Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 01/Trigonométrie, article 1

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TRIGONOMÉTRIE.


Méthode facile et élémentaire pour parvenir au développement
des fonctions circulaires en produits indéfinis.
Par M. Gergonne.
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Il est bien peu de questions mathématiques qui soient susceptibles d’une résolution exacte ; et, pour la plupart d’entre elles, on n’a d’autre parti à prendre que de recourir à des approximations. L’analise offre pour cela divers moyens dont les principaux et les plus parfaits sont : 1.o les séries dont les termes, alternativement positifs et négatifs, convergent de telle manière que chacun d’eux est, à lui seul ; plus grand que la somme de tous ceux qui le suivent ; 2.o les fractions continues dont les fractions intégrantes, toutes positives, sont moindres que l’unité, 3.o enfin les produits indéfinis dont les facteurs alternativement plus grands et plus petits que l’unité, tendent sans cesse vers cette limite commune.

S’il est impossible de traiter de ces divers instrumens d’approximation, dans les ouvrages consacrés à l’enseignement élémentaire, avec toute l’étendue que peuvent comporter leur nature et leur importance, il semble du moins convenable et utile de donner, dans ces sortes d’ouvrages, quelques notions sur chacun d’eux et sur le parti qu’on peut en obtenir.

C’est ce qu’on fait généralement aujourd’hui, à l’égard des séries et des fractions continues ; mais, jusqu’ici, les produits indéfinis, si remarquables par leur forme, et si commodes par la manière dont ils se prêtent au calcul logarithmique, n’ont pas encore obtenu place dans les élémens ; et ce qui les concerne a été réservé, en totalité, pour les traités de haute analise ; ce qui tient sans doute à ce qu’on n’a pu parvenir, par des moyens à la fois élémentaires et rigoureux, à aucune fonction de cette forme. Je vais essayer de remplir, en partie, cette sorte de lacune, en déduisant de considérations fort simples, les expressions connues des sinus et des cosinus, en produits indéfinis. On sait que, étant un arc quelconque, on a :

[1]

Pour découvrir quels doivent être les facteurs binômes des seconds membres de ces équations, il faut remarquer, 1.o que, si une quantité mise à la place de , dans l’un ou l’autre de ces seconds membres, le réduit à zéro, ce second membre sera divisible par ou, pour mieux dire, par  ; 2.o que réciproquement aucun binôme de la forme ne pourra être facteur de l’un ou l’autre de ces seconds membres, à moins que la valeur ne rende ce second membre égal à zéro. Ainsi, la recherche des facteurs binômes des seconds membres de ces équations se réduit à celle des valeurs de qui peuvent les faire devenir nuls.

Mais, au lieu de chercher quelles sont les valeurs de qui peuvent réduire ces seconds membres à zéro, il revient au même, et il est beaucoup plus facile, de chercher quelles sont celles de ces valeurs qui peuvent rendre nuls  : or, pour que ces fonctions deviennent nulles, il est nécessaire et suffisant qu’on ait pour la première , et pour la seconde , ou ;

 :

étant la demi-circonférence dont le rayon est 1, et un nombre entier positif quelconque[2]. On peut donc affirmer que les facteurs binômes de la série :

sont tous ceux de la forme qu’il est possible de former, en donnant successivement à toutes les valeurs entières et positives imaginables ; et que les facteurs binômes de la série :

,

sont tous ceux que l’on peut former, en donnant les mêmes valeurs à dans la formule.

Mais ces binômes n’entreront-ils qu’à la première puissance, soit dans l’une, soit dans l’autre série, ou bien tous ou quelques-uns d’entre eux ne s’y trouveront-ils pas affectés d’exposans différens de l’unité positive, C’est ce qu’il s’agit présentement d’examiner.

Je remarque d’abord qu’aucun de ces binômes ne peut, dans la série dont il est facteur, se trouver affecté d’un exposant négatif ; puisqu’alors l’égalité de ce facteur à zéro, au lieu de rendre ou nul, ainsi que cela doit être, le rendrait au contraire infini. On ne peut admettre non plus que cet exposant soit une fraction positive ; car, à cause de la multiplicité des racines qu’une même quantité peut admettre, dans chaque degré, il arriverait, contrairement à la doctrine des fonctions circulaires, qu’à un même arc répondraient plusieurs sinus ou cosinus ; ou encore que la série, qui n’a qu’une valeur unique pour chaque valeur de , en aurait plusieurs, lorsqu’elle serait mise sous forme de produit de facteurs.

Je dis, enfin, qu’aucun des facteurs binômes de l’une ou de l’autre série ne peut être affecté d’un exposant entier et positif, différent de l’unité. On peut remarquer, en effet, que chacune de ces séries est, au signe près, la fonction dérivée de l’autre ; si donc un des facteurs binômes de l’une d’elles s’y trouvait élevé à une puissance entière. et positive , plus grande que l’unité, on en conclurait, par la théorie connue des racines égales, que ce même facteur devrait aussi se trouver dans l’autre, et s’y trouver à la puissance  ; d’où résulterait d’abord cette conséquence absurde qu’une même valeur de rend nuls à la fois , ou, en d’autres termes, qu’il existe un arc dont le sinus et le cosinus sont tous deux nuls : assertion détruite par l’équation fondamentale . On peut d’ailleurs remarquer que, de ce que le facteur dont il s’agit entrerait à la puissance dans l’autre série, on pourrait conclure qu’il ne doit entrer qu’à la puissance dans la première ; c’est-à-dire, dans celle où on l’a supposé à la puissance  ; ce qui fait apercevoir encore, d’une autre manière, l’absurdité de l’hypothèse.

Nous voilà donc assurés que non-seulement nos facteurs doivent entrer dans les deux séries, mais que, de plus, chacun d’eux ne doit s’y trouver qu’à la première puissance seulement. Je remarque actuellement que l’on peut faire le produit de ceux qui répondent à une même valeur de  ; on obtient ainsi les facteurs du second degré :

 :

donnant donc à toutes les valeurs entières et positives, à partir de l’unité, et ayant égard au facteur qui affecte la valeur de , il viendra :

Soit fait d’abord, dans ces deux formules,  ; elles deviendront ;

en y faisant, au contraire, et remarquant, 1.o que

 ;

2.o que

 ;

il viendra, en transposant les formules :

décomposant, dans les deux premières formules, les facteurs du second degré en facteurs du premier, et réduisant de plus, dans chaque facteur, l’entier et la tfraction en une seule tfraction, il viendra :

voilà donc deux expressions, l’une des sinus et l’autre des cosinus, en produits indéfinis, dont les facteurs, tendant sans cesse vers l’unité, sont alternativement plus grands et plus petits que cette limite commune.

En faisant subir les mêmes transformations aux deux autres expressions, elles deviendront :

divisant alors l’une par l’autre les deux expressions soit de

soit de , il viendra également :

 :

expression du nombre  ; donnée pour la première fois par Wallis[3].

Je ne pousserai pas plus loin ici les nombreuses conséquences qui peuvent être déduites des formules auxquelles je viens de parvenir ; on les trouvera développées, avec beaucoup d’étendue, dans les chapitres IX, X et XI du premier volume de l’Introduction à l’analise infinitésimale d’Euler : ouvrage dont on ne saurait trop recommander la lecture à ceux qui veulent connaître toutes les richesses et toute la fécondité de l’analise.

  1. Voyez la Théorie des fonctions analitiques.

    Voyez aussi la Géométrie de M. Legendre.

  2. On pourrait prendre aussi bien pour la seconde formule  ; mais on ne doit pas prendre l’une et l’autre, d’autant que la dernière, en y changeant en rentre dans la première.
  3. Voyez l’Arithmetica infinitorum, dans le premier volume de ses œuvres.