Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors. Statuts des sodomites au XVIIe siècle./III/09

La bibliothèque libre.
Texte établi par Jean HervezBibliothèque des curieux (éditions Briffaut) (p. 64-69).

Bandeau de début de chapitre
Bandeau de début de chapitre


CHAPITRE IX

LES OMINES


Separateur-7-Vaguelettes orienté bas
Separateur-7-Vaguelettes orienté bas


Les Omines parurent aussi sur les rangs pour attaquer Cythère ; mais on ne faisait qu’un très médiocre fond sur eux. Ils étaient presque tous partisans des Cythéréennes et se seraient très volontiers déclarés pour elles, si certaines raisons de politique ne les en avaient empêchés. Les Omines s’exercent de bonne heure dans la discipline militaire ; leur nourriture est frugale, leur habillement grossier ; ils couchent sur la dure et exécutent sur-le-champ les ordres d’un commandant impérieux. La plupart de leurs officiers font le métier de racoleur. Quand ils voient un jeune homme propre à devenir un bon soldat, ils l’accostent avec un air doux et affable ; ils le questionnent sur le parti qu’il a dessein de prendre ; ils parlent avec mépris de toutes les professions, même les plus honorables, afin d’avoir occasion d’exalter celle des Omines ; ils font sonner bien haut les avantages de leur état, et pour donner plus de poids à leurs raisons, ils font couler à grands flots les vins les plus délicieux. Comme ordinairement la jeunesse a beaucoup de penchant pour les Cythéréennes et que les Omines se lient par serment à leur déclarer la guerre, on fait entendre aux jeunes gens qui tombent dans leurs filets qu’il y a plus de liaison entre ces aimables héroïnes et eux qu’on ne se l’imagine, mais qu’il faut dans ce commerce user de ménagements et de précautions pour sauver l’honneur du corps. Cet article est, en effet, un de ceux qu’on leur accuse avec plus de sincérité. Personne n’ignore que dans quelques contrées que soient établis les Omines, ils y entretiennent les plus étroites correspondances avec les Cythéréennes, et que malgré les plus secrètes précautions qu’ils apportent à dérober aux yeux du public leurs intrigues avec elles, il arrive néanmoins fort souvent que leur jeu venant à se découvrir donne matière à la critique des médisants qui ne manquent pas d’habiller en ridicule un serment que les Omines font de la manière la plus solennelle, et qu’ils ne font pas scrupule de violer à chaque instant avec la plus grande facilité du monde. Quoi qu’il en soit, c’est avec de pareils artifices qu’ils font leurs recrues. Ceux qui se laissent séduire par leurs discours prennent parti sous leurs drapeaux et s’engagent avec eux : c’est pour toute leur vie. Ils ne sont pas longtemps à s’apercevoir qu’on les a trompés, le repentir suit de près l’engagement ; mais à quoi bon ? Ils sont obligés de prendre patience, dût-ce être en enrageant. Ils ne doivent plus songer à sortir de l’esclavage et recouvrer leur liberté, toutes les voies leur sont interdites et fermées pour toujours. Les peines les plus terribles sont le châtiment de la désertion.

Les Omines composaient la meilleure partie de l’armée des assiégeants. Chacun de leurs régiments était distingué par un uniforme bizarre.

Les Pacicnus avaient d’épaisses moustaches et portaient un casque qui représentait la figure d’un clocher : ils entendaient assez bien la petite guerre, et on se servait d’eux pour piller le paysan.

Les Lidercores étaient les plus beaux hommes de l’armée ; avant de combattre on leur ordonnait de crier de toutes leurs forces pour effrayer l’ennemi.

Les Macres portaient par devant et par derrière une petite cuirasse large de deux ou trois doigts, qui les préservait, disaient-ils, de tout accident, mais qui ne les pouvait pas sûrement garantir des traits que leur lancent les Cythéréennes.

Les Nicomidains marchaient ensuite, chargés de plusieurs longues chaînes dont chacune était composée de quinze gros anneaux et de cent cinquante petits. Cette troupe doit son institution à un certain Niquomide qui fut leur premier chef. Ils rendent une espèce de culte et d’hommage à une divinité fabuleuse appelée Remia, mortelle ennemie des Cythéréennes, et cela, disent-ils, parce que, par la faveur du Grand Génie Vedi, elle eut l’adresse de conserver dans son entier sa fleur virginale et d’être en même temps mère d’un fils qui, sous le nom de Sives, prit naissance contre toutes les règles de la Nature, c’est-à-dire sans connaître de père, ni légitime ni naturel. C’est de cette prétendue pucelle et mère tout à la fois qu’ils se vantent d’avoir reçu les chaînes qu’ils portent à leur ceinture. C’est en mémoire de ce don qu’ils sont obligés d’en compter tous les jours un certain nombre de fois tous les chaînons, l’un après l’autre, en marmottant entre leurs dents quelques paroles mystiques à l’honneur de Remia. Le principal avantage qu’ils tirent de ces chaînes est d’en lier étroitement ceux dont ils veulent vider la bourse.

Les Caginiens formaient un corps des plus considérables et des plus redoutés d’entre les Ebugors ; ils n’avaient point de casque en tête comme les autres, mais ils portaient de grands chapeaux à larges ailes rabattues, à l’ombre desquels ils envisageaient obliquement l’ennemi qu’ils avaient à combattre ; ils marchaient tous le col tors et la tête inclinée, figure symbolique de leur cœur faux et pétri, pour ainsi dire, de fourberies et de ruses. Jamais ils n’attaquaient leurs adversaires en face, mais ils ne faisaient pas bon leur tourner le dos, car alors ils poursuivaient les fuyards avec acharnement et ne leur faisaient point de quartier ; tout leur courage et leur habileté se réduisant à épier et saisir l’instant de prendre l’ennemi par derrière. Ces Omines, ainsi que les précédents, ont aussi une singulière vénération pour la déesse Remia, du moins en apparence.


Vignette de fin de chapitre
Vignette de fin de chapitre