Annales de l’Empire/Édition Garnier/Louis V

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LOUIS V, ou LOUIS DE BAVIÈRE,

trente-deuxième empereur.

1315. On ne compte pour empereur que Louis de Bavière, parce qu’il passe pour avoir été élu par le plus grand nombre, mais surtout parce que son rival Frédéric le Beau fut malheureux. Frédéric est sacré à Cologne par l’archevêque du lieu ; Louis, à Aix-la-Chapelle, par l’archevêque de Mayence ; et cet archevêque s’attribue ce privilége, malgré l’archevêque de Cologne, métropolitain d’Aix.

Ces deux sacres produisent nécessairement des guerres civiles ; et celui-ci d’autant plus que Louis de Bavière était oncle de Frédéric son rival. Quelques cantons suisses, déjà ligués, prennent les armes pour Louis de Bavière. Ils défendaient par là leur liberté contre l’Autriche.

Mémorable bataille de Morgarten. Si les Suisses avaient eu l’éloquence des Athéniens comme le courage, cette journée serait aussi célèbre que celle des Thermopyles. Seize cents Suisses des cantons d’Uri, de Schvitz, et d’Undervald, dissipent au passage des montagnes une armée formidable du duc d’Autriche. Le champ de bataille de Morgarten est le vrai berceau de leur liberté.

1316. Jean XXII, pape à Avignon et à Lyon comme ses deux prédécesseurs, n’osant pas mettre le pied en Italie, et abandonnant Rome, déclare cependant que l’empire dépend de l’Église romaine, et cite à son tribunal les deux prétendants à l’empire. Il y a eu de plus grandes révolutions sur la terre, mais il n’y en a pas eu une plus singulière dans l’esprit humain que de voir les successeurs des Césars, créés sur les bords du Mein, soumettre les droits qu’ils n’ont point sur Rome à un pontife de Rome créé dans Avignon ; tandis que les rois d’Allemagne prétendent avoir le droit de donner les royaumes de l’Europe, que les papes prétendent nommer les empereurs et les rois, et que le peuple romain ne veut ni d’empereur ni de pape.

1317. Il faut se représenter, dans ces temps-là, l’Italie aussi divisée que l’Allemagne. Les guelfes et les gibelins la déchirent toujours. Les guelfes, à la tête desquels est le roi de Naples Robert, tiennent pour Frédéric d’Autriche. Louis a pour lui les gibelins. Les principaux de cette faction sont les Viscontis à Milan. Cette maison établissait sa puissance sur le prétexte de soutenir celle des empereurs. La France voulait déjà se mêler des affaires du Milanais, mais faiblement.

1318. Guerre entre Éric, roi de Danemark, et Valdemar, margrave de Brandebourg. Ce margrave soutient seul cette guerre sans l’aide d’aucun prince de l’empire. Quand un État faible tient tête à un plus fort, c’est qu’il est gouverné par un homme supérieur.

Le duc de Lavenbourg, dans cette courte querelle bientôt accommodée, est prisonnier du margrave, et se rachète pour seize mille marcs d’argent. On pourrait, par ces rançons, juger à peu près de la quantité d’espèces qui roulaient alors dans ces pays, où les princes avaient tout, et les peuples presque rien.

1319. Les deux empereurs consentent à décider leur querelle plus importante par trente champions : usage des anciens temps, que la chevalerie a renouvelé quelquefois.

Ce combat d’homme à homme, de quinze contre quinze, fut comme celui des héros grecs et troyens. Il ne décida rien, et ne fut que le prélude de la bataille que les deux armées se livrèrent, après avoir été spectatrices du combat des trente. Louis est vainqueur dans cette bataille, mais sa victoire n’est point décisive.

1320-1321. Philippe de Valois, neveu de Philippe le Bel, roi de France, accepte du pape Jean XXII la qualité de lieutenant général de l’Église contre les gibelins en Italie. Philippe de Valois y va, croyant tirer quelque parti de toutes ces divisions. Les Viscontins trouvent le secret de lui faire repasser les Alpes, tantôt en affamant sa petite armée, et tantôt en négociant.

L’Italie reste partagée en guelfes et en gibelins, sans prendre trop parti ni pour Frédéric d’Autriche, ni pour Louis[1] de Bavière.

1322. Il se donne une bataille décisive entre les deux empereurs, encore assez près de Muhldorf, le 28 septembre : le duc d’Autriche est pris avec le duc Henri, son frère, et Ferry, duc de Lorraine. Dès ce jour, il n’y eut plus qu’un empereur.

Léopold d’Autriche, frère des deux prisonniers, continue en vain la guerre.

Jean de Luxembourg, roi de Bohême, fatigué des contradictions qu’il éprouve dans son pays, envoie son fils en France pour l’y faire élever à la cour du roi Charles le Bel. Il fait un échange de sa couronne contre le palatinat du Rhin, avec l’empereur. Cela paraît incroyable. Le possesseur du palatinat du Rhin était Rodolphe de Bavière, propre frère de l’empereur. Ce Rodolphe s’était jeté dans le parti de Frédéric d’Autriche contre son frère, et l’empereur Louis de Bavière, qui venait de s’emparer du palatinat, gagne la Bohême à ce marché.

On ne peut pas toujours en tout pays acheter et vendre des hommes comme des bêtes. Toute la noblesse de Bohême se souleva contre cet accord, le déclara nul et injurieux ; et il demeura sans effet. Mais Rodolphe resta privé de son palatinat.

1323. Un événement plus extraordinaire encore arrive dans le Brandebourg. Le margrave de ce pays, de l’ancienne maison d’Ascanie, quitte son margraviat pour aller en pèlerinage à la Terre Sainte. Il laisse ses États à son frère, qui meurt vingt-quatre jours après le départ du pèlerin. Il y avait beaucoup de parents capables de succéder. L’ancienne maison de Saxe-Lavenbourg et celle d’Anhalt avaient des droits. L’empereur, pour les accorder tous, et sans attendre de nouvelles du pèlerinage du véritable possesseur, voulut approprier à sa maison les États de Brandebourg, et il en investit son fils Louis.

L’empereur épouse en secondes noces la fille d’un comte de Hainaut et de Hollande, qui lui apporte pour dot ces deux provinces avec la Zélande et la Frise. Aucun État vers les Pays-Bas n’était regardé comme un fief masculin. Les empereurs songeaient à l’établissement de leurs maisons aussi bien qu’à l’empire.

L’empereur, ayant vaincu son concurrent, a le pape encore à vaincre. Jean XXII, des bords du Rhône, ne laissait pas d’influer beaucoup en Italie. Il animait la faction des guelfes contre les gibelins. Il déclare les Viscontis hérétiques, et comme l’empereur favorise les Viscontis, il déclare l’empereur fauteur d’hérétiques ; et, par une bulle du 9 octobre, il ordonne à Louis de Bavière de se désister dans trois mois de l’administration de l’empire, « pour avoir pris le titre de roi des Romains sans attendre que le pape ait examiné son élection ». L’empereur se contente de protester contre cette bulle, ne pouvant encore faire mieux.

1324. Louis de Bavière soutient le reste de la guerre contre la maison d’Autriche, pendant qu’il était attaqué par le pape.

Jean XXII, par une nouvelle bulle du 15 juillet, déclare l’empereur contumax, et le prive de tout droit à l’empire, s’il ne comparaît devant sa sainteté avant le 1er octobre. Louis de Bavière donne un rescrit par lequel il invite l’Église à déposer le pape, et appelle au futur concile.

Marcile de Padoue, et Jean de Gent[2] franciscain, viennent offrir leur plume à l’empereur contre le pape, et prétendent prouver que le saint-père est hérétique[3]. Il avait en effet des opinions singulières qu’il fut obligé de rétracter.

1325. Quand on voit ainsi les papes, n’ayant pas une ville à eux, parler aux empereurs en maîtres, on devine aisément qu’ils ne font que mettre à profit les préjugés des peuples et les intérêts des princes. La maison d’Autriche avait encore un parti en Allemagne, quoique le chef fût en prison ; et ce n’est qu’à la tête d’un parti qu’une bulle peut être dangereuse.

L’Alsace et le pays Messin, par exemple, tenaient pour cette maison. L’empereur fit une alliance avec le duc de Lorraine son prisonnier, avec l’archevêque de Trêves et le comte de Bar, pour prendre Metz. Metz fut prise en effet, et paya environ quarante mille livres tournois à ses vainqueurs.

Frédéric d’Autriche étant toujours en prison, le pape veut faire donner l’empire à Charles le Bel, roi de France. Il eût été naturel qu’un pape eût fait nommer un empereur en Italie. C’était ainsi qu’on en avait usé envers Charlemagne ; mais le long usage prévalait, et il fallait que l’Allemagne fît l’élection. On gagne en faveur du roi de France quelques princes d’Allemagne, qui donnèrent rendez-vous au roi à Bar-sur-Aube. Le roi de France s’y transporte, et n’y trouve que Léopold d’Autriche.

Le roi de France retourne chez lui, affligé de sa fausse démarche. Léopold d’Autriche, sans ressource, renvoie à Louis de Bavière la lance, l’épée, et la couronne de Charlemagne. L’opinion publique attachait encore à ces symboles un droit qui confirmait celui de l’élection.

Louis de Bavière élargit enfin son prisonnier, et lui fait signer une renonciation à l’empire pour le temps de la vie de Louis. On prétend que Frédéric d’Autriche conserva toujours le titre de roi des Romains.

1326. Léopold d’Autriche meurt[4]. Il faut bien observer que, malgré les lois, l’usage constant était que les grands fiefs se partageassent encore entre les héritiers. Trente enfants auraient partagé le même État en trente parts, et auraient tous porté le même titre. Tous les agnats de Rodolphe de Habsbourg portaient le nom de ducs d’Autriche.

Léopold avait eu pour son partage l’Alsace, la Suisse, la Souabe, et le Brisgau. Ses frères se disputent cet héritage ; ils choisissent le roi de Bohême, Jean de Luxembourg, pour austrègue, c’est-à-dire pour arbitre.

1327. Louis de Bavière va enfin en Italie se mettre à la tête des gibelins, et le pape anime de loin les guelfes contre lui. L’ancienne querelle de l’empire et du pontificat se renouvelle avec fureur.

Louis marche avec une petite armée à Milan ; il est accompagné d’une foule de moines franciscains. Ces moines étaient excommuniés par le pape Jean XXII pour avoir soutenu que leur capuchon devait être plus pointu, et que leur boire et leur manger ne leur appartenaient pas en propre[5].

Ces mêmes franciscains traitaient le pape d’hérétique et de damné, au sujet de son opinion sur la vision béatifique.

L’empereur est couronné roi de Lombardie à Milan, non par l’archevêque, qui le refuse, mais par l’évêque d’Arezzo.

Dès que ce prince se prépare à aller à Rome, la faction des guelfes presse le pape d’y revenir. Le pape n’ose y aller, tant il craint le parti gibelin et l’empereur.

Les Pisans offrent à l’empereur soixante mille livres pour qu’il ne passe point par leur ville dans son voyage à Rome. Louis de Bavière assiége Pise, et se fait donner au bout de trois jours trente autres mille livres pour y séjourner deux mois. Les historiens disent que ce sont des livres d’or ; mais cette somme ferait six millions d’écus d’Allemagne, ce qu’il est plus aisé de coucher par écrit que de payer.

Nouvelle bulle de Jean XXII, à Avignon, le 23 octobre : « Nous réprouvons ledit Louis comme hérétique. Nous dépouillons ledit Louis de tous ses biens meubles et immeubles, du palatinat du Rhin, de tout droit à l’empire ; défendons de fournir audit Louis du blé, du linge, du vin, du bois, etc. »

L’hérésie de l’empereur était d’aller à Rome.

1328. Louis de Bavière est couronné dans Rome sans prêter le serment de fidélité. Le célèbre Castruccio Castracani, tyran de Lucques, créé d’abord par l’empereur comte du palais de Latran et gouverneur de Rome, le conduit à Saint-Pierre avec les quatre premiers barons romains, Colonna, Orsini, Savelli, Conti.

Louis est sacré par un évêque de Venise, assisté d’un évêque d’Aleria, tous deux excommuniés par le pape. Il y eut peu de troubles dans Rome à ce couronnement.

Le 18 avril l’empereur tient une assemblée générale. Il y préside revêtu du manteau impérial, la couronne en tête, et le sceptre à la main. Un moine augustin, Nicolas Fabriano, y accuse le pape, et demande « s’il y a quelqu’un qui veuille défendre le prêtre de Cahors, qui se fait nommer le pape Jean ». L’ordre des augustins devait produire un jour un homme plus dangereux pour les papes[6].

On lut ensuite la sentence par laquelle l’empereur déposait le pape. « Nous voulons, dit-il, suivre l’exemple d’Othon Ier qui, avec le clergé et le peuple de Rome, déposa le pape Jean XII, etc. Nous déposons de l’évêché de Rome Jacques de Cahors, convaincu d’hérésie et de lèse-majesté, etc. »

Le jeune Colonna, attaché en secret au pape, publie son opposition dans Rome, l’affiche à la porte de l’église, et s’enfuit.

Enfin Louis prononce un arrêt de mort contre le pape, et même contre le roi de Naples, qui avait accepté du pape le vicariat de l’empire en Italie. Il les condamne tous deux à être brûlés vifs : la colère outrée va quelquefois jusqu’au ridicule. Il crée pape le 22 mai, de son autorité, Pierre Reinalucci, de la ville de Corbiero ou Corbario, dominicain, et le fait agréer par le peuple romain. Il l’investit par l’anneau, au lieu de lui baiser les pieds, et se fait de nouveau couronner par lui.

Ce qui était arrivé à tous les empereurs depuis les Othons arrive à Louis de Bavière. Les Romains conspirent contre lui. Le roi de Naples arrive avec des troupes aux portes de Rome. L’empereur et son pape sont obligés de s’enfuir.

1329. L’empereur, réfugié à Pise, est forcé d’en sortir. Il retourne sans armée en Bavière avec deux franciscains qui écrivaient contre le pape, Michel de Césène et Guillaume Okam. L’anti-pape Pierre de Corbiero se cache de ville en ville.

Le roi de Naples Robert fait rentrer sous la domination, ou plutôt sous la protection papale, Rome et plusieurs villes d’Italie.

Les Viscontis, toujours puissants dans Milan, et qui ne pouvaient plus être défendus par l’empereur, l’abandonnent. Ils se rangent du parti de Jean XXII, qui, toujours réfugié dans Avignon, semble donner des lois à l’Europe, et en donne en effet quand ces lois sont exécutées par les forts contre les faibles.

Louis de Bavière étant à Pavie fait un traité mémorable avec son neveu Robert, fils de l’électeur palatin Rodolphe, mort en exil en Angleterre, et tige de toute la branche palatine. Par ce traité il partage avec son neveu les terres de la maison palatine ; il lui rend le palatinat du Rhin et le haut Palatinat, et il garde pour lui la Bavière. Il règle qu’après l’extinction d’une des deux maisons palatine et de Bavière, qui ont une souche commune, la survivante entrera en possession de toutes les terres et dignités de l’autre, et que cependant le suffrage dans les élections des empereurs appartiendra alternativement aux deux maisons. Le droit de suffrage, accordé ainsi à la maison de Bavière, ne dura pas longtemps. La division que cet accord mit entre les deux maisons fut longue.

1330. Le pape frère Pierre de Corbiero[7], caché dans un château d’Italie, entouré de soldats envoyés par l’archevêque de Pise, demande grâce à Jean XXII, qui lui promet la vie sauve, et trois mille florins d’or de pension pour son entretien.

Ce pape frère Pierre va, la corde au cou, se présenter devant le pape, qui le fait enfermer dans une prison, où il mourut au bout de trois ans[8]. On ne sait s’il avait stipulé ou non qu’il ne serait pas enfermé.

Christophe, roi de Danemark, est déposé par les États du pays. Il a recours à l’empire. Les ducs de Saxe, de Mecklenbourg, et de Poméranie, sont nommés par l’empereur pour juger entre le prince et les sujets. C’était faire revivre les droits éteints de l’empire sur le Danemark. Mais Gérard, comte de Holstein, régent du royaume, ne voulut pas reconnaître cette commission. Le roi Christophe, avec les forces de ces princes et du margrave de Brandebourg, chasse le régent, et remonte sur le trône.

Louis de Bavière veut se réconcilier avec le pape, et lui envoie une ambassade. Jean XXII, pour réponse, mande au roi de Bohême qu’il ait à faire déposer l’empereur.

1331. Le roi de Bohême Jean, au lieu d’obéir au pape, se lie avec l’empereur, et marche en Italie avec une armée, en qualité de vicaire de l’empire. Ayant réduit quelques villes comme Crémone, Parme, Pavie, Modène, il est tenté de les garder pour lui, et dans cette idée il s’unit secrètement avec le pape. Les guelfes et les gibelins[9], alarmés, se réunissent contre Jean XXII et contre Jean de Bohême.

L’empereur, craignant un vicaire si dangereux, excite contre lui Othon d’Autriche, frère de ce même Frédéric, son rival pour l’empire ; tant les intérêts changent en peu de temps !

Il suscite le marquis de Misnie, et Charobert, roi de Hongrie, et jusqu’à la Pologne. Il est donc prouvé qu’alors il pouvait bien peu par lui-même. L’empire fut rarement plus faible ; mais l’Allemagne dans tous ces troubles est toujours respectée des étrangers, toujours hors d’atteinte.

Le roi de Bohême, revenu en Allemagne, bat tous ses ennemis l’un après l’autre. Il laisse son fils Charles vicaire en Italie malgré Louis de Bavière, et pour lui il va jusqu’en Pologne. Ce roi de Bohême Jean était alors le véritable empereur par son pouvoir.

Les guelfes et les gibelins, malgré leur antipathie, se liguent contre le prince Charles de Bohême en Italie. Le roi son père, vainqueur en Allemagne, passe les Alpes pour secourir son fils. Il arrive lorsque ce jeune prince vient de remporter une victoire signalée le 25 novembre, vers le Tyrol.

Il rentre avec son fils triomphant dans Prague, et lui donne la marche, ou marquisat, ou margraviat de Moravie, en lui faisant prêter un hommage lige.

1332. Le pape continue d’employer la religion dans l’intrigue. Othon, duc d’Autriche, gagné par lui, quitte le parti de l’empereur ; et, gagné par des moines, il soumet ses États au saint-siége. Il se déclare vassal de Rome. Quel temps, où une telle action ne fut ni abhorrée ni punie ! Peu de gens savent que l’Autriche a été donnée aux papes, ainsi que l’Angleterre ; c’est l’effet de la superstition et de la barbare stupidité dans laquelle l’Europe était plongée.

Ce temps était celui de l’anarchie. Le roi de Bohême se faisait craindre de l’empereur, et songeait à établir son crédit dans l’Allemagne. Lui et son fils avaient gagné des batailles en Italie, mais des batailles inutiles. Toute l’Italie était armée alors, gibelins contre guelfes, les uns et les autres contre les Allemands ; toutes les villes s’accordaient dans leur haine contre l’Allemagne, et toutes se faisaient la guerre, au lieu de s’entendre pour briser à jamais leurs chaînes.

Pendant ces troubles l’ordre teutonique est toujours une milice de conquérants vers la Prusse. Les Polonais leur prennent quelques villes. Ce même Jean, roi de Bohême, marche à leur secours. Il va jusqu’à Cracovie. Il apaise des troubles en Silésie. Ce prince, maître de la Bohême, de la Silésie, de la Moravie, faisait alors tout trembler.

Strasbourg, Fribourg en Brisgau, et Bâle, s’unissent dans ces temps de trouble contre les tyrans voisins. Plusieurs villes entrent dans cette association. Le voisinage de quatre cantons suisses, devenus libres, inspire à ces peuples des sentiments de liberté.

Othon d’Autriche assiége Colmar. L’empereur soutient cette ville contre le duc d’Autriche. Le comte de Virtemberg fournit des troupes à l’empereur ; le roi de Bohême lui en donne. On voit de part et d’autre des armées de trente mille hommes, mais ce n’est jamais que pour une campagne. L’empereur n’est alors que comme un autre prince d’Allemagne qui a ses amis comme ses ennemis. Qu’eût-ce été si tout eût été réuni pour subjuguer en effet toute l’Italie ?

Mais l’Allemagne n’est occupée que de ses querelles intestines. Le duc d’Autriche se raccommode avec l’empereur. La face des affaires change continuellement, et la misère des peuples continue.

1333. On a vu Jean, roi de Bohême, combattre en Italie pour l’empereur[10] ; maintenant le voici armé pour le pape. On a vu Robert, roi de Naples, défenseur du pape[11] : il est à présent son ennemi. Ce même roi de Bohême, qui venait d’assiéger Cracovie, va en Italie, de concert avec le roi de France, pour y établir le pouvoir du pape. C’est ainsi que l’ambition promène les hommes.

Qu’arrive-t-il ? Il donne bataille près de Ferrare au roi Robert de Naples, aux Viscontis, aux L’Escales, princes de Vérone, réunis. Il est défait deux fois. Il retourne en Allemagne après avoir perdu ses troupes, son argent, et sa gloire.

Troubles et guerres en Brabant au sujet de la propriété de Malines, que le duc de Brabant et le comte de Flandre se disputent. Le roi de Bohême s’en mêle encore. On s’accommode. Malines demeure à la Flandre.

1334. Cependant l’empereur Louis de Bavière reste tranquille dans Munich, et semble ne plus prendre part à rien.

Le pape Jean XXII, plus remuant, sollicite toujours les princes allemands à se soulever contre Louis de Bavière, et les franciscains du parti de Michel de Césène, condamnés par le pape, pressent l’empereur d’assembler un concile pour faire déclarer le pape hérétique, et pour le déposer.

La mort devait venger l’empereur plus promptement qu’un concile. Jean XXII meurt à quatre-vingt-dix ans, le 4 décembre, dans Avignon.

Villani prétend qu’on trouva dans son trésor la valeur de vingt-cinq millions de florins d’or, dont dix-huit millions monnayés. « Je le sais, dit Villani, de mon frère Rommone, qui était marchand du pape. » On peut dire hardiment à Villani que son frère le marchand était un grand exagérateur. Cela ferait environ deux cents millions d’écus d’Allemagne d’aujourd’hui. On eût alors, avec une pareille somme, acheté toute l’Italie, et Jean XXII n’y mit jamais le pied. Il eut beau ajouter une troisième couronne à la tiare pontificale, il n’en fut pas plus puissant. Il est vrai qu’il vendait beaucoup de bénéfices, qu’il inventa les annates, les réserves, les expectatives, qu’il mit à prix les dispenses et les absolutions. Tout cela est une ressource plus faible qu’on ne pense, et a produit beaucoup plus de scandale que d’argent ; les exacteurs de pareils tributs n’en font d’ordinaire aux maîtres qu’une part fort légère.

Ce qui est digne de remarque, c’est qu’il eut du scrupule en mourant sur la manière dont il avait dit qu’on voyait Dieu dans le ciel, et qu’il n’en eut point sur les trésors qu’il avait amassés sur la terre.

1335. Le vieux roi Jean de Luxembourg épouse une jeune princesse de la maison de France, de la branche de Bourbon ; et, par son contrat de mariage, il donne le duché de Luxembourg au fils qui naîtra de cette alliance. La plupart des clauses des contrats sont des semences de guerre.

Voici un autre mariage qui produit une guerre dès qu’il est consommé. Le vieux roi de Bohême avait un second fils, Jean de Luxembourg, duc de Carinthie. Ce jeune prince prenait le titre de duc de Carinthie, parce que sa femme avait des prétentions sur ce duché. Cette princesse de Carinthie, qu’on appelait Marguerite la Grande Bouche, prétend que son mari Jean de Luxembourg est impuissant. Elle trouve un évêque de Freisengen qui casse son mariage sans formalités ; elle se donne au marquis de Brandebourg.

L’intérêt a autant de part que l’amour dans cet adultère. Le margrave de Brandebourg était le fils de l’empereur Louis de Bavière. Marguerite la Grande Bouche apportait le Tyrol en dot, et des droits sur la Carinthie : ainsi l’empereur ne fit aucune difficulté d’ôter cette princesse au fils de Bohême, et de la donner à son fils de Brandebourg. Ce mariage excite une guerre qui dure toute l’année ; et après beaucoup de sang répandu, on en vient à un accommodement singulier : c’est que le jeune Jean de Luxembourg avoue que sa femme a raison de l’avoir quitté, et approuve son mariage avec le Brandebourgeois, fils de l’empereur.

Petite guerre des Strasbourgeois contre les seigneurs des environs. Strasbourg agit en vraie république indépendante, à cela près que son évêque se mettait souvent à la tête des troupes, pour faire dépendre les citoyens de l’évêque.

1336-1337. On commence à négocier beaucoup en Allemagne pour la fameuse guerre que le roi d’Angleterre Edouard III méditait contre Philippe de Valois. Il s’agissait de savoir à qui la France appartiendrait.

Il est vrai que ce pays, beaucoup plus resserré qu’il ne l’est aujourd’hui, affaibli par les divisions du gouvernement féodal, et n’ayant point de grand commerce maritime, n’était pas le plus grand théâtre de l’Europe ; mais c’était toujours un objet très-important.

Philippe de Valois d’un côté, et Édouard de l’autre, tâchent d’engager les princes d’Allemagne dans leur querelle ; mais il paraît que l’Anglais fit mieux sa partie que le Français. Philippe de Valois a pour lui le roi de Bohême, et Édouard a tous les princes voisins de la France. Il a surtout pour lui l’empereur ; il n’en obtient à la vérité que des lettres patentes, mais ces lettres patentes sont de vicaire de l’empire. Le fier Édouard consent volontiers à exercer ce vicariat, pour tâcher de faire déclarer guerre de l’empire la guerre contre la France. Ses provisions portent qu’il pourra faire battre monnaie dans toutes les terres de l’empire : rien ne prouve mieux ce respect secret qu’on avait dans toute l’Europe pour la dignité impériale.

Pendant qu’Édouard s’appuie des forces temporelles de l’Allemagne, Philippe de Valois cherche à faire agir les forces spirituelles du pape : elles étaient alors bien peu de chose.

Le pape Benoît XII, encore dans Avignon comme ses prédécesseurs, était dépendant du roi de France.

Il faut savoir que l’empereur, n’ayant point été absous par le pape, demeurait toujours excommunié, et privé de ses droits dans l’opinion vulgaire de ces temps-là.

Philippe de Valois, qui peut tout sur un pape d’Avignon, force Benoît XII à différer l’absolution de l’empereur. Ainsi l’autorité d’un prince dirige souvent le ministère pontifical, et ce ministère, à son tour, suscite quelques princes. Il y a un Henri, duc de Bavière, parent de Louis l’empereur, prenant toujours, selon l’usage, ce titre de duc sans avoir le duché, mais possédant une partie de la Bavière inférieure. Ce Henri demande pardon au pape par ses députés d’avoir reconnu son parent empereur. Cette bassesse ne produit dans l’empire aucune des révolutions qu’on en attendait.

1338. Le pape Benoît XII avoue que c’est Philippe de Valois, roi de France, qui l’empêche de réconcilier à l’Église l’empereur Louis. Voilà comme presque tous les papes n’ont été que les instruments d’une force étrangère. Ils ressemblaient souvent aux dieux des Indiens, à qui on demande de la pluie à genoux, et qu’on traîne dans la rivière quand on n’est pas exaucé.

Grande assemblée des princes de l’empire à Rentz sur le Rhin. On y déclare, ce qui ne devrait pas avoir besoin d’être déclaré, que « celui qui a été élu par le plus grand nombre est véritable empereur ; que la confirmation du pape est absolument inutile ; que le pape a encore moins le droit de déposer l’empereur ; et que l’opinion contraire est un crime de lèse-majesté ».

Cette déclaration passe en loi perpétuelle le 8 auguste à Francfort.

Albert d’Autriche, surnommé d’abord le Contrefait, et qui ensuite changea ce surnom en celui de Sage, l’un des frères de ce Frédéric d’Autriche qui avait disputé l’empire, et le seul de tous ses frères par qui la race autrichienne s’est perpétuée, attaque encore en vain les Suisses. Ces peuples, qui n’avaient de bien que leur liberté, la défendent toujours avec courage. Albert est malheureux dans son entreprise, et mérite le nom de Sage en l’abandonnant.

1339. L’empereur Louis ne pense plus qu’à rester tranquille dans Munich, pendant qu’Édouard, roi d’Angleterre, son vicaire, traîne cinquante princes de l’empire à la guerre contre Philippe de Valois, et va conquérir une partie de la France. Mais avant la fin de la campagne, tous ces princes allemands se retirent chez eux ; et Édouard, assisté des Flamands, poursuit ses vues ambitieuses.

1340. L’empereur Louis, qui s’était repenti d’avoir donné le vicariat d’Italie à un roi de Bohême guerrier et puissant, se repent d’avoir donné le vicariat d’Allemagne à un roi plus puissant et plus guerrier. L’empereur était le pensionnaire du vicaire ; et le fier Anglais se conduisant en maître, et payant mal la pension, l’empereur lui ôte ce vicariat, devenu un titre inutile.

L’empereur négocie avec Philippe de Valois. Pendant ce temps l’autorité impériale est absolument anéantie en Italie, malgré la loi perpétuelle de Francfort[12].

Le pape, de son autorité privée, accorde aux deux frères Viscontis le gouvernement de Milan, qu’ils avaient sans lui, et les fait vicaires de l’Église romaine ; ils avaient été auparavant vicaires impériaux.

Le roi Jean de Bohême va à Montpellier pour se guérir, par la salubrité de l’air, d’un mal qui attaquait ses yeux. Il n’en perd pas moins la vue, et il est connu depuis sous le nom de Jean l’Aveugle. Il fait son testament, donne la Bohême et la Silésie à Charles, depuis empereur ; à Jean, la Moravie ; à Venceslas, né de Béatrix de Bourbon, le Luxembourg et les terres qu’il a en France du chef de sa femme.

L’empereur cependant jouit de la gloire de décider en arbitre des querelles de la maison de Danemark. Le duc de Slesvick-Holstein, par cet accommodement, renonce aux prétentions sur le royaume de Danemark : il marie sa sœur au roi Valdemar III, et reste en possession du Jutland.

1341-1342-1343. Louis de Bavière semble ne plus penser à l’Italie, et donne des tournois dans Munich.

Clément VI, nouveau pape, né Français et résidant à Avignon, est sollicité de revenir enfin rétablir en Italie le pontificat, et d’y achever d’anéantir l’autorité impériale. Il suit les procédures de Jean XXII contre Louis. Il sollicite l’archevêque de Trêves de faire élire en Allemagne un nouvel empereur. Il soulève en secret contre lui ce roi de Bohême Jean l’Aveugle, toujours remuant, le duc de Saxe, et Albert d’Autriche.

L’empereur Louis, qui a toujours à craindre qu’un défaut d’absolution n’arme contre lui les princes de l’empire, flatte le pape, qu’il déteste, et lui écrit « qu’il remet à la disposition de sa sainteté sa personne, son État, sa liberté, et ses titres ». Quelles expressions pour un empereur qui avait condamné Jean XXII à être brûlé vif !

Les princes assemblés à Francfort sont moins complaisants, et maintiennent les droits de l’empire.

1344-1345. Jean l’Aveugle semble plus ambitieux depuis qu’il a perdu la vue. D’un côté il veut frayer le chemin de l’empire à son fils Charles ; de l’autre il fait la guerre à Casimir, roi de Pologne, pour la mouvance du duché de Schveidnitz, dans la Silésie.

C’est l’effet ordinaire de l’établissement féodal. Le duc de Schveidnitz avait fait hommage au roi de Pologne : Jean de Bohême réclame l’hommage en qualité de duc de Silésie. L’empereur soutient en secret les intérêts du Polonais ; et malgré l’empereur, la guerre finit heureusement pour la maison de Luxembourg. Le prince Charles de Luxembourg, marquis de Moravie, fils de Jean l’Aveugle, devenu veuf, épouse la nièce du duc de Schveidnitz, qui fait hommage à la Bohême ; et c’est une nouvelle confirmation que la Silésie est une annexe de la couronne de Bohême.

L’impératrice Marguerite, femme de l’empereur Louis de Bavière, et sœur de Jean de Brabant, se trouve héritière de la Hollande, de la Zélande, et de la Frise : elle recueille cette succession. L’empereur, son mari, devait en être beaucoup plus puissant : il ne l’est pourtant pas.

En ce temps, Robert, comte palatin, fonde l’université de Heidelberg sur le modèle de celle de Paris.

1346. Jean l’Aveugle et son fils Charles font un grand parti dans l’empire au nom du pape.

Les factions impériale et papale troublent enfin l’Allemagne, comme les guelfes et les gibelins avaient troublé l’Italie. Clément VI en profite. Il publie contre Louis de Bavière une bulle le 13 avril. « Que la colère de Dieu, dit-il, et celle de saint Pierre et saint Paul, tombent sur lui dans ce monde-ci et dans l’autre ; que la terre l’engloutisse tout vivant ; que sa mémoire périsse ; que tous les éléments lui soient contraires ; que ses enfants tombent dans les mains de ses ennemis aux yeux de leur père. »

Il n’y avait point de protocole pour ces bulles ; elles dépendaient du caprice du dataire qui les expédiait. Le caprice en cette occasion est un peu violent.

Il y avait alors deux archevêques de Mayence : l’un, déposé en vain par le pape ; l’autre, élu à l’instigation du pape par une partie des chanoines. C’est à ce dernier que Clément VI adresse une autre bulle pour élire un empereur.

Le roi de Bohême Jean l’Aveugle, et son fils Charles, marquis de Moravie, qui fut depuis l’empereur Charles IV, vont à Avignon marchander l’empire avec le pape Clément VI. Charles s’engage à casser toutes les ordonnances de Louis de Bavière, à reconnaître que le comté d’Avignon appartenait de droit au saint-siége, ainsi que Ferrare et les autres terres (il entendait celles de la comtesse Mathilde), les royaumes de Sicile, de Sardaigne, et de Corse, et surtout Rome ; que, si l’empereur va à Rome se faire couronner, il en sortira le même jour, qu’il n’y reviendra jamais sans une permission expresse du pape, etc.

Après ces promesses. Clément VI recommande aux archevêques de Cologne et de Trêves, et au nouvel archevêque de Mayence, d’élire empereur le marquis de Moravie, Ces trois prélats avec Jean l’Aveugle s’assemblent à Rentz, près de Coblentz, le 1er juillet. Ils élisent Charles de Luxembourg, marquis de Moravie, qu’on connaît sous le nom de Charles IV.

Le jésuite Maimbourg assure positivement qu’il acheta le suffrage de l’archevêque de Cologne huit mille marcs d’argent ; et il ajoute que le duc de Saxe, comme plus riche, « fit meilleur marché de sa voix, se contentant de deux mille marcs ».

1. Ce que le jésuite Maimbourg assure n’est rapporté que sur un ouï-dire par Cuspinien.

2. Comment peut-on être instruit de ces marchés secrets ?

3. Voilà un beau désintéressement dans le duc de Saxe, de ne se déshonorer que pour deux mille marcs, parce qu’il est riche ! c’est précisément parce qu’on est riche qu’on se vend plus cher, quand on fait tant que de se vendre.

4. Le sens commun permet-il de croire que Charles IV ait acheté chèrement un droit très-incertain et une guerre civile certaine ?

Quoique l’Allemagne fût partagée, le parti de Louis de Bavière est tellement le plus fort que le nouvel empereur et son vieux père, au lieu de soutenir leurs droits en Allemagne, vont se battre en France contre Édouard d’Angleterre pour Philippe de Valois. Le vieux roi Jean de Bohême est tué à la fameuse bataille de Crécy, le 25 ou 26 auguste, gagnée par les Anglais. Charles s’en retourne en Bohême sans troupes et sans argent : il est le premier roi de Bohême qui se soit fait couronner par l’archevêque de Prague, et c’est pour ce couronnement que l’évêché de Prague, jusque-là suffragant de Mayence, fut érigé en archevêché.

1347. Alors Louis de Bavière et l’anti-empereur Charles se font la guerre. Charles de Luxembourg est battu partout.

Il se passait alors une scène singulière en Italie. Nicolas Rienzi, notaire à Rome, homme éloquent, hardi, et persuasif, voyant Rome abandonnée des empereurs et des papes qui n’osaient y retourner, s’était fait tribun du peuple. Il régna quelques mois[13] d’une manière absolue ; mais le peuple, qui avait élevé cette idole, la détruisit. Rome depuis longtemps ne semblait plus faite pour des tribuns ; mais on voit toujours cet ancien amour de la liberté qui produit des secousses et qui se débat dans ses chaînes. Rienzi s’intitulait Chevalier candidat du Saint-Esprit, sévère et clément libérateur de Rome, zélateur de l’Italie, amateur de l’univers, et tribun auguste. Ces beaux titres prouvent qu’il était un enthousiaste, et que par conséquent il pouvait séduire la vile populace, mais qu’il était indigne de commander à des hommes d’esprit. Il voulait en vain imiter Gracchus, comme Crescence avait voulu vainement imiter Brutus.

Il est certain que Rome alors était une république, mais faible, n’ayant de l’ancienne république romaine que les factions. Son ancien nom faisait toute sa gloire.

Il est difficile de dire s’il y eut jamais un temps plus malheureux depuis les inondations des barbares au ve siècle. Les papes étaient chassés de Rome ; la guerre civile désolait toute l’Allemagne, les guelfes et les gibelins déchiraient l’Italie ; la reine de Naples, Jeanne, après avoir étranglé son mari, fut étranglée elle-même ; Édouard III ruinait la France où il voulait régner ; et enfin la peste, comme on le verra[14], fit périr une partie des hommes échappés au glaive et à la misère.

Louis de Bavière meurt d’apoplexie le 21 octobre auprès d’Augsbourg, Des auteurs disent qu’il fut empoisonné par une duchesse d’Autriche. Le prêtre André et d’autres prétendent que cette duchesse d’Autriche est la même qu’on appelait la Grande Bouche ; mais le prêtre André ne fait pas réflexion que Marguerite la Grande Bouche est la même qui avait quitté son mari pour le fils de l’empereur. Il fallait que les historiens de ce temps-là eussent une grande haine pour les princes : ils les font presque tous empoisonner. Un Hocsemius s’exprime ainsi : « L’empereur bavarois, le damné, meurt d’un poison donné par la duchesse d’Ostrogothie ou d’Autriche, femme du duc Albert. » Struvius dit qu’on prétend qu’il fut empoisonné par une duchesse d’Autriche nommée Anne. Voilà donc trois prétendues duchesses d’Autriche différentes accusées de cette mort, sans la moindre apparence. C’est ainsi qu’on écrivait autrefois l’histoire. On croirait, en lisant le P. Barre[15], que Louis de Bavière fut empoisonné par une quatrième princesse nommée Maultasch ; mais c’est qu’en allemand Maultasch signifie grande bouche ou bouche difforme, et cette princesse est précisément cette Marguerite, bru de l’empereur. Il s’intitulait Louis IV, et non pas Louis V, parce qu’il ne comptait pas Louis IV, surnommé l’Enfant, parmi les empereurs[16].

Ce fut lui qui donna lieu à l’invention de l’aigle à deux têtes : il y avait deux aigles dans ses sceaux ; et les deux têtes d’aigle, qu’on a presque toujours conservées depuis, supposent aussi deux corps, dont l’un est caché par l’autre. Le caprice des ouvriers a décidé de presque toutes les armoiries des souverains.


  1. Une des éditions de 1753-54 porte Henri, une autre Louis ; et l’errata de cette dernière dit de mettre, au lieu de Henri, Louis. On lit Louis dans l’édition de 1772. Voltaire a donné à ce prince le nom de Louis, tome XI, pages 531-533, 530, et ci-dessus, page 389. Il y avait un Henri, parent de Louis : voyez année 1337. (B.)
  2. Jean de Gondouin.
  3. Le livre de Marcile ou Marsile est intitulé le Défenseur de la paix. (G, A.)
  4. Léopold, dit le Glorieux, mourut le 28 février 1326. Il était, ainsi que Frédéric le Beau, fils de l’empereur Albert Ier, qui fut père d’une douzaine d’enfants.
  5. Voyez tome XI, page 533.
  6. Luther ; voyez année 1518.
  7. Voyez année 1328.
  8. En 1330.
  9. Voyez années 1080, 1138 et 1230.
  10. Voyez 1331.
  11. Voyez 1328.
  12. Voyez 1338.
  13. De mai à décembre 1347, puis fut obligé de s’enfuir, reprit le pouvoir en 1354, et fut assassiné le 8 octobre ; voyez tome XI, page 534.
  14. Année 1350.
  15. Voyez son Histoire générale d’Allemagne, tome VI, page 66.
  16. Voyez année 900.