Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors (éd. 1733)/20

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Chapitre XX



CHAPITRE XX.


Le feu prend á l’Arſenal
de Cythére.



Les Ebugors ennuiez de la longueur du ſiége, qui malgré leurs travaux continuels n’avançoit presque point, aſſemblérent un grand conſeil dans le quel on réſolût qu’on tacheroit de découvrir de quel côté étoit l’Arçenal de Cythére, & que dés qu’on en ſeroit informé, on dreſſeroit une Batterie á Bombes & a boulets rouges á fin d’y mettre le feu ſi l’on pouvoit. Tous les aſſiſtans goutérent fort ce projet, & perſonne ne douta que ſi l’on pouvoit venir á l’exécution, ce ſeroit un des plus courts moyens d’affoiblir extremmement la garniſon de Cythére.

La Fortune ſembla favoriſer cette entrepriſe ; Un Caginien que l’on avoit envoyé faire la découverte ayant rapporté fidellement la ſituation des lieux, la batterie fut bientot prête, & commença à jouer avec tant de violence, que bientôt le quartier de la Ville où étoient les magaſins, fut tout en feu. L’Arſenal ſur tout devint la proië des flammes qui ſe répandoient de côtè & d’autre, avec une fureur qu’il ſembloit que rien ne dût arréter. L’Eau de Vadanel[1] & les Madopes[2] dont cet endroit étoit plein donnoient encore de nouvelles forces á l’incendie. Les Cythéréennes allarmées firent tous leurs efforts pour en arrêter les progrés. Le Fleuve Nerui leur fut d’un grand ſecours dans cette occaſion, & le hazard voulû que les pompes de la Ville ſe trouvérent heureuſement en bon état. On les fit jouer avec ſuccés & par ce moyen on préſerva de la voracité des flammes le corps de cet important édifice ; Mais tous les ſoins que l’on apporta n’empéchérent pourtant pas que la perte que les Cythéréennes ſoufrirent, ne fut trés conſidérable. Le Draf, le Vogre, les [3] Choumes furent entierrement conſumées. Les jeunes Cytheréennes ne furent que mèdiocrement ſenſibles á ce dommage ; Mais les vieilles furent inconſolables. „ Comment, diſoient ces derniéres oſeront nous parôitre devant l’ennemi ? Ce n’eſt point aſſez d’avoir du courage, ſi l’on n’a pas d’ailleurs de quoi ſe faire redouter. Nous voila dépouillées de ce qui faiſoit notre principale forçe ; Nous n’avons déſormais d’autre parti á prendre que celui de reſter chez nous & nous enſévelir toutes vives dans nos maiſons, pour ne pas nous expoſer au plus ſanglant des affronts. Il n’y aura plus maintenant de diférence entre les Todeves & nous. Nous ſerons confonduës avec cette perfide Nation. Dieux ! Cette idée ſeule fait frémir. Mais helas ! Que ſervent nos plaintes & nos gémiſſemens ? Ce ſont nos pertes qu’il faut ſonger á réparer ; Si l’on veut que nous ne reſtions pas inutiles á la garniſon, qu’on nous fourniſſe au plutôt les moyens de continuer notre ſervice.

On eut égard á de ſi juſtes plaintes, on donna á ces vieilles déſolées toutes les choſes dont elles avoient le plus beſoin pour les expéditions militaires. Les jeunes qui pouvoient abſolument ſe paſſer de tout cet attirail, s’en défirent bien généreuſement en faveur de celles pour qui ces choſes etoient d’une néceſſité indiſpenſable.



  1. L’Eau de Vadanel eſt une liqueur dont on ſe ſert après le combat pour baſſiner l’endroit où les coups ont porté.
  2. Madopes. Il y en a de différentes eſpéces, Celle ſur tout dont il eſt ici queſtion eſt une ſorte d’onguent que l’on employë pour guérir les bleſſures. Il a la propriété de rapprocher ſi bien les lévres de la plaië qu’il faut être fin connoiſſeur pour s’appercevoir quand quelqu’un en a fait uſage. On l’appelle communément Madope de la Providence, parce que celui qui a le premier découvert ce ſecret demeure à Spira à l’enſeigne de la Providence ; autrement on la nomme Madope Purocrilesnoſcréte.
  3. Le Draf, le Vogre, les Choumes, parure guérierre dont ſe ſervent les Cythéréennes pour ſe rendre plus formidables á l’Ennemi.