Anna Rose-Tree/Lettre 87

La bibliothèque libre.
Veuve Duchesne (p. 113-117).


LXXXVIIme LETTRE.

Anna Rose-Tree,
à Mylady Clemency ;
à Paris.

Que de choſes à vous apprendre, ô ma chère Émilie ! Par où commencer ? Et comment vous convaincre de la vérité de tant d’évènemens extraordinaires ? Andrew !…… ſera mon Époux ; je conçois à peine mon bonheur… Il m’aimoit toujours, c’étoit par reſpect… Mais apprenez comment tout eſt arrivé.

Peu de jours après le retour de Mylord Stanhope à Pretty-Lilly, Andrew eſt tombé dangereuſement malade. Mylord en a reſſenti une peine incroyable, & il a voulu qu’on l’apportat dans une chambre voiſine de la ſienne. Il ne le quittoit preſque pas. Un jour qu’Andrew étoit plus bas, & que les Médecins aſſuroient qu’aucuns remèdes ne pourroient ſauver le Jeune-homme, attendu que ſon mal principal & peut-être le ſeul, étoit une triſteſſe profonde, cauſée ſûrement par des peines qu’il cachoit avec ſoin ; Mylord s’approcha de ſon lit, & par toutes ſortes de moyens il l’engagea à lui ouvrir ſon cœur. Andrew, qui croyoit n’avoir plus que quelques heures à vivre, lui fit l’aveu de ſon amour pour moi, & des efforts douloureux qu’il faiſoit pour le cacher. — Voilà donc, dit alors Mylord, la cauſe de ton dépériſſement : Et pourquoi l’avoir diſſimulé à mon amitié ? depuis long-temps tu ſerois heureux. Guéris-toi, mon Enfant, tu ſeras au comble de tes vœux. Je n’ai jamais donné de parole en vain, & je te jure que tu épouſeras Anna ; laiſſe-moi faire, & ſurtout, hâte-toi de recouvrer la ſanté. — Après lui avoir donné cette douce eſpérance, Mylord le quitta. Il ordonna qu’on mit les chevaux, & ſe fit conduire ici. Peu d’inſtans après ſon arrivée, il pria Mylady Green de lui accorder un entretien particulier. Lady Wambrance me prend le bras, & nous ſortons. Le bruit du carroſſe de Mylord nous avertit qu’il venoit de partir ; nous rejoignons ma Grand-maman, elle avoit l’air extrêmement gaie, choſe qui ne lui étoit pas arrivée depuis huit mois. J’étois curieuſe d’apprendre le ſujet de la viſite de Mylord, & cependant je n’oſois faire aucune queſtion à Mylady Green. Deux jours après on lui apporta une Lettre de Pretty-Lilly. En la liſant, elle s’écria ! — Ce pauvre Andrew ! — Que lui eſt-il donc arrivé ? dis-je, avec précipitation. — Il a été à la mort… mais il va beaucoup mieux. — Sans ce mais, je crois, ma chère, que je me ſerois trouvée mal ; Mylady continua de lire. — Mylord Stanhope nous prie à dîner pour jeudi. Et s’adreſſant à ma Compagne : — J’eſpère, Mylady, que vous voudrez bien lui faire l’honneur d’y venir. — S’il n’avoit pas parlé de moi, dit la Dame charmante, je me ſerois priée ; je ne quitte point comme cela mes Amies. Ma Grand-maman l’a embraſſée, & a été faire réponſe à la Lettre. Que le temps juſqu’au jeudi me parut long ! il s’eſt enfin écoulé. Nous arrivons à Pretty-Lilly ; Miſtreſs Browne vient à moi, & me dit tout bas : — Vous ſerez heureuſe. Je ne compris rien à ce peu de mots. À l’heure du dîner, Andrew parut. Il étoit bien pâle, mais il avoit l’air content. On ſe met à table. Je me trouvai placée à côté d’Andrew ; ſans en concevoir la raiſon, j’en étois bien aiſe. Après le dîner, on me fit paſſer dans le cabinet de Mylord avec lui & Mylady Green. — Voici, me dit-elle, ma chère Fille, le moment de me prouver votre obéiſſance : Mylord a trouvé un Mari qui vous convient ; j’eſpère que vous voudrez bien agréer ſon choix, qui eſt devenu le mien. Je tombai aux genoux de ma Grand-maman. — Mylady avoit eu la bonté de me promettre… — Je n’ai rien promis. Mylord, faites, je vous prie, entrer le prétendu d’Anna. Mylord paſſa dans la pièce d’à côté. Ne me ſentant pas la force de regarder l’Homme qu’il alloit amener, je cachai ma tête dans les mains de Mylady. Quelqu’un ſe mit à genoux à côté de moi : on ſaiſit une de mes mains. Le mouvement que je fis pour la retirer me découvrit les yeux : j’apperçus Andrew ! Je ne me rappelle pas ce que j’ai dit : j’étois dans une eſpèce de délire. Je n’oſois me livrer à l’eſpoir ſéduiſant qui s’offroit à moi. — Il eſt donc vrai, dit alors Andrew, qu’elle ſera à moi ! Ah ! n’eſt-ce point une illuſion ! Mylady, ne me trompez pas ! puis-je me livrer à l’excès de mon bonheur ? — Moi, te tromper, dit avec bonté ma Grand-maman ; ne ſais-tu pas combien elle t’aime ? Mes Enfans, vous ſerez unis, & c’eſt à Mylord que vous devez tous vos remerciemens ; il adopte Andrew pour ſon Fils, à condition qu’il prendra le nom d’une Terre conſidérable qu’il lui donne.[1] — Oui, ma chère Anna, dit alors Mylord, il étoit décidé que je vous nommerois ma Fille. Venez, mes Enfans ; tous nos Amis ſont inſtruits, & brûlent de vous féliciter. Andrew, point d’impatience ! dans huit jours le mariage.

Nous n’avons quitté Pretty-Lilly que ce matin, & c’eſt après-demain que j’épouſe celui que mon cœur a choiſi depuis ſi longtemps. Concevez-vous mon bonheur ? Je m’en croyois ſi loin, & j’y touchois ! Vous avez partagé les peines, partagez auſſi la félicité

d’Anna Rose-Tree.

De Break-of-Day, ce … 17

  1. Cette Terre ſe nomme Mountain.