Angéline Guillou/39

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Maison Aubanel père, éditeur (p. 116-117).

XVIII


L’hiver fut comparativement doux sur la Côte, et l’absence de tempêtes violentes aida à la régularité de la poste. L’arrivée du courrier, qui était le seul événement bi-mensuel, était toujours attendue avec hâte.

Il n’y eut pas de maladies graves à la Rivière-au-Tonnerre, et la science d’Antoinette Dupuis suffit aux bénignes indispositions qui se présentèrent. En somme, l’hiver fut plutôt agréable.

L’amitié qui s’était un peu refroidie entre Angéline et la petite garde-malade, s’était cimentée de nouveau, grâce à la générosité d’Angéline qui s’intéressait beaucoup à l’œuvre du dispensaire, où elle rendait de nombreux services tout en s’instruisant.

Le bon curé qui visitait souvent le dispensaire disait en se frottant les mains :

— J’ai maintenant une élite dans ma paroisse, et il ne faudra pas laisser ces talents inactifs.

— Quels talents nous avez-vous donc découverts ? Monsieur le Curé, se décida à demander une bonne fois la garde-malade ; car, à part celui de soigner les malheureux, je vous avoue être assez dépourvue.

— N’avez-vous jamais fait de théâtre au couvent de Sillery ?

— Oui ! répondit-elle avec enthousiasme, et j’aimais tant cela, quand nous donnions un concert de fin d’année ; mais les perspectives de théâtre ne sont pas des plus brillantes à la Rivière-au-Tonnerre.

— Si,… si,… mais il y aurait peut-être moyen d’organiser quelque chose pour Pâques. Imaginez-vous la joie de la population ?

— J’ai, ici même, une pièce dans laquelle j’ai tenu un rôle ; si vous la voulez je vous la passerai bien, Monsieur le Curé ?

— J’ai une autre idée. J’ai pensé que vous pourriez très bien jouer Évangéline que j’ai adaptée à la scène.

— Une création, alors ?

— Plus ou moins ! Ce n’est pas un chef-d’œuvre ; mais je crois que ce sera acceptable.

— Très bien, alors, dit la garde-malade de plus en plus enthousiasmée. Vous avez dans Angéline un sujet tout trouvé pour remplir le rôle d’Évangéline.

Le vieux curé ne laissa pas trop percer la satisfaction qu’il éprouvait, en voyant son choix confirmé par celle dont il craignait un peu l’opposition.

— Une Évangéline châtain ? interrogea-t-il d’un air simulant l’étonnement.

— Elle n’en sera que plus belle, Monsieur le Curé, car il est entendu qu’il faut qu’une Évangéline le soit ; et qui possède cette qualité à un plus haut degré qu’Angéline ?

— Oui, mais il ne faut pas le dire tout haut. Si le capitaine Vigneault vous entendait ? dit-il en regardant Angéline.

— Oh ! Monsieur le Curé ! dit Angéline en rougissant. Jacques est bien loin et la beauté est quelquefois bien éphémère.

— Va pour l’Évangéline châtain, dit le curé. Puis s’adressant à Antoinette :

Et vous, quel rôle tiendrez-vous, Mademoiselle Dupuis ?

— Mais celui de Gabriel.

— Très bien,… très bien, toujours de mieux en mieux.

— Et les institutrices ? bon, nous verrons à cela plus tard. Dites donc, pourrez-vous préparer cela pour Pâques ?

— Nous ferons notre possible, Monsieur le Curé, et, avec un peu de bonne volonté, je crois que nous réussirons.

Le bon vieux curé sortit en se frottant les mains de satisfaction.