaston qui fit un paquet de la dépouille du chimpanzé et, quelques instants plus tard, Gustave sortait tranquillement ayant au bras une compagne très emmitouflée. Personne n’y prit garde. Les curieux suivaient avec une émotion palpitante les exercices des agents et des pompiers qui recherchaient à travers les gouttières et les cheminées le chimpanzé voleur d’auto.

— C’est égal, disait Gustave à son ami… Il faut rudement être amoureux pour se prêter à de tels avatars… Raconte-moi donc maintenant ton odyssée. J’ai hâte de savoir ce qui s’est passé entre le singe et sa belle amie.

Gaston relata toutes les péripéties par lesquelles il avait passé.

— Eh bien ! mon vieux, lui déclara son camarade, tu as dû en avoir des sensations, hein ?

— Oui… mais si tu veux m’en croire… J’étais jaloux…

— Jaloux de qui ? puisque c’était toi.

— C’était moi qui possédais Amélie… mais c’était au singe qu’elle se donnait… Tu ne comprends donc pas… J’étais jaloux de cet animal…

— Bah ! fit l’autre en haussant les épaules. Lorsqu’elle saura que c’était toi, que ne pourra pas faire autrement que de t’aimer…

— Le plus ennuyeux, c’est qu’il faut porter la tête du singe à Troubelot pour qu’il la fasse remettre au point !

— C’est un petit détail. Il aura vite fait… Et cela nous donnera le temps de faire semblant de procéder à des recherches pour retrouver ce Loulou de malheur qui à mis tout Paris en émoi.

Une fois chez Gustave, Gaston reprit ses vêtements et les deux jeunes gens se rendirent auprès du professeur Troubelot, lequel promit de faire remettre en état par Anatole Samuel la défroque du chimpanzé pour le surlendemain.

Il demanda beaucoup de détails, le professeur Troubelot… et il conclut :

— Vous devez continuer l’expérience… Je vais faire apporter au mécanisme une petite modification pour que le singe puisse mordre un peu sa fantasque amie… et que vous puissiez, vous, l’embrasser… sans vous casser la tête !

Il riait en prononçant ces derniers mots.