Annales de l’Empire/Édition Garnier/Othon Ier

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OTHON Ier, surnommé LE GRAND,
douzième empereur.

936. Voici enfin un empereur véritable. Les ducs et les comtes, les évêques, les abbés, et tous les seigneurs puissants qui se trouvent à Aix-la-Chapelle, élisent Othon, fils de Henri l’Oiseleur. Il n’est pas dit que les députés des bourgs aient donné leurs voix. Il se peut faire que les grands seigneurs, devenus plus puissants sous Henri l’Oiseleur, leur eussent ravi ce droit naturel ; il se peut encore que les communes, à l’élection de Henri l’Oiseleur, eussent donné leurs acclamations et non pas leurs suffrages ; et c’est ce qui est plus vraisemblable.

L’archevêque de Mayence annonce au peuple cette élection, le sacre et lui met la couronne sur la tête. Ce qu’on peut remarquer, c’est que les prélats dînèrent à la table de l’empereur, et que les ducs de Franconie, de Souabe, de Bavière, et de Lorraine, servirent à table, le duc de Franconie, par exemple, en qualité de maître d’hôtel, et le duc de Souabe en qualité d’échanson. Cette cérémonie se fit dans une galerie de bois, au milieu des ruines d’Aix-la-Chapelle, brûlée par les Normands, et non encore rebâtie.

Les Huns et les Hongrois viennent encore troubler la fête. Ils s’avancent jusqu’en Vestphalie, mais on les repousse.

937. La Bohême était alors entièrement barbare, et à moitié chrétienne. Heureusement pour Othon, elle est troublée par des guerres civiles. Il en profite aussitôt. Il rend la Bohême tributaire de la Germanie, et y rétablit le christianisme.

938-939-940. Othon tâche de se rendre despotique, et les seigneurs des grands fiefs, de se rendre indépendants. Cette grande querelle, tantôt ouverte, tantôt cachée, subsiste dans les esprits depuis plus de huit cents années, ainsi que la querelle de Rome et de l’empire.

Cette lutte du pouvoir royal qui veut toujours croître, et de la liberté qui ne veut point céder, a longtemps agité toute l’Europe chrétienne. Elle subsista en Espagne tant que les chrétiens y eurent les Maures à combattre ; après quoi l’autorité souveraine prit le dessus. C’est ce qui troubla la France jusqu’au milieu du règne de Louis XI ; ce qui a enfin établi en Angleterre le gouvernement mixte auquel elle doit sa grandeur ; ce qui a cimenté en Pologne la liberté du noble et l’esclavage du peuple. Ce même esprit a troublé la Suède et le Danemark, a fondé les républiques de Suisse et de Hollande. La même cause a produit partout différents effets. Mais, dans les plus grands États, la nation a presque toujours été sacrifiée aux intérêts d’un seul homme ou de quelques hommes : la raison en est que la multitude, obligée de travailler pour gagner sa vie, n’a ni le temps ni le pouvoir d’être ambitieuse.

Le duc de Bavière refuse de faire hommage. Othon entre en Bavière avec une armée. Il réduit le duc à quelques terres allodiales. Il crée un des frères du duc comte palatin en Bavière, et un autre comte palatin vers le Rhin. Cette dignité de comte palatin est renouvelée des comtes du palais des empereurs romains, et des comtes du palais des rois francs.

Il donne la même dignité à un duc de Franconie. Ces palatins sont d’abord des juges suprêmes. Ils jugent en dernier ressort au nom de l’empereur. Ce ressort suprême de justice est, après une armée, le plus grand appui de la souveraineté.

Othon dispose à son gré des dignités et des terres. Le premier marquis de Brandebourg étant mort sans enfants, il donne le marquisat à un comte Gérard, qui n’était point parent du mort.

Plus Othon affecte le pouvoir absolu, plus les seigneurs des grands fiefs s’y opposent, et dès lors s’établit la coutume d’avoir recours à la France pour soutenir le gouvernement féodal en Germanie contre l’autorité des rois allemands.

Les ducs de Franconie, de Lorraine, le prince de Brunsvick, s’adressent à Louis d’Outremer, roi de France. Louis d’Outremer entre dans la Lorraine et dans l’Alsace, et se joint aux alliés. Othon prévient le roi de France; il défait vers le Rhin, auprès de Brisach, les ducs de Franconie et de Lorraine, qui sont tués.

Il ôte le titre de palatin à la maison de Franconie. Il en pourvoit la maison de Bavière : il attache à ce titre des terres et des châteaux. C’est de là que se forme le palatinat du Rhin d’aujourd’hui[1]. C’était d’abord un juge, à présent c’est un prince électeur, un souverain. Le contraire est arrivé en France.

941. Comme les seigneurs des grands fiefs germains avaient appelé le roi de France à leur secours, les seigneurs de France appellent pareillement Othon. Il poursuit Louis d’Outremer dans toute la Champagne ; mais des conspirations le rappellent en Allemagne.

942-943-944. Le despotisme d’Othon aliénait tellement les esprits que son propre frère Henri, duc dans une partie de la Lorraine, s’était uni avec plusieurs seigneurs pour lui ôter le trône et la vie. Il repasse donc en Allemagne, étouffe la conspiration, et pardonne à son frère, qui apparemment était assez puissant pour se faire pardonner.

Il augmente les priviléges des évêques et des abbés pour les opposer aux seigneurs. Il donne à l’évêque de Trêves le titre de prince et tous les droits régaliens. Il donne le duché de Bavière à son frère Henri, qui avait conspiré contre lui, et l’ôte aux héritiers naturels. C’est la plus grande preuve de son autorité absolue.

945-946. En ce temps la race de Charlemagne, qui régnait encore en France, était dans le dernier avilissement. On avait cédé en 912 la Neustrie proprement dite aux Normands, et même la Bretagne, devenue alors arrière-fief de la France.

Hugues, duc de l’île de France, du sang de Charlemagne par les femmes, père de Hugues Capet, gendre en premières noces d’Édouard Ier, roi d’Angleterre, beau-frère d’Othon par un second mariage, était un des plus puissants seigneurs de l’Europe, et le roi de France alors un des plus petits. Ce Hugues avait rappelé Louis d’Outremer pour le couronner et pour l’asservir, et on l’appelait Hugues le Grand, parce qu’il s’était rendu puissant aux dépens de son maître.

Il s’était lié avec les Normands, qui avaient fait le malheureux Louis d’Outremer prisonnier. Ce roi, délivré de prison, restait presque sans villes et sans domaine. Il était aussi beau-frère d’Othon, dont il avait épousé la sœur. Il lui demande sa protection, en cédant tous ses droits sur la Lorraine.

Othon marche jusqu’auprès de Paris. Il assiége Rouen ; mais étant abandonné par le comte de Flandre, il s’en retourne dans ses États après une expédition inutile.

947-948. Othon, n’ayant pu battre Hugues le Grand, le fait excommunier. Il convoque un concile à Trêves, où un légat du pape prononce la sentence, à la réquisition de l’aumônier d’Othon, Hugues n’en est pas moins le maître en France.

Il y avait, comme on a vu, un margrave à Slesvick dans la Chersonèse Cimbrique, pour arrêter les courses des Danois. Ils tuent le margrave. Othon y court en personne, reprend la ville, assure les frontières. Il fait la paix avec le Danemark, à condition qu’on y prêchera le christianisme.

949. De là Othon va tenir un concile auprès de Mayence à Ingelheim. Louis d’Outremer, qui n’avait point d’armée, avait demandé au pape Agapet ce concile, faible ressource contre Hugues le Grand.

Des évêques germains, et Marin, le légat du pape, y parurent comme juges, Othon comme protecteur, et Louis, roi de France, en suppliant. Le roi Louis y demanda justice, et dit : « J’ai été reconnu roi par les suffrages de tous les seigneurs. Si on prétend que j’ai commis quelque crime qui mérite les traitements que je souffre, je suis prêt de m’en purger au jugement du concile, suivant l’ordre d’Othon, ou par un combat singulier. »

Ce triste discours prouve l’usage des duels, l’état déplorable du roi de France, la puissance d’Othon, et les élections des rois. Le droit du sang semblait n’être alors qu’une recommandation pour obtenir des suffrages. Hugues le Grand est cité à ce vain concile : on se doute bien qu’il n’y comparut point.

Ce qui n’est pas moins prouvé, c’est que l’empereur regardait tous les rois de l’Europe comme dépendants de sa couronne impériale : c’est l’ancienne prétention de sa chancellerie, et on faisait valoir cette chimère, quand il se trouvait quelque malheureux roi assez faible pour s’y soumettre.

950. Othon donne l’investiture de la Souabe, d’Augsbourg, de Constance, du Virtemberg, à son fils Ludolphe, sauf les droits des évêques.

951. Othon retourne en Bohême, bat le duc Bol, qu’on appelle Boleslas. Le mot de slas chez ces peuples désignait un chef. C’est de là qu’on leur donna d’abord le nom de slaves, et qu’ensuite on appela esclaves ceux qui furent conquis par eux. L’empereur confirme le vasselage de la Bohême, et y établit la religion chrétienne. Tout ce qui était au-delà était encore païen, excepté quelque marche de la Germanie. La religion chrétienne, exterminée en Syrie, où elle était née, et en Afrique, où elle s’était transplantée, s’établit encore dans le nord de l’Europe. Othon pensait dès lors à renouveler l’empire de Charlemagne : une femme lui en fraya les chemins.

Adélaïde, sœur d’un petit roi de la Bourgogne transjurane, veuve d’un roi ou d’un usurpateur du royaume d’Italie, opprimée par un autre usurpateur, Bérenger II, assiégée dans Canosse, appelle Othon à son secours. Il y marche, la délivre, et, étant veuf alors, il l’épouse. Il entre dans Pavie en triomphe avec Adélaïde. Mais il fallait du temps et des soins pour assujettir le reste du royaume, et surtout Rome, qui ne voulait point de lui.

952. Il laisse son armée à un prince nommé Conrad, qu’il a fait duc de Lorraine, et son gendre ; et, ce qui est assez commun dans ces temps-là, il va tenir un concile à Augsbourg, au lieu de poursuivre ses conquêtes. Il y avait des évêques italiens à ce concile : il est vraisemblable qu’il ne le tint que pour disposer les esprits à le recevoir en Italie.

953. Son mariage avec Adélaïde, qui semblait devoir lui assurer l’Italie, semble bientôt la lui faire perdre.

Son fils Ludolphe, auquel il avait donné tant d’États, mais qui craignait qu’Adélaïde, sa belle-mère, ne lui donnât un maître : son gendre Conrad, à qui il avait donné la Lorraine, mais à qui il ôte le commandement d’Italie, conspirent contre lui ; un archevêque de Mayence, un évêque d’Augsbourg, se joignent à son fils et à son gendre : il marche contre son fils ; et au lieu de se faire empereur à Rome, il soutient une guerre civile en Allemagne.

954. Son fils dénaturé appelle les Hongrois à son secours, et on a bien de la peine à les repousser des bords du Rhin et des environs de Cologne, où ils s’avancent.

Othon avait un frère ecclésiastique nommé Brunon ; il le fait élire archevêque de Cologne, et lui donne la Lorraine.

955. Les armes d’Othon prévalent. Ses enfants et les conjurés viennent demander pardon ; l’archevêque de Mayence rentre dans le devoir. Le fils du roi en sort encore. Il vient enfin pieds nus se jeter aux genoux de son père.

Les Hongrois appelés par lui ne demandent point grâce comme lui : ils désolent l’Allemagne. Othon leur livre bataille dans Augsbourg, et les défait. Il paraît qu’il était assez fort pour les battre, non pas assez pour les poursuivre et les détruire, quoique son armée fût composée de légions à peu près selon le modèle des anciennes légions romaines.

Ce que craignait le fils d’Othon arrive. Adélaïde accouche d’un prince : c’est Othon II.

Depuis 956 jusqu’à 960. Les desseins sur Rome se mûrissent, mais les affaires d’Allemagne les empêchent encore d’éclore. Les Slaves et d’autres barbares inondant le nord de l’Allemagne, encore très-mal assurée, malgré tous les soins d’Othon. De petites guerres, vers le Luxembourg et le Hainaut, qui étaient de la Basse-Lorraine, ne laissent pas de l’occuper encore.

Ludolphe, ce fils d’Othon envoyé en Italie contre Bérenger, y meurt ou de maladie, ou de débauche, ou de poison.

Bérenger alors est maître absolu de l’ancien royaume de Lombardie, et non de Rome ; mais il avait nécessairement mille différends avec elle comme les anciens rois lombards.

Un petit-fils de Marozie, nommé Octavien Sporco, fut élu pape à l’âge de dix-huit ans par le crédit de sa famille. Il prit le nom de Jean XII en mémoire de Jean XI, son oncle. C’est le premier pape qui ait changé son nom à son avénement au pontificat. Il n’était point dans les ordres quand sa famille le fit pontife. C’était un jeune homme qui vivait en prince aimant les armes et les plaisirs.

On s’étonne que, sous tant de papes scandaleux, l’Église romaine ne perdît ni ses prérogatives ni ses prétentions ; mais alors presque toutes les autres Églises étaient ainsi gouvernées ; les évêques, ayant toujours à demander à Rome ou des ordres ou des grâces, n’abandonnaient pas leurs intérêts pour quelques scandales de plus ; et leur intérêt était d’être toujours unis à l’Église romaine, parce que cette union les rendait plus respectables aux peuples, et plus considérables aux yeux des souverains. Le clergé d’Italie pouvait alors mépriser les papes ; mais il révérait la papauté, d’autant plus qu’il y aspirait : enfin, dans l’opinion des hommes, la place était toujours sacrée, quoique souillée.

Les Italiens appellent enfin Othon à leur secours. Ils voulaient, comme dit Luitprand, contemporain, avoir deux maîtres pour n’en avoir réellement aucun. C’est là une des principales causes des longs malheurs de l’Italie.

961. Othon, avant de partir pour l’Italie, a soin de fait élire son fils Othon, né d’Adélaïde, roi de Germanie, à l’âge de sept ans : nouvelle preuve que le droit de succession n’existait pas. Il prend la précaution de le faire couronner à Aix-la-Chapelle par les archevêques de Cologne, de Mayence, et de Trêves, à la fois. L’archevêque de Cologne fait la première fonction : c’était Brunon, frère d’Othon.

Il passe les Alpes du Tyrol, entre encore dans Pavie, qui est toujours au premier occupant. Il reçoit à Monza la couronne de Lombardie[2].

962. Pendant que Bérenger fuit avec sa famille, Othon marche à Rome ; on lui ouvre les portes. Il se fait couronner empereur par le jeune Jean XII, auquel il confirme quelques prétendues donations qu’on disait faites au pontificat par Pepin le Bref, par Charlemagne, et par Louis le Faible. Mais il se fait prêter serment de fidélité par le pape sur le corps de saint Pierre, qui n’a pas été plus enterré à Rome que Pepin, Charles, et Louis, n’ont donné des royaumes aux papes. Il ordonne qu’il y ait toujours des commissaires impériaux à Rome.

Cet instrument[3] écrit en lettres d’or, souscrit par sept évêques d’Allemagne, cinq comtes, deux abbés, et plusieurs prélats italiens, est gardé encore au château Saint-Ange. La date est du 13 février 962. On dit que Lothaire, roi de France, et Hugues Capet, depuis roi, assistèrent à ce couronnement. Les rois de France étaient en effet si faibles qu’ils pouvaient servir d’ornement au sacre d’un empereur ; mais les noms de Lothaire et de Hugues Capet ne se trouvent pas dans les signatures de cet acte, si on en croit ceux qui en ont tant parlé sans l’avoir vu.

Tout ce qu’on fait alors à Rome concernant les Églises d’Allemagne, c’est d’ériger Magdebourg en archevêché, Mersebourg en évêché, pour convertir, dit-on, les Slaves, c’est-à-dire ces peuples scythes et sarmates qui habitaient la Moravie, une partie de Brandebourg, de la Silésie, etc.

À peine le pape s’était donné un maître qu’il s’en repentit. Il se ligue avec ce même Bérenger, réfugié chez les mahométans cantonnés sur les côtes de Provence. Il sollicite les Hongrois d’entrer en Allemagne ; c’est ce qu’il fallait faire auparavant.

963. L’empereur Othon, qui a achevé de soumettre la Lombardie, retourne à Rome. Il assemble un concile. Le pape Jean XII se cache. On l’accuse en plein concile, dans l’église de Saint-Pierre, d’avoir joui de plusieurs femmes, et surtout d’une nommée Étiennette, concubine de son père ; d’avoir fait évêque de Lodi un enfant de dix ans, d’avoir vendu les ordinations et les bénéfices, d’avoir crevé les yeux à son parrain, d’avoir châtré un cardinal, et ensuite de l’avoir fait mourir, enfin de ne pas croire en Jésus-Christ, et d’avoir invoqué le diable : deux choses qui semblent se contredire.

Ce jeune pontife, qui avait alors vingt-sept ans, parut être déposé pour ses incestes et pour ses scandales, et le fut en effet pour avoir voulu, ainsi que tous les Romains, détruire la puissance allemande dans Rome.

On élit à sa place un nouveau pape nommé Léon VIII. Othon ne peut se rendre maître de la personne de Jean XII ; ou, s’il le put, il fit une grande faute.

964. Le nouveau pape Léon VIII, si l’on en croit le discours d’Arnoud, évêque d’Orléans, n’était ni ecclésiastique, ni même chrétien.

Jean XII, pape débauché, mais prince entreprenant, soulève les Romains du fond de sa retraite ; et tandis qu’Othon va faire le siége de Camerino, le pontife, aidé de sa maîtresse, rentre dans Rome. Il dépose son compétiteur, fait couper la main droite au cardinal Jean, qui avait écrit la déposition contre lui, oppose concile à concile, et fait statuer que « jamais l’inférieur ne pourra ôter le rang au supérieur » ; cela veut dire que jamais empereur ne pourra déposer un pape. Il se promet de chasser les Allemands d’Italie ; mais, au milieu de ce grand dessein, il est assassiné dans les bras d’une de ses maîtresses.

Il avait tellement animé les Romains et relevé leur courage qu’ils osèrent, même après sa mort, soutenir un siége, et ne se rendirent à Othon qu’à l’extrémité,

Othon, deux fois vainqueur de Rome, fait déclarer dans un concile « qu’à l’exemple du bienheureux Adrien, qui donna à Charlemagne le droit d’élire les papes et d’investir tous les évêques, on donne les mêmes droits à l’empereur Othon ». Ce titre, qui existe dans le recueil de Gratien[4], est suspect ; mais ce qui ne l’est pas, c’est le soin qu’eut l’empereur victorieux de se faire assurer tous ses droits.

Après tant de serments, il fallait que les empereurs résidassent à Rome pour les faire garder.

965. Il retourne en Allemagne. Il trouve toute la Lorraine soulevée contre son frère Brunon, archevêque de Cologne, qui gouvernait la Lorraine alors. Il est obligé d’abandonner Trêves, Metz, Toul, Verdun, à leurs évêques. La haute Lorraine passe dans la main d’un comte de Bar, et c’est ce seul pays qu’on appelle aujourd’hui toujours Lorraine. Brunon ne se réserve que les provinces du Rhin, de la Meuse, et de l’Escaut. Ce Brunon était, dit-on, un savant aussi détaché de la grandeur que l’empereur Othon son frère était ambitieux.

La maison de Luxembourg prend ce nom du château de Luxembourg, dont un abbé de Saint-Maximin de Trêves fait un échange avec elle.

Les Polonais commencent à devenir chrétiens.

966. À peine l’empereur Othon était-il en Allemagne que les Romains voulurent être libres. Ils chassent le pape Jean XIII attaché à l’empereur. Le préfet de Rome, les tribuns, le sénat, pensent faire revivre l’ancienne république. Mais ce qui dans un temps est une entreprise de héros devient dans d’autres une révolte de séditieux. Othon revole en Italie, fait pendre une partie du sénat. Le préfet de Rome, qui avait voulu être un Brutus, fut fouetté dans les carrefours, promené nu sur un âne, et jeté dans un cachot où il mourut de misère. Ces exécutions ne rendent pas la domination allemande chère aux Italiens.

967. L’empereur fait venir son jeune fils Othon à Rome, et l’associe à l’empire.

968. Il négocie avec Nicéphore Phocas, empereur des Grecs, le mariage de son fils avec la fille de cet empereur. Le Grec le trompe. Othon lui prend la Pouille et la Calabre pour dot de la jeune princesse Théophanie qu’il n’a point.

969. C’est à cette année que presque tous les chronologistes placent l’aventure d’Othon, archevêque de Mayence, assiégé dans une tour au milieu du Rhin par une armée de souris qui passent le Rhin à la nage, et viennent le dévorer. Apparemment que ceux qui chargent encore l’histoire de ces inepties veulent seulement laisser subsister ces anciens monuments d’une superstition imbécile pour montrer de quelles ténèbres l’Europe est à peine sortie.

970. Jean Zimiscès, qui détrône l’empereur Nicéphore, envoie enfin la princesse Théophanie à Othon pour son fils ; tous les auteurs ont écrit qu’Othon, avec cette princesse, eut la Pouille et la Calabre. Le savant et exact Giannone a prouvé que cette riche dot ne fut point donnée.

971. Othon retourne victorieux dans la Saxe, sa patrie.

972-973. Le duc de Bohême, vassal de l’empire, envahit la Moravie, qui devient une annexe de la Bohême.

On établit un évêque de Prague. C’est le duc de Bohême qui le nomme, et l’archevêque de Mayence qui le sacre.

Othon déclare l’archevêque de Mayence archi-chancelier de l’empire. Il fait de ce prélat un prince. Il en fait autant de plusieurs évêques d’Allemagne, et même de quelques moines. Par là il affaiblit l’autorité impériale chez lui, après l’avoir établie à Rome.

Ce n’est que sous Henri IV que l’archevêque de Cologne fut chancelier d’Italie.

C’est après la mort de Frédéric II que la dignité de chancelier des Gaules fut attachée à l’évêché de Trêves. Il ne s’agit que d’avoir des forces suffisantes pour exercer cette charge.

Du temps d’Othon Ier, les archevêques de Magdebourg fondaient leur puissance. Le titre de métropolitains du Nord, avec de grandes terres, en devait faire un jour de grands princes.

Othon meurt à Minleben le 7 mai 973, avec la gloire d’avoir rétabli l’empire de Charlemagne en Italie ; mais Charles fut le vengeur de Rome ; Othon en fut le vainqueur et l’oppresseur, et son empire n’eut pas des fondements aussi vastes et aussi fermes que celui de Charlemagne.


  1. Il fut supprimé en 1801 par le traite de Lunéville.
  2. Voyez page 231.
  3. Ce mot est la traduction littérale du mot latin instrumentum, qui signifie acte.
  4. Concordantia discordantium canonum. 1151.