Anna Rose-Tree/Lettre 62

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Veuve Duchesne (p. 41-42).


LXIIme LETTRE.

Miſtreſs Anger,
à Peter Anger, ſon Époux ;
à Saint-Germain-en-Laye.


D’après ta Lettre, mon cher Peter, je t’ai cru peu diſpoſé à recevoir ma confidence, & j’ai tardé à te répondre contre mon ordinaire : j’ai fait des réflexions ; elles ont abouti à me perſuader que tu ne ſerois pas aſſez mauvais Père pour déſapprouver les moyens dont je me ſuis ſervie pour rendre notre Fille auſſi heureuſe, qu’elle le mérite, par tous les agrémens de ſa perſonne & de ſon eſprit… Je n’oſe continuer : ſi tu allois me déſapprouver, ſi tu m’obligeois à abandonner mon projet ! Tu me parois trop ſévère, ma conduite eſt pourtant bien excuſable. Mon parti eſt pris, tu ne ſauras rien avant la concluſion d’un événement heureux, bien heureux pour nous, pour toi, pour moi, pour elle. Juſques là, je garde le ſilence ; ne t’impatiente pas, tu ſeras inſtruit.

Je ne te conçois pas de reſter au ſervice de ton Maître. Seul pour faire tout l’ouvrage, il y a de l’inhumanité à l’exiger. Quelle récompenſe pour avoir paſſé un tiers de ta vie avec lui ! Ces Maîtres croyent qu’on eſt de fer : reviens dans ta Patrie. Mon pauvre Peter, j’ai ſu me faire un ſort ; tu ne mourras pas de faim avec moi. Si tu te décides à laiſſer là ton Maître, il faut me prévenir d’avance, afin que je le diſe à Mylady ; je ferai en ſorte de te placer dans ſa maiſon. Adieu, mon cher Mari ; je t’embraſſe de tout mon cœur, & ſuis ton affectionnée

Staal Anger.

De Raimbow ce … 17