Anna Karénine (trad. Bienstock)/II/10

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Traduction par J.-Wladimir Bienstock.
Stock (Œuvres complètes, volume 15p. 310-311).


X

À dater de ce jour une nouvelle vie commença pour Alexis Alexandrovitch et sa femme, vie terne, monotone. Anna comme toujours allait dans le monde, fréquentait assidûment la princesse Betsy et se rencontrait partout avec Vronskï. Alexis Alexandrovitch s’en apercevait mais n’y pouvait rien faire. À toutes ses tentatives pour provoquer une explication, elle opposait le mur impénétrable d’une incompréhension joyeuse. Extérieurement rien n’était changé, mais leurs relations intimes s’étaient tout à fait modifiées. Alexis Alexandrovitch, l’homme si fort dans les affaires de l’État se sentait impuissant devant ces événements… Comme un bœuf, baissant douloureusement la tête, il attendait le choc du maillet soulevé au-dessus de lui. Chaque fois qu’il repensait à son ennemi, il sentait la nécessité de faire une nouvelle tentative, se disant qu’avec la bonté, la tendresse et la persuasion, il y avait encore espoir de la sauver, de la forcer à se ressaisir, et, chaque fois, il se promettait de lui parler. Mais dès qu’il commençait à causer il sentait cet esprit du mal et du mensonge, qui s’emparait d’elle, s’emparer aussi de lui, et il lui parlait d’un tout autre ton qu’il aurait voulu. Malgré lui il causait avec elle de son ton habituel, railleur, et de cette façon il ne pouvait lui dire ce qui était nécessaire.

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