Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors (éd. 1733)/16

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Chapitre XVI



CHAPITRE XVI.


Un Officier des Ebugors caſſé á la
Tête de ſon Régiment.



KUlisber fit un acte de ſéverité bien capable de contenir les Officiers dans le devoir. Il avoit expreſſément défendu qu’on fit aucun quartier aux Cythéréennes ; Malgré cette défenſe ; un Capitaine voyant un des Aides de camp de Divutemia au pouvoir d’un Omine, propoſa á celui-ci de relacher ſa priſonniére & d’accepter un Chadaber en échange. La propoſition fut acceptée. Le Capitaine emmenne dans ſa Tente la belle captive, & tache par toute ſorte de bons traitemens de lui faire oublier la rigueur de ſon ſort. Cette infraction des ordonnances du Général parvint bientôt aux oreilles de Kulisber qui en fut extremmement irrité ; Il fit aſſembler tous ceux qui ſervoient ſous lui & leur addreſſant la parolle, Il leur dit.

Messieurs

C’eſt avec une extrême douleur que je me vois aujour-d’hui réduit á vous révéler la honte & l’infamie d’un de vos confréres. Un Ebugor, qui l’auroit jamais pû croire ? Un Ebugor au mépris de nos loix, a eu la foibleſſe d’épargner une de nos plus mortelles ennemies. Que dis-je, épargner ? Il l’a comblée de bienfaits. Il ſouſtrait á notre haine, il protége contre nous une perſonne qui ne devoit attendre de lui que les traitemens les plus cruels. Quel affront pour notre illuſtre corps ! Quel Triomphe pour Les Cythéréennes ! Elles vont déſormais nous reprocher que nous ſommes auſſi faits pour porter leurs fers & que c’eſt á tort que nous nous vantons ſans ceſſe de n’avoir point, á l’exemple des autres Peuples, ſubi leur ignominieux joug. Je m’apperçois que ces reproches vous font frémir. La juſte indignation qui ſe peint ſur vos viſages, m’eſt un ſur garant de l’approbation que vous allez donner au chatiment qui va ſuivre la faute du coupable.

Ainſi parla Kulisber, & toute l’aſſemblée par un ſilence reſpectueux témoigna l’horreur que ce forfait inſpiroit a tous les aſſiſtans & fit connoitre qu’ils approuvoient la ſévérité du Général. l’Officier fut introduit dans le cercle ou d’abord on lui arracha la livrée ſacrée des Ebugors, Et on la foula aux pieds. A la ſuite de cette honteuſe cérémonie on le caſſa de ſon office, on le déclara incapable de ſervir. Il fut fait défenſe trés expreſſe á tous Cadabers, non ſeulement de lui obéir en rien, mais encore d’entretenir aucune liaiſon avec lui ſous quelque pretexte que ce fut. Aprés cette dégradation, l’infortuné Capitaine ſe retira á Cythére, on lui fournit du mieux que l’on pût les moyens de ſe conſoler de ſa triſte avanture.