Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 02/Analise élémentaire, article 1

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ANALISE ÉLÉMENTAIRE.

Application aux équations du premier degré de la méthode
d’élimination par la recherche d’un commun
diviseur entre les équations données.
Par M. G. M. Raymond, principal du collège de Chambéri,
membre de plusieurs sociétés savantes et littéraires.
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À MM. LES RÉDACTEURS DES ANNALES.

Messieurs,

Voici encore un article très-élémentaire que je soumets à votre indulgence et à celle de vos lecteurs. Peut-être les détails les plus minutieux ne sont-ils pas toujours inutiles aux intérêts de l’enseignement. Le grand Newton n’a pas dédaigné de descendre jusqu’à la soustraction et à l’addition, pour y introduire la lumière de son génie, et, après lui, les Lagrange et les Laplace se sont arrêtés, avec complaisance, sur les opérations les plus simples du calcul pour en développer la métaphysique. Qu’il me soit donc permis, MM., pendant que les savans auteurs et collaborateurs des Annales rassemblent d’importans matériaux autour de l’édifice de la science, pour son accroissement et sa perfection, d’apporter quelquefois mon grain de sable dans la masse commune.

1. Les méthodes d’élimination entre plusieurs équations simultanées ont, en général, pour objet de réduire deux quelconques de ces équations à une seule. Pour obtenir ce résultat, dans les équations du premier degré, on indique ordinairement trois méthodes qui consistent ou à prendre la valeur d’une inconnue dans l’une des équations pour la substituer dans l’autre, ou à égaler entre elles les valeurs d’une même inconnue tirées des deux équations, ou enfin à modifier les équations par rôle de multiplication, de manière qu’en les ajoutant l’une à l’autre, l’inconnue qu’il s’agit d’éliminer disparaisse d’elle-même. On aurait pu facilement remarquer que ces trois méthodes qui, au surplus, ne sont que la même présentée sous différens aspects, reviennent au fonds à la recherche d’un commun diviseur entre les équations données ; diviseur composé de l’une des inconnues et subordonné aux valeurs des autres inconnues déterminées convenablement à la question. En cherchant ce commun diviseur par la division ordinaire, on emploirait une méthode d’élimination qui aurait le double avantage d’être souvent plus courte que les procédés rappelés ci-dessus, et d’être uniforme et applicable à tous les degrés : on préparerait ainsi, à l’avance, la théorie de l’élimination appliquée aux équations supérieures.

2. Soit le système des deux équations simultanées

Puisque la valeur de doit être la même dans ces deux équations, ainsi que la valeur de , il est évident que, si l’on y remplace par sa valeur effective, les deux équations devront contenir une valeur commune de exprimée par un facteur de la forme

Et, comme nous supposons que les équations diffèrent essentiellement, elles deviendront alors de la forme

D’où l’on voit que le commun diviseur se trouverait par la division en supprimant dans le diviseur le facteur ou , comme ne pouvant faire partie du commun diviseur cherché.

3. Si l’on a un nombre d’équations simultanées ; que, dans ces équations, ,… désignent les coefficients respectifs de … ceux de , … ceux de  ; et ainsi de suite ; et qu’en même tems désignent respectivement les valeurs simultanées de qui conviennent à la question ; il est facile de prouver qu’ayant remplacé inconnues par leurs valeurs respectives, les équations données se trouveront réduites à l’une des classes de formes suivantes :

elles acquerront donc un commun diviseur qui, égalé à zéro, donnera la valeur de la n.ième inconnue.

4. La découverte du diviseur commun entre deux équations à deux inconnues, est donc subordonnée à la connaissance et à la substitution de la valeur de convenable à la question ; or on trouvera cette valeur en ordonnant d’abord les équations données par rapport à , en divisant le premier membre de l’une par le premier membre de l’autre, et en égalant à zéro le reste indépendant de  : car l’anéantissement du reste donne au diviseur employé la qualité de commun diviseur en tant que l’on remplit la condition qui résulte de l’anéantissement de ce reste fonction de , c’est-à-dire, en tant que l’on donne à , dans les polynômes dividende et diviseur, la valeur qui résulte de cet anéantissement.

Je sais bien que je ne fais que reproduire ici le raisonnement exposé dans tous les traités élémentaires d’algèbre, à l’article de l’élimination appliquée aux équations des degrés supérieurs ; mais il me semble qu’employer d’abord ce raisonnement pour les équations du premier degré, c’est le mettre à sa première place naturelle, en lui donnant une application facile à saisir, qui comme je l’ai déjà remarqué, a l’avantage de coordonner toute la théorie de l’élimination sur un plan unique et régulier.

5. Divisons donc la seconde des équations (A) par la première, dans la vue de déterminer leur plus grand commun diviseur ; la division étant faite et le reste égalé à zéro, on aura

(R)

d’où

Si l’on substitue cette valeur de dans les deux équations proposées, elles deviendront, toutes réductions faites,

(B)

ce qui met à découvert le diviseur commun en qui résulte de la valeur qu’a pris , dans l’anéantissement du reste de la division ; et le diviseur commun, égalé à zéro, donne la valeur de qui convient à la question.

Soient ces équations numériques

Divisant le premier membre de la seconde par le premier membre de la première, au moyen de l’introduction du facteur 3 dans le dividende, on trouvera le reste qui, étant égalé à zéro, donnera

Cette valeur de , mise dans les deux équations proposées, les réduit à celles-ci

qui ont pour commun diviseur le facteur exprimant la valeur de commune aux deux équations.

Il est inutile d’observer que, dans la pratique, il suffit de substituer la valeur de dans l’une das équations proposées, pour en tirer la valeur correspondante de [1].

6. Si les équations proposées n’avaient pas de dernier terme, auquel cas on sait que les inconnues sont nécessairement nulles ou indéterminées, le reste égalé à zéro, se réduirait à

condition qui ne peut être satisfaite que de deux manières, savoir,

1.o par la nullité du coefficient de , ce qui rentre dans le cas exposé plus bas (10) et donne 2.o par la valeur d’où résulte aussi

7. Soit maintenant le système des trois équations

Divisant successivement le premier membre de chacune des deux dernières par le premier membre de la première, et égalant les restes à zéro, on aura

(R’)
(R")

Divisant ensuite le premier membre de l’équation ( par le premier membre de l’équation , et égalant à zéro le nouveau reste, on aura

Développant, réduisant, simplifiant et dégageant , on trouvera enfin

Ces opérations, dont la longueur provient de l’emploi des lettres, deviennent très-expéditives sur les nombres, à cause des réductions qui s’exécutent immédiatement. Au surplus les autres méthodes, appliquées à des équations littérales, comportent exactement les mêmes détails de calcul ; mais, quand bien même celle-ci n’aurait pas toujours l’avantage de la brièveté, on ne saurait, du moins, lui contester celui de la généralité.

8. En divisant, comme nous l’avons fait, les deux dernières équations du N.o précédent par la première, on conçoit que les conditions font acquérir aux premiers membres de ces trois équations un commun diviseur, fonction de , que l’on mettrait en évidence en substituant dans les équations les valeurs de et données par les équations comme nous l’avons vu pour le cas de deux inconnues.

Donnons maintenant un exemple numérique, et soient pour cela les trois équations

En divisant le premier membre de chacune des deux dernières par le premier membre de la première, et égalant les restes à zéro, il vient d’abord

(r′)
(r″)

Divisant ensuite par et égalant encore le reste à zéro, on a

substituant la valeur de dans ou , on trouve

substituant enfin les valeurs de et de dans les équations proposées elles deviennent

d’où l’on voit que la valeur de se présente sous la forme du commun diviseur [2].

9. Si les équations proposées n’avaient pas de dernier terme, les restes et se réduiraient à

équations qui, appartenant au cas indiqué (6), font voir sur-le-champ qu’on aurait d’où à moins cependant que les restes ci-dessus ne fussent nuls d’eux-mêmes, par la nullité des coefficiens de et de , ce qui donnerait des valeurs indéterminées pour les inconnues.

10. Si quelques-unes des équations proposées rentraient les unes dans les autres, le caractère indéterminé de la question se manifesterait par la nullité absolue du reste de la division. Soient, par exemple les équations

La division de la seconde par la première donne le quotient exact , et en égalant le reste à zéro, comme s’il n’était pas nécessairement nul, on obtient l’équation

d’où l’on tire, pour toutes ces formes de valeurs

Les trois premières se réduisent nécessairement à

quant à la dernière elle devient, par la suppression du facteur commun,

cette valeur, substituée dans l’équation

donne

ce qui exige que l’on ait si toutefois n’est pas nul. Ces résultats sont exacts, puisque la nullité de l’une des inconnues détermine nécessairement l’autre, en sorte qu’alors l’équation proposée n’en renferme proprement qu’une seule.

11. Si l’on avait trois équations, l’indétermination pourrait d’abord dépendre de ce que deux d’entre elles ne différeraient que par un multiplicateur commun à tous les termes de l’une d’elle, et cette circonstance se manifesterait, comme dans l’exemple précédent, par la nullité absolue du reste de la division de ces deux équations l’une par l’autre, ou par l’équivalence des équations en et qu’on obtiendrait en égalant à zéro les restes de leurs divisions par la troisième.

Si, en second lieu, l’indétermination résultait de ce que l’une des équations serait la somme des produits des deux autres, chacune par un certain facteur, cette circonstance se manifesterait encore par l’équivalence des équations en et qu’on obtiendrait en égalant à zéro les quotiens de la division de deux quelconques d’entre elles par la troisième.

Si enfin le problème était plus qu’indéterminé, c’est-à-dire, si les trois équations prises deux à deux ne différaient que par un multiplicateur commun à tous les termes de l’une d’elles, dans ce cas le reste de la division serait identiquement nul, quelles que fussent les deux équations sur lesquelles on l’opérerait.

12. Si la division de deux des équations du problème l’une par l’autre donnait pour reste une quantité toute connue, l’impossibilité d’égaler ce reste à zéro, annoncerait qu’il ne peut exister de commun diviseur entre ces équations qui par conséquent, ne sauraient avoir lieu en même temps ; le problème serait donc alors impossible.

Soient par exemple les deux équations évidemment incompatibles

en égalant à zéro le reste de la division de la seconde par la première, on aura :

condition absurde, tant que est différent de , et différent de zéro.

Si l’on écrivait le reste, sans y opérer de réductions, on aurait

symbole de l’infini, qui peut seul lever l’absurdité exprimée par le système des deux équations proposées[3].

Il résulte des considérations précédentes que la méthode d’élimination par la recherche du commun diviseur, fait reconnaître toutes les circonstances et tous les cas particuliers que peut présenter un problème du premier degré[4].

La méthode d’Euler, fondée également sur la considération d’un commun diviseur, peut aussi s’appliquer au premier degré ; nous n’en donnerons qu’un seul exemple.

Soient les deux équations

On posera

d’où, par l’élimination de on conclura l’identité

laquelle fournira les deux équations

qui sont suffisantes pour éliminer et  ; et qui, par l’élimination de ces quantités, conduiront à l’équation finale en .

Il serait facile d’étendre ces diverses considérations à un plus grand nombre d’inconnues ; mais c’est déjà occuper trop long-temps ici une place que nous devons céder à des théories plus importantes.

J’ai l’honneur d’être, etc.

  1. On peut objecter que la méthode de soustraction ne diffère en aucune manière de celle que j’indique, soit dans la modification préalable des deux équations données, soit dans l’usage du reste employé à déterminer l’inconnue qu’on n’a pas éliminée. Cela est vrai, et je l’ai déjà observé plus haut (1). Mais je réponds que le raisonnement diffère complètement dans les deux procédés ; que celui de la soustraction, employée comme telle, ne se présente que comme un simple artifice de calcul ; qu’il n’éclaire pas l’esprit et ne répand aucun jour sur la détermination simultanée et réciproque des deux inconnues ; qu’enfin il exclut toute application aux équations des degrés supérieurs.
  2. Si les équations proposées appartenaient respectivement à trois plans, la condition exprimerait la projection, sur le plan des , de l’intersection du premier et du second plan ; la condition la projection, sur le même plan, de l’intersection du premier et du troisième ; enfin l’élimination de , entre et , la projection, sur l’axe des , de l’intersection de ces deux droites ; ou, ce qui revient au même, la projection, sur l’axe des , de l’intersection des trois plans, laquelle aurait ainsi, pour ses équations
  3. L’impossibilité des problèmes à plus de deux inconnues présente plusieurs cas qu’il peut être utile de faire remarquer aux commençans.

    Supposons que l’on ait seulement trois équations entre trois inconnues ; il pourra d’abord arriver que, de quelque manière qu’on prenne ces équations deux à deux, elles soient également incompatibles ; ce qui revient, en géométrie, à chercher le point commun à trois plans parallèles.

    Il peut ensuite arriver que, l’une d’elles pouvant avoir lieu avec chacune des deux autres, prises séparément, ces dernières soient incompatibles entre elles, ce qui revient, en géométrie, à chercher le point commun à trois plans dont deux sont parallèles.

    Il peut arriver aussi que deux des équations proposées soient équivalentes, et alors, si la troisième est incompatible avec l’une d’elles, elle le sera aussi avec l’autre ; ainsi, dans ce cas, le problème sera indéterminé dans un sens, et impossible dans l’autre. Ce cas répond, en géométrie, à la recherche du point commun à trois plans dont deux se confondent et dont le troisième leur est parallèle.

    Il peut enfin arriver que, de quelque manière que l’on prenne les trois équations deux à deux, elles ne soient pas incompatibles, et que néanmoins le problème soit impossible, à raison de la contradiction qui existera entre les deux équations qui résulteront de l’élimination d’une même inconnue entre elles. C’est, en géométrie, le cas de la recherche du point commun à trois plans qui, sans être parallèles entre eux, sont parallèles à une même droite, et se coupent conséquemment deux à deux suivant trois droites parallèles.

  4. On ne saurait contester à M. Raymond l’utilité, on pourrait presque dire la nécessité, de commencer par le premier degré l’application des procédés généraux d’élimination ; mais ce serait une erreur de croire qu’il faille se borner, pour ce degré, à ces procédés généraux qui ont principalement pour objet d’éluder la résolution des équations par rapport aux inconnues qu’il s’agit de faire disparaître, ce qui n’est en effet d’aucun avantage lorsque les équations sont du premier degré. La méthode du commun diviseur en particulier n’a pu naître que de réflexions qui supposent déjà une certaine habitude de l’analise, tandis que, pour le premier degré, l’élimination, soit par les substitutions soit par l’expression de l’égalité entre diverses valeurs d’une même inconnue, se présente, pour ainsi dire, d’elle-même à l’esprit.

    La méthode d’élimination par les multiplicateurs indéterminés re doit pas non plus être négligée, d’autant qu’elle a pour analogue, dans les degrés supérieurs, celle qui a été présentée par Bezout dans sa Théorie des équations algébriques ; mais, pour lui donner toute l’élégance et la simplicité dont elle peut être susceptible, il convient d’employer autant de multiplicateurs que d’équations ; ce qui permet de n’admettre, pour ces multiplicateurs, que des valeurs entières, et montre ainsi, dès les premiers pas dans l’analise, l’avantage qu’il peut y avoir à introduire dans une question plus d’indéterminées que sa nature ne semble l’exiger.

    Soient d’abord les deux équations

    la somme de leurs produits par les indéterminées et sera

    si l’on veut que disparaisse, il faudra poser

    posant donc, pour plus de simplicité on aura ainsi, on fera disparaître de ces équations, en prenant la somme de leurs produits par et on trouverait de même que, pour en faire disparaître , il faut prendre la somme de leurs produits par et , on obtient ainsi

    Soient ensuite les trois équations

    la somme de leurs produits respectifs par sera

    Si l’on veut que et disparaissent, il faudra poser

    d’où on tirera, par ce qui a été dit ci-dessus,

    posant donc, pour plus de simplicité, il viendra Ainsi, on fera disparaître, à la fois, et de ces trois équations, en prenant la somme de leurs produits respectifs par

    On en ferait disparaître et , en prenant la somme de leurs produits par

    et on les délivrerait enfin de et , en prenant la somme de leurs produits par

    Il est facile d’étendre ces considérations à un plus grand nombre d’équations renfermant un égal nombre d’inconnues

    (Notes des éditeurs.)