Amours et Haines (1869)/Réveil
RÉVEIL.
Effronté, joyeux et vermeil,
Comme un écolier loin du maître,
Qui saute ainsi par ma fenêtre ?…
Ah ! te voilà, bonjour, soleil !
Tout mouillé des larmes de l’onde,
D’où venez-vous, beau libertin ?
D’où venez-vous si bon matin ?
Courrez-vous donc toujours le monde ?
Rayon au front, rosée aux pieds,
Viens d’où tu veux, que nous importe ?
Quand un ami frappe à la porte,
Lui demande-t-on ses papiers ?
Eh quoi ! sans escorte et sans gardes !
Radieux prince, roi de l’air,
Monseigneur, vous n’êtes pas fier
De descendre dans nos mansardes.
Hélas ! il fait par charité
(Amis, le soleil vous assiste !)
Chaque jour l’aumône au cœur triste
Et de lumière et de gaîté.
Et de janvier jusqu’en décembre
Il parcourt ainsi l’univers,
Jetant l’or à tort, à travers,
À travers le monde… et ma chambre.
Viens, soleil ! viens sur l’oreiller
Où repose encor ma maîtresse,
Viens l’éblouir d’une caresse,
La paresseuse, et l’éveiller !
Promène tes baisers de flamme
Sur sa lèvre au duvet soyeux,
Sur son sein blanc et sur ses yeux,
Sur ses yeux, soleil de mon âme !
Entr’ouvre-les, ces yeux si beaux,
Devant qui je pleure et je rêve…
C’est quand cet astre-là se lève,
Que j’entends chanter les oiseaux !