Amour vainqueur/011

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Texte établi par J.-R. Constantineau (p. 11-13).

Titre I


AU FOYER

Le soleil de juillet était à son couchant ; comme une immense boule de feu, il apparaissait descendant graduellement derrière les immenses forêts qui s’offrent à la vue des paysans — à Guigues, comté de Témiscamingue, — la lande de montagnes qui s’étend languissante et triste, par son aspect d’arbres à têtes brûlées ou desséchées, la plupart des épinettes, était enveloppée de nuages épais qui annonçaient la prochaine venue d’un orage, — le tonnerre grondait au loin ; il faisait très chaud, quoique parfois la brise rafraîchie par, et l’approche de la nuit et par les vents du Nord qui s’élevaient, apportait un léger soulagement aux gens revenant de leurs travaux.

L’hirondelle de ses ailes agiles fendait l’espace ; tantôt rasant la terre, tantôt s’élevant bien haut dans les airs, elle faisait l’admiration des autres oiseaux qui, plus timides, cherchaient à se mettre à l’abri.

Dans les vallons, on entendait les mugissements des troupeaux conduits par les fermiers qui se hâtaient de terminer leur journée de travaux des champs, avant l’orage terrible qui s’avançait de plus en plus vite sous la poussée croissante des vents.

Assise, sur le perron d’un modeste hameau, une mère aux cheveux grisonnants, à l’œil vif, à la figure résolue, dont le mari était dans les chantiers, au loin, depuis des mois, tenait sur ses genoux, une jeune enfant de sept ans. Habituée à administrer vu l’absence souvent répétée de son mari, cherchant fortune, elle dictait ses ordres, aux autres enfants, afin que ses biens soient protégés.

La jeune fille, rêveuse qui contemplait avec étonnement, le spectacle de la nature, passant ses bras, autour du cou de sa mère, lui couvrant les joues de ses baisers, les plus affectueux, lui demanda alors : « Maman, que deviendrai-je moi » ? tout comme saisie d’inquiétude, par l’aspect terrifiant du firmament, son âme sondait l’avenir.

« Je veux toujours te garder près de moi, lui répondit la mère ; je t’aime bien, ma chère Ninie, il est vrai que parfois tu es maussade, mais tu es si affectueuse et tu es si bonne pour ta maman que je veux toujours te garder près de moi. » « Maman, ajouta la jeune enfant, avec beaucoup d’assurance, comme si une inspiration soudaine avait jeté dans son cœur, une décision définitive ; était-ce là, la conclusion d’une longue suite de pensées mûries dans la tête de cette jeune fille ? était-ce la conséquence de certaines conversations qu’elle avait entendues auparavant ? était-ce l’éclosion de certains sentiments éprouvés soudainement par cette âme sensitive, par l’impression que lui causait cet ouragan qui devenait de plus en plus menaçant ? « Je veux, dit-elle à sa mère, je veux aller loin, loin, bien loin, comme papa, pour gagner beaucoup d’argent, acquérir des connaissances ; je veux me faire instruire, et après, ma chère Maman, je reviendrai auprès de toi, et je te prouverai combien je t’aime ».

« Pour atteindre ce but, reprit la mère, il te faudra subir bien des épreuves, verser bien des larmes, souffrir bien des ennuis : il te faudra un grand courage et être bien brave, car tu ne connais pas encore, toi, tous les sacrifices qu’il faut faire pour arriver à cet idéal pour lequel tu soupires ; regarde, ma chère Ninie, comme c’est effrayant l’orage de ce soir ! et cependant, ce n’est qu’une légère image, qu’une faible description de l’orage de la vie » !

À ce moment, les éclairs sillonnaient les nues, et les échos des roulements du tonnerre, se répercutaient fortement dans les vallons de Haileybury et des environs. — les petits garçons reve



nant de leurs parties de plaisir de pêche, sur les bords de la

rivière La Loutre, regagnaient à toutes enjambées, leurs demeures respectives ; les paysans fouettaient leurs chevaux pour hâter leur retour ; l’orage prenait de plus vastes proportions ; déjà le ciel était couvert de nuées noires ; la pluie commençait à tomber.

« Mais, je suis brave, moi, maman, j’ai du courage ! et il me semble que je n’aurais pas peur d’aller loin pour revenir comme papa avec des gros écus blancs, et après pour me faire instruire, — regarde, maman, comme je suis brave » ! et alors détachant ses bras, du cou de sa mère, elle s’élança, sous la grosse pluie, pour aider à ses petits frères, à mettre à l’abri, poulets et poussins.