Angéline Guillou/29

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Maison Aubanel père, éditeur (p. 82-83).

VIII



— Fidèle au rendez-vous et toujours prête à braver la mort ? dit le capitaine Vigneault à la garde-malade, comme il venait pour remplir la promesse qu’il lui avait faite de la mener à sa prochaine envolée.

— Avec un pilote tel que vous, répondit à point Antoinette Dupuis, on peut tout braver.

— Je dois d’abord vous dire que j’ai demandé l’autorisation du curé.

— Et il l’a permis ?

— À vos risques !

Plusieurs personnes, au nombre desquelles étaient les quatre commères, s’étaient réunies sur la grève pour être témoins du départ du capitaine et de sa compagne.

— Avions pas « fret » aux yeux la petite « garde » pour embarquer dans c’t’oiseau-là avec un garçon ? dit Varsovie Sainfoin.

— A va voir que c’étions pas un cométique, répliqua Marguerite Brindamour, et que si a prenions une pirouette, a prendrions un bain de quatre sous.

— Taisez-vous donc ! dit Catherine Mélanson, si a vous entend a voudra pas partir et on va manquer le plaisir de la voir prendre une douche.

— Ma « foais » tant pis ; si a se « nouaat » ça ne sera toujours pas de notre faute.

— Tiens, la v’là en l’air, dit Catherine Mélanson. Je l’avions entendu lâcher un cri quand la mitrailleuse a parti. Mais regarde-moi-la donc, c’est elle qui tire sur les marsouins ! C’est ben assez pour attirer la malédiction sur la place. Monsieur le Curé ne doit pas être au courant.

— Moi, dit Joséphine Leblanc, j’commençions à être vieille, j’me mêlions plus de rien. J’comprenions plus le monde. C’est peut-être parce que j’étions pas assez instruite. Mes parents auraient bien dû m’envoyer au couvent comme la petite reine à Guillou.

— Ben sûr, dit Varsovie, que si j’avions été instruite j’aurions fait quelque chose de bien. Avec ça que j’étions jolie dans notre jeune temps.

— Ma foi, ça paraît plus, dit Joséphine Leblanc entre ses dents.

— Mais, tiens les voilà déjà revenus. J’gagions qu’elle a déjà mal au cœur.

Angéline, qui avait eu connaissance de tout, était restée bien tranquille à la maison.

Antoinette ne fut pas lente à venir lui raconter son expérience et lui dire comme le capitaine avait été charmant à son égard.

— Veux-tu que je lui demande pour t’amener ? dit Antoinette enthousiasmée. Je suis certaine qu’il ne me refusera pas cette faveur.

— Je n’en doute pas, répondit Angéline ; mais le capitaine est un homme sérieux et je craindrais vraiment de l’importuner ; d’ailleurs, je ne tiens pas à contrarier mon père qui ne verrait pas d’un bon œil une telle démarche de ta part et encore moins de la mienne.

— En tout cas, s’il m’invite de nouveau, je ne serai pas lente à accepter.

— Je crois que tu n’as rien à te reprocher à ce sujet, répondit Angéline avec une petite pointe de malice.

Le capitaine était retourné immédiatement à son ouvrage et ne pensait plus à cette pauvre Antoinette ; mais, elle, ne cessait de parler de Jacques, comme si elle eût fait une conquête dont elle eût pu d’ailleurs s’enorgueillir à juste titre.