Anecdotes normandes (Floquet)/Le Procès

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Texte établi par Charles de BeaurepaireCagniard (p. 121-135).


Le Procès


ANECDOTE NORMANDE


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« Pro. uno ovo datur actio ».
Accurse



Qu’est devenue l’humeur processive de nos anciens Normands, telle que les historiens et de malins poètes ont pris plaisir à la peindre ; ce penchant inné et violent à la chicane, si inhérent à leur nature, si profondément imprégné en eux, qu’il était devenu, à la longue, le fond de leur être, et frappait, tout d’abord, l’étranger, le voyageur, le savant, comme le trait le plus saillant de leur physionomie ? En sorte que, dans les chroniques, dans les vieux itinéraires où est décrite notre province, l’esprit chicaneur de ses habitants est toujours mentionné spécialement en termes honorables, et qu’après quelques mots sur le royaume d’Yvetot, sur le privilège de la Fierte, les palinods, la charte des Normands, leur échiquier, et leur cri de haro, arrive immédiatement l’inévitable tirade sur les procès, la plus douce, alors, la plus habituelle occupation de la vie de nos pères.

Ah ! qu’il connaissait bien les besoins de son pays et de son époque, ce bon curé d’Avranches, maître Jacques de Campront, qui, en 1597, mit en lumière et dédia au Parlement de Rouen le Pseautier du bon plaideur, contenant, pour chaque jour de la semaine, un cantique de sa façon, et quatre psaumes choisis par lui, que le bon plaideur devait réciter exactement pour gagner sa cause. Il ne manquait pas, dans ses prônes, d’en recommander la lecture à ses paroissiens ; et, vraiment, il prêchait d’exemple, car il plaidait sans cesse, le digne curé, et sans cesse il récitait son Pseautier du bon plaideur, ce qui (soit dit sans blasphème) ne l’empêchait point de perdre, çà et là, quelques procès sur la quantité.

C’était alors que Pipaut, ce paysan de Dozulé, se voyant taxé à un denier au-delà de son attente, prit à partie les collecteurs de la taille, se plaignant fort de leurs procédés tortionnaires et vexatoires. Et ce marchand qui allait à la foire de Guibrai ! Dans une auberge, il prétendit avoir été surfait de deux sous environ par écot ; c’était la veille de la foire : en payant vite et continuant sa route, il y avait pour lui quatre-vingt pistoles, au moins, à gagner ; mais, vraiment, ce n’était pas l’humeur du bonhomme ; il resta là, arrêté quinze grands jours à plaider contre son hôte, sans plus songer qu’il y eût un Guibrai au monde ; et, après la foire, ses compagnons, qui avaient bien fait leurs affaires, le trouvèrent plus échauffé qu’ils ne l’avaient quitté ; le digne normand avait perdu son procès, et, maintenant, il plaidait contre son procureur, qui lui avait demandé quelque peu plus qu’il n’était porté par l’ordonnance. N’est-ce pas faire comme ces femmes qui brûlent la moitié d’une bougie pour chercher une épingle qui vaut bien un denier ? Mais quel remède, quand c’est dans le sang ? En ce temps-là, un bon et vrai normand ne mourait point sans avoir eu, tout au moins, son petit procès au Parlement ; plus tôt, plus tard, il fallait, de nécessité, en passar par là ; c’était, voyez-vous, comme le voyage de la Mecque, où tout musulman fidèle doit aller une fois en sa vie. Qui aurait pu planer sur la Normandie, et l’embrasser d’un coup d’œil tout entière, eût été émerveillé en voyant, sur toutes les routes en sens divers qui conduisaient à Rouen, se hâter, se presser, à pied, à cheval, en coche, en patache, des gentilhommes, des marchands, des métayers, voire même des abbés, des prieurs, des chanoines et des curés, qui se rendaient en toute hâte, de l’extrémité de la province à Rouen, droit au Palais, où ils avaient affaire ; aussi nombreux, aussi empressés que naguère les Hébreux, lorsque, de tous les coins de la Judée, ils venaient sacrifier à Jérusalem. Les sacs de procédure n’étaient pas oubliés, comme on le pense bien : Que dis-je ? tel plaideur venait par eau, ne craignant pas d’exposer sa personne, qui faisait apporter ses sacs et ses paperasses par terre, de peur d’un naufrage ou autre accident.

O le bon temps pour notre capitale normande, où tout ce monde-là venait s’héberger, séjourner, dépenser ! Aussi ne voyait-on, partout, dans Rouen, que des hôtelleries, dont les mille et mille enseignes pendantes bruissaient, la nuit, agitées par le vent ; et toutes étaient pleines de plaideurs fervents, venus de bien loin, en pèlerinage, pour apporter dévotement leur offrande à dame chicane, grande sainte spécialement honorée et révérée, alors, dans ces contrées. Et il fallait voir, dès le petit matin, tous ces gens-là accourir vite au Palais, se coudoyer, se heurter dans la grande salle des Procureurs, devenu un désert aujourd’hui, au prix de ce qu’elle était autrefois, regardant de travers leurs parties adverses, se disputant avec les clercs de la basoche, au sujet des éperons ; consultant, en grande perplexité, les avocats et procureurs, et Dieu sait pour quel sujet la plupart du temps ! Car, dans cette belle et vaste grand’chambre dorée du Parlement, dans ce sanctuaire auguste où s’agitaient, pour l’ordinaire, de si grands intérêts, d’où émanaient des décisions qui réglaient le sort de la province ; parmi de grands procès où il s’agissait d’immenses domaines en litige entre de nobles et puissantes familles, se faufilaient, parfois, de tout petits procès, pas plus gros que rien, sur le manche d’un balai, sur un pied de mouche, sur la pointe d’une aiguille, procès qui, parbleu ! n’étaient pas les moins opiniâtrement soutenus. Dans les grandes affaires, on voyait encore, de temps à autre, une transaction ; mais il ne fallait pas espérer d’arranger celles-là ; Bassompière se fut plutôt résigné à épouser mademoiselle d’Entragues. Et c’était presque toujours entre voisins que s’agitaient ces vétilles : le pommier de Claude étendait-il ses branches sur le fond de Gautier ? on se disputait les fruits. — Une poule avait-elle franchi une haie, et causé, sur les terres adjacentes, un notable dégât ? vite une action en dommages-intérêts ; et cent autres semblables gros points de droit. « N’êtes-vous pas honteux (disait un jour le curé de Condé-sur-Noireau à un de ses paroissiens) de plaider ainsi, tous les jours, pour des choses de néant, contre vos plus proches voisins ! » — « Eh ! avec qui donc voulez-vous que je plaide, Monsieur le curé (lui répondit l’autre, péremptoirement) ; sera-ce avec Jean Leveau, de Falaise, qui ne me gêne point et ne me demande rien ? » La réponse était sans réplique, et force fut au curé de baisser la tête.

Les choses en vinrent au point, qu’enfin, un beau jour, la haute-cour fut saisie d’un grave différend entre deux voisins, au sujet d’un nid de pie qu’ils se disputaient avec acharnement ; affaire de conséquence, comme on voit, et des plus sommaires, vu l’imminent péril de voir les locataires déménager sans payer leur terme.

Beaucoup ne voudront pas croire qu’on ait jamais pu plaider pour un nid de pie ; mais les registres du Parlement en auraient donc menti, eux qui racontent le différend tout au long. Eh ! mon Dieu, en Bourgogne, ne plaidait-on pas et fort longtemps au sujet de l’étourneau du seigneur de Suilly, qui, s’enfuyant de chez son maître, était allé s’héberger chez un sieur de la Vipardière ? « L’oiseau est à moi », disait l’un. — « Il est devenu mien », répondait l’autre ; et, là-dessus, un bon procès qui dura longues années. L’avocat Chasseneuz, l’oracle de la Bourgogne, écrivit deux grandes pages in-folio, d’une écriture très serrée, pour prouver, par le Digeste, que les oiseaux étaient à qui pouvait les prendre, et que le principal était de les bien garder : c’est un des endroits les plus approfondis de son commentaire sur la coutume de Bourgogne. Le procès fut plaidé avec la solennité requise, devant l’official d’Autun, puis devant l’archidiacre de Lyon, et enfin en Cour de Rome, où il est encore pendant, à l’heure où je vous parle. Mais ce n’est point notre affaire : revenons, maintenant, à notre pie.

Elle était allée établir son nid sur un grand arbre existant aux limites de deux héritages contigus ; et c’était précisément dans les branches qui s’étendaient sur le fond du voisin, qu’elle avait pondu sa couvée. Or, il existait de vieille date, entre les deux voisins, non pas une de ces haines violentes et profondes qui veulent du sang ; non ; mais une de ces sourdes antipathies, aigres et tracassières, une de ces rancunes normandes, qui font qu’on se la garde bonne, qu’on se souhaite volontiers in petto toutes les petites adversités imaginables, et qu’enfin, lorsque la grêle vient à tomber, comme par un fait exprès, sur les blés de Jean, sans endommager le moins du monde ceux de Pierre, ce dernier en ressent je ne sais quel indicible bien-être, et se promène fièrement dans son clos, sifflant sa chanson favorite, d’un air plus satisfait que de coutume.

Nos deux voisins n’avaient donc eu garde de laisser échapper un si beau sujet de querelle, et, par un beau jour de l’année 1629, il y avait presse à la grand’chambre, pour entendre leurs avocats plaider cette question toute neuve, dont les réformateurs de la Coutume ne s’étaient pas avisés ; et il les faisait beau voir, rouges comme des coqs, aussi échauffés qu’Eschine et Démosthène lorsqu’ils se disputèrent à propos de la couronne. L’escarmouche fut longue et vive, et ce fut, comme on dit, à beau jeu beau retour. Jamais, surtout, on n’avait fait si grande dépense de lois romaines. « Qui a l’arbre a les fruits (disait l’un) ; or, les nids des oiseaux doivent être considérés comme fruits ; c’est Barthole qui le dit, sur la loi : cùm in plures (Digestis) locati. Eh quoi ! Si c’étaient des poires ou des pommes tombées sur les bords du voisin, j’aurais trois jours pour les aller recueillir ; la loi Julianus, paragraphe « glandes, » au Digeste « ad exhibendum », le dit en termes exprès ; et je n’aurai pas le même droit, lorsqu’il s’agit d’un nid, que je prise bien davantage ! »

Halte-là ! (répondait l’autre) vos branches nous gênent et nous offusquent ; aux termes de la loi Ire, paragrapho 7 « de arboribus coedendis, » vous deviez les couper jusqu’à quinze pieds de hauteur ; faute de l’avoir fait, elles nous appartiennent avec leurs circonstances et dépendances. L’arbre n’est pas à nous, soit ; mais les fruits pendant aux branches qui nous ombragent sont nôtres ; dix arrêts l’ont ainsi jugé ; et même, selon les Institutes, un arbre qui s’étend sur deux héritages contigus, et qui emprunte à tous deux sa nourriture, est commun entre les deux voisins ; lisez plutôt le paragraphe « ex diverso, de rerum divisione. »

Qui voudrait raconter toutes les règles de droit qui furent alléguées, de part et d’autre, en cette mémorable rencontre, n’aurait pas fini de sitôt ; et croyez qu’au milieu d’une telle abondance de textes tout contraires, un juge bien intentionné n’était pas aux noces. Ce fut dans une rencontre semblable que le bailli de Vittefleur imagina un expédient pour sortir de peine. Tout ébaubi, un jour, d’une grêle de menus brocards de droit, contradictoires (et qu’au demeurant il n’entendait guère) ; ne voyant pas plus de raisons pour une partie que pour l’autre, et ne voulant faire tort à personne (car le bonhomme était l’équité même), après avoir songé une pause, en grande perplexité, il secoua bien fort un cornet où il y avait deux dés tout neufs, qu’il jeta, tout à trac, à la bonne foi, sur le beau milieu du bureau de justice ; et, ma foi, au petit bonheur ! gaudeant bene nati, comme disait un ancien. On glosa beaucoup, dans le temps, sur l’action de ce digne juge ; mais ce fut faute d’avoir assez connu ses bonnes intentions. — Encore n’était-ce rien que tous ces textes de loi, auprès des passages d’auteurs, qui furent allégués. Cujas tient l’affirmative, et Barthole la négative. Accurse a dit ceci, et Alciat a renchéri sur lui. Vinnius a soutenu telle thèse, et Borcholten est de son avis. Jules Pacius à Berigâ avance cette proposition ; à la vérité, il est contredit par Duaren ; mais Pérèze a relevé le gant, et, ma foi, Duaren en a eu une râtelée. Puis les anciens et les pères de l’église, très spéciaux, on le croira sans peine, sur la question. Saint Ambroise, dans ses Offices ; Aristote, dans sa Politique ; Cicéron, pro domo sua ; la Genèse, aux versets 26 et 28 du chapitre Ier ; le Psaume 8, versets 8 et 9. Dans une affaire semblable, un juge d’Athènes aurait dit aux parties : « Citoyens ! revenez tous deux en personne, dans cent ans, à pareil jour ; j’y serai sans faute, et justice vous sera faite ; mais, par Jupiter, il me faut bien ce temps pour réfléchir sur votre différend. »

Que n’était-il permis à la grand’chambre de prononcer ainsi ? Il y avait une heure que M. le premier président De Faucon s’agitait sur son siège et s’impatientait de perdre le temps à entendre débattre de telles questions de neige. À la fin, n’y pouvant plus tenir, et interrompant brusquement les deux orateurs haletants et essoufflés : « Pour Dieu, maîtres tel et tel, leur dit-il, c’en est beaucoup plus qu’assez ; brisons là, s’il vous plaît, et qu’il n’en soit plus parlé. Le nid, avec son contenu, sera par moitié à vos clients, dépens compensés ; et ce sont deux sots ; la Cour le dit, jugeant en dernier ressort. Premier huissier, appelez la cause qui vient après sur le rôle. »

M. De Faucon ne croyait pas si bien dire. De retour dans leur village, nos deux voisins vont vite sur le lieu, en grand appareil, et avec nombreuse assistance, pour procéder au partage. Force leur était de se hâter, car les petits allaient être drus tout à l’heure, au dire des écoliers de l’endroit, notables docteurs et fort à consulter sur cette question et autres semblables problèmes de philosophie contemplative. Mais la pie est un oiseau bien malin, je vous jure, et qui aime fort à jouer pièces à l’homme, son éternel ennemi ; les vieux auteurs en racontent des merveilles ; écoutez Pline, il vous dira bien sérieusement que, lorsque la pie s’est aperçue que ses œufs sont guettés, elle les attache, deux à deux, avec des brins de paille, les charge sur son cou, en équilibre comme un bissac, et les emporte à tire d’ailes. À la vérité, si Pline venait me dire cela, à moi, je le prierais en grâce de se tenir aux écoutes, jusqu’à ce qu’il vît les préparatifs d’un déménagement de ce genre, et il faudrait qu’il me donnât sa parole d’honneur de venir me prendre pour l’aller voir avec lui.

Toujours est-il que les pies n’aiment point que l’on regarde leurs nids de trop près ; or, la nôtre avait vu rôder, autour de l’arbre où reposaient ses petits, maintes gens qui se le montraient du doigt, ce qui ne lui plaisait guère ; elle se promit d’y remédier, et tint parole, comme vous allez voir ; car, lorsque nos deux voisins, accompagnés de tous les manants et habitants de l’endroit, arrivèrent au pied de l’arbre, les uns portant des cages, les autres des échelles, tout-à-coup on vit s’élever au plus haut des airs, la pie, son mâle, et, avec eux, les huit petits piards, volant, sifflant, comme père et mère, faisant avec eux assaut de prestesse, et, à vrai dire, semblant, dans leur petit ramage et gazouillement, se railler quelque peu de l’assistance. Tous les paroissiens étaient là, le nez au vent, les yeux en l’air, riant à s’en tenir les côtes ; hormis, toutefois, deux d’entre eux qui gardèrent imperturbablement leur sérieux, selon ce que témoigne le procès-verbal, pièce authentique, laquelle fera foi jusqu’à inscription de faux ; et ces deux hommes si graves, il n’est guère besoin qu’on les nomme.

Dire qu’on a négligé ses affaires, fait des voyages, supporté des fatigues, porté à Rouen chapons, lièvres et bécasses, pour les avocats et les procureurs, sans préjudice des mémoires de frais, où il y avait, dit-on, un peu plus que le compte ; payé les épices des rapporteurs, et les droits du greffe, qui, ma foi, comme de juste, en avait aussi tiré pied ou aile ; et, après tout cela, ne point trouver la pie au nid ; l’huître avalée, et chacun une écaille ! c’est aussi par trop jouer de malheur. À cette occasion, les anciens du lieu, tout bien vu et mûrement considéré, prononcèrent solennellement « qu’il ne faut point aller chercher la pie au son du tambourin. » Cela devint un proverbe en Normandie, et ce proverbe, nos deux plaideurs l’entendirent si souvent siffler à leurs oreilles, qu’ils n’eurent garde de l’oublier de leur vie.

Mais ils n’étaient pas au bout de leurs peines : c’était le temps de la Muse normande, malin recueil de chansons moqueuses, médisante chronique où tout passait impitoyablement en revue : les exactions des traitants, les émeutes, les disettes, les faits notables, les procès ridicules, les désappointements des sots. Le malheur ne voulut-il pas que le damné poète demeurât à quelques portées de fusil seulement de mes deux infortunés plaideurs ! À peine sut-il leur déconvenue, que vite il se mit à l’ouvrage, et composa, en leur honneur et gloire, cinq mortels couplets les plus piquants que le traître eût faits de sa vie. Hélas ! elle fit fureur, la chanson maudite : les enfants y apprenaient à lire ; il n’y eut fils ou fille de bonne mère qui ne la sut comme ses prières. Au bourg voisin, point de boutique où elle ne fut affichée honorablement au milieu des complaintes les plus nouvelles. Le pire fut que, les jours de marché, les cordonniers, tailleurs, et autres gens de métier du bourg étaient assis devant leurs portes, tout le long de la Grand’rue, s’escrimant de leur mieux autour des pourpoints, haut-de-chausses, bottes et houseaux de leurs pratiques. Or, du plus loin qu’ils voyaient venir nos deux plaideurs malencontreux, où l’un d’eux seulement, presto ils entonnaient, à trois chœurs, en faux bourdon, la chanson du « grand procès meu pour un nid de pie, » et chantaient, à gorge déployée, les cinq couplets, depuis miserere jusqu’à vitulos ; en quoi faisant, les traîtres se démenaient si bien, les uns allongeant le ligneul, les autres jouant des ciseaux ou de l’aiguille, et tous l’air soucieux, refrogné et si empêché autour de leur besogne, que vous eussiez juré que, de leur vie, ils n’avaient songé à autre chose. C’était à nos deux paysans de prendre patience, non, toutefois, sans maugréer entre leurs dents, et se bien promettre de ne plaider plus, à l’avenir, qu’à bonnes enseignes.

La leçon devait profiter à bien d’autres, et ce mémorable procès fut l’occasion d’une grande révolution dans les mœurs processives des Normands. On ne renonça pas, pour cela, bien entendu, à la sainte et vénérable coutume de plaider ; on continua, au contraire, de plaider beaucoup et souvent ; on plaida pour des raies de terre, pour des branches, pour des poires, pour des pommes, pour des poules ayant fait du dégât, et pour mille autres questions notables et gros points de jurisprudence ; mais la vérité historique nous force de le dire, et les registres du Parlement en font foi, onques depuis on ne plaida pour des nids de pies.