Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors. Statuts des sodomites au XVIIe siècle./III/07

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Texte établi par Jean HervezBibliothèque des curieux (éditions Briffaut) (p. 56-59).

Bandeau de début de chapitre
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CHAPITRE VII

EN QUOI CONSISTAIT LA GARNISON DE
CYTHÈRE


Separateur-7-Vaguelettes orienté haut
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Il y avait dans la place une forte garnison composée d’Emécondines, de Durpes, de Quetokes, de Carges et de Meauraquex.

Les Emécondines étaient les meilleures troupes de la place. Instruites de bonne heure dans le métier de la guerre, elles en connaissent les plus fines pratiques. Aussi tout l’Univers retentit du bruit de leurs exploits. Ce corps a une si grande réputation qu’il suffit d’y être enrôlé pour qu’on n’ose révoquer en doute votre courage, n’en eussiez-vous jamais donné aucune preuve. Dans le combat, les Emécondines n’en veulent qu’aux principaux officiers de l’armée ennemie ; comme elles sont plus avides de butin que de carnage, si quelqu’un tombe entre leurs mains, elles ne le renvoient qu’après l’avoir entièrement dépouillé. Quand elles ont vieilli dans le service, on les fait passer au ministère, et si pendant leur jeunesse elles ont fait voir beaucoup de valeur, elles ne montrent pas moins de prudence dans un âge avancé.

Les Durpes n’ont point cet air grenadier qui sied si bien à des guerrières. On dirait en les voyant qu’il n’y a rien à craindre de leur part, mais personne n’entend mieux toutes les ruses de l’art militaire. Quand l’ennemi paraît, elles font semblant de prendre la fuite, et par ce stratagème attirent dans les lieux commodes ceux qui les poursuivent. Il faut alors en venir aux coups, elles se défendent avec opiniâtreté et n’ont coutume de se rendre qu’après avoir fait acheter bien cher la victoire.

Rien n’est plus difficile à dompter que les Quetokes. Ce sont des troupes légères qui vous échappent dans le temps même que vous croyez les tenir. Elles se trouvent au milieu du feu le plus vif sans en craindre les effets. Leur cuirasse est impénétrable à tous les traits ; elles savent à merveille garantir leur cœur des coups qu’on voudrait lui porter. Le seul désir d’acquérir de la gloire leur met les armes à la main. Quand l’ennemi est vaincu, elles se contentent de l’emmener en triomphe et ne poussent pas ordinairement plus loin les avantages que leur donne la victoire.

La troupe la moins estimée était celle des Carges. C’était une milice qu’on avait levée dans les campagnes ou parmi les plus vils artisans de la ville. Leur occupation est de faire la patrouille pendant la nuit. On les met aussi en faction dans toutes les rues étroites, les carrefours, les places publiques ; si quelqu’un vient à passer, elles examinent s’il ne porte point d’armes à feu, et si elles trouvent un fusil ou un pistolet prêt à tirer, elles s’en saisissent et ne vous le rendent qu’après en avoir fait la décharge.

Il y avait outre cela quelques brigades de Meauraquex. Ce sont les gardes du corps de la générale. Ils vont ordinairement à la découverte de l’ennemi et tâchent de l’attirer dans les lieux où les Cythéréennes se tiennent en embuscade. Quand ils ont engagé le combat, ils se retirent tranquillement, jusqu’à ce que l’affaire soit décidée. Comme ils connaissent parfaitement les véritables intérêts de leur pays, ce sont eux qu’on députe chez les Nations voisines pour y ménager quelque accommodement. Tantôt ils font les fonctions de guerriers, tantôt celles d’ambassadeurs ; ils sont également propres à ces deux emplois.

La place était abondamment fournie de toute sorte de provisions et en état de faire une longue résistance. Aussi les Cythéréennes étaient bien résolues de combattre jusqu’à la dernière extrémité. L’envie de soutenir leur réputation et la haine qu’elles portaient à leurs ennemis les soutenaient dans ces généreux sentiments. Les Ebugors de leur côté ne visaient à rien moins qu’à la destruction totale de Cythère ; ils avaient une puissante armée à laquelle ils ne croyaient pas qu’on pût résister longtemps. La suite nous fera voir s’ils ne se trompaient pas dans leurs conjectures.