Anna Rose-Tree/Lettre 72

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Veuve Duchesne (p. 69-71).

LXXIIme LETTRE.

Staal Anger,
à Mylady Ridge ;
à Londres.


Mylady,

La folie de Miſs Fanny, votre Fille, devient tous les jours plus forte, & je crains avec raiſon qu’elle ne m’échappe, malgré les ſoins & l’exactitude que je mets à la garder. Sa nouvelle groſſeſſe n’eſt plus un doute ; que de malheurs ont fondu ſur l’infortunée ! Dans ſes tranſports elle parle de Mylord Clarck, ſon premier Amant, avec une vénération qui m’étonne. C’eſt ſon changement qui cauſe tous ſes maux. Déteſtable Émilie ! Mylady a bien raiſon de la haïr, ſans elle nous ſerions tous heureux. Mais je m’écarte des ordres que Mylady m’a donnés. Il faut lui rendre un compte exact. Le voici : Miſs Fanny ne s’eſt point apperçue du départ de ſon Père & de ſa Mère, elle mange avec une voracité incroyable, de moment en moment ; elle me maltraite de paroles & d’effets. Souvent elle me rappelle les mauvais procédés de Mylord Buckingham, & puis elle demande ſon Fils dont elle ne peut croire la mort. Son Mari lui revient alors à l’idée, c’eſt celui qu’elle regrette le plus, elle l’aimoit de bonne-foi : Quand je lui repréſente que c’eſt un miſérable, elle entre dans des fureurs que je ne puis calmer ; elle ne peut me pardonner d’avoir battu la Goodneſs, & j’ai beau lui dire que j’en ai été cruellement punie, ce que je prouve en lui montrant mon bras qui eſt toujours dans un très-mauvais état, elle en rit à perdre haleine. Mylady doit voir combien j’ai à ſouffrir, & je ne doute pas qu’elle ne me récompenſe de tant de peine. Mylady voudra bien permettre que je la faſſe reſſouvenir que depuis plus de deux ans, elle me promet une penſion de cent livres. Je crois qu’elle n’a point à ſe plaindre de mon ſervice ; tout ce qui lui a plu de m’ordonner, a été exécuté avec empreſſement & célérité. J’oſe compter ſur les bontés de Mylady, comme elle peut compter ſur le profond reſpect de ſa très-humble & très-obéiſſante Servante

Staal Anger.

De Raimbow, ce … 17