Angéline Guillou/27

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Maison Aubanel père, éditeur (p. 77-78).

VI


Le dimanche suivant, à la grand’messe, les pêcheurs n’avaient plus cet air triste qui démontrait leur découragement. C’est avec gaieté, que l’on commentait en groupe les événements de la semaine écoulée.

Jacques se rendit à la messe et prit place dans le banc du curé, situé juste à côté de celui de Pierre Guillou.

Angéline pénétra à son tour dans l’église, accompagnée de sa petite sœur Agathe et alla s’asseoir dans le banc de la famille.

Les yeux de Jacques et d’Angéline s’y rencontrèrent pour la première fois ; cette dernière s’étant toujours dérobée aux yeux de Jacques pour n’avoir pas l’air de se mettre de l’avant. Ses joues se colorèrent légèrement en voyant que Jacques l’avait remarquée. De son côté celui-ci eut, pendant le saint office, des distractions bien légitimes chez un jeune homme de son âge.

Quand le moment du prône fut arrivé, le curé qui paraissait rajeuni de dix années commenta la réussite du capitaine.

— Je vous avais recommandé, dit-il, de prier Notre-Dame de la Garde pour ramener la prospérité dans notre région quand nous avons fait la bénédiction et l’installation de la statue qui honore notre église, due aux circonstances que vous connaissez tous et auxquelles une jeune fille de cette paroisse a contribué. Cette tempête, qui a causé bien des larmes, a été aussi la cause de la nouvelle dévotion qui honore cette paroisse et qui nous rapporte aujourd’hui d’aussi beaux fruits.

Angéline sentit le rouge lui monter au front quand elle saisit le regard de Jacques, qui, s’étant retourné de son côté, l’observait tout en écoutant le prône du curé.

Après la messe, de nouveaux groupes se formèrent à la porte de l’église ; mais Angéline fila droit à la maison, pendant que Jacques, qui la suivait de près au sortir de l’office, la reconduisit du regard à travers le chemin tortueux conduisant à sa demeure. Regardant par-dessus les groupes qu’il dominait de toute la tête, il n’aperçut pas d’abord la garde-malade qui avait trouvé moyen de se trouver sur son passage. Le capitaine qui n’avait pas remarqué cette manœuvre, tout distrait par l’attrait d’Angéline, salua gracieusement Antoinette quand il l’aperçut. Ce fut celle-ci qui lui adressa la parole.

— Vous êtes le héros du jour, capitaine ! Et la Côte retentira longtemps des échos de vos exploits.

— Ma foi, Mademoiselle, chacun son métier. Il n’y a pas tant de mérite, après tout, à tuer des marsouins. Je les tue comme vous… soignez les humains, parce que je suis payé pour le faire.

— Vous êtes maussade ! et vous me faites de la peine.

— Je le regrette, Mademoiselle, et si je vous ai fait de la peine, je suis bien prêt à réparer.

— Ah ! c’est plus aimable ! et comment ?

— Vous êtes l’offensée, vous avez le choix des armes !

— Eh ! bien, je choisis un tour d’aéroplane.

— Vous êtes brave, Mademoiselle ! j’accepte. À ma prochaine envolée vous m’accompagnerez.

La petite garde-malade, toute heureuse de son succès apparent, s’en retourna au dispensaire pendant que le capitaine rentrait au presbytère.