Andromaque/Édition Girard, 1668/Acte V

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Th. Girard (p. 79-93).

ACTE V.


Scène première.

HERMIONNE, ſeule.


Ov ſuis-je ? Qu’ay-je fait ? Que dois-je faire encore ?
Quel tranſport me ſaiſit ? Quel chagrin me deuore ?
Errante, & ſans deſſein, ie cours dans ce Palais.
Ah ! ne puis-je ſçavoir ſi j’aime, ou ſi ie hais !
Le Cruel ! De quel œil il m’a congédiée ?
Sans pitié, ſans douleur, au moins eſtudiée.
Ay-je veû ſes regards ſe troubler vn moment ?
En ay-je pû tirer vn ſeul gemiſſement ?
Muet a mes ſoupirs, tranquille à mes allarmes,
Sembloit-il ſeulement qu’il euſt part à mes larmes ?
Et ie le plains encore ? Et pour comble d’ennuy
Mon cœur, mon laſche cœur s’intereſſe pour luy ?
Ie tremble au ſeul penſer du coup qui le menaſſe ?
Et preſte à me vanger ie luy fais déja grace ?
Non, ne reuoquons point l’arreſt de mon courroux.
Qu’il periſſe. Auſſi bien il ne vit plus pour nous.

Le Perfide triomphe, & ſe rit de ma rage.
Il penſe voir en pleurs diſſiper cét orage.
Il croit que touſiours foible, & d’vn cœur incertain,
Ie pareray d’vn bras les coups de l’autre main.
Il juge encor de moy par mes bontez paſſées.
Mais plûtoſt le Perfide a bien d’autres penſées.
Triomphant dans le Temple, il ne s’informe pas
Si l’on ſouhaite ailleurs ſa vie ou ſon treſpas.
Il me laiſſe, l’Ingrat ! cet embarras funeſte.
Non, non, encore vn coup, laiſſons agir Oreſte.
Qu’il meure, puis qu’enfin il a dû le preuoir,
Et puis qu’il m’a forcée enfin à le vouloir.
À le vouloir ? Hé quoy ? C’eſt donc moy qui l’ordonne ?
Sa Mort ſera l’effet de l’amour d’Hermionne ?
Ce Prince, dont mon cœur ſe faiſoit autrefois,
Auec tant de plaiſir, redire les Exploits,
À qui meſme en ſecret ie m’eſtois deſtinée,
Auant qu’on euſt conclu ce fatal hymenée,
Ie n’ay donc trauerſé tant de mers, tant d’Eſtats,
Que pour venir ſi loin preparer ſon treſpas,
L’aſſaſſiner, le perdre ? Ah deuant qu’il expire…


Scène II.

HERMIONNE, CLEONNE.
HERMIONNE.


Ah ! qu’ay-je fait, Cleonne ? Et que viens-tu me dire ?
Que fait Pyrrhus ?

CLEONNE.

Que fait Pyrrhus ?Il est au comble de ſes vœux,
Le plus fier des Mortels, & le plus amoureux.
Ie l’ay veû vers le Temple, où ſon hymen s’apreſte,
Mener en Conquerant ſa nouuelle Conqueſte,
Et d’vn œil qui déja déuoroit ſon eſpoir,
S’enyurer, en marchant, du plaiſir de la voir.
Andromaque, au trauers de mille cris de joye,
Porte iuſqu’aux Autels le ſouuenir de Troye,
Incapable touſiours d’aimer, & de haïr,
Sans joy, & ſans murmure elle ſemble obeïr.

HERMIONNE.

Et l’Ingrat ? Iuſqu’au bout il a pouſſé l’outrage ?
Mais as-tu bien, Cleonne, obſerué ſon viſage ?
Gouſte-t’il des plaiſirs tranquilles & parfaits ?
N’a-t’il point détourné ſes yeux vers le Palais ?

Dy-moy, ne t’es-tu point preſentée à ſa veuë ?
L’Ingrat a-t’il rougy, lors qu’il t’a reconnuë ?
Son trouble auoüoit-il ſon infidélité ?
A-t’il iuſqu’à la fin ſoûtenu ſa fierté ?

CLEONNE.

Madame, il ne voit rien. Son ſalut, & ſa gloire
Semble eſtre auec vous ſortis de ſa memoire.
Sans ſonger qui le ſuit, Ennemis, ou Sujets.
Il pourſuit ſeulement ſes amoureux projets.
Autour du Fils d’Hector il a rangé ſa Garde,
Et croit que c’eſt luy ſeul que le peril regarde.
Phœnix meſme en reſpond, qui l’a conduit exprés
Dans vn Fort éloigné du Temple, & du Palais.
Voila, dans ſes transports, le ſeul ſoin qui luy reſte.

HERMIONNE.

Le Perfide ! Il mourra. Mais que t’a dit Oreſte ?

CLEONNE.

Oreſte, auec ſes Grecs, dans le Temple eſt entré.

HERMIONNE.

Hé bien ? À me vanger n’eſt-il pas preparé ?

CLEONNE.

Ie ne ſçay.

HERMIONNE.

Ie ne ſçay.Tu ne ſçais ? Quoy donc Oreſte encore,
Oreſte me trahit ?

CLEONNE.

Oreſte me trahit ?Oreſte vous adore.

Mais de mille remords ſon eſprit combattu
Croit tantoſt ſon amour, & tantoſt ſa vertu.
Il reſpecte en Pyrrhus l’honneur du diadéme.
Il reſpecte en Pyrrhus Achille, & Pyrrhus meſme.
Il craint les Grecs, il craint l’Vnivers en courroux.
Mais il ſe craint, dit-il, ſoy-meſme plus que tous.
Il voudroit en Vainqueur vous apporter ſa teſte.
Le ſeul nom d’Aſſaſſin l’épouuante & l’arreſte.
Enfin il eſt entré, ſans ſçauoir dans ſon cœur
S’il en deuoit ſortir Coupable, ou Spectateur.

HERMIONNE.

Non, non, il les verra triompher ſans obſtacle,
Il ſe gardera bien de troubler ce ſpectacle.
Ie ſçay de quels remords ſon courage eſt atteint.
Le laſche craint la mort, & c’eſt tout ce qu’il craint.
Quoy ? ſans qu’elle employaſt vne ſeule priere,
Ma Mere en ſa faueur arma la Grece entiere ?
Ses yeux pour leur querelle, en dix ans de combats,
Virent périr vingt Rois, qu’ils ne connoiſſoient pas ?
Et moy je ne prétens que la mort d’vn Parjure,
Et ie charge vn Amant du ſoin de mon injure,
Il peut me conquerir à ce prix, ſans danger,
Ie me liure moy-meſme, & ne puis me vanger ?
Allons. C’eſt à moy ſeule, à me rendre juſtice.
Que de cris de douleur le Temple retentiſſe.
De leur hymen fatal troublons l’euenement,
Et qu’ils ne ſoient vnis, s’il ſe peut, qu’vn moment.
Ie ne choisiray point dans ce deſordre extréme.
Tout me ſera Pyrrhus, fuſt-ce Oreſte luy-meſme,
Ie mourray. Mais au moins ma mort me vangera,
Ie ne mourray pas ſeule, & quelqu’vn me ſuiura.


Scène III.

ORESTE, ANDROMAQVE, HERMIONNE, CLEONNE, CEPHISE, Soldats d’ORESTE.
ORESTE.


Madame, c’en eſt fait. Partons en diligence.
Venez dans mes vaiſſeaux goûter voſtre vangeance.
Voyez cette Captiue. Elle peut mieux que moy
Vous apprendre qu’Oreſte a dégagé ſa foy.

HERMIONNE.

Ô Dieux ! C’eſt Andromaque ?

ANDROMAQVE.

Ô Dieux ! C’eſt Andromaque ?Oüy, c’est cette Princeſſe
Deux fois Veuue, & deux fois l’Eſclaue de la Grece,
Mais qui juſque dans Sparte ira vous brauer tous,
Puis qu’elle voit ſon Fils à couuert de vos coups.
Du crime de Pyrrhus complice manifeſte,
I’attens ſon chaſtiment. Car je voy bien qu’Oreſte
Engagé par voſtre ordre à cét aſſaſſinat,
Vient de ce triſte exploit vous ceder tout l’éclat.
Ie ne m’attendois pas que le Ciel en colere
Puſt, ſans perdre mon Fils, accroiſtre ma miſere,
Et gardaſt à mes yeux quelque ſpectacle encor
Qui fiſt couler mes pleurs pour vn autre qu’Hector.

Vous auez trouué ſeule vne ſanglante voye
De ſuſpendre en mon cœur le ſouvenir de Troye.
Plus barbare aujourd’huy qu’Achille & que ſon Fils,
Vous me faites pleurer mes plus grands Ennemis ;
Et ce que n’auoient pû promeſſe, ny menaſſe,
Pyrrhus de mon Hector ſemble auoir pris la place.
Ie n’ay que trop, Madame, éprouué ſon courroux,
I’aurois plus de ſujet de m’en plaindre que vous.
Pour derniere rigueur, ton amitié cruelle,
Pyrrhus, à mon Epoux me rendoit infidelle.
Ie t’en allois punir. Mais le Ciel m’eſt témoin,
Que je ne pouſſois pas ma vangeance ſi loin,
Et ſans verſer ton ſang, ny cauſer tant d’allarmes,
Il ne t’en euſt couſté peut-eſtre que des larmes.

HERMIONNE.

Quoy ? Pyrrhus eſt donc mort !

ORESTE.

Quoy ? Pyrrhus eſt donc mort !Oüy, nos Grecs irritez
Ont laué dans ſon sang ſes infidelitez.
Ie vous l’auois promis. Et quoy que mon courage
Se fiſt de ce complot vne funeſte image,
I’ay couru vers le Temple, où nos Grecs diſperſez
Se ſont juſqu’à l’Autel dans la foule gliſſez.
Pyrrhus m’a reconnu. Mais ſans changer de face,
Il ſembloit que ma veuë excitaſt ſon audace,
Que tous les Grecs brauez en leur Ambaſſadeur
Deuſſent de ſon hymen releuer la ſplendeur.
Enfin auec tranſport prenant ſon diadéme,
Sur le front d’Andromaque il l’a poſé luy-meſme.
Ie vous donne, a-t’il dit, ma Couronne, & ma Foy ;
Andromaque, regnez ſur l’Epire & ſur moy.

Ie voüe à voſtre Fils vne amitié de Pere,
I’en atteſte les Dieux, je le jure à ſa Mere.
Pour tous mes Ennemis je declare les ſiens,
Et je le reconnoy pour le Roy des Troyens.
À ces mots, qui du Peuple attiroient le ſuffrage,
Nos Grecs n’ont répondu que par vn cry de rage,
L’Infidelle s’eſt vû par tout enuelopper,
Et je n’ay pû trouuer de place pour frapper.
Chacun ſe diſputoit la gloire de l’abbattre.
Ie l’ay veû dans leurs mains quelque temps ſe deébattre,
Tout ſanglant à leurs coups vouloir ſe dérober,
Mais enfin à l’Autel il eſt allé tomber.
Le Troyen eſt ſauué. Mais partons, le temps preſſe.
L’Epire toſt ou tard ſatisfera la Grece :
Cependant j’ay voulu qu’Andromaque aujourd’huy
Honnoraſt mon triomphe, & répondît de luy.
Du Peuple épouuanté la foule fugitiue
M’a laiſſé ſans obstacle enleuer ma Captiue,
Et regagner ces lieux, où bien-toſt nos Amis
Viendront couuerts du ſang, que je vous ay promis.

HERMIONNE.

Qu’ont-ils fait !

ORESTE.

Qu’ont-ils fait !Pardonnez à leur impatience,
Ils ont, je le voy bien, trahy voſtre vangeance.
Vous vouliez que ma main portaſt les premiers coups,
Qu’il ſentiſt en mourant qu’il expiroit pour vous.
Mais c’eſt moy, dont l’ardeur leur a ſeruy d’exemple,
Ie les ay pour vous ſeule entraînez dans le Temple,

Madame, & vous pouuez juſtement vous flatter
D’vne mort que les Grecs n’ont fait qu’executer.
Vous ſeule auez pouſſé les coups…

HERMIONNE.

Vous ſeule auez pouſſé les coups…Tay-toy, Perfide,
Et n’impute qu’à toy ton laſche Parricide.
Va faire chez tes Grecs admirer ta fureur,
Va, je la deſauouë, & tu me fais horreur.
Barbare qu’as-tu fait ? auec quelle furie
As-tu tranché le cours d’vne ſi belle vie ?
Auez-vous pû, Cruels, l’immoler aujourd’huy,
Sans que tout voſtre ſang ſe ſoûleuaſt pour luyi ?
Mais parle. De ſon sort qui t’a rendu l’arbitre ?
Pourquoy l’aſſaſſiner ? Qu’a-t-il fait ? À quel titre ?
Qui te l’a dit ?

ORESTE.

Qui te l’a dit ?Ô Dieux ! Quoy ne m’auez-vous pas
Vous-meſme, icy, tantoſt, ordonné ſon trépas ?

HERMIONNE.

Ah ! Falloit-il en croire vne Amante inſenſée ?
Ne deuois-tu pas lire au fond de ma penſée ?
Et ne voyois-tu pas, dans mes emportemens,
Que mon cœur démentoit ma bouche à tous momens ?
Quand je l’aurois voulu, falloit-il y ſouſcrire ?
N’as-tu pas dû cent fois te le faire redire,
Toy-meſme auant le coup me venir conſulter,
Y reuenir encore, ou plûtoſt m’éuiter ?
Que ne me laiſſois-tu le ſoin de ma vangeance ?
Qui t’ameine en des lieux, où l’on fuit ta preſence ?

Voila de ton amour le deteſtable fruit.
Tu m’apportois, Cruel, le malheur qui te ſuit.
C’eſt toy, dont l’Ambaſſade à tous les deux fatale,
L’a fait pour ſon malheur pancher vers ma Riuale ;
Nous le verrions encor nous partager ſes ſoins,
Il m’aimeroit peut-eſtre, il le feindroit du moins.
Adieu. Tu peux partir. Ie demeure en Epire,
Ie renonce à la Grece, à Sparte, à ſon Empire,
À toute ma Famille. Et c’eſt aſſez pour moy,
Traiſtre, qu’elle ait produit vn monstre comme toy.
Allons, Madame, allons. C’eſt moy qui vous déliure.
Pyrrhus ainſi l’ordonne, & vous pouuez me ſuiure.
De nos derniers deuoirs allons nous dégager.
Montrons qui de nous deux ſçaura mieux le vanger.


Scène IV.

ORESTE, Soldats d’Oreſte.
ORESTE.


Qve voy-je ? Eſt-ce Hermionne ? Et que viens-je d’entendre ?
Pour qui coule le ſang que ie viens de répandre ?
Ie ſuis, ſi ie l’en crois, vn Traiſtre, vn Aſſaſſin.
Eſt-ce Pyrrhus qui meurt ? & ſuis-je Oreſte enfin ?
Quoy ? j’étouffe en mon cœur la raiſon qui m’éclaire.
I’aſſaſſine à regret vn Roy que je reuere.
Ie viole en vn jour les droits des Souuerains,
Ceux des Ambaſſadeurs, & tous ceux des Humains,
Ceux meſme des Autels où ma fureur l’aſſiege.
Ie deviens Parricide, Aſſaſſin, Sacrilege.
Pour qui ? Pour vne Ingrate, à qui ie le promets,
Qui meſme, s’il ne meurt, ne me verra jamais,
Dont j’épouſe la rage. Et quand ie l’ay ſeruie,
Elle me redemande & ſon ſang & ſa vie !
Elle l’aime ! & ie ſuis un monſtre furieux !
Ie la voy pour jamais s’éloigner de mes yeux,
Et l’Ingrate, en fuyant, me laiſſe pour ſalaire
Tous les noms odieux que j’ay pris pour luy plaire.


Scène V.

ORESTE, PYLADE, Soldats d’Oreſte.
PYLADE.


Il faut partir, Seigneur. Sortons de ce Palais,
Ou bien reſoluons nous de n’en ſortir jamais.
Nos Grecs pour vn moment en défendent la Porte.
Tout le Peuple aſſemblé nous pourſuit à main forte.
Aux ordres d’Andromaque icy tout eſt ſoûmis,
Ils la traitent en Reyne, & nous comme Ennemis.
Andromaque elle meſme à Pyrrhus ſi rebelle,
Luy rend tous les deuoirs d’vne Veuve fidelle,
Commande qu’on le vange. Et peut-eſtre qu’encor,
Elle pourſuit ſur nous la vangeance d’Hector.
Allons. N’attendons pas que l’on nous enuironne,
Nos Grecs nous rejoindront. Et tandis qu’Hermionne
Tient encore le Peuple autour d’elle arreſté,
Voilà noſtre chemin, ſortons en ſeureté.

ORESTE.

Non, non, c’eſt Hermionne, Amis, que ie veux ſuivre,
À ſon dernier courroux, ie ne puis plus ſuruiure :

Partez, j’ay fait le crime, & ie vais l’expier.

PYLADE.

Hermionne, Seigneur ? Il la faut oublier.
Quoy touſiours l’inſtrument, & l’objet de ſa rage,
Cherchez-vous chez les Morts quelque nouuel outrage ?
Et parce qu’elle meurt, faut-il que vous mouriez ?

ORESTE.

Elle meurt ? Dieux. Qu’entens-je !

PYLADE.

Elle meurt ? Dieux. Qu’entens-je !Hé quoy ? vous l’ignoriez ?
En rentrant dans ces lieux, nous l’auons rencontrée,
Qui couroit vers le Temple, inquiete, égarée.
Elle a trouué Pyrrhus porté ſur des Soldats,
Que ſon ſang excitoit à vanger ſon trépas.
Sans doute, à cét objet ſa rage s’eſt émuë.
Mais du haut de la porte enfin nous l’auons veuë,
Vn poignard à la main, ſur Pyrrhus ſe courber,
Leuer les yeux au Ciel, ſe frapper, & tomber.

ORESTE.

Grace aux Dieux ! Mon mal-heur paſſe mon eſperance.
Oüy, ie te louë, ô Ciel ! de ta perſeuerance.
Appliqué ſans relaſche au ſoin de me punir,
Au comble des douleurs tu m’as fait paruenir.

Ta haine a pris plaiſir à former ma miſere,
I’eſtois né, pour seruir d’exemple à ta colere,
Pour eſtre du Mal-heur vn modelle accomply ;
Hé bien, ie meurs content, & mon ſort eſt remply.
Où ſont ces deux Amans ? Pour couronner ma joye,
Dans leur ſang, dans le mien, il faut que ie me noye ;
L’vn & l’autre en mourant, ie les veux regarder.
Réüniſſons trois cœurs, qui n’ont pû s’accorder,
Mais quelle épaiſſe nuit tout à coup m’enuironne ?
De quel coſté ſortir ? D’où vient que ie friſſonne ?
Quelle horeur me ſaiſit ? Grace au Ciel, j’entreuoy.
Dieux ! Quels ruiſſeaux de ſang coulent autour de moy !

PYLADE.

Ah ! Seigneur !

ORESTE.

Ah ! Seigneur !Quoy, Pyrrhus, ie te rencontre encore ?
Trouueray-je partout vn Riual que j’abhorre ?
Percé de tant de coups comment t’es-tu ſauué ?
Tiens, tiens, voila le coup que ie t’ay reſerué.
Mais que vois-je ? À mes yeux Hermionne l’embraſſe ?
Elle vient l’arracher au coup qui le menaſſe ?
Dieux, quels affreux regards elle jette ſur moy !
Quels Démons, quels ſerpents traiſne-t’elle apres ſoy ?
Hé bien, Filles d’Enfer, vos mains ſont-elles preſtes ?
Pour qui ſont ces Serpens qui ſifflent ſur vos teſtes ?
À qui deſtinez-vous l’appareil qui vous ſuit ?
Venez-vous m’enleuer dans l’eternelle Nuit ?

Venez, à vos fureurs Oreſte s’abandonne.
Mais non, retirez-vous, laiſſez faire Hermionne ;
L’Ingrate mieux que vous ſçaura me déchirer,
Et ie luy porte enfin mon cœur à deuorer.

PYLADE.

Il perd le ſentiment. Amis, le temps nous preſſe,
Ménageons les momens que ce tranſport nous laiſſe.
Sauuons-le. Nos efforts deuiendroient impuiſſants,
S’il reprenoit icy ſa rage auec ſes ſens.


FIN.