Angéline Guillou/49

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Maison Aubanel père, éditeur (p. 149-150).

VI


Le curé, voyant les progrès rapides que faisait la maladie d’Angéline, fit mander son père au presbytère, pour l’avertir de la gravité de la situation.

— Ça me fait beaucoup de peine, mon cher Pierre, lui dit le curé familièrement ; mais ta fille est bien malade !

— Je le sais, Monsieur le Curé ; mais que voulez-vous que j’y fasse ? Il me semble que je ne suis pas né pour la chance. J’ai peiné pendant des années pour amasser une modeste aisance et laisser ma femme à l’abri de la misère, et voilà que c’est elle qui part la première.

— Preuve que ce n’est pas l’argent qui fait le bonheur, Pierre.

— Vous avez raison, Monsieur le Curé ; notre cave est remplie d’or, et où est le bonheur ? Ma fille s’en va, comme vous dites, et que me réserve l’avenir ? J’avais pourtant fait bien des sacrifices pour son instruction et voilà que cette instruction lui procure toute cette peine.

— Il ne faut pas prendre les choses comme ça, Pierre ; c’est une épreuve, et la vie en est remplie.

— Angéline me le disait encore hier ; tenez, papa, disait-elle, je préfèrerais ne jamais avoir reçu d’instruction et être restée comme les autres jeunes filles de la Côte. Jacques ne m’aurait pas remarquée et je n’éprouverais pas aujourd’hui cette peine amère.

— Il y a peut-être du vrai là-dedans ; mais connais-tu les desseins du bon Dieu ?

— Je ne suis qu’un pauvre ignorant, moi ! Que voulez-vous que je comprenne à toutes ces épreuves que je semble n’avoir pas méritées ; car j’ai mené une bonne vie, travaillé comme deux hommes.

— Tout le monde le sait, mon brave Pierre. Les sacrifices que tu as faits n’auront pas été vains et l’avenir te le dira.

— Nous sommes bien chanceux de vous avoir tout de même, Monsieur le Curé. Vos paroles m’ont fait du bien et, comme toujours, je suivrai vos conseils.

— Je m’attendais à cela de toi, Pierre. Si le besoin d’un médecin se fait sentir je t’avertirai à temps. D’ailleurs, mademoiselle Dupuis qui devait quitter le dispensaire à l’automne est décidée à rester pour ne pas quitter Angéline.

— Je vous dois encore cette faveur, Monsieur le Curé, car je vous assure que ça me rend un fameux service. Je la récompenserai, vous savez.

Pierre Guillou sortit du presbytère avec un courage retrempé et s’en retourna d’un pas alerte, pour un homme de son âge.