Amours, Délices et Orgues/Terrible Éveil

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Amours, Délices et OrguesPaul Ollendorff. (p. 263-268).

TERRIBLE ÉVEIL

On s’était tant diverti au cours de ce soir-là que deux heures du matin sonnèrent au vieux beffroi de la salle à manger, alors que chacun se croyait dans les environs, à peine, de minuit.

On soupa tout de même, et gaiement.

Dehors, l’averse battait les persiennes, sans relâche.

Et, comme de juste, nul cocher ne fut trouvé à la station voisine ni rencontré par le domestique envoyé dans ce but.

Ah ! c’était gai, pour moi qui demeure à 18 verstes de cette maison !

Les autres convives, gens du quartier, en avaient pris leur parti et, à l’heure où nous écrivons ces lignes, ils dormaient déjà.

Soudain, l’hôtesse eut une idée charmante :

— Mais au fait, pourquoi ne resteriez-vous pas à coucher chez nous ?

— Pourquoi pas ? acquiesça le mari.

Je me débattis légèrement pour faire croire à ma discrétion, mais, au fond, la proposition me souriait volontiers.

Et j’acceptai.

Chambre confortable, lit comme je les aime (ni trop dur, ni trop mou), légère fatigue ; au bout d’un quart d’heure, je dormais d’un excellent sommeil que Luigi Loir lui-même n’aurait pas hésité à signer.

Au tout petit jour, dès patron-minette (selon une expression que je n’ai jamais encore totalement élucidée), je fus réveillé par un fracas, mélange d’objet tombé, de pas qui s’empressent sur le balcon, de cris angoissés d’abord, finalement rieurs.

Puis, tout se tut, comme dit le poète.

Je tentai un rendormissement, mais bientôt j’étais réveillé par la jolie petite femme de chambre de mes hôtes fraîche comme une rosée, rose comme une rose et niaise comme… (Ah ! si j’étais méchant !)

— Madame, dit cette petite fleur des champs, madame m’envoie voir ce que monsieur prend le matin.

Ce que je prends le matin ?

Je sais bien, moi, ce que j’aurais pris ce matin-là, et peut-être bien qu’elle eût consenti à me laisser prendre, la petite fleur des champs ; mais je tins à me montrer digne d’une hospitalité si gentiment offerte, et je pris du lait, de l’albe et simple lait, du lait.

— À propos, Marie, qu’est-ce que c’est que ce tapage que j’ai entendu ce matin ?

— Oh ! c’est rien, monsieur, c’est une cage aux lions qu’a tombé sur le balcon.

— Une cage aux lions ! tressautai-je sur ma couche.

— Oui, monsieur, une cage aux lions.

— Avec des animaux dedans ?

— Oui, monsieur, quatre… Mais ils n’ont pas eu de mal, les pauvres bêtes. La cage était solide.

L’air ingénu de cette fille écartait tout soupçon de mystification.

Mais alors ?… Une cage aux lions !

Est-ce que je ne rêvais pas ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Non, je ne rêvais pas.

Un simple malentendu : une cage, en effet, appartenant à la famille Lyon, avait causé le tumulte, une cage contenant quatre serins, une cage que la bonne des Lyon avait malhabilement laissé choir sur le balcon d’en bas.

Et les Lyon ignorent encore l’émoi que la chute de leurs petits volatiles détermina dans l’âme d’un galant homme attardé chez leurs voisins du deuxième.

(Historique.)