Anecdotes inédites sur Malherbe/03

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ADDITION I

LITTÉRAIRE

(anecdotes 1 à 11)

ADDITION I (P. 213-214). Elle se place après « … il ne s’estoit point aperçu qu’elle se fust enlevée hors de sa place » (Mém., p. Lxxi, au bas.)

Les premiers vers de Malherbe.

Anecdote 1. (P.213.)

Ses premiers vers estojent aussi mauvais, que les autres ont esté bons. Il fit une Élégie, estant encore fort jeune, sur la mort d’une fort belle fille, qui estoit sa Parente, laquelle commençoit ainsi,

Donques tu ne vis plus, Geneviève, et la mort, etc. Mais ayant leu les ouvrages des bons Poëtes, et profité de la conversation de plusieurs de ses Compatriotes, qui faisoyent fort bien des vers, il changea bientost de style, et ne se contenta pas de les égaler, mais il les surpassa tous en la beauté de l’expression, et en la manière de bien tourner les vers, comme ils l’avouöyent eux-mesmes. Ce changement parut en un (sic) Épitaphe qu’il fit pour un de ses oncles, frère de sa mère, nommé M. d’Is, Lieutenant criminel à Caen. Comme c’estoitun homme de réputation dans la ville, et fort considéré dans sa famille, la Mère de M. de Malherbe l’avoit pressé plusieurs fois de faire des vers sur sa mort ; de sorte que pour se délivrer de ceste importunité, il fit en fin ce Sizain, comme par dépit :

Icy dessous gist Monsieur d’Is,
Pleustor à Dieu qu’ils fussent dix.
Mes trois Sœurs, mon Père et ma Mère,
Le grand Eléazar mon Frère,
Mes trois Tantes et monsieur d’Is ;
Vous les nommé-je pas tous dix ?

Malherbe

Conrart, qui avait pris soin de copier l’élégie, en parla au chanoine Maucroix, qui en parle à son tour à Boileau dans une lettre du 23 mai 1695, n’en citant que le premier vers qu’il estropie d’ailleurs. Conrart la montra sans doute aussi à Tallemant : « Les premiers vers de Malherbe, dit celui-ci, t. 1, p. 272, estoient pitoyables ; j’en ay veû quelques-uns, e entre autres une élégie qui débute ainsi :

Doncques tu ne vis plus, Geneviefve, et la mort
En l’avril de tes ans, te monstre son effort, etc. »

Elle a été retrouvée en 1888 dans les papiers de Conrart par M. E. Roy qui l’a publiée pour la première fois : Une pièce inédite de Malherbe. Paris, Ern. Leroux. Elle porte pour titre dans le manuscrit : Larmes du sieur Malherbe. — Le savant professeur de la Faculté de Caen, M. Armand Gasté, a reconstitué d’une façon très vivante ce drame de famille qui attrista la ville de Caen, cette jeune fiUe tuée à 24 ans par la calomnie : voir la Jeunesse de Malherbe, br. de 56 p., Caen, 1890, ch. ii. On y trouvera à la p. 37 le texte de cette élégie qui ne comprend pas moins de 160 vers ; remarquons que la véritable leçon du second vers doit être celle de Conrart :

« En l’avril de tes ans a montré son effort » plutôt que celle de Tallemant citée plus haut. —

En la traitant de « fort belle fille », Conrart se rencontre avec l’oncle de Geneviève, Jean Rouxel : « liberali forma », dit-il dans son épitaphe (cité par Gasté, p. 48).

Un détail nouveau, c’est la parenté de Geneviève et de Malherbe : nous comptons, pour nous l’éclaircir avant peu, sur la sagacité ordinaire de M. Gasté. —

Parmi ces compatriotes dont la conversation profita au jeune poète, il faut ranger certainement Vauquelin de la Fresnaye. Voir Gasté, et aussi Gust. Allais. Malherbe et la poésie française à la fin du XVIe siècle. 1891. —

Le sixain, qui était inédit tout comme l’élégie au temps de Conrart, fut publié par Ménage en 1666 à la fin des Poésies de Malherbe, p. 239, avec ce Titre : Epitaphe de M. d’Is, parent de l’Auteur, et de qui l’Auteur était héritier. Cf. la notice de Lalanne, Malherbe, t. I, p. 19. Mais on ignorait jusqu’ici que le poète l’eût composé sur la demande de sa mère : cette circonstance en augmente l’impertinence.

C’est ce « grand Eléazar » son frère, avec qui Malherbe fut sans cesse en procès. Racan le dit dans l’anecdote précédente (Cf. Lalanne. p. lxxi, n. 6). Voilà sans doute ce qui donna à Conrart l’idée d’insérer ici cette anecdote.

Elle doit être de Racan, d’abord parce qu’il reçut plus que tout autre les confidences de Malherbe touchant sa jeunesse, 2° à cause du tour général du récit, et de cette naïveté de prouver les progrès poétiques de Malherbe par un mauvais sixain.


Les stances à du Périer.

Anecdote 2. Il avoit 30 ans quand il fit la pièce qui commence,

(P. 213.) Ta douleur. Du Périer, etc


Cela reporterait la pièce à 1585, tandis qu’elle paraissait être de 1599 (voir Lal. t.I, p. 38 ; Allais, p. 335 et s.). Il y a là un petit problème à résoudre. Peut-être le principal de la pièce fut-il fait en 1585, et Malherbe, après qu’il eut perdu lui-même deux enfants, après 1599, ajoula-t-il les deux strophes finales sur ses propres malheurs (V. 63-73).

D’ailleurs, il peut y avoir erreur dans le nombre : en effet, cette anecdote sur la jeunesse de Malherbe vient probablement de Racan, qui donna rarement en sa vie un chiffre exact : cf. dans la 1re page des Mémoires (p.lxiii, 17 pour 21, et 9 avec un chiffre en blanc pour 27.

Ce renseignement est reproduit presque textuellement par Tallemant, t. I, 272. Mais pourquoi Paulin Paris metil en marge, pour les 30 ans de Malherbe, 1586 au lieu de 1585 ?


Le Commentaire sur Ronsard.

Anecdote 3. (P. 213.) Il mettoit à la marge de tout ce qui ne luy plaisoit pas dans Ronsard, Moilon Moilon ; comme s’il eust voulu dire, que ces endroits la ressembloient au moilon, dont on ne se sert, dans les bastimens, que pour remplir les fondemens, et pour faire des murs ; au lieu que la pierre de taille est ce qui les rend solides et beaux.

C’est un trait de plus ajouté à ce que nous savions déjà de la haine de Malherbe pour Ronsard.

Voilà sans doute une des « raisons qu’il cottoit à la marge de son Ronsard » ( Racan, Mémoires, lxxvii). Quel dommage qu’on ne retrouve pas cet exemplaire de Ronsard comme on a fait celui de Desportes !

Ce mot de moilon se rencontre souvent dans les marges de Desportes. Il se comprend ; mais l’explication donnée par le rapporteur est fautive en un point : l’on ne se sert pas }} de moellons « pour remplir les fondemens ».

Le trait a dû être rapporté par Racan qui avait feuilleté le Ronsard de Malherbe (Mém. pass. cité). Le style ressemble bien à celui de Racan, et rappelle même tout à fait par le mouvement l’anecdote des Mém. p. lxxx : « Il disoit souvent.... comme s’il eust voulu dire qu’il se soucioit fort peu »

An. citée par nous dans la Revue bleue, p. 731, col. 1.


Une Critique de Virgile

Anecdote 4. (P. 213.) Il reprenoit beaucoup de choses dans Virgile, entr′autres :

Euboicis Cumarum allabituir oris.

C’est comme si on disoit, Aux rives francoises de Normandie.

Virg. En. vi, 2. Tallemant cite la même critique, I, 276, changeant seulement la Normandie en Paris, et il ajoute : « Ne voyla-t-il pas une belle objection ! » Malherbe prouve en effet par là qu’il n’était pas très versé dans la géographie ancienne, en mettant Cumes en Eubée, tandis que l’épithète désigne, suivant l’habitude virgilienne, les fondateurs de la ville.

Il la prend pour une sorte d′épithète de nature, il ne les aimait pas, allant avant tout à la sobriété et même à l’économie dans le discours, et se mettant par là en pleine réaction contre le xviesiècle (Cf. Brunot, p. 195 et s., entre autres 204).

Il y avait évidemment incompatibilité d’humeur entre Virgile et Malherbe. Celui-ci lui préférait Stace, Sénèque le Tragique, Horace, Juvénal, Ovide et Martial, comme le rapporte, dans les Mémoires, p. lxx, Racan, qui a bien pu fournir aussi cette anecdote.

L’Aminte

Anecdote 5.

(P. 213.)

Madame la marquise de Rambouillet lui ayant demandé ce qu’il estimoit le plus de tous les vers qu’il avoit leus, j’aimerois mieux, répondit-il, avoir fait l’Aminte du Tasse, que tout le reste.

Conrart tenait probablement de la marquise ce jugement,

assez surprenant de la part de Malherbe. Tallemant dit simplement (t. I, 276) que l’Aminte était le seul ouvrage italien qu’il pût souffrir. Racan (Mémoires, p. lxx nous avait déjà appris le peu de goût de son maître pour les Italiens, qu’il avait cependant commencé par imiter dans les Larmes de Saint-Pierre.


Malherbe et le Théâtre


Anecdote 6, Une des filles de la Reyne, disoit, en sa présence,

P.214.à M. de Gombaud, comme on parloit de la difficulté qu’il y a de bien faire une Pièce de Théâtre, Mais que faut-il donc pour en faire une bonne ? Et M. de Gombaud lui ayant répondu qu’il y avoit bien des règles à observer ; Je croy, dit M. de Malherbe, que le jugement me les feroit trouver toutes.

Oui, mais il n’aurait pas eu assez d’imagination pour les observer pratiquement dans une œuvre créatrice. Il a fait prudemment de ne point essayer.

Il est curieux de constater que Malherbe a effectué sa réforme en demeurant complètement étranger au théâtre, sans y donner de pièces, sans même s’en occuper théoriquement, au contraire de Ronsard, Boileau, Voltaire, Victor Hugo : c’est là un fait isolé dans notre histoire littéraire. Il a du moins, sans le savoir, préparé les voies au théâtre, comme M. Brunetière vient de le montrer dans son article original de la Revue des Deux-Mondes du 1erdécembre 1892.

Cette anecdote peut venir soit de Racan qui avait fréquenté la cour en même temps que Malherbe, soit de Gombaud lui-même.

V. Revue bleue, p. 731, 2e col.



Anecdote 7. (P. 214.)

Lycophron.

Un jour que Racan lisoit Ronsard, en sa présence, ayant rencontré la Chanson qui commence,

D’un gosier mâche-laurier
J’oy crier
Dans Lycophron ma Cassandre.


Il luy demanda si Lycophron estoit une ville ? Il ne lui voulut jamais répondre qu’en le grondant et le traittant d’ignorant ; de sorte que Racan demeura dans cette erreur que Lycophron estoit une ville, jusqu’à ce qu’un jour qui fut fort long temps après, comme il estoit chez M. de la Varenne, avec M. de Meziriac, qui le pria de faire apporter de sa Bibliothèque un Licophron (sic), pour justifier un passage qu’il avoit allégué ; il reconnut par là, que Licophron estoit un auteur, et non pas une ville.

Racan prenant Lycophron pour une ville fait bien le pendant — sauf son respect — du singe de La Fontaine prenant le Pirée pour un homme.

La chanson peu harmonieuse de Ronsard est au premier livre de ses Amours, édition Blanchemain, t. I, p. 130. En voici la première strophe complète :

D’un gosier masche-laurier
J’oy crier
Dans Lycopliron ma Cassandre,
Qui prophétise aux Troyens
Les moyens
Qui les réduiront en cendre.


Scarron a parodié les deux premiers vers de Ronsard au commencement de son poème burlesque de Typhon ou la Gigantomache, paru en 1648 :

Je chante, quoy que d′un gosier
Qui ne mâche point de Laurier ;
Non Hector, non le brave Enée…

Racan était vraiment bien en droit d’ignorer que Lycophron était un des poètes de l’ancienne Pléiade, et qu’il avait fait un poème intitulé Cassandre où Ronsard se plaisait à retrouver sa propre Cassandre.

Cette curieuse anecdote ne peut avoir été rapportée que par Racan, qui y a mis d’ailleurs sa bonhomie et son calme ordinaires.

Voici ce qu’il écrivait trente ans plus tard (et non vingt ans, Sainte-Beuve p. 422) dans une lettre à Chapelain du 25 octobre 1654 : « C’est de quoy j’oserois vous demander raison, si je ne craignois d’avoir une aussi rude réprimande que celle que je reçus du grondeur et impitoyable silence de Malherbe quand je pris Lycophron pour la ville où demeuroit Cassandre… » Racan, t. I, p. 349.

V. Revue bleue, p. 731, col. 2.


La chanson du Pont-Neuf.

Anecdote 8. P.214. M. Chapelain le trouva une fois couché sur un lit de repos, qui chantoit une chanson du Pont Neuf, qu’on avoit faite depuis peu, et qui commençoit :

D’où venez-vous, Jeanne ?
Jeanne, d’où venez ? etc…

Il ne se leva point pour le recevoir qu’il n’eust achevé. Puis, il luy dit, J’aymerois mieux avoir fait cette chanson, que toutes les Œuvres de Ronsard.

Cette chanson du Pont-Neuf, ce pont-neuf, comme l’on disait, fut chanté pendant tout le XVIIe siècle : nous en retrouvons le 1er couplet dans la Comédie de chansons, donnée en 1640, acte II, sc. 1. Paris, Toussaint Quinet, in-12, p. 36 (cité par Ed. Fournier, dans l’Artiste, n° du 15 septembre 1850) :

D’où venez-vous, Jeanne ?

Jeanne, d’où venez ? —
Je viens de la prairie
Mes vaches garder. —
Vous êtes amoureuse

De votre berger. —

Cette boutade de Malherbe, qui donne un avant-goût de celle d’Alceste disant la chanson du roi Henri, est reproduite presque textuellement par Tallemant (t. I, 288), qui ajoute : « Racan dit qu’il a dire la mesme chose d’une chanson où il y a à la fin :

Que me donnerez-vous ?
Je feray rendormie. — »

L’anecdote peut donc avoir été rapportée à Conrart soit par Racan, soit par Chapelain. —

Ce paradoxe méprisant contre Ronsard est à rapprocher de plusieurs autres traits du même sentiment (V. An. 3 et note).

Malherbe aimait d’ailleurs vraiment les chansons populaires ; M. Ed. Fournier a même retrouvé dans un recueil du temps une chanson poissarde signée de lui, en sept couplets, dont voici le ler :

Belle, quand te lasseras-tu

De causer mon martyre ?
— Je n’ons ni biauté ni vartu ",
Cela vous plaît à dire.
Portez vos biaux discours ailleurs,

Car je n’aimons point les railleurs.

Il la donne dans l’Artistedu 15 septembre 1850. Mais M. Lalanne qui la réimprime {Malh., t. I, p. cxx) doute fort de son authenticité, et pense qu’il y a eu, dans le recueil de 1634 où on la trouve, erreur ou supercherie du libraire.

NuL doute que si M. Fournier avait connu la présente anecdote avant de finir sa piquante Histoire du Pont-Neuf, Paris, 2 vol., chez Dentu, 1862, il n’eût pas manqué d’ajouter le souvenir de Malherbe à ceux de Boileau, de Molière et de La Fontaine fréquentant le célèbre terre-plein.

Il remarque ailleurs (R. des provinces, p. 526, n. 2) que le goût de Malherbe pour la chanson populaire est conforme à son habitude de renvoyer « aux crocheteurs du Port-au-Foin…, ses maîtres pour le langage ». Mém. lxxix.

— La réforme de Malherbe fut, en somme, une réaction contre l'aristocratie littéraire de Ronsard ; elle fut démocratique, mais avec les procédés d’un dictateur. Il voulut avant tout faire rentrer la poésie française dans le naturel. Il est fâcheux qu’il ne se soit pas plus inspiré pratiquement de la naïveté populaire.


Malherbe et l’Elégie.

Anecdote 9.
P;214.
Quelqu’un lui demandant pourquoy il ne faisoit point

d’Elégies, Par-ce, dit-il, que je ne croy pas cela nécessaire, faisant bien des odes ; car qui sait sauter, sait bien marcher.

Cette anecdote est reproduite par Tallemant, I, 293, qui par exception n’est point aussi vif.

L’élégie et l’ode sont ici considérées par Malherbe au point de vue de laversification. L’élégie est un genre un peu flottant, dont les caractères n’ont jamais été très nettement fixés par les modernes (cf. ce que venait d’en écrire Vauquelin de la Fresnaye dans son Art poétique publié en 1612) : Malherbe semble entendre sous ce iiom une pièce de sujet triste, et de vers suivis, comme ses Larmes à Geneviève Rouxel (voir an. 1). Il l’oppose ici à l’ode qui « saute » et bondit par strophes, et l’on voit que cette difficulté même est pour lui un attrait.

Aurait-il su « marcher » avec mollesse, avec grâce dans l'élégie ? C’est douteux malgré son succès dans les stances amoureuses qu’il composa pour Alcandre (Henri IV, dont il se fit l’entremetteur poétique) Lal. p. 151-170. Boileau dira bientôt la vérité sur ce genre

C’est peu d’être poète, il faut être amoureux.

Il est probable que l’orgueil faisait illusion à Malherbe pour l’élégie aussi bien que pour le théâtre (voir an. 6).


Les paraphrases de Psaumes.

Anecdote 10.
(P.214°.)

Quand il montroit quelque Pseaume qu’il avoit mis en vers, et qu’on lui marquoit des endroits où il n’avoit pas suivy le sens de David, il répondoit, Je ne m’arreste pas à cela ; J’ay bien fait parler le bonhomme David autrement qu’il n’avoit fait.


Tallemant, I, 287, rapporte le mot en l’appliquant à un seul psaume : « Je croy bien », dit Malherbe ; « suis-je le valet de David ? J’ay bien fait parler le bonhomme autrement qu’il n’avoit fait. »

« Bien… autrement >, qui se retrouve dans les deux rédactions, signifie bien mieux, comme lorsque nous disons familièrement : « Ce travail sera autrement fait par un tel que par un tel ». Ce sens serait à ajouter à l’article autrement dans Littré et dans le dictionnaire de l’Académie française, qui mentionnent seulement le sens voisin bien plus : Académie, édition 1877, « Ceci est tout autrement important, est bien plus important. » — Littré, « Tout autrement, beaucoup plus. On ne peut nier que cette méthode de traiter la dévotion n’agrée tout autrement au monde que celle dont on se servait avant nous, Pasc. Prov.9. » Le Lexi- que de la langue de Malherbe (Œuvres, t. V) ne fournit rien à ce sujet. —

Sainte-Beuve donne raison à cette prétention de Malherbe, pour la paraphrase du psaume cxlv :

N’espérons plus, mon âme, aux promesses du monde.
(Nouveaux Lundis, t. XIII, 415.)

Malherbe répondait encore aux objections semblables (Racan, Mém. p.lxxx « qu’il n’apprêtoit pas les viandes pour les cuisiniers ». Il est curieux de marquer le seul point sur lequel le rigoureux législateur revendique la liberté du poète.

Racan, qui approuvait fort cette indépendance vis-à-vis des savants, la retournait par moments contre son maître (Mém. lxxx : aussi est-ce lui qui a dû recueillir cette déclaration, tout comme il a recueilli l'autre, d’autant plus qu’elles présentent toutes deux, dans les termes, des ressemblances frappantes. Voir Introd. p. 18 III. V. Revue bleue, 730, col. 2.


Les Pois pilés.

Anecdote 11
P.214.

Les vers qui n’estoyent ni bons ni mauvais, luy déplaisoient extrêmement, et il les appelloit des Poispilez.

« Bavardages, inutilités », tel est le sens que Malherbe donne à cette locution dans deux de ses lettres, t. III, p. 31, et IV, 94 (Lexique, t. V, p. 475). C’est une allusion à un plat essentiellement populaire et probablement très ancien : « Je me tieg (tiens) à pois piles » Mss. de poésies franc, avant 1300, cité par Littré. Dict., art. Pois, Hist. Il s’agit sans doute d’une grosse purée de haricots, le pois désignant le haricot autrefois, et aujourd’hui encore dans plusieurs provinces, telles que la Normandie et le Poitou. Cf. Littré, art. Pois 1o . —

On juge bien parce mot du genre de critique pittoresque qui était le ton ordinaire de l’enseignement du maître. —

Malherbe faisait une guerre acharnée au remplissage (mots ou vers-chevilles). L’an 3 nous l’a montré pour Ronsard ; cf. Mémoires, p. Lxxiii, le mot cité par Racan, qui peut bien avoir également rapporté celui-ci ; voir les diverses objurgations qu’il adresse aux chevilles de Desportes dans le Commentaire, et lire sur ce sujet, dans l’étude si précise de M. Souriau sur la Versification de Malherbe, le chap. viii : les Chevilles.

V. Revue bleue, p. 731, col. 2.