Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors. Statuts des sodomites au XVIIe siècle./III/18

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Texte établi par Jean HervezBibliothèque des curieux (éditions Briffaut) (p. 97-101).

Bandeau de début de chapitre
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CHAPITRE XVIII

CARTEL. DÉFAITE D’UN BRULARNE. COMBAT
SINGULIER DE L’ÉMÉCONDINE CONTRE
UN LIDERCORE


Separateur-7-Vaguelettes orienté bas
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Bientôt notre généreuse Emécondine parut hors des lignes, suivie d’un Meauraque qui lui servait de héraut d’armes. Elle s’arrêta à quelque distance des sentinelles avancées du camp des ennemis. Le Meauraque, ayant fait signe qu’il avait à parlementer, un officier général se présenta. Aussitôt le héraut, tirant de son sein le cartel du défi, il le lut à haute voix. Il était conçu dans ces termes :

DE PAR DIVUTÉMIA
commandante à
CYTHÈRE

« Il est permis à la vaillante amazone qui s’offre à vos regards de venir appeler en combat singulier tel d’entre vous qui osera lui prêter le collet. C’est au plus redoutable des Ebugors qu’elle présente le défi. Les lois qu’elle prescrit sont de se battre à outrance et en champ libre. Que celui qui l’acceptera sorte avec armes égales ou non égales ; la brave Tuefosue est prête à le recevoir. »

Un grand murmure s’éleva dans le camp des alliés. Tant de présomption semblait les étonner. Cependant l’Emécondine attendait impatiemment qu’il se présentât quelque combattant contre qui elle put exercer la grandeur de son courage. Personne ne paraissait encore ; déjà même elle commençait à s’impatienter et le Meauraque allait publier une seconde fois son cartel, lorsqu’on vit tout à coup paraître un Brularne. Cet audacieux osa relever le gantelet et accepter le défi ; mais il ne fut pas longtemps sans porter la peine de sa témérité. À peine était-il entré en lice qu’il se vit presque aussitôt hors de combat. La faiblesse de ses armes et le mauvais état où elles se trouvaient lui en ôtèrent l’usage. Vainement il revint plusieurs fois à la charge, aucun de ses coups ne put porter et sa lame sans vigueur pliait même avant de toucher sa redoutable ennemie ; la Cythéréenne fit tout ce qu’elle put pour ranimer son courage et l’exciter à mieux faire ; mais, voyant que tous ses efforts restaient vains et qu’à peine il donnait le moindre signe de vie, elle se retira pleine du dépit le plus amer qu’elle exprima par ces paroles :

Lâche, ton cœur est en alarmes,
Devant moi tu baisses les armes.
Retire-toi ; c’est insulter
          Notre gloire
Que de savoir mal disputer
          La victoire.

Cette fatale aventure acheva de décrier les Brularnes dans l’un et l’autre parti. Les Cythéréennes surtout ne les regardèrent plus qu’avec le dernier mépris et comme des troupes molles et énervées, desquelles on ne devait rien espérer.

Cependant l’honneur des assiégeants se trouvait trop intéressé dans cette malheureuse catastrophe pour qu’ils ne cherchassent pas à le réparer avec le plus d’avantage qu’ils pourraient. Dans cette vue, on jeta les yeux sur un des plus vaillants Lidercores qu’il y eut parmi les alliés. Le valeureux Omine parut bientôt devant son ennemie, avec cet air fier et assuré, preuves non suspectes de la grandeur de son courage et de l’immensité de ses forces. Il portait une lance d’une trempe excellente, peu longue à la vérité, mais prodigieusement grosse et forte. Ses membres nerveux et couverts d’un poil épais et noir témoignaient assez qu’il était fait pour manier de telles armes. À peine parut-il dans l’arène que les choses prirent bien une autre face. Au premier choc, l’Emécondine fut renversée ; mais la fière amazone, sans s’étonner du coup, aussi adroite que brave, s’étant saisie de la lance de son adversaire, l’entraîna dans sa chute avec elle ; c’est alors qu’il faisait beau voir ces deux superbes combattants se charger l’un l’autre avec fureur. La terre tremblait sous leurs coups et l’écho en faisait retentir tous les lieux d’alentour. Aucun des deux ne songeait à parer, mais l’un et l’autre étaient uniquement attentifs à porter à son ennemi les plus vives atteintes. Étroitement serrées et liées pour ainsi dire, comme par des chaînes, toutes les parties de leur corps s’entrechoquaient. Leurs yeux semblaient lancer la foudre et les éclairs ; leurs visages enflammés exprimaient leurs passions ; ils écumaient de rage et de colère ; rien en un mot, ne put ralentir leur animosité. Enfin leurs forces, épuisées par la lassitude et la durée du combat, les abandonnèrent. Tous deux ils succombèrent ; on les sépara, mais par leurs regards menaçants, ils semblaient se vouloir dire l’un à l’autre qu’ils n’avaient besoin que d’un peu de repos pour renouer la partie et commencer un nouveau combat.


Vignette de fin de chapitre
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