Anna Rose-Tree/Lettre 63

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Veuve Duchesne (p. 43-45).


LXIIIme LETTRE.

Miſtreſs Goodness,
à Mylady Ridge ;
à Raimbow.


Mylady,

Je me flatte que vous n’aurez plus à vous plaindre de moi ; j’ai enfin trouvé les moyens d’acquitter la parole que je vous ai donnée. Dans mes recherches j’ai découvert un Seigneur Irlandois, d’une figure agréable, & jouiſſant d’une immenſe fortune, dont il eſt abſolument maître ; car il a perdu ſon Père & ſa Mère. Je lui ai fait pluſieurs queſtions, nommément, s’il n’avoit aucun deſſein d’établiſſement. — Juſqu’ici, m’a-t-il répondu, je n’ai rencontré perſonne qui m’ait inſpiré le déſir de l’épouſer. Cependant, ajouta-t-il, je ne ſerois point éloigné du mariage, ſi je trouvois une Fille jeune & jolie ; mais je voudrois qu’elle eut de la naiſſance & un peu de fortune. — Si vous voulez vous en rapporter à moi, je pourrai peut-être vous trouver ce qu’il vous faut. Attendez… Mais… Oui… Juſtement, j’ai votre affaire de point en point. Une Fille de qualité, n’eſt-ce pas ? — Oui. — Jolie, grande, bien faite, de l’eſprit, des talens ? — Juſtement. — Une fortune honnête. — À merveille. — Eh bien, Mylord, je connois une Demoiſelle qui eſt préciſément telle que je viens de vous la peindre. Chargez-moi de cette négociation, & je crois pouvoir vous répondre du ſuccès. Sa réponſe me laiſſe un champ libre, il ſait que vous êtes à la Campagne. Pour éviter les informations (qui entre nous ne ſeroient point à l’avantage de Fanny), je lui laiſſe ignorer votre nom ; mais l’arrangement eſt fait, & l’engagement pris pour aller vous trouver dans la ſemaine prochaine. Afin de vous élever davantage, & pour épargner des ſoupçons, j’ai dit que j’étois l’Amie de votre première Femme-de-Chambre. Vous voilà, je penſe, parfaitement inſtruite ; ainſi vous pouvez nous attendre dans huit jours. J’arriverai ſeule & la première ; Mylord Barwill me ſuivra de près. Il ſuppoſera que ſa voiture s’eſt caſſée à vingt pas de chez vous ; qu’il alloit dans une terre d’un de ſes Amis, & il vous fera demander la permiſſion de vous faire ſa cour pendant qu’on raccommodera ſa voiture. Vous l’engagerez à reſter quelques jours. Le reſte eſt l’affaire de Fanny. Le Cavalier lui plaira ſûrement, car il eſt très-aimable. Vous voyez, Mylady, que la douceur eſt, dans certaines circonſtances, le parti le plus prudent à prendre : ſi vous en aviez choiſi un autre, cette bonne fortune n’auroit pas été pour vous. Je ſuis avec les ſentimens qui vous ſont dus, votre affectionnée

Sophie Goodness.

De Londres, ce … 17